Introduction
À la suite de la prise de Douentza (centre du pays) par les islamistes, le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, a officiellement demandé le 4 septembre 2012, l'intervention des forces militaires de la CEDEAO (http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20120907/1757276_0337_requete_dioncounda_traore_cedeao_1er_septembre_2012.pdf). En effet, après un temps d’incertitudes marqué par les tergiversations de la part des nouvelles autorités maliennes, le président Dioncounda Traoré a finalement décidé de demander formellement et officiellement une intervention de la CEDEAO dans le nord Mali. Depuis le début de l’année, le nord Mali est occupé par plusieurs mouvements, au rang desquels le groupe islamiste Ansar Dine qui a pris le contrôle de cette partie du pays depuis le mois de mai. C’est d’ailleurs la tentative de libération du nord qui a entrainé le coup d’Etat du 22 mars dernier, occasionnant ainsi une crise politico-institutionnelle dans la capitale du pays, alors même que le nord s’enfonçait dans une insécurité difficilement remédiable aujourd’hui. Dans la lettre adressée au président en exercice de la CEDEAO, le président malien écrit qu’il « sollicite par la présente, au nom du peuple du Mali, et en ma qualité de président par intérim, l'aide de la CEDEAO dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et de la lutte contre le terrorisme». Seulement, cette demande ne précise pas les modalités d’intervention et les autorités maliennes semblent ne pas s’accorder sur cette intervention, compte tenu du fait qu’en dépit de la résolution 2056 (2012) du conseil de sécurité qui demandait le retrait immédiat de la junte militaire avait occasionné la crise politico-institutionnelle du pays, celle-ci garde le contrôle ou la main- mise sur un certain nombre d’institution et continue d’influencer considérablement le fonctionnement régulier des institutions maliennes. En fait, la junte militaire conduite par le capitaine Sanogo n’a pas accordé son accord sur cette intervention, ce qui alourdit la tâche de la CEDEAO et complique davantage la possibilité pour le conseil de sécurité d’approuver ladite intervention.
En fait, si les autorités maliennes avaient jusqu'à présent refusé l'envoi de troupes étrangères sur le territoire malien, la situation a changé depuis le 1er septembre, avec la prise sans combats de la ville stratégique de Douentza (centre) par le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), un des groupes islamistes extrémistes armés contrôlant depuis cinq mois le Nord.
- Sur le plan formel : une intervention sollicitée
Le président malien a adressé au Secrétaire général des Nations Unies un « appui et accompagnement pour le Mali », a ainsi annoncé la présidence malienne sur son compte Twitter (@PresidenceMali). Dans sa lettre, le président malien demande « au nom du Peuple du Mali et en ma qualité de Président de la République du Mali par Intérim, l'aide de la CEDEAO dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et de la lutte contre le terrorisme. » Telle que formulée, la demande adressée au président en exercice de la CEDEAO n’autorise nullement l’intervention de l’organisation sous-régionale dans les affaires maliennes, mais juste une aide. En effet, une confusion est entretenue par les médias entre l’intervention et l’aide sollicitée.
Si les débats autour d’un « droit d’ingérence » ou d’une « intervention humanitaire » ont jalonné les dernières décennies du 20e siècle, et que l’on a vu naître le concept de la responsabilité de protéger prendre essor dans certaines situations, ces débats devraient dorénavant s’articuler autour de la question de l’ « intervention militaire » ou « aide militaire » dans le cadre des opérations de restauration de l’Etat. En ce début de millénaire, des situations inédites entrainent la remise en cause frontale de certains principes fondamentaux consacrés dans la constitution des Nations Unies. En effet, la requête du président malien soulève un problème juridique singulier en droit international public : il ne s’agit pas d’une autorisation par ce dernier d’une ingérence humanitaire, civile, pacifique, conduite avec son accord et limitée au secours des populations affectées par les sévisses qu’elles subissent depuis l’invasion du nord du pays par des groupes islamistes , encore moins d’une intervention d’humanité, conduite au besoin par la force armée sous-régionale pour mettre fin à des atteintes massives aux droits humains. Il s’agit d’une aide, c’est-à- dire d’un appui ou d’un soutien et donc d’une intervention sollicitée par un Etat, non pas à un autre Etat, mais à une organisation internationale. La consistance d’une telle aide et surtout les réactions d’une partie des autorités maliennes, suscitent des interrogations de la part du juriste.
