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Soumis par Dumouchel Anne… le 14 October 2012

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a consacré de nouveaux développements relatifs au partage des eaux, en délimitant les eaux sous souveraineté territoriale, celles de droits souverains, celles libres de toute souveraineté et les régimes juridiques y applicables, en cherchant à préserver à la fois les intérêts nationaux et ceux de la communauté internationale. Cependant, l’actualité nous rappelle souvent qu’il y a un réel fossé entre la théorie et la pratique. Deux exemples récents nous permettent d’illustrer ces propos, et témoignent des difficultés à concilier préservation des intérêts nationaux, respect des engagements internationaux et droits des tiers. Nous allons tout d'abord présenter les faits avant d'en proposer une brève analyse.

 I. Le Maroc et l'île Maurice refusent l'accès à leur ports de navires associatifs

1. Affaire Maroc/ Women onWaves

Le 4 octobre dernier, le Maroc a annoncé interdire l’accès à ses installations portuaires d’un navire de l’ONG néerlandaise Women on Waves, bâtiment rebaptisé, en raison de son objet, « navire de l’avortement ». Pourquoi une telle réaction de la part des autorités marocaines ? Parce que l’association promeut les avortements médicamenteux (c’est-à-dire au moyen de pilule abortive), et son voyage en navire a pour but de sensibiliser les femmes à ces questions, voire même de pratiquer des avortements à bord du navire, dans les eaux internationales. Le navire a déjà fait escale dans trois pays à forte tradition catholique, et il devait s’agir, pour l’escale marocaine, de la première dans un pays musulman. Le navire se rendait au Maroc, dans le port de Smir, sur l’invitation du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles, mais dans un contexte juridique et politique particulièrement délicat, l’avortement étant interdit (sauf danger pour la vie de la mère) au Maroc, ce qui conduit chaque année de nombreuses femmes à avorter dans la clandestinité et mettre en jeu leur santé voire leur vie.

Les autorités marocaines ont donc décidé d’interdire au navire et à ses passagers l’accès à ses ports. A l’appui de leur décision, les autorités ont indiqué que le navire ne leur a jamais demandé la permission d’entrer dans ses ports et qu’il s’agissait donc de ne pas le laisser entrer, en postant les moyens de sa marine à l’entrée du port, et en empêchant aux journalistes l’accès au site portuaire.

Anticipant la réaction du Maroc, l’association a en réalité trompé les autorités marocaines. En effet, alors que ces dernières faisaient part de leur opposition à l’entrée du navire dans ses eaux et dans son port, l’association a fait savoir que le navire avait en fait déjà accosté deux jours plus tôt (petite parenthèse : ce « subterfuge fait naître deux questions : celle de la légitimité des moyens d’action de l’association ; celle plus inquiétante pour le pays de la question de la sûreté de ses eaux et installations portuaires). Elle a même nommé cette opération « Cheval de Troie ».
La réaction des autorités ne s’est pas fait attendre, puisque le navire a été escorté par la marine nationale dès le soir même en dehors des eaux territoriales marocaines. Entre-temps, toute entrée ou sortie du bâtiment était rendue impossible. Aucune femme marocaine n’a donc pu monter à son bord. Cependant, pour l’association, in fine, l’opération est réussie : le coup de publicité offert par le relais des médias est inespéré, et ce d’autant plus que la photographie du navire, largement relayée, permet d’obtenir le numéro de la hotline de l’association, peint sur ses flancs.

 

2. Affaire Ile Maurice / Greenpeace

L’affaire Ile Maurice / Greenpeace, quand à elle, si elle touche sensiblement aux mêmes questions juridiques, est d’une toute autre nature.
L’Ile Maurice avait initialement manifesté son refus de voir accoster le SY Rainbow Warrior, navire de Greenpeace, à Port-Louis. Ce navire opère dans le cadre du « Tour de l’océan Indien », une campagne de l’association réclamant la l’interdiction des thoniers senneurs. Deux raisons étaient avancées à ce refus : la première, les positions de l’association en faveur de la création d’une aire marine protégée de l’archipel des Chagos, sujet d’un conflit qui oppose l’île aux britanniques (Maurice fustige ainsi le « soutien inconditionnel » de Greenpeace aux autorités britannique) ; la seconde l’incompatibilité de la campagne avec les intérêts de la pêche mauricienne voire de la région. Cependant, la première de ces raisons était la principale, étant donné que Maurice a finalement levé son interdiction suite à la clarification par l’association de ces positions concernant les Chagos (ce qui semble confirmé par le fait que les pêcheurs mauriciens eux-mêmes ont demandé au  ministre de reconsidérer son refus, ce qui tend à démontrer que les incompatibilités d’intérêt n’étaient peut-être pas si avérées que cela…).

