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Soumis par Dumouchel Anne… le 23 September 2012

Alors qu’approche le 40ème anniversaire de la normalisation des relations Chine – Japon, les différends sino-japonais relatifs à la souveraineté sur diverses îles en mer de Chine orientale connaissent dernièrement un nouveau regain de tension. Les derniers évènements concernent le conflit de souveraineté qui oppose la Chine et le Japon au sujet des îles Diaoyu (nom chinois) / Senkaku (nom japonais). Dans ce différend que nous avions déjà évoqué (v. archives Sentinelle ci-dessous), le Japon a lancé une offensive toute particulière, annonçant acquérir trois des cinq îles de l’archipel (au demeurant inhabité), « propriétés privées » jusqu’alors d’une famille de ressortissants japonais. Le montant de la transaction s’élèverait, selon les différentes sources, à entre 20 et 26 millions de dollars, pris sur le fonds de réserve du pays. Cette acquisition permettrait une nationalisation des territoires, dans deux buts. Celui de pouvoir en donner la possession (et donc en confier l’administration) aux garde-côtes du pays, lui permettant ainsi de s’assurer officiellement de « l’entretien pacifique et stable des îles », officieusement des moyens de défense face à d’éventuelles actions chinoises. Cette décision du gouvernement japonais fait suite à la volonté, annoncée le 12 avril dernier par Shintaro Ishihara, de rachat de ces îles par la préfecture de Tokyo, et qu’il souhaitait éviter. Avec cette décision, Tokyo pensait apaiser les tensions nées de cette proposition ; ce qui n’a en réalité pas été le cas.

La Chine n’a pas attendu pour protester, annonçant qu’elle ne céderait « aucun centimètre carré », estimant que les îles concernées sont « partie intégrante du territoire chinois » et que la transaction programmée était « illégale et invalide ». A cette fin, la Chine a envoyé, le 14 septembre, six navires appartenant à son administration océanique (et n’ayant donc pas le caractère militaire, ce qui permet de ne pas aller à l'encontre des règles relatives au droit de passage inoffensif) ; ils ont été exhortés par les autorités japonaises à quitter ce qu’elles considèrent comme leurs eaux territoriales.

Dans les deux pays, mais surtout en Chine, les manifestations nationalistes se multiplient ; l’escalade de la violence doit cependant être évitée. Mais tant que les deux protagonistes ne trouveront pas un terrain d’entente, cela semble difficilement envisageable. Le Japon avait pourtant tenté d’amorcer un début de discussions, en envoyant son vice-ministre des Affaires étrangères en urgence à Pékin. Ce qui ne semble pas, à l’heure actuelle, avoir porté ses fruits. Pour les deux pays, l’enjeu est en effet de taille : si les territoires terrestres en eux-mêmes n’ont pas d’intérêt intrinsèque, ils n’ont d’intérêts réels que ceux qu’ils portent par leur nature maritime. Les eaux particulièrement poissonneuses qui les entourent, leur potentiel avéré en gisements d’hydrocarbures, mais surtout leur positionnement  intéressant en termes stratégiques constituent ainsi les principales raisons de l’âpre dispute entre la Chine et le Japon. 

Image retirée.

Source : Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Eles_Senkaku

 

Quelle souveraineté sur les îles disputées ?

 

Historiquement, les îles Senkaku/Diaoyu auraient été découvertes par la Chine au XVe siècle. Il semble cependant difficile de trouver les preuves d’une occupation officielle de l’archipel avant le XIXe siècle. Les îles ont été annexées le 14 janvier 1895 par le Japon, et sont sous contrôle japonais depuis cette date. L’archipel a, cependant, été administré, entre 1945 et 1972, par les États-Unis. Dès lors, un statut quo semblait avoir été conservé sur la souveraineté sur ces territoires. Il a cependant été ébranlé à de nombreuses reprises. Une des principales menaces est ainsi apparue avec l’adoption de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (à laquelle les deux États sont parties), qui consacrait de nouveaux principes de délimitations territoriales maritimes. Plus récemment, un incident impliquant un chalutier chinois et les garde-côtes japonais avait ravivé les tensions (v. note Sentinelle Différend Chine/Japon en mer de Chine orientale et rupture des relations diplomatiques, Anne Claire Dumouchel). Les volontés hégémoniques de la Chine en mer de Chine méridionale (sur laquelle elle revendique entière souveraineté) semblent être également une des raisons de l’exacerbation des tensions. Les protestations mutuelle se multiplient depuis, malgré les appels au calme et les arguments invoqués par chacune des parties peinent à convaincre.

 

Position chinoise.

Le pays s’applique à rappeler, régulièrement, sa « souveraineté incontestable » ou « inaliénable » sur ces îles. Le pays s’appuie pour cela sur un titre historique, qu’elle détiendrait sur l’archipel depuis sa découverte, jusqu’à avant son annexion japonaise en 1895. A l’appui de son argumentaire, Pékin disposerait de nombreuses cartes témoignant du fait que les îles faisaient partie intégrante du territoire chinois. Notamment, Pékin invoque l’incorporation, en 1556, des îles à son système de défense. Le pays explique également que ses marins et pêcheurs ont toujours exercé dans l’archipel (ce qui, en soi, ne suffit pas à établir la souveraineté sur un territoire…). La Chine ne semble cependant invoquer aucun argument juridique pour défendre ses prétentions sur les îles, mais se concentrer sur un hypothétique titre historique. Mais le pays invoque parfois, timidement, la Déclaration du Caire du 26 novembre 1943 et la Déclaration de Potsdam de 1945. La première restitue tous les territoires chinois occupés par le Japon à la Chine ; la seconde délimite restrictivement le territoire japonais. Mais aucun de ces deux instruments ne faisant référence aux îles disputées, l’argumentation est faible.

