Comme chaque année, l’ouverture de la session de l’Assemblée générale de l’ONU est l’occasion de promouvoir l’adhésion des Etats membres aux traités multilatéraux dont le Secrétaire général est le dépositaire. Cette cérémonie des traités tire ainsi parti de la présence de représentants des Etats à un haut niveau. Cette année l’accent a été mis sur l’état de droit. Dans sa lettre (en français) le Secrétaire général explique
« Les traités constituent un des piliers de l’état de droit. La Charte des Nations Unies et les traités multilatéraux qui ont été mis au point sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies et dont je suis dépositaire forment un cadre juridique complet de normes et de règles gouvernant la conduite des nations et aussi, indirectement, celle des peuples. C’est là l’un des plus grands succès de l’Organisation des Nations Unies depuis sa création ».
Dans quelle mesure les traités peuvent-ils être considérés comme un pilier de l’état de droit ? On se bornera présentement à livrer des observations plus concrètes.
Le Secrétaire général note
« Au cours des onze dernières années, ces manifestations ont donné lieu à 1 679 formalités conventionnelles (signatures, ratifications ou adhésions) ».
Compte tenu du nombre de traités ouverts à la signature (25) et du nombre d’Etats membres (193) le résultat de ces campagnes de promotion des traités demeure modeste. Le rapport pour cette année fait ce bilan :
« Au cours de la Cérémonie des traités de 2012, trente-neuf (39) États Membres et un (1) État non membres ont entrepris quatre-vingt-six (86) formalités liées aux traités. De ce nombre, quatre (4) États ont participé au niveau de Chef d’État, un (1) État a participé au niveau de Chef de Gouvernement, trente (30) États ont participé au niveau ministériel, et quatre (4) États ont participé au niveau de leur Représentant Permanent auprès des Nations Unies. La Section des Traités a enregistré deux (2) consentement à être lié, quatre (4) acceptations, vingt-quatre (24) adhésions, trente (30) ratifications, vingt-quatre (24) signatures, une (1) entré en vigueur à titre provisoire, et une (1) déclaration. »
Cette promotion de la participation aux traités poursuit deux objectifs. Le premier de caractère plus immédiat est d’accélérer l’entrée en vigueur des traités en atteignant le seuil de participation fixé par l’instrument. Le second plus général est de parvenir à l’universalité d’application de ces traités.
Le Secrétaire général explique encore que
« À ce jour, seuls deux traités font l’objet d’une participation universelle au sein de la communauté des nations. D’autres bénéficient d’une large participation, mais n’ont toujours pas accédé à l’universalité. Je vous engage donc à contribuer aux efforts déployés pour obtenir l’application universelle du dispositif de normes et règles reconnues sur le plan international. La participation universelle aux traités et leur mise en œuvre constituent un objectif ambitieux mais important qui exige des efforts communs de la part de tous les États.»
Les traités multilatéraux ouverts poursuivent un but d’application universelle. L’affirmation est sans doute exacte formellement, mais on doute fort qu’elle corresponde à la réalité dans tous les cas. Quoiqu’il en soit, il convient de s’interroger sur la portée de cette universalisation. Elle ne produit aucun effet de droit. L’universalisation est une vocation de ces accords, mais elle n’est pas en soi significative. Si la généralisation de l’adhésion concourt au développement du droit international coutumier, ce résultat est souvent atteint bien avant la participation universelle. Elle n’est pas même l’expression d’une plus grande autorité reconnue à certains traités. A vrai dire l’universalisation peut être réalisée avant que tous les Etats du monde aient rejoint le cercle des parties. Ainsi, avec 160 ratifications/adhésions la Convention sur le droit de la mer (CNUDM) est proche d’une universalité réelle. On remarque une petite faiblesse autour du Golfe Persique et en Amérique latine, ainsi que le cas très particulier, mais guère préoccupant - une solution sera nécessairement trouvée - des Etats-Unis. Pour le reste manquent à l’appel la plupart des Etats sans littoral. Or tant que ces Etats ne revendiquent pas les droits qui sont l’objet de la Convention, notamment qu’ils n’établissent pas un pavillon pour les navires, leur absence n’affecte en rien la pleine application de la CNUDM. L’universalité réelle d’un traité ne correspond donc pas à l’universalité formelle.