 

II. Le droit international de la mer et l’accès aux eaux territoriales et installations portuaires

Maurice et le Maroc pouvaient-ils agir ainsi, interdire l’accès de ses eaux et ports à des navires civils ? Il convient d’étudier ce que prévoit le droit international de la mer, et pour cela se référer à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM, 1982, Montego Bay).
Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler le principe de souveraineté de l’État côtier sur ses eaux intérieures et territoriales – bien que le régime de ces deux zones diffère.

En mer territoriale, selon l’article 17 de la CNUDM, règne le principe de libre passage inoffensif, selon lequel les navires de tous les États peuvent transiter à travers ces eaux à condition que ce transit constitue un passage inoffensif au sens de la Convention. Si ce passage ne répondait pas à ces critères, alors les autorités de l’État côtier pourraient prendre les mesures nécessaires pour stopper ledit passage (art. 25 §1 de la CNUDM) ou empêcher le navire d’accéder à ses eaux intérieures et installations portuaires (art. 25 §2). Il convient ici de s’interroger sur la nature des voyages des navires des deux associations. Peuvent-ils constituer des « passages inoffensifs » ? Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de vérifier qu’il y ait bien « passage ». Ce dernier est défini par la Convention en son article 18 comme :

 

« le fait de naviguer dans la mer territoriale aux fins de :

a)la traverser sans entrer dans les eaux intérieures ni faire escale dans une rade ou une installation portuaire située en dehors intérieures ; ou

b)se rendre dans les eaux intérieures ou les quitter, ou faire escale dans une telle rade ou installation portuaire ou la quitter ».

C’est ici cette deuxième configuration qui nous intéresse, le but des deux navires étant d’accéder aux ports des États concernés. Il semble donc qu’il y ait bien « passage » au sens de la Convention. Est-il pour autant « inoffensif » ? Selon l’article 19 §1 de la CNUDM « le passage est inoffensif aussi longtemps qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’État côtier. Il doit s’effectuer en conformité avec les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international ». La Convention liste les cas dans lesquels le passage n’est pas inoffensif : menace ou emploi de la force contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépdendance politique de l'Etat côtier ou de toute autre manière contraire aux principes du droit international énoncés dans la Charte des Nations Unies; exercice ou manoeuvre avec armes de tout type; collecte de renseignements au détriment de la défense ou de la sécurité de l'Etat côtier; propagande visant à nuire à la défense ou à la sécurité de l'Etat côtier; lancement, appontage ou embarquement d'aéronefs; lancement, appontage ou embarquement d'ngins militaires; embarquement ou débarquement de marchandises, de fonds ou de personnes en contravention aux lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration de l'Etat côtier; pollution délibérée et grave, en violation de la Convention; pêche; recherches ou levés; perturbation du fonctionnement de tout système de communication ou de tout autre équipement ou installation de l'Etat côtier. Cette liste n’est cependant pas exhaustive, le l) de l’article stipulant que « toute autre activité sans rapport direct avec le passage » peut ôter le caractère inoffensif du passage. L'apparente objectivité de la liste est donc quelque peu atténuée par cet alinéa. Cette dernière catégorie, floue, reste donc à l’appréciation de l’État côtier qui, toutefois, ne saurait pouvoir restreindre ce droit de passage de manière injustifiée ou arbitraire. En ce qui nous concerne, il convient de remarquer que la Convention ne prévoit pas que constitue un passage inoffensif le simple fait de ne pas respecter la législation de l'Etat côtier. Dans les deux cas toutefois, les autorités de l'Etat côtier n'ont pas eu à intervenir dans leurs eaux territoriales et il semble que les dispositions précitées auraient difficilement pu leur permettre de le faire. Au regard des conditions d’appréciation de ce qui doit être considéré ou non comme passage inoffensif, il semble en effet probable que dans nos deux cas le passage non inoffensif ne serait pas qualifié.

