Le 16 août 2012, l’Equateur accordait l’asile politique à Julien Assange, co-fondateur du site Wikileaks. Réfugié depuis le 22 juin 2012 dans les locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres dans le but d’échapper à une extradition vers la Suède, qui souhaite l’entendre dans le cadre d’une affaire de crimes sexuels, l’australien se trouve au cœur d’un « cul-de-sac » juridique international.
Des autorités britanniques tenues d’extrader vers la Suède
Confirmé en dernier ressort par la Chambre des Lords le 30 mai 2012, le devoir d’extrader se fonde sur des sources juridiques multiples, européennes comme internes, que les juges internes ont rappelées dans leurs décisions. Le Ministre des affaires étrangères britannique ainsi que le représentant du Royaume-Uni à l’Organisation des Etats américains ont donc logiquement affirmé l’obligation d’extrader M. Assange vers la Suède où, affirment-ils, il est attendu pour y « répondre d’allégations d’agressions sexuelles ». Ces déclarations, par leur clarté, leur précision et l’expression indiscutable d’une volonté autonome, répondent aux critères classiques des actes unilatéraux étatiques. Le Royaume-Uni se reconnait donc débiteur d’une obligation spécifique de répondre aux sollicitations suédoises. Fait remarquable, la procédure pénale visant Assange n’en est pourtant qu’à ses balbutiements : si l’affaire a déjà épuisé trois procureurs, aucune charge n’a officiellement été retenue contre lui. En effet, toutes les démarches suédoises ne visent pour l’heure qu’à l’entendre comme témoin, et non pas à l’arrêter dans le cadre de poursuites pénales dont il ferait l’objet.
L’insistance des autorités britanniques fit pourtant craindre à l’Equateur une violation de ses locaux diplomatiques. En particulier, c’est une lettre adressée le 15 août aux autorités équatoriennes par le Foreign Office qui déclenche les soupçons, aggravant la crise diplomatique entre les deux Etats. Le courrier affirme que le Royaume-Uni ne reconnaît pas le caractère coutumier de l’asile diplomatique (la chose n’est guère surprenante, la pratique s’inscrivant essentiellement dans l’histoire du continent sud-américain), et rappelle le « Consular Premises Act », texte adopté par le Parlement britannique en 1987, qui permet à l’Etat, lorsque les circonstances l’exigent, de lever l’immunité des locaux diplomatiques : « You need to be aware that there is a legal base in the UK, the Diplomatic and Consular Premises Act 1987, that would allow us to take actions in order to arrest Mr Assange in the current premises of the Embassy ». Cette formulation fut rapidement interprétée par l’Equateur comme une intention de donner l’assaut dans les locaux mêmes de l’ambassade, en violation des coutumes et traités diplomatiques pertinents, et ce malgré les dénégations du représentant du Royaume-Uni à l’Organisation des Etats américains, s’exprimant à la mi-août à l’occasion d’une réunion de l’Assemblée générale de l’organisation. C’est dans ce contexte tendu que, quelques jours plus tard, des photos prises devant l’ambassade dévoilent que les forces de police ont reçu des instructions en vue d’une probable arrestation – mais, semble-t-il, uniquement dans l’hypothèse où Assange sortirait de l’ambassade.
L’ambassade d’Equateur, à la fois refuge inviolable et « prison »
Bien sûr, l’argument législatif invoqué par le Royaume-Uni cède face aux stipulations de la Convention de Vienne sur le droit des traités, dont l’article 27 prévoit qu’« [u]ne partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ». En l’occurrence, le Royaume-Uni n’est pas fondé à invoquer une loi nationale pour suspendre le respect des stipulations de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, qui prévoit en son article 22 que « [l]es locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission », consentement qui n’a pas été donné.
