Le 3 octobre dernier, la Mauritanie ratifiait deux textes majeurs de protection des droits de l’homme. Elle devenait le 36ème Etat partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, texte qui qualifie dans son article 5 de crime contre l’humanité la « pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée », renforce les garanties de mise en détention et ouvre aux familles et aux proches un droit à connaître la vérité sur le sort des personnes qui en sont victimes. Elle devenait également le 64ème Etat partie au Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui permet au Sous-comité de prévention de la torture des Nations Unies d’effectuer des visites et demande à l’Etat partie d’établir un mécanisme national de prévention de la torture et des mauvais traitements.
Un gage de bonne volonté à l’heure où la Mauritanie sollicite une intervention extérieure
Ces ratifications, dont les instruments ont été déposés auprès du secrétaire général des Nations Unies (SGNU) en marge de la 67ème session de l’Assemblée générale de l’organisation, peuvent surprendre de la part d’un Etats où la torture se pratique couramment dans les prisons. Mais le contexte géopolitique sahélien explique ce regain d’intérêt pour la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. En particulier, c’est la crise que traverse actuellement le Mali qui inquiète Nouakchott et justifie la multiplication des gages de bonne volonté au pupitre de l’AGNU. Alors que le Mali a perdu le contrôle de sa région nord, tombée depuis six mois aux mains de groupes islamistes armés liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), et qu’il se montre incapable de reprendre la main du fait d’importantes divisions internes, la menace islamiste traverse les frontières mauritaniennes. Une carte de la région permet de mieux saisir le caractère transfrontalier des activités du groupement terroriste :
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C’est donc par crainte que le conflit malien n’affecte durablement son propre territoire que le 29 septembre dernier, le Ministre mauritanien des affaires étrangères et de la coopération défend à la tribune de l’AGNU son bilan en matière de protection des droits fondamentaux, pour mieux obtenir une aide internationale dont il a besoin – notamment pour stopper un afflux de réfugiés maliens que Nouakchott ne parvient pas à accueillir dans des conditions décentes -. Il insiste en particulier sur la transition amorcée par son pays, passé « de régimes totalitaires, répressifs et de gabegie » à « un mode de gouvernance démocratique, basé sur des institutions constitutionnelles crédibles, instaurant un État de droit ».
La formule du Ministre, référence aux turbulences internes qui secouent la Mauritanie entre le 3 août 2008 et juillet 2009, vise le coup d’Etat militaire qui confisqua le pouvoir pendant dix mois. Ce n’est qu’après d’âpres négociations, conduites sous la houlette d’un Groupe de Contact International (GCI) et via une médiation sénégalaise, que la junte cède sa place à un gouvernement de transition dont la tâche essentielle se borne à l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle, dont la date est fixée au 18 juillet 2009 par les accords de Dakar. Bien que les principales composantes politiques du pays y expriment leur assentiment, ce qui peut s’interpréter comme un pas en avant vers la stabilisation du pays, certains commentateurs estiment que le texte entérine mécaniquement la validité de la déposition d’un pouvoir pourtant issu d’élections démocratiques remontant à 2007. La victoire du général à l’origine du coup d’état donne raison aux critiques, et fait apparaître le processus de Dakar comme une mécanique destinée à légitimer le pouvoir des putschistes. C’est d’ailleurs pudiquement que le SGNU saluera le résultat du scrutin. Les critiques n’empêchent pas le Ministre de vanter la promulgation de lois « consacrant les libertés politiques, individuelles et collectives (…) sous l’empire de la primauté du droit et de l’indépendance de la justice », et ce malgré un sombre bilan en matière de protection des droits de l’homme, qu’éclaire utilement l’actualité mauritanienne récente.
La large portée de l’interdiction des disparitions forcées
Les disparitions forcées, pratiquées par les dictatures militaires de plusieurs pays latino-américains dans les années 1970 et 1980, ne s’envisagent pas que comme un « crime global »[1] à l’échelle géographique. En effet, elles impliquent la violation d’une foultitude de droits civils et politiques (droit à la vie, interdiction de la torture, traitements inhumains et dégradants, liberté d’aller et venir, droit à la sûreté, etc.) et prennent une dimension criminelle internationale, lorsque pratiquées en nombre et de façon systématique. La lutte contre les disparitions forcées met donc en jeu diverses branches du droit international : le droit international des droits de l’homme, le droit international humanitaire, le droit international pénal. Ces circonstances expliquent la longueur des négociations ayant précédé l’adoption, en 2006, de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : ambitieux, le texte se structure en trois parties, dont les deux premières sont largement consacrées à la définition du crime, à sa pénalisation, à une liste des droits reconnus aux personnes ayant fait l’objet d’une disparition forcée (droit à la réparation notamment) ainsi qu’à la création d’un mécanisme de suivi, conformément à la logique des organes de contrôle, aptes à mettre en cause la responsabilité étatique.