Toutefois, dans les deux cas évoqués, ce n’était pas l’accès à la mer territoriale qui était refusé, mais aux installations portuaires. (petite précision : les installations portuaires, sauf cas particuliers, font partie des eaux intérieures de l’État). Un État peut-il décider de refuser d’accueillir des navires civils dans ses eaux intérieures et installations portuaires ? Oui, en vertu du principe de souveraineté de l’État côtier, principe non tempéré par un droit de passage accordé aux navires des États tiers (sauf l'exception prévue à l'article 8§2 de la CNUDM). Cette souveraineté a de surcroit été rappelée et confirmée par la CIJ qui, dans son arrêt Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci du 27 juin 1986, indique « le concept juridique fondamental de la souveraineté des États en droit international, consacré notamment par l’article 2§1 de la Charte des Nations Unies, s’étend aux eaux intérieures et à la mer territoriale de l’État ». La CNUDM est cependant peu loquace concernant le régime juridique de ces eaux intérieures, qui sont dès lors assimilées au territoire terrestre de l’État côtier (v. J.-P. Pancracio, Droit de la mer, Dalloz, 2010, p. 129). Toutefois, l’existence d’une souveraineté pleine et entière sur ces eaux ne doit pas entraver la libre circulation, et il est généralement admis que les navires étrangers privés jouissent d’un libre accès aux eaux intérieures des États.

L’accès aux installations portuaires d’un État serait, dans le même sens, ouvert aux navires étrangers (op. cit., sous réserve qu’il constitue un port de commerce, et non un port militaire), bien qu’il n’existe aucun principe général allant dans ce sens.  Cependant, l’État souverain a la possibilité de restreindre l’accès à ses ports, ce qui est confirmé par l’article 25 de la CNUDM : « en ce qui concerne les navires qui se rendent dans les eaux intérieures ou dans une installation portuaire située en dehors de ces eaux, l’État côtier a également le droit de prendre les mesures nécessaires pour prévenir toute violation des conditions auxquelles est subordonnée l’admission de ces navires dans ces eaux ou ces installations portuaires », qui nous apprend deux choses : la première, que l’accès aux eaux intérieures et installations portuaires peut être conditionné ; la seconde qu’en cas de non-respect de ces conditions l’État côtier peut intervenir et en interdire l’accès. L’application de ces conditions ne doit pas être discriminatoire, c’est-à-dire fondée sur le pavillon du navire. Les restrictions d’accès aux ports peuvent cependant être sectorielles, c’est-à-dire prononcées à l’encontre d’une catégorie spécifique de navires, pour des questions notamment environnementales ou sécuritaires (attention, ce n'est pas le cas pour les eaux territoriales, pour lesquelles aucune discrimination ne saurait être acceptée). Peuvent-elles pour autant être idéologiques, comme tel est le cas dans nos deux affaires ? La réponse semble, en apparence, affirmative, l’État côtier pouvant prendre des mesures pour protéger son ordre public interne.

 

1. Concernant le cas du navire de Women on Waves, il n’y a aucun doute, les valeurs défendues par l’association sont contraires au droit marocain : le droit marocain prohibe les actions promues par l’association. Mais cela n’est pas en soi suffisant. Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte les risques dé débordements liés à l’arrivée du navire, de nombreuses personnes ayant manifesté leur opposition à la présence du navire dans le port ; il s’agissait aussi de pouvoir assurer la sécurité des installations et de ne pas créer de troubles à l’ordre public. Peu importe ici le jugement que l’on porte sur l’avortement ; seule compte la préservation de l’ordre public de l’État côtier, qui semble avoir agi en conformité avec les droits qui lui sont octroyés par le droit international dans ses propres eaux.

Attention toutefois à ne pas faire d’amalgame. Si en l’espèce la solution adoptée par le Maroc semble défendable au regard des risques de troubles à l’ordre public qu’aurait engendré le stationnement du navire, elle pourrait difficilement être légitimée si le navire n’avait été refoulé uniquement qu’en raison des positions idéologiques de l’association. En effet, si la souveraineté implique la compétence législative de l’État sur les navires naviguant dans ses eaux intérieures, ce qui conduit pour ces derniers à devoir respecter les législations de cet État, ce respect ne concerne que le comportement du navire (règles de navigation, de police, d’immigration, douanières,…), non sur ce qu’il s’y passe à bord et entre les passagers, et encore moins sur les opinions individuelles. Dans ce dernier cas, il s’agirait alors d’une atteinte à la liberté d’expression. Point sur lequel l’association envisage de porter plainte (v. le communiqué de l’association), comme elle l’a déjà avec succès devant la Cour européenne des droits de l’homme contre le Portugal. Cette affaire est intéressante, dans le sens où la Cour indique que les moyens employés par le Portugal (refus de laisser le navire entrer dans ses eaux et intervention de ses forces navales) sont disproportionnés par rapport aux buts de l’association (v. l’arrêt Affaire Women on Waves et autres c. Portugal, CEDH, 3 février 2009). Le raisonnement de la Cour est à cet égard très instructif, notamment sur la question de la justification du refus d’entrée pour des motifs sanitaires (infraction aux législations sanitaires de l’État côtier), notamment dans ses derniers considérants :

 