 

Position japonaise

Le Japon réfute quand à lui une éventuelle souveraineté chinoise sur les îles contestées avant 1895, considérant qu’elles étaient jusqu’alors terra nullius. La définition d’une terra nullius est donnée par la CIJ, dans son avis consultatif sur l’affaire du Sahara Occidental du 16 octobre 1975, qui considère l’expression comme « un terme de technique juridique employé à propos de l’occupation en tant que l’un des modes juridiques reconnus d’acquisition de la souveraineté sur un territoire » et la qualité de terra nullius ne peut être reconnue « qu’en établissant [qu’à cette époque] le territoire n’appartenait à personne ». Dans l’affaire citée, la CIJ n’a pas reconnu les territoires comme terra nullius au regard de leur occupation par la présence de tribus et peuples ayant une organisation sociale et politique (paragraphes 75 à 83 de 1'avis consultatif). Concernant les îles Senkaku/Diaoyu, une telle qualification semble pouvoir devoir être retenue, les îles étant inhabitées, et la Chine ne semblant pas devoir être en mesure de prouver son occupation effective avant 1895.

Le pays avance également que, ni en 1895 lors de leur annexion, ni en 1945 avec leur administration par les États-Unis, la Chine n’a manifesté ses revendications souveraines sur les îles. Le Japon invoque également des arguments juridiques, cependant malléables. A l’appui de son argumentaire, le traité de San Francisco de 1951, dont l’article 3 donnait administration d’un certain nombre d’îles aux États-Unis ; administration qui sera rendue au Japon par le traité du 17 juin 1971. A cette argumentation, peut être opposé le fait que les îles disputées ne sont nullement mentionnées dans ce traité, ni d’ailleurs dans aucun des autres textes signés suite à la 2nde guerre mondiale. Cependant, le Japon semble avoir raison lorsqu’il fait état d’une occupation acquise et non contestée, tout du moins pendant un certain temps (avant les découvertes faisant état du potentiel des eaux de l'archipel). Or, tant l'argumentaire de l'occupation d'un territoire terra nullius que celui d'une occupation effective et non contestée sont repris par la CIJ (v. notamment l'arrêt de la CIJ relatif à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et south Ledge (Malaisi Singapour) du 23 mai 2008) et pourraient donc être favorables au Japon si le différend était conduit devant la Cour.

Malgré l’apparente insolvabilité de leur différend, aucun des deux pays ne semble cependant prêt à porter l’affaire devant un mécanisme de médiation, d’arbitration ou de juridiction internationale, alors que plusieurs de ces voies leur seraient offertes et qu’en l’état actuel des choses il semble que ce soit la solution la plus viable. Et ce d’autant plus que les deux États sont liés par leurs obligations internationales, notamment celle de régler pacifiquement leurs différends.

A remarquer, l’absence de toute intervention américaine en faveur de l'un ou l'autre des protagonistes. Si ce n’est leur crainte, exprimée récemment, de voir aboutir le différend sur une guerre (v. Le Monde). Dans un tel cas, l’administration américaine reconnaît cependant qu’elle devra satisfaire aux obligations qui lui incombent en vertu du traité de sécurité signé avec Tokyo en 1960. A l’heure actuelle, c’est pourtant plutôt une guerre économique qui semble se dessiner. Les deux pays semblent en effet essayer de s’éviter un véritable conflit, qui ne serait profitable à personne.

Observations (philippe Weckel)

Je serais plus prudent que vous, Anne-Claire Dumouchel, en ce qui concerne l'appréciation des revendications chinoises. Il n'y a pas lieu de se montrer sceptique ou au contraire confiant. Que signifie l'incorporation des îles au système de défense chinois ? De quel type de cartes est-il question ? Les éléments que vous apportez permettent d'identifier la ligne générale de l'argumentation de chaque partie, pas d'en apprécier la pertinence.

 

Différend Chine/Japon en mer de Chine orientale et rupture des relations diplomatiques, Anne Claire Dumouchel
Signature, entre la Chine et le Japon, d'un accord sur l'exploration commune du gisement de gaz de Chuanxiao en Mer de Chine Méridionale, Michel Djimgou Djomeni
Mer de Chine : le Japon accorde un permis de forage dans la zone disputée, Tidiani Couma
Chine/Japon, incidents de Shangaï, protection des locaux diplomatiques, Philippe Weckel
Crise diplomatique entre la Chine et le Japon, Tidiani Couma
La Chine proteste contre l'intégration d'un phare au domaine public de l'Etat japonais, Tidiani Couma
Mer de Chine, tension entre Tokyo et Pékin au sujet de l'exploitation du gaz naturel, Tidiani Couma

Bulletin numéro 316