Ainsi à travers la recherche de l’universalité des instruments multilatéraux on discerne une autre préoccupation qu’éclaire la liaison établie par le Secrétaire général avec l’état de droit. A un certain point, la non-participation à ces traités devient difficilement compatible avec l’appartenance à l’Organisation des Nations Unies : ces derniers concrétisent les buts et principes des Nations unies. L’OIT a rencontré une difficulté semblable en raison de la participation d’un nombre important d’Etats n’ayant ratifié aucune des Conventions essentielles du travail. Or, le problème n’est pas visible parce qu’il est masqué par la discrétionnarité du consentement au traité. Les Etats sont en droit de choisir de ne pas être liés et le problème évoqué ne pourrait être résolu qu’en développant les obligations statutaires des Etats membres (notion des droits fondamentaux au travail dans le cadre de l’OIT).
Ainsi, les Etats qui s’abstiennent de ratifier un traité ne sont jamais identifiés comme tels, afin d‘éviter une stigmatisation injustifiée. On montre volontiers les Etats qui ratifient et les autres restent dans une ombre confortable. Pourtant la réalisation de l’objectif d’universalisation suppose que l’on identifie clairement le chemin qu’il reste à parcourir et les obstacles qu’il faudra surmonter. Il y a donc apparemment un intérêt à inverser l’état de la ratification des traités pour découvrir les Etats qui n’ont pas encore franchi le pas. Cette approche inversée est-elle concrètement utile ?
On observe qu’elle permet au moins de dégager la notion d’universalité réelle évoquée précédemment : la non-participation de certains Etats peut n’avoir aucune incidence sur l’application universelle du traité (Etats sans littoral et CNUDM).
Pour le reste, je livre ici une bien modeste étude qui a davantage pour objet d’explorer des pistes que de trancher définitivement des questions. On remarque en effet des biais méthodologique dans la sélection des traités examinés. Manifestation de l’influence de l’observateur sur son objet, ces 10 instruments retenus ont été choisis pour faire ressortir certains traits du comportement des Etats lorsqu'il est question de la ratification des traités multilatéraux.
Liste des traités choisis :
- Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (187 Etats parties)
- Convention de Vienne sur les relations consulaires (173)
- Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (142)
- Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels (160)
- Pacte sur les droits civils et politiques (167)
- Convention contre la torture (153)
- Convention sur les droits de l’enfant (193)
- Protocole de New-York au Statut de réfugié (146)
- Convention d’Oslo sur les mines antipersonnel (160)
- Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (163)
119 des 193 Etats membres de l'ONU n'ont pas ratifié toutes ces 10 conventions.
Les Etats qui s'abstiennent le plus d'adhérer ou de ratifier (au moins 4 des 10 conventions) :
Un premier examen met en évidence que les Etats membres de l’ONU comptent parmi eux 2/3 d’élèves méritants et 1/3 d’élèves dont l’excellence, en ce qui concerne la ratification/adhésion des traités, justifie qu’on ne s’intéresse pas à eux. Ainsi pour une minorité la ratification d’un traité est une démarche plus aisée que pour les autres. On ne s’étonnera pas de voir les Etats-Unis figurer dans cette liste compte tenu des difficultés d’ordre constitutionnel que peut rencontrer l’Exécutif pour aboutir à un engagement international.
Une seconde évidence saute aux yeux : les très petits Etats constituent de réels obstacles à l’universalisation des traités. Ils composent l’immense majorité des Etats qui ont le moins ratifié les conventions retenues (au moins 4 sur les dix). Sans doute a-t-on atteint la limite de la miniaturisation de l’Etat.