« 41. Dans la mesure où le Gouvernement a allégué que l’entrée du navire en question dans les eaux territoriales portugaises aurait pu donner lieu à des infractions à la législation portugaise de l’époque en matière d’avortement, la Cour ne décèle pas dans les faits de la cause des indices suffisamment sérieux permettant de penser que les requérantes avaient l’intention de violer de manière délibérée une telle législation. S’il est vrai que le tribunal administratif de Coimbra se réfère, dans son jugement du 6 septembre 2004, au fait que des médicaments prohibés – au moment des faits – au Portugal se trouveraient à bord du Borndiep, rien n’indique que les requérantes avaient l’intention, une fois arrivées dans les eaux territoriales portugaises, de les administrer aux femmes qui le souhaiteraient. En tout état de cause, la Cour observe que les autorités portugaises avaient, s’agissant de ce point particulier, d’autres moyens moins attentatoires aux droits des requérantes que l’interdiction totale d’entrée du navire : elles auraient ainsi pu, par exemple, saisir les médicaments en cause. La Cour rappelle à ce propos que la liberté d’exprimer des opinions au cours d’une réunion pacifique revêt une importance telle qu’elle ne peut subir une quelconque limitation dans la mesure où l’intéressé ne commet pas lui-même, à cette occasion, un acte répréhensible (Ezelin, précité § 53).

42. La Cour ne sous-estime pas l’importance accordée par l’Etat portugais à la protection de la législation en matière d’interruption de grossesse telle qu’applicable à l’époque ainsi qu’aux principes et valeurs qui la sous-tendent. Elle se doit cependant de souligner encore que c’est justement lorsqu’on présente des idées qui heurtent, choquent et contestent l’ordre établi que la liberté d’expression est la plus précieuse.

43. Enfin, la Cour estime que les États contractants ne sauraient prendre, au nom de la protection de « la sûreté publique », n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée (voir Izmir SavaÅŸ Karşıtları DerneÄŸi et autres c. Turquie, no 46257/99, § 36, 2 mars 2006). En l’espèce, l’Etat disposait assurément d’autres moyens pour atteindre les buts légitimes de la défense de l’ordre et de la protection de la santé que le recours à une interdiction totale d’entrée du Borndiep dans ses eaux territoriales, qui plus est moyennant l’envoi d’un bâtiment de guerre contre un navire civil. Une mesure aussi radicale produit immanquablement un effet dissuasif non seulement à l’égard des requérantes mais également à l’égard d’autres personnes souhaitant communiquer des informations et des idées contestant l’ordre établi (BÄ…czkowski et autres c. Pologne, no 1543/06, § 67, CEDH 2007‑...). L’ingérence en question ne répondait donc pas à un « besoin social impérieux » et ne saurait passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

44. A la lumière de ce qui précède, l’ingérence en cause se révèle disproportionnée aux objectifs poursuivis. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention. »

Une telle jurisprudence, appliquée à l’espèce, serait certainement favorable à l’association. Cependant, ici, un fait nouveau apparaît : la possibilité proclamée de procéder à des avortements médicamenteux en haute mer. Le raisonnement de la Cour pourrait, en considération de ce fait, modifier son appréciation. Par ailleurs, il ne faut pas non plus occulter la manoeuvre de l'association qui, en souhaitant poursuivre son but, a certainement violé la réglementation marocaine relative à l'accès à ses ports (le navire n'a pas prévenu son arrivée et, de surcroît, a duppé les autorités marocaines).

-Concernant l’affaire Greenpeace, le problème se pose en des termes différents. Cette fois, le navire s’est vu refuser l’accès aux eaux mauriciennes pour deux motifs politiques, le plus important étant celui des positions de Greenpeace concernant le projet britannique de création d’une aire marine protégée autour de l’archipel des Chagos. La clarification, par lettre, de l’association sur cette question a conduit Maurice a levé l’interdiction posée à l’encontre du navire, qui a pu faire escale à Port-Louis.

