La date du 28 septembre 2012 restera une date mémorable dans l’histoire de la Cour Pénale Internationale au moins à un double titre. D’abord, elle marque la formalisation d’un accord de coopération entre la Cour et l’Organisation Internationale de la Francophonie en vue de renforcer la promotion de valeurs communes et partagées par les deux institutions au rang desquelles figurent notamment la paix, les droits de l’homme et l’état de droit. Ensuite, elle s’inscrit dans une année charnière pour la Cour pénale Internationale marquée non seulement par la célébration des dix ans du Statut de Rome adoptée le 17 juillet 1998 et entrée en vigueur le 1er juillet 2002, mais aussi et surtout, par l’inauguration de sa jurisprudence à travers son tout premier arrêt rendu en date du 14 mars 2012 en l’affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo. (Voir Brusil Miranda Metou, Premier verdict de la CPI rendu en l’affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo).
Sans nul doute, à l’heure où l’Organisation Internationale de la Francophonie ouvre son 14e sommet en République Démocratique du Congo, cet accord de coopération entre les deux institutions est perçu comme un outil stratégique de nature à renforcer et à développer une coopération mutuellement bénéfique au service de la lutte contre l’impunité et de la préservation de la dignité humaine. Seulement, au-delà des objectifs nobles affirmés d’un tel accord, il est utile de s’interroger sur sa pertinence eu égard à la méfiance de plus en plus affichée des Etats africains à l’égard de la Cour Pénale Internationale.
- Un accord de coopération au service de la lutte contre l’impunité
C’est le siège de l’Organisation Internationale de la Francophonie à Paris qui a accueilli la cérémonie officielle au cours de laquelle le Secrétaire Général de la Francophonie, Abdou Diouf et le Président de la Cour Pénale Internationale, Sang-Hyun Song ont signé un accord de coopération en vue de renforcer et de développer leur collaboration. Cet accord que l’on peut placer sous le signe de la lutte contre l’impunité vise principalement à promouvoir des valeurs partagées par les deux institutions notamment en ce qui concerne la paix, le respect des droits de l’homme et l’état de droit. Avant d’aller plus en profondeur sur l’objet de cet accord de coopération, il convient de s’appesantir un temps soit peu sur ses fondements.
L’accord du 28 septembre repose principalement sur trois éléments précis, le droit de coopérer reconnu tant à la Francophonie qu’à la CPI, le caractère partagé des buts et objectifs des deux institutions, et l’existence d’une relation de collaboration originelle mais non formelle entre les deux institutions. Sur le premier point, il faut reconnaître que sur le fondement des dispositions de l’article 87 alinéa 6 du Statut de Rome, au-delà de la coopération que la CPI peut solliciter avec les Etats parties, elle est pleinement habilitée à coopérer avec une organisation intergouvernementale dans la mesure où cette coopération est conforme à ses compétences ou à son mandat. Par ailleurs, sur le fondement de la Convention de Niamey du 20 mars 1970, la Francophonie est elle aussi habilitée à conclure des accords de coopération tant avec d’autres organisations intergouvernementales qu’avec des juridictions internationales. A ce titre, une lecture croisée des dispositions de la Convention de Niamey et du Statut de Rome permet de comprendre le fondement légal de l’accord de coopération du 28 septembre 2012 conclu entre la Francophonie et la CPI.
Sur le second point, il convient de noter que la Francophonie et la CPI ont des buts et objectifs communs qui peuvent justifier en l’espèce la conclusion d’un tel accord en vue d’œuvrer de concert dans l’atteinte de ceux-ci. A l’analyse, au-delà de la promotion de la langue française et de la diversité culturelle qui constitue sinon le premier du moins, l’objectif principal de la Francophonie, celle-ci a étendu son mandat à la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme. Ces valeurs fondamentales sont essentielles dans l’accomplissement du mandat de la CPI qui conformément au Statut de Rome porte sur la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes pénaux internationaux les plus graves que sont le crime de guerre, le crime contre l’humanité, le génocide et le crime d’agression. C’est dire que d’une certaine manière la CPI et la Francophonie partagent des objectifs communs notamment en ce qui concerne la lutte contre l’impunité par la promotion du respect des droits de l’homme, et des normes du droit international humanitaire.
Sur le troisième point, il faut note que cet accord vient simplement formaliser une relation de coopération originelle qui existait déjà entre ces deux institutions. En effet, dans son allocution le président de la Cour affirme que « dès le début, l’organisation internationale de la Francophonie a apporté à la Cour un soutien sans faille, soutien particulièrement important pour notre institution car il a rendu possible la tenue en Afrique de plusieurs conférences régionales sur la CPI ». Cette collaboration originelle marquée par un soutien de la Francophonie à la CPI se justifie plus encore lorsqu’on se souvient de la Déclaration du sommet de Beyrouth en octobre 2002 – quelques mois après l’entrée en vigueur du Statut de Rome – par laquelle les Chefs d’Etats et de Gouvernement de la Francophonie invitait les Etats ayant la langue française en partage à ratifier le Statut de Rome ou à y adhérer en temps opportun. L’on se souvient aussi de la Résolution concernant la ratification du Statut de Rome créant la CPI, de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, du 9 juillet 2003 par laquelle elle renouvelait son appel à l’attention des Etats membres de la francophonie à ratifier la Statut de Rome ou à y adhérer. Cette collaboration qui s’est accentuée par le financement par la Francophonie des séminaires conjoints entre la CPI et l’Union Africaine a permis d’affermir la collaboration entre les deux institutions au bénéfice de la vulgarisation de la CPI et de la ratification du Statut de Rome par les Etats membres de la Francophonie.
Cela étant, l’on comprend clairement les fondements de l’accord de coopération du 28 septembre 2012 qui selon le président de la CPI constitue une « …évolution naturelle pour nos deux organisations qui partagent des valeurs d’une importance fondamentale pour l’humanité ». Seulement, une interrogation subsiste celle de l’objet et des modalités de cet accord de coopération entre une juridiction internationale permanente et une organisation intergouvernementale.
A l’observation, il ressort aussi du communiqué de presse publié par la CPI que par celui publié par la Francophonie que l’accord du 28 septembre 2012, a pour objet de renforcer et développer la coopération entre les deux institutions afin de promouvoir les valeurs et principes consacrés par le Statut de Rome. De quoi s’agit-il concrètement ? Il s’agit en effet pour la Francophonie et la CPI de mobiliser leurs efforts en vue d’œuvrer efficacement à :
- La lutte contre l’impunité et la promotion du principe de la responsabilité pénale des auteurs des crimes pénaux internationaux tels que définis par le statut de Rome ;
- La promotion du respect des normes du droit international humanitaire en ce qui concerne la protection des civils, des biens culturels, des blessés ;
- La promotion du respect des droits de l’homme de manière générale ;
- La promotion de la justice pénale internationale ;
- Le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Sans nul doute, il appert manifestement que cet accord vise essentiellement à soutenir la CPI dans l’accomplissement de son mandat ; mais aussi, vise à permettre à la Francophonie de s’affirmer sur le terrain de la promotion des droits de l’homme qui fait désormais partie de ses missions statutaires. Mais l’on est amené à s’interroger sur les modalités pratiques d’une telle coopération. Par quels moyens, la CPI et la Francophonie comptent mener à bien cette relation de coopération formalisée par l’accord du 28 septembre 2012 ?
A l’analyse, il ressort des communiqués susmentionnés que cette coopération passera notamment par :
- Le partage et l’échange d’informations et de documents ;
- L’invitation régulière et réciproque aux réunions et conférences organisées par chacune des deux institutions ;
- Le développement de synergies entre les organes de la Cour et de la Francophonie ;
- La Conception de programmes de formation et d’assistance à l’attention des membres de la profession juridique dans les Etats membres de la Francophonie au sujet des travaux liés à la Cour…
A première vue ces différentes modalités sont de nature à permettre à cet accord de coopération d’atteindre les objectifs qui lui ont été assignés d’autant plus que l’accord en question vient simplement formaliser une coopération qui existait déjà entre les deux institutions. L’on peut s’en féliciter car il apparaît que cet accord de coopération vise à permettre à la Francophonie et à la CPI de mobiliser leurs efforts conjointement au service d’une cause aussi noble et respectable que la lutte contre l’impunité par la promotion du respect des droits de l’homme et des normes du droit international humanitaire. Seulement, il ne faut oublier que une grande majorité d’Etats africains qui sont membres de la Francophonie, affichent de plus en plus une grande méfiance à l’égard de la CPI à travers l’Union Africaine. Que peut-on penser de cet accord de coopération en prenant en compte cet élément non négligeable qui d’une manière ou d’une autre peut avoir des incidences sur son opérationnalité.
- Un accord de coopération voué à l’échec ?
A priori la formulation de cet intitulé peut sembler ambiguë. L’on peut se demander quel est l’intérêt de s’interroger sur l’éventuel échec de l’accord de coopération du 28 septembre 2012. En fait cette interrogation part simplement du fait que les Etats africains à travers l’Union Africaine ont développé peu à peu une forte méfiance à l’égard de la CPI. Cette méfiance s’est d’ailleurs concrétisée par une volonté affirmée d’adjoindre à la Compétence matérielle de la Cour Africaine de Justice et des droits de l’homme certains crimes graves tels que le crime de guerre, le crime contre l’humanité et le crime de génocide. (Voir décision de la Conférence de l’Union Africaine relative à l’utilisation abusive du principe de compétence universelle, Assembly/AU/Dec. 213 (XII) du 4 février 2009). Cette méfiance peut-elle déteindre sur l’accord de coopération entre la Francophonie et la CPI ? Avant de répondre à cette question, il convient de faire une précision : il faut noter que sur les 121 Etats parties au Statut de Rome, 20 des 33 Etats africains sont membres de la Francophonie. Ainsi, Bien qu’étant lié par le Statut de Rome, ces 20 Etats membres partagent la position de l’Union Africaine pour ce qui est de la méfiance à l’égard de la CPI. Ce qui porte à penser que cet accord peut être critiqué ou remis en cause politiquement tout au moins par les 20 Etats africains, membres de la Francophonie et partie au Statut de Rome. Si cela est vrai, il ne faudrait oublier que cet accord lie principalement et exclusivement deux sujets de droit international qui sont dotés de la personnalité et de la capacité juridiques à accomplir des actes juridiques tel que l’accord du 28 septembre 2012. Ainsi, cet accord met à la charge de la Francophonie et de la CPI des obligations qui somme toute ne sont pas contradictoires avec les buts et objectifs qui leur ont été assignés respectivement par les Etats qui en sont membres.
Bien plus, il ne s’agit pas de remettre en cause la position de l’Union Africaine sur la question, mais il s’agit de promouvoir et de développer une coopération fructueuse entre ces deux institutions au service de la lutte contre l’impunité.
Il est vrai aussi que les organisations internationales telles que l’Organisation Internationale de la Francophonie sont avant tout à l’image de la volonté des Etats membres qui en font partie ; mais il ne faut pas oublier qu’en l’espèce cette méfiance ne saurait déteindre sur l’efficacité d’un tel accord de coopération. A l’analyse, cet accord engage la Francophonie qui au-delà des 20 Etats africains membres et parties au Statut de Rome, est constitué d’autres membres qui manifestement ne partagent pas cette méfiance de l’Afrique à l’égard de la CPI.
Somme toute, il ne faut pas oublier qu’au-delà de la lutte contre l’impunité, cet accord participe au renforcement de la promotion de la langue française au sein de la Cour qui non seulement fait partie des six (06) langues officielles de la CPI mais aussi et surtout, constitue avec l’anglais les principales langues de travail de la Cour. C’est un accord qui permet de rappeler l’idée fondamentale selon laquelle la l’efficacité de la CPI dans la lutte contre l’impunité repose sur une double coopération, celle des Etats qui reste primordiale, et celle des organisations internationales qui partagent les même buts et objectifs de la CPI.
Observations (Philippe Weckel)
Cet accord n'est pas un traité international et n'est qu'un arrangement administratif organisant la coopération entre deux organisations internationales. Il relève de la catégorie des protocoles d'accord ou MOU.. Il n'y a en réalité pas d'engagement réciproque, le but étant uniquement de codifier les procédures de contact pour faciliter la coopération.
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