Parmi les événements marquants de la 67ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, il ne semble pas injustifié de réserver une place de choix à la question de la promotion de l’Etat de droit. Le 24 septembre 2012, s’est en effet tenue la 1ère réunion de haut niveau sur l’Etat de droit aux niveaux national et international (communiqué de presse et note de synthèse) qui a abouti à l’adoption d’une déclaration. Le Secrétaire Général de l’ONU a consacré en 2012 deux rapports à cette problématique. Le premier, intitulé « Rendre la justice : programme d’action visant à renforcer l’état de droit aux niveaux national et international » (ci-après le « premier rapport ») (A/66/749) propose un programme d’action que les Etats sont invités à adopter. Le second, « Renforcement et coordination de l’action des Nations Unies dans le domaine de l’Etat de droit » (ci-après le « second rapport »), présente l’action des Nations-Unies en faveur du renforcement de l’Etat de droit au cours de l’année écoulée et propose des solutions pour une meilleure coordination de l’action de l’ONU en la matière (A/67/290). Cette coordination incombe au Groupe de coordination et de conseil sur l’état de droit.
« L’ONU définit l’état de droit comme un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensembles des individus, des institutions et des entités publiques ou privées, y compris l’Etat lui-même, ont à répondre de l’observation des lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles internationales en matière de droits de l’homme » (point 2 du rapport A/66/749).
Selon le Secrétaire général, « au niveau international, l’état de droit donne une prévisibilité et une légitimité à l’action des Etats, en renforce l’égalité souveraine et fonde la responsabilité de l’Etat à l’égard de tous ceux qui se trouvent sur son territoire et relèvent de sa compétence » (Point 3 du rapport A/66/749). Il pourrait être résumé au respect par l’Etat (et l’ONU elle-même) de l’ensemble règles du droit international.
L’action de l’ONU en faveur de l’état de droit au niveau international se matérialise notamment par la codification des règles de droit international et son implication dans le règlement pacifique des différends.
Avancées au plan normatif
Plusieurs textes ont été adoptés au cours de l’année écoulée dans le cadre de l’ONU.
Le 19 décembre 2011, a été adopté le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communication, permettant aux enfants de déposer des plaintes individuelles devant le comité des droits de l’enfant. Il n’a à ce jour été ratifié que par deux Etats : le Gabon et la Thaïlande.
D’autres réalisations peuvent être mentionnées : l’adoption, par la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale des Principes et lignes directrices des Nations Unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice pénale ; la CNUDCI a quant à elle adopté « la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics » et le « guide pour l’incorporation dans le droit interne de la loi type » (consulter ces deux textes).
Le rapport du Secrétaire Général rappelle que, à l’occasion de la Conférences des Nations Unies sur le développement durable (Rio de Janeiro, juin 2012), les Etats membres ont mis en évidence le lien entre l’état de droit et le développement durable et ont insisté sur la nécessité d’une large ratification des instruments pertinents.
Bilan de l’activité des juridictions internationales
Le second rapport dresse le bilan de l’activité des juridictions internationales au cours de l’année écoulée (nous présenterons quant à nous les données de la période allant du 1er décembre 2011 au 13 octobre 2012). Le recours à ces juridictions par les Etats, dans le but d’un règlement pacifique des différends, est une des caractéristiques principales de l’état de droit au niveau international.
Cour internationale de justice
La Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu 4 arrêts ( Arrêt du 5 décembre 2011 - Application de l'Accord Intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce) ; Arrêt du 3 février 2012 - Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)) ; Arrêt du 19 juin 2012 - Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée ; Arrêt du 20 juillet 2012 - Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), Fond), 1 avis consultatif (Avis consultatif du 1 février 2012 - Jugement N° 2867 du Tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail sur requête contre le Fonds international de Développement agricole) et 2 ordonnances au cours de la période étudiée (consulter la jurisprudence de la CIJ). Onze affaires sont actuellement pendantes devant la Cour alors que deux sont en audience ou en délibéré.