Quelques observations supplémentaires peuvent être faites à l’issue d’un examen plus attentif de ces tableaux.
- Certains gouvernements peuvent ne pas se sentir concernés par un traité. On songe évidemment aux Etats sans littoral par rapport à la Convention sur le droit de la mer. Les très petits Etats dont la diplomatie est limitée au cadre institutionnel de l’ONU, qui n’entretiennent pas de représentation diplomatique auprès d’autres Etats et n’exercent pas la protection consulaire de leurs ressortissants n’éprouvent pas le besoin de ratifier les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires. Par contre, ces mêmes Etats ont ratifié la Convention sur le droit de la mer, s’il s’agit d’Etats côtiers ou insulaires. L’intérêt d’un traité pour un Etat détermine donc la décision de s’engager. Lorsqu’il est directement concerné, un Etat n’a donc pas besoin d’assistance ou d’encouragement extérieur pour se lier.
- Certaines causes sont plus attractives que d’autres, sans que cela ne préjuge de leur importance objective. La convention sur les droits de l’enfant a fait quasiment l’unanimité. Quel pays ne veut pas le bien de ses enfants ? Si le projet d’une convention sur les personnes âgées, mieux les "âgés", les "anciens", devait voir le jour, les ratifications seraient fulgurantes et générales. La convention sur les handicapés et celle sur les disparitions forcées ont été signées en 2006. La première, évidemment plus « sexy », a recueilli près de quatre fois plus d’adhésions (124) que la seconde (36). Les principaux instruments relatifs à la protection de l’environnement ont connu un très grand succès, alors que la participation aux conventions sur le génocide et contre la torture reste désespérément limitée. Les Etats s’offrent donc à peu de frais une image de modernité.
- La convention d’Oslo sur les mines antipersonnel illustre l’impact du lobbying et du marketing des traités. On voit des gouvernements qui ne s’engagent jamais à rien et qui soudain adhèrent à un instrument qui a trait à un sujet très éloigné de leurs préoccupations. L’adhésion est donc un geste gratuit qui entretient l’image internationale du pays.
La majorité des Etats se détermine en connaissance de cause, Il n’en demeure pas moins que le marketing est efficace à la marge pour accélérer l’entrée en vigueur d’un traité ou achever son application universelle. Quoiqu’il en soit, il n’y a pas d’autre moyen pour accroître le sens des responsabilités des autorités nationales que de créer un climat d’inconfort autour de l’abstention. Comment un Etat peut-il prétendre jouer un rôle actif et positif dans la gestion des affaires du monde, alors qu’il n’a même pas ratifié la convention sur le génocide ? Quel crédit doit-on accorder à un discours sur l’Etat de droit, s’il émane d’un Etat qui n’a pas adhéré à la convention contre la torture ? Le simple fait d’amener l'opinion publique à s’interroger sur les raisons de l’abstention d’un Etat est susceptible de modifier la position de ce dernier, du moins lorsqu’il n’y en a pas ou qu’elles sont inavouables. Les Etats s’engagent plus volontiers lorsqu’ils peuvent gagner en image sur le plan international. Il faudrait aussi qu’ils en perdent par l’abstention.
D’ailleurs, le mot même d’abstention pour désigner le comportement d’inaction dans le processus d’universalisation d’un traité multilatéral n’est pas employé. Pourtant, l’Etat en question est sollicité par l’ouverture du traité à l’adhésion générale et il y répond implicitement par son silence. Il est concerné par ce processus.
Documents
Rapport final sur la Cérémonie des traités 2012
Liste des traités internationaux dont le Secrétaire général est le dépositaire et qui peuvent faire rapidement l’objet d’une participation universelle (état au 13 avril 2012) en français
Traités multilatéraux dont le Secrétaire général est le dépositaire et dont l’entrée en vigueur est imminente (état au 18 avril 2012) en français
Traités multilateraux dont le Secrétaire général est le dépositaire et qui sont ouverts à la signature en français