La Convention, en somme, prohibe une pratique, dont elle assure dans le même temps la pénalisation. Sa dimension criminelle implique l’intervention du législateur au plan interne, puisque seuls les individus peuvent connaître la responsabilité pénale. Ainsi, les obligations positives mises à la charge des Etats établissent une liaison forte entre le droit international et le droit interne, chargé d’en assurer le respect jusque sur le territoire de l’Etat – transformant par là-même des obligations verticales en obligations horizontales pesant sur chaque individu. L’abstention ne suffit donc pas à assurer un constat de conformité de l’action étatique par rapport aux obligations souscrites : l’Etat doit tout mettre en œuvre pour que des disparitions forcées ne puissent avoir lieu. Ses obligations sont donc à la fois négatives et positives, au sens où il doit faire preuve de due diligence, à la fois pour prévenir, mais aussi pour réprimer[2], comme le rappelle le Comité des droits de l’homme dans sa décision Cheraita et Kimouche du 10 juillet 2007 (comm. n° 1328/2004).
Procédure pénale mauritanienne et lutte contre le terrorisme
Ces obligations, particulièrement contraignantes pour les Etats parties à la Convention, sont pourtant concurrentes d’une riche actualité en matière de disparitions forcée sur le sol mauritanien : dans la nuit du 3 mai 2011, quatorze personnes condamnées pour des faits de terrorisme ont disparu après avoir été transférées de la prison centrale de Nouakchott vers un lieu inconnu. Enlevés par des gendarmes en pleine nuit et retenus depuis 18 mois, ils sont coupés de tout contact avec leurs familles, malgré les demandes répétées de ces dernières auprès des autorités. Questionné par l’organisation non gouvernementale Amnesty International en novembre 2011, le Ministre mauritanien de la Justice, tout en niant l’existence de prisons secrètes, a affirmé que ces prisonniers étaient détenus dans un « centre de détention légal et sûr » et qu’ils « étaient traités correctement », et ajouté que ce transfert était une « mesure de sécurité provisoire ». Le Président, tout en insistant sur la gravité de leurs activités terroristes, a depuis affirmé « qu’ils ont été retirés de la circulation pour les empêcher de nuire », alors même que la Convention, depuis entrée en vigueur sur le sol mauritanien, prévoit en son article 2 que « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’Etat, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi » constitue une disparition forcée contraire au droit international.
Ce comportement, contraire au droit international, est le fruit (entre autres facteurs) d’une lutte assidue menée conjointement avec le Mali contre le terrorisme islamiste. Censuré une première fois en 2010 par le Conseil Constitutionnel mauritanien, le dispositif pénal ne satisfait toujours pas les militants des droits de l’homme. En effet, la loi nouvelle, même retoquée, maintient des dispositions choquantes au regard des droits des terroristes présumés : la détention provisoire peut se prolonger jusqu’à trois ans et les instruments de lutte mis à disposition des forces d’enquêtes sont extrêmement étendus. La lutte contre le terrorisme pourrait-elle s’analyser comme une circonstance permettant de suspendre les obligations souscrites en vertu de la Convention ? Nullement : en effet, l’article 1er du texte prévoit qu’ « aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s'agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée ».
L’interdiction des actes de torture, des traitements inhumains et dégradants
Le Protocole facultatif ratifié le 3 octobre dernier fait suite à la ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, le 17 novembre 2004. Ce texte, entré en vigueur le 26 juin 1987, défini la torture dans son article 1er comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d'elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».