Ici, les autorités ne peuvent qu’invoquer un motif purement politique, non rattachable à une législation quelconque. De plus, les autorités n'ont fait aucun état d'un éventuel risque de trouble à l'ordre public lié à la venue du navire dans son port, celle-ci étant apparemment plutôt désirée des professionnels de la mer. Si on reprend le raisonnement développé pour l’affaire entre le Maroc et Women on Waves, il y aurait ici une interdiction posée en raison de positions politiques, et, potentiellement, une atteinte à la liberté d’expression. Il semblerait donc, au regard du droit international, difficile de défendre, de légitimer, l’attitude des autorités mauriciennes. Cependant, Maurice reste souverain, dans le sens que prévoit la CNUDM concernant les eaux intérieures, et il semble tout autant difficile de contester une telle décision. Quoiqu’il en soit, en l’espèce, l’île est revenue, et c’est heureux, sur sa décision. Mais qu’en aurait-il été si Greenpeace n’avait pas précisé ses positions ? Une interdiction d’accoster semble disproportionnée, et surtout non justifiée par des atteintes à la législation de l’État côtier (ni sanitaire, douanière, etc…). Surtout, elle serait économiquement dangereuse pour l'île si elle était appliquée à tous les navires dont les passagers affichent des opinion contraires aux positions mauriciennes... A noter, le paradoxe de la position mauricienne, qui tout en voulant interdire la venue du navire, acceuille par ailleurs de nombreux navires britanniques et américains.

A la réflexion, on se rend compte que la problématique principale soulevée par ces deux éléments d’actualité n’est pas si évidente qu’elle pourrait de prime abord le laisser penser. Si la souveraineté de l’État sur ses eaux intérieures et installations portuaires est affirmée, on peut se demander jusqu’à quel point. L’arrêt de la CEDH Women on Waves c. Portugal nous montre bien que si souveraineté il y a, elle ne doit pas limiter les droits humains, et notamment le droit d’expression. On pourrait regretter à cet égard le silence relatif de la CNUDM qui n’évoque pratiquement pas le régime juridique applicable à ces zones, alors que celui de la mer territoriale est très développé. Est-il en effet légitime d’interdire l’accès à ses eaux et ports des navires pour des raisons idéologiques ? Si il y a risque d’atteinte à la sécurité ou aux intérêts de l’État, alors oui, à n’en pas douter ; sinon, la question se pose, comme ici, et amène à la réflexion. La recherche de moyens plus adaptés aurait peut-être été préférable. Dans tous les cas, quand bien même les réactions des autorités marocaines et mauriciennes peuvent nous sembler disproportionnées, la CNUDM n’interdit pas aux États, souverains, de restreindre l’accès à leurs eaux intérieures et installations portuaires pour des motifs politiques et/ou idéologiques. Et les restrictions portées à la souveraineté de l'Etat doivent être les plus encadrées possibles, au risque sinon d'être vidée de sa substance.

Observations (Philippe Weckel)

On ne s'attarde pas sur le cas du Maroc qui invoque un motif d'ordre public. Par contre l'île Maurice a pris une mesure arbitraire destinée à sanctionner Greenpeace pour son attitude dans le différend qui oppose l'Île au Royaume-Uni.

Il faut rappeler que le TIDM a, dans l'affaire du Navire Saïga II, été confronté à une lacune du droit de la mer qui n'encadre pas les conditions de l'arraisonnement d'un navire étranger. Soulignant que le droit international faisait partie intégrante du droit de la mer, le Tribunal de Hambourg a fait application en l'espèce du principe du respect des considérations élémentaires d'humanité dégagé par la CIJ dans l'affaire du Détroit de Corfou.

On ne peut pas évoquer une lacune de la Convention sur le droit de la mer dans le cas de Maurice. Il s'agit en effet d'une simple question d'interprétation relevant de la Convention de Vienne sur le droit des traité. Le Pacte des droits civils et politiques ainsi que d'autres instruments internationaux permettent certainement de faire valoir une interprétation du pouvoir de l'Etat de refuser l'accès à ses eaux intérieures qui exclut les mesures qui ne sont pas fondées sur des motifs légitimes. La jurisprudence de la CIJ dans l'affaire Diallo peut sans-doute soutenir une telle interprétation.

 

Sur l'archipel des Chagos :

Archipel des Chagos : le différend relatif à l'aire marine protégée des Chagos et la gouvernance internationale de l'environnement (Marie BOURREL)

Chagos / différend Royaume-Uni - île Maurice : décision sur la contestation d'un arbitre (Anne Claire DUMOUCHEL)

Réserve des Chagos, le contexte du différend entre Maurice et le Royaume-Uni (Anne Claire DUMOUCHEL)

Réserve des Chagos, requête introduite par Maurice pour la constitution d'un tribunal arbitral sous l'Annexe VII de la Convention de Montego Bay (Florina COSTICA)

Réserve des Chagos, l’Union africaine soutient les revendications mauriciennes (Florina COSTICA)

Réserve des Chagos : soutien de l'Inde aux revendications de l'île Maurice (Anne Claire DUMOUCHEL)

Réserve des Chagos, Londres désigne son arbitre (Florina COSTICA)

Le Jugement de la Chambre des Lords britannique fait obstacle au retour de la population des Chagos (Philippe WECKEL)

Bulletin numéro 319