Bien que protégé par les murs de l’ambassade, Assange en est aussi, paradoxalement, le prisonnier, car il ne peut en sortir sans immédiatement être arrêté par Scotland Yard, dont plusieurs éléments sont postés jusque dans l’immeuble où se trouvent les locaux équatoriens. Les solutions qui s’offrent à lui sont en effet limitées. Certains commentateurs ont suggéré qu’il sorte de l’ambassade enfermé dans une inviolable valise diplomatique, signalée comme telle, l’article 27§4 de la Convention de Vienne de 1961 précitée prévoit que « [l]es colis constituant la valise diplomatique (…) ne peuvent contenir que des documents diplomatiques ou des objets à usage officiel ». Mais la taille de la valise, comme les bruits qui risqueraient de s’en échapper dans l’hypothèse d’un transport aérien, ne manqueraient pas d’alerter les douaniers, justifiant une ouverture du bagage suspect. La pratique, établie par divers précédents, semble entrer en contradiction avec les stipulations de la Convention, puisque celle-ci ne prévoit rien dans les hypothèses où la valise serait considérée suspecte par les autorités de l’Etat accréditaire. Elle est pourtant reconnue par divers Etats - dont la France - et fait écho à l’article 35§4 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, qui prévoit que « [l]a valise consulaire ne doit être ni ouverte ni retenue. Toutefois, si les autorités compétentes de l’Etat de résidence ont de sérieux motifs de croire que la valise contient d’autres objets que la correspondance, les documents et les objets visés au paragraphe 4 du présent article, elles peuvent demander que la valise soit ouverte en leur présence par un représentant autorisé de l’Etat d’envoi ». De même, l’attribution de la nationalité équatorienne ainsi qu’une une nomination à un poste de diplomate par l’Equateur ne protégeraient guère Assange d’une arrestation londonienne : le Royaume-Uni n’accepterait guère l’accréditation d’un aspirant diplomate qu’il estime devoir extrader vers un pays tiers. La voiture diplomatique semble encore être la meilleure option, mais les chances de succès sont nulles, puisque les portes de l’appartement hébergeant l’ambassade équatorienne sont étroitement surveillées par la police londonienne.
Une crise diplomatique de grande ampleur
La crise dépasse bientôt les relations bilatérales qu’entretiennent Quito et Londres. Elle s’étend à l’ensemble du continent américain, après que l’Organisation des Etats américains adopte une résolution condamne fermement la violation des locaux diplomatiques, et rappelle que le respect du droit interne ne peut constituer un fait justifiant la violation du droit international. Si le texte s’abstient de qualifier de « menaçante » l’attitude britannique vis-à-vis de l’Equateur, il constitue néanmoins une preuve irréfutable du soutien qu’apporte l’Organisation à ce petit Etat d’Amérique latine.
Parallèlement, le Président équatorien Rafael Correa est accusé par de nombreux activistes des droits de l’homme d’être lui-même à l’origine de censures à l’encontre de journalistes ; depuis janvier 2012, il aurait commandité la fermeture de 17 organes de presse, télévisés comme radiophoniques, dont huit seraient des médias d’opposition. Reporters Sans Frontières, organisation bien connue pour ses classements annuels en matière de respect de la liberté de la presse, situe l’Equateur au 104è rang mondial, car y régneraient le « [h]arcèlement judiciaire, [un] équilibre pluraliste difficile, [la] polarisation et [des] agressions récurrentes ». Les critiques, de plus en plus violentes, se fondent sur les récentes poursuites pénales exercées par Rafael Correa à l’encontre d’Emilio Palacio, éditorialiste du principal quotidien d’opposition El Universo. En effet, en février dernier, la Cour nationale de justice – la plus haute instance équatorienne – confirme la condamnation du journaliste à trois ans de prison, infligeant parallèlement au journal une amende de 40 000 000$, pour avoir affirmé dans un article – et ce à huit reprises – que le Président était un « dictateur ». Si l’affaire donne une image déplorable du Président Correa à l’étranger, elle éclaire aussi d’un jour différent les déclarations du chef d’Etat, qui prétend dans le cadre de l’affaire Assange que l’Equateur « ne transigera pas avec les droits de l’homme ». Le cas d’Alexander Barankov, ancien policier biélorusse ayant mis à jour un trafic pétrolier de grande envergure impliquant le Président Alexander Lukashenka et ses plus proches conseillers, rend plus opaques encore les motivations de Rafael Correa en matière de promotion des droits fondamentaux. D’abord accueilli avec bienveillance par les autorités équatoriennes, il est ensuite jeté en prison, peu de temps avant que Lukashenka ne se rende en Equateur pour une visite officielle. C’est finalement grâce aux pressions internationales soulignant notamment le double discours du Président équatorien, qu’il obtient le statut de réfugié, le 31 août dernier.
En réalité, les cas croisés d’Assange et de Palacio sont révélateurs des luttes politiques que se livrent Quito et Washington. Le 17 août dernier, soit un jour après la décision d’accorder à Assange l’asile politique, les Etats-Unis décidaient d’accorder l’asile à Emilio Palacio, après plus d’un an d’attente. Le journaliste espérait y obtenir le statut de réfugié, accordé à ceux dont la vie est menacée dans leur Etat d’origine, depuis sa condamnation pour injure en première instance par le juge équatorien, à l’été 2011. Mais si l’attitude des Etats-Unis est complaisante avec les opposants du Président Correa, Assange ne recueille guère les faveurs des autorités américaines.
L’extradition vers les Etats-Unis, une menace réelle ?
Responsable, en 2010, de la publication dans la presse – et sur son site Wikileaks – de 250 000 câbles diplomatiques révélant des informations classifiées par les autorités américaines, l’australien s’estime depuis sous la menace d’une extradition vers les Etats-Unis, où il risque, à l’instar du whistleblower Bradley Manning, la peine de mort pour espionnage. Tel est d’ailleurs l’argument fondant l’attribution à Assange du droit d’asile en territoire équatorien. La menace est pourtant faible, voire nulle. Partie à la Convention européenne des droits de l’homme, la Suède se doit de garantir l’interdit des traitements inhumains et dégradants prévu par l’article 3 du traité. La Cour européenne des droits de l’homme a fait par le passé usage de cet article dans une affaire d’extradition concernant les Etats-Unis, en concluant qu’un Etat partie ne pouvait sans violer la convention y extrader un individu qui s’exposerait à la peine de mort. La Cour conclut qu’« [e]u égard (…) à la très longue période à passer dans le "couloir de la mort" dans des conditions aussi extrêmes, avec l’angoisse omniprésente et croissante de l’exécution de la peine capitale, (…) une extradition vers les États-Unis exposerait l’intéressé à un risque réel de traitement dépassant le seuil fixé par l’article 3 ». Le parallèle entre cette affaire et le cas Assange est frappant, et permet d’affirmer le caractère très hypothétique d’une extradition vers les Etats-Unis, à supposer que les autorités suédoises se conforment à leurs obligations. L’argumentaire équatorien est donc faible. Il passe aussi sous silence les proximités évidentes entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, bien plus évidentes que celles existant entre la Suède et son allié d’outre atlantique.
Cependant, certains éléments empêchent de conclure à l’impossibilité d’une extradition. Si les autorités américaines n’expriment plus d’hostilité ouverte vis-à-vis de Julian Assange, et qu’aucune demande d’extradition n’a été formulée, le Ministre américain de la justice affirmait en décembre 2010 qu’ « une enquête pénale » était en cours, et qu’un travail législatif serait mis en œuvre pour combler « les lacunes » de l’arsenal juridique déjà disponible, au cas où les textes ne suffiraient pas à poursuivre et condamner Assange. Les Etats-Unis ne semblent toujours pas avoir levé les obstacles juridiques aux poursuites, mais rien n’indique une volonté claire d’abandonner tout effort en ce sens : un Grand Jury fédéral se serait réuni en février dernier à Alexandria, en Virginie, prélude à l’émission d’un acte d’inculpation à l’encontre de l’australien. Wikileaks a par ailleurs mis en ligne des échanges de courriels prouvant l’existence d’une telle procédure, mais n’a pu depuis ajouter d’information pertinente sur le devenir de ce Grand Jury.
Quel avenir pour Julian Assange ?
Les discussions entre Quito et Londres n’ont jusqu’alors pas permis de trouver une solution acceptable pour les deux parties. Si les deux Etats s’entendent sur le principe d’une résolution amiable du différend, conformément à leurs obligations internationales, ils continuent de camper sur leurs positions respectives, « asile politique » contre « extradition contrainte ». Le 19 septembre, le président Correa profitait de l’imminence de la session annuelle de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) pour déclarer que son ministre des Affaires étrangères Ricardo Patiño tenterait d’aborder le dossier avec son homologue britannique, en marge de la session qui doit débuter bientôt.
Trois solutions sont proposées par l’Equateur, toutes défendues par l’ancien juge espagnol Balthazar Garzon, désormais avocat de l’australien : l’octroi à Assange une « garantie de non-extradition vers un pays tiers », autrement dit les Etats-Unis ; la venue à Londres d’un juge suédois aux fins d’interrogation « au siège de l’ambassade d’Equateur à Londres » - ce que le Président Correa juge « parfaitement faisable » ; la délivrance par le Royaume-Uni d’un « sauf-conduit » au fondateur de Wikileaks, pour lui permettre de rejoindre le pays latino-américain. Les deux premières propositions rappellent que le cas Assange s’inscrit dans une relation juridique à trois personnes. Elles sont jusqu’à présent rejetées par la Suède, qui affirme ne pouvoir donner les garanties juridiques d’une impossibilité d’extrader, et refuse d’envoyer l’un de ses juges interroger Assange dans les locaux londoniens de l’ambassade, pratique qui pourtant n’est pas inédite. Le Royaume-Uni de son côté affirme de manière répétée ne pas souhaiter délivrer de sauf conduit, s’estimant lié par le devoir d’extrader – l’obtention d’un tel document est par ailleurs difficile, puisqu’elle dépend des accords cumulés de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords.
Dernier rebondissement dans une affaire dont l’issue semble encore lointaine, les travaux des experts sollicités pour analyser le préservatif utilisé lors des relations qu’Assange eu avec l’une des plaignantes, ont établi qu’aucune trace d’ADN n’était présente. Si le préservatif employé au cours des rapports avec la seconde plaignante portait des traces du matériel génétique d’Assange, les preuves réunies à son encontre semblent toutefois faibles. Peut être cette situation nouvelle jouera-t-elle en sa faveur au cours des discussions qui devraient se tenir parallèlement à la session de l’AGNU.
Observations (Philippe Weckel)
Pour compléter cette belle présentation rapportons les propos du ministre équatorien des affaires étrangères tenus le 21 septembre qui évoque une autre piste pour sortir Assange de son refuge.
"L'autre possibilité est que l'Equateur puisse obtenir l'autorisation de le transférer, si c'est ce qui est nécessaire, vers notre ambassade en Suède et le processus pourrait se poursuivre sous la protection de l'Equateur, en respect des demandes de la justice suèdoise", suggère M. Patiño. Ceci est l'une des "alternatives de mobilité" pour que M. Assange "puisse demeurer sous notre protection, notre asile, mais que puissent également être satisfaites les demandes de déclarations que la justice suédoise" requiert.
Cette solution du double sauf-conduit (quitter l'ambassade à Londres et rejoindre celle de Stockholm) se heurte à deux obstacles évidents. D'une part, le sauf-conduit constituerait une ingérence dans les prérogatives de l'autorité judiciaire. D'autre part, l'asile diplomatique dont se prévaut l'Equateur n'existe tout simplement pas et la Suède ne devrait pas accepter un arrangement qui reviendrait à reconnaître un droit d'accorder une telle protection.
DS, Victoria Nuland
Spokesperson
Daily Press Briefing
Washington, DC
August 16, 2012
http://www.state.gov/r/pa/prs/dpb/2012/08/196589.htm#ECUADOR
QUESTION: Does – and the Brits – Foreign Secretary Hague said that the Brits do not recognize diplomatic asylum. I’m wondering if the United States recognizes diplomatic asylum given that it is a signatory to this 1954 OAS treaty which grants or which recognizes diplomatic asylum, but only presumably within the membership of the OAS. But more broadly, does the U.S. recognize diplomatic asylum as a legal thing under international law?
MS. NULAND: Well, if you’re asking me for a global legal answer to the question, I’ll have to take it and consult 4,000 lawyers, but --
QUESTION: Contrasting it with political asylum, this is different – diplomatic asylum.
MS. NULAND: With regard to the decision that the Brits are making or the statement that they made, our understanding was that they were leaning on British law in the assertions that they made with regard to future plans, not on international law. But if you’re asking me to check what our legal position is on this term of art, I’ll have to take it, Matt, and get back to you.
QUESTION: Yeah, just whether you recognize it outside of the confines of the OAS and those signatories. And then when you said that you don’t have any information to suggest that you have weighed in with the Brits about whether to have Mr. Assange removed from the Embassy, does that mean that there hasn’t been any, or just that you’re not aware of it?
MS. NULAND: My information is that we have not involved ourselves in this. If that is not correct, we’ll get back to you.
Is that it? Hey, have a weekend? No. Jill. (Laughter.)
QUESTION: No, not so fast.
Conventions on Diplomatic Asylum and OAS Permanent Council Meeting
DS, Taken Question
Office of the Spokesperson
Washington, DC
Question Taken at the AUGUST 16, 2012 Daily Press Briefing
August 17, 2012
http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2012/08/196663.htm
Question: Does the United States recognize the concept of diplomatic asylum beyond its Organization of American States (OAS) commitment? What is the U.S. position on the OAS Permanent Council meeting to consider convening a Foreign Ministers meeting on the situation between Ecuador and the United Kingdom?
Answer: The United States is not a party to the 1954 OAS Convention on Diplomatic Asylum and does not recognize the concept of diplomatic asylum as a matter of international law.
We believe this is a bilateral issue between Ecuador and the United Kingdom and that the OAS has no role to play in this matter.
· L’affaire Assange et la question de l’asile diplomatique, Daniela Quelhas.
· L’affaire Chen Guangcheng (Chine/Etats-Unis), Weckel Philippe