A.La consistance de l’aide sollicitée, imprécise et discutée
La lettre adressée au président en exercice de la CEDEAO décline la consistance de l’aide sollicitée par le président malien qui, en tout état de cause, s’exprime au conditionnel. En effet, la lettre mentionne que l’aide sollicitée pourrait se matérialiser de la manière suivante :
1- Une sécurisation des institutions de la transition sans déploiement des forces sous-régionales à Bamako
La demande du président malien vise d’abord une sécurisation des institutions de la transition. Elle dispose que : « Concernant la sécurisation des institutions de la transition, Le renforcement des capacités anti-terroristes et le renforcement des moyens techniques par l'apport notamment de : Détecteurs de métaux, d'explosifs, de mines ... ; Equipements de destruction d'explosifs Groupes NEDEX ; Miroirs de détection ; CONCERTINA ; Police scientifique. En outre le MICEMA pourrait déployer un détachement de liaison et d'observation (constitué de fonctionnaires de police dont le nombre est à déterminer) au sein du Centre de Coordination des Opérations de Sécurisation des Institutions de Transition (CCOSIT). Par contre, le déploiement d'unité de police constituée ou de forces militaires combattantes est sans objet. » En clair, les autorités de Bamako ne veulent pas de forces étrangères à Bamako, mais uniquement des équipements leur permettant de s’assurer seules leur sécurité. Il s’agit là d’une tentative de garantie de la stabilisation politico-institutionnelle dont le pouvoir central a besoin avant tout déploiement vers le nord. En effet, si les institutions maliennes ne sont pas sécurisées, il y aurait des risques d’une complète déstabilisation en cas de concentration de l’attention sur le nord. A cet égard, l’absence prolongée du président de transition du pays à la suite de son agression a contribué à retarder un certain nombre d’actions qui auraient pu empêcher l’évolution des islamistes dans certaines régions du nord. Cependant, compte tenu des désaccords qui divisent jusqu’à présent les autorités maliennes, et particulièrement de l’influence de l’ex junte militaire, il est difficile d’espérer que les moyens requis par le Président malien suffiront à garantir les institutions politico-administratives. Les autorités maliennes refusent la présence de troupes militaires étrangères dans le sud pays, et souhaitent que des troupes étrangères servent uniquement en soutien logistique pour sécuriser le nord, aux mains de groupes islamistes. Or pour les responsables militaires de la CEDEAO, une intervention militaire au Mali nécessiterait aussi du personnel civil et militaire au sud. Une opérationnalisation de la force sous-régionale dans le nord s’avérerait inefficace si elle ne disposait pas de points stratégiques dans le sud. Il s’agit là d’une concrétisation de la volonté des ex-putschistes, notamment la capitaine Sanogo. En effet, un des plus farouches opposants à l’arrivée de troupes ouest-africaines à Bamako est le capitaine Amadou Haya Sanogo, chef de la junte militaire qui a renversé le pouvoir d'Amadou Toumani Touré en mars dernier. Selon lui, il faut débloquer le matériel militaire malien en Guinée: “On parle de Cédéao, on parle de retour à l’ordre constitutionnel, le matériel reste bloqué, qui en parle?”. Amadou Haya Sanogo, qui est par ailleurs président du comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité maliennes, s'est félicité de l'amélioration des conditions de travail des troupes maliennes. Une force étrangère qui serait stationné loin de la capitale, alors même que celle-ci est en proie à des menaces de déstabilisation, n’aiderait pas ce pays à sortir de la crise. Dans son discours adressé à la nation le 21 septembre 2012, rejoignant la position du patron de l’ex junte militaire, le président par intérim a réaffirmé la volonté de ne pas voir des troupes de la CEDEAO dans la capitale et a redemandé des négociations avec les groupes islamistes qui ont envahi le nord de son pays. Le président a ainsi proposé "le dialogue" et "la négociation" aux groupes armés islamistes qui occupent tout le Nord du Mali, tout en appelant les Maliens à "l'union sacrée" autour de leur armée" pour faire la guerre s'il n'y avait "plus d'autre choix".