Tribunal international sur le droit de la mer
Le Secrétaire Général se montre satisfait du recours accru au Tribunal international sur le droit que la mer qui a jugé 4 affaires en 2011. Au titre des faits marquants, le TIDM a rendu le 14 mars 2012 son premier arrêt relatif à une affaire de délimitations des zones maritimes (Différend concernant la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le Golfe du Bengale, affaire n° 16). Deux affaires sont actuellement pendantes (Affaire du navire « Louisa » (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Royaume d'Espagne), affaire n° 18 et Affaire du navire « Virginia G » (Panama/Guinée-Bissau), affaire n° 19).
Juridictions pénales internationales et hybrides
La justice pénale internationale aura connu, au cours de cette année, de réelles avancées, voire des réalisations historiques.
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, en condamnant Charles Taylor, ancien Président du Libéria, pour avoir planifié, aidé et encouragé la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, a prononcé la première condamnation d’un ancien chef d’Etat depuis les procès de Nuremberg. L’arrêt de la CIJ dans l’affaire Belgique c. Sénégal devrait ouvrir la voie au jugement d’Hissène Habré, l’ancien président Tchadien, par les juridictions sénégalaises. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone devient aussi le premier des TPI à s’être pleinement acquitté de son mandat. Il devrait bientôt être rejoint par le TPIR qui commencé à renvoyer les affaires concernant des accusés de rang intermédiaire devant les tribunaux rwandais, illustrant le rôle complémentaire des juridictions nationales et internationales.
Le Secrétaire Général relève que le TPIY ne laisse quant à lui aucun fugitif. Cependant, le jugement de certaines affaires encore en cours (Ratko Mladic, Goran Hadžić et Radovan Karadzic) ne devrait pas être achevé à la fin de l’année 2012, date fixée par la stratégie d’achèvement des travaux du TPIY établie par le Conseil de sécurité. Le Procureur Meron a confirmé que ce délai ne pourra pas être respecté. Si le procès de Goran Hadžić s'ouvrira le 16 octobre 2012, celui de Ratko Mladic n’a toujours pas réellement débuté (voir sur ce point Valérie Gabard, « TPIY : la reprise du procès de Ratko Mladic de nouveau repoussée », Bulletin Sentinelle n° 310, 24 juin 2012).
Les chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens ont pour leur part terminé de juger le dossier 001. Le 3 février 2012, la Chambre extraordinaire de la Cour suprême a annulé la condamnation à 35 années de réclusion prononcée en juillet 2010 par la chambre de première instance à l’encontre de Kaing Guek Eav, alias « Duch », l’ancien dirigeant du centre de sécurité des Khmers rouges S-21, et l’a condamné à une peine de réclusion à perpétuité. Les procès dans le dossier 002 sont en cours alors que les enquêtes se poursuivent dans le cadre des dossiers 003 et 004.
Le mandat du Tribunal spécial pour le Liban a été prorogé de trois ans à compter du 1er mars 2012 afin de permettre l’instruction de l’affaire de l’assassinat de l’ancien premier Ministre Rafic Hariri (affaire STL-11-01). Les quatre accusés, qui n’ont pas été arrêtés, seront jugés in absentia.
Le rapport fait également état du soutien apporté à la Cour pénale internationale par l’ONU (appui logistique, fourniture de documents au Procureur). L’année écoulée aura également été riche d’événements pour cette Cour. D’abord, il faut relever l’élection de 18 nouveaux juges et d’un nouveau procureur. La gambienne Fatou Bensouda a été élue le décembre 2011 par l’Assemblée des Etats parties et est entrée en fonctions le 15 juin 2012 (voir son CV). Mais l’année a surtout été marquée par le prononcé par la CPI de son premier verdict en condamnant Thomas Lubanga à une peine de 14 ans d’emprisonnement (Le Procureur c/Thomas Lubanga Dyilo).
Outre les affaires relatives à la situation en République Démocratique du Congo, la Cour est saisie d’affaires concernant les situations en République Centrafricaine, en Ouganda, au Darfour, au Kenya, en Lybie (voir résolution 1970 (2011) du Conseil de Sécurité) et en Côte d’Ivoire. Un mandat d’arrêt a été délivré le 23 novembre 2011 à l’encontre de Laurent Gbagbo. L’ancien président ivoirien a été livré à la CPI dès le 30 novembre 2011. En juillet 2012, le gouvernement malien a demandé au procureur de la CPI d’ouvrir une enquête préliminaire sur les crimes de guerre qui auraient été commis par les rebelles islamistes dans le nord du pays. Une délégation de la CPI s’est rendue au Mali à la fin du mois d’août.
Si l’activité des juridictions internationales apporte un certain nombre d’éléments de satisfaction, ceux-ci ne doivent pas masquer les difficultés persistantes. Le Secrétaire Général regrette notamment que seuls 66 Etats aient accepté la juridiction obligatoire de la CIJ conformément à l’article 36§2 de son statut. Il compte lancer une campagne visant à accroître le nombre d’Etats membres qui reconnaissent la juridiction obligatoire de la Cour (point 15 du rapport A/66/749). Il invite également les Etats à retirer les réserves faites aux traités qui la désignent comme instance de règlement des différends.
Mécanismes non judiciaires de règlement des différents
L’action des Nations Unies en faveur de l’Etat de droit se concrétise également à travers la mise en place de commissions internationales d’enquête ou de missions d’enquête contribuant « à la protection des droits de l’homme, à la lutte contre l’impunité et au rétablissement de la confiance, tant entre les parties qu’à l’égard des processus politiques et des institutions » (point 19 du rapport A/67/290). Cette forme d’action ressortit particulièrement au Conseil des droits de l’homme.
Le mandat de la Commission internationale d’enquête sur la Lybie a été prorogé suite au rapport présenté au Conseil des droits de l’homme en mars 2012. Lors de sa présentation, le Président de la Commission internationale d'enquête, le juge Philippe Kirsch, avait indiqué que des crimes contre l'humanité et crimes de guerre avaient été commis par les forces du Colonel Mouammar Kadhafi en Libye et que les opposants étaient également responsables de graves violations des droits de l'homme, y compris des crimes de guerre (Voir le communiqué de presse du Haut-Commissariat aux droits de l’homme).
La Commission d’enquête indépendante internationale sur la Syrie, créée par la résolution S-17/1 du Conseil des droits de l’homme, et chargée d’enquêter sur les violations présumées des droits de l’homme depuis mars 2011, a vu son mandat prorogé d’un an par une résolution du 28 septembre 2012, tout comme celui de l’Expert indépendant pour le Soudan.
Le conflit israélo-palestinien a également retenu l’attention du Conseil des droits de l’homme cette année. En mars 2012, une mission indépendante et internationale d’établissement des faits a été créée pour enquêter sur les incidences des implantations israéliennes sur les droits politiques, économiques, sociaux et culturels du peuple palestinien dans le territoire palestinien occupé (résolution 19/17 du Conseil des droits de l’homme).
Enfin, par sa résolution 20/19 du 6 juillet 2012, le Conseil des droits de l’homme a renouvelé le mandat de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire pour une période d’un an.
Renforcement de l’Etat de droit au sein de l’ONU
Abordé de manière expéditive à la fin du second rapport, la question du renforcement de l’état de droit au sein des Nations Unies a inspiré deux séries de réflexions au Secrétaire Général (voir points 67 et 68 du rapport). Après avoir fait le bilan de l’activité des juridictions administratives de l’ONU, Ban Ki-Moon s’est félicité des progrès accomplis « dans la voie de l’amélioration de l’équité et de la transparence des procédures liées au régime des sanctions visant Al-Qaïda ». Il recommande au Conseil de Sécurité d’étendre le mandat du Médiateur à toutes les autres listes de sanctions.
Dans le premier rapport, le Secrétaire Général recommandait une série de mesures pour renforcer l’application du droit international dans le contexte de l’ONU, appelant les Etats membres et les organes principaux de l’ONU à faire une application cohérente et impartiale de l’ensemble des règles de droit international dans toutes leurs politiques et pratiques (point 11). Il invitait également les organes de l’ONU à faire davantage usage de leur faculté de demander des avis consultatifs à la CIJ (point 16 du rapport A/66/749).