La convention contraint les Etats parties à ne pas pratiquer la torture, mais aussi à prendre les mesures nécessaires pour en empêcher la commission sur leur territoire, ainsi qu’à garantir un droit de recours aux victimes et la possibilité d’une réparation. Là encore, aucune circonstance ne peut justifier la torture, et l’obéissance aux ordres n’exonère pas l’auteur de l’acte de sa responsabilité pénale. Le protocole, entré en vigueur en 2006, complète la convention[3] : un Sous-Comité de la prévention est compétent pour visiter tous lieux de détention dans les Etats parties, leur offrir assistance et conseils. Les Etats doivent en outre mettre en place des mécanismes nationaux de la prévention, de même compétents pour visiter les lieux privatifs de liberté. Ambitieux, le texte ne suspend pas les visites préventives du Sous-Comité au consentement étatique, contrairement à ce qui est prévu pour le Comité contre la torture, prévu par l’article 20 de la Convention elle-même. Bien que certains Etats aient prévu des mécanismes nationaux dès la seule signature du Protocole (comme l’Estonie par exemple), tel n’est pas le cas de la Mauritanie. La ratification récente du texte ne permet donc pas d’évaluer la réalité de son engagement, aucun organe n’ayant pour l’heure été désigné pour accomplir les tâches prévues conventionnellement. Il n’est donc guère possible de constater de manquement au texte. Cependant l’attitude des autorités mauritaniennes relativement à la pratique même de la torture fait là encore douter de la bonne foi du Ministre dans son discours du 20 septembre.
La permanence des actes de torture en territoire mauritanien
Le 3 octobre dernier, le bâtonnier de l’Ordre des avocats mauritaniens réclamait la démission du ministre de la Justice. La demande fait suite à la mort d’un détenu d’une prison de Nouakchott, « bastonné à mort par les gardes pénitentiaires ». Les faits, antérieurs de deux jours à la ratification du Protocole facultatif à la Convention sur la torture, risquent d’échapper à la vigilance des organes internationaux et internes compétents. Le bâtonnier n’en menace pas moins le régime d’une saisine desdits organes, probablement dans le but d’alerter l’opinion publique internationale sur les conditions de détention des prisonniers des maisons d’arrêt mauritaniennes. En effet, les traitements infligés au détenu décédé des suites de ses blessures n’est pas un cas isolé : « les déclarations faites par l’officier de la garde, responsable de la mort (…), prouvent que la torture est érigée en système officiels dans les prisons » du pays. Plus grave encore, les propos du gardien indiquent une méconnaissance totale des textes condamnant la torture, érigée en système, et pour laquelle il ne comprendrait pas que sa responsabilité soit engagée. L’Ordre national des Avocats (ONA) voit dans la ratification du Protocole un espoir pour les détenus des prisons mauritaniennes, dans la mesure où le texte contraint ses Etats parties à ouvrir la porte de ses prisons à des mécanismes internes de contrôle. Désireux de procéder à de telles visites, l’ONA a d’ores et déjà informé le ministre de la justice de son « intention de visiter la prison de dar Naim et celle des femmes lundi huit octobre », autorisation qui ne leur a pas été accordée. Lundi 8 octobre, les autorités font néanmoins arrêter huit éléments de la garde nationale pour les faits de torture en cause. La situation, mélange de vieilles pratiques et de marques de bonne volonté, est donc complexe. Amnesty n’a d’ailleurs pas hésité à saluer les progrès accomplis par la Mauritanie en matière de protection des droits fondamentaux, malgré la persistance des violations et la lenteur des avancées.
Peut-être le désir d’obtenir une aide internationale dans la résolution de la crise malienne, dont les effets se font sentir sur son territoire, poussera-t-il Nouakchott à transformer des paroles en actes matériels. Le Conseil de Sécurité a d’ailleurs adopté le vendredi 12 octobre, à l’unanimité, la résolution 2071 en réponse aux demandes des Etats concernés. Le texte ouvre la voie à une intervention armée dans les 45 jours, délai qui devrait permettre aux acteurs régionaux d’adopter un plan pour aider le Mali à reconquérir les régions occupées du nord de son territoire. Bien qu’il soit impossible de prédire l’issue de cette crise, son impact sur le devenir de l’état de droit en Mauritanie sera grand.
[1] L’expression est empruntée à Bérengère Taxil, voir Taxil (B.), « À la confluence des droits : la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées », A.F.D.I., 2007, Volume 53, pp. 129-156, voir spéc. p. 131.
[2] Kerbrat (Y.), « Aspects de droit international général dans la pratique des comités établis au sein des nations unies dans le domaine des droits de l’homme (2006-2007) », A.F.D.I., 2007, Volume 53, pp. 584-607, voir spéc. p. 599.
[3] Delaplace (E.), « Le protocole facultatif a la Convention des nations unies contre la torture : l’heure de la mise en œuvre », Droits fondamentaux, n° 5, janvier - décembre 2005.