2- Une réorganisation des Forces armées et de sécurité maliennes
Il est clair qu’en ce moment, on ne peut pas parler d’une armée malienne organisée et prête à assurer la sécurité et l’intégrité territoriales du pays. Si les forces armées et de sécurité avaient existé et s’étaient chargées de l’accomplissement de leur mission, la crise n’aurait pas éclatée. C’est en effet une défaillance de l’armée malienne qui a conduit à l’occupation du nord de ce pays par les membres du MNLA d’abord et ensuite par ceux des groupes islamistes. C’est la raison pour laquelle dans sa lettre, le président malien indique qu’une assistance est nécessaire pour une remise à niveau rapide des unités: Aide à l'acquisition de matériels majeurs; Formation d'un bataillon de déminage; Acquisition de matériel de déminage; Acquisition de système de purification d'eau; Formation tactique des unités de soutien et de combat (infanterie, blindé, artillerie) ; Soutien logistique (carburant, pièces de rechange ...).
Il n’est donc pas question, d’un déploiement des forces étrangères sur tout le territoire malien, mais plutôt d’une sorte d’appui au renforcement des capacités d’action et de stratégie de l’armée régulière. Tout semble indiquer ici qu’il ne devrait donc pas être question pour les forces de la CEDEAO de monter en première ligne au front ni d’entrer dans la capitale malienne. De ce fait, si les forces de la CEDEAO sont envoyées au Mali, elles devraient se cantonner à obéir aux ordres de l’armée malienne restaurée.
2- La priorité accordée à la Restauration de l'intégrité territoriale du Mali
Dès le début de la crise malienne, toute l’attention a été focalisée sur le nord occupé, alors même que les institutions politico-administratives étaient chancelantes. Dans sa requête, le président malien réitère que : « La reconquête des régions nord du Mali étant la priorité des priorités, tous les efforts du pays seront orientés vers le rétablissement de l'intégrité territoriale. » A cet égard, le Mali souhaite bénéficier de la part des partenaires des appuis ci-après: Soutien et appui aériens (Appui renseignements, appui direct des troupes engagées, destruction des bases logistiques situées en profondeur ... ) ; Cinq (05) bataillons à partir de la ligne de front, à engager graduellement dans le contrôle des villes reconquises; Acheminement de l'assistance humanitaire ; Capacité du Génie pour la neutralisation des mines et des engins explosifs improvisés; Guerre électronique ; Soutien santé (médicaments, prise en charge des blessés ... ) ; Reconstruction des camps et autres infrastructures.
Pour les autorités maliennes, l’organisation sous-régionale devrait déployer ses forces en attente dans le nord du pays, afin de les aider à reprendre le contrôle de leur territoire. Il faut donc absolument sortir de l'impasse et récupérer le nord du pays aux mains des islamistes qui se rapprochent d’ailleurs de la capitale. Bamako est toutefois resté prudent sur la question du déploiement d'une force régionale sur son territoire. « L'aide demandée auprès de la CEDEAO porte essentiellement sur la sécurisation des institutions de la transition, la réorganisation des forces armées et de sécurité, la restauration de l'intégrité territoriale du Mali », a indiqué la présidence ivoirienne, Alassane Ouattara étant le président en exercice de l'organisation ouest-africaine. « La mission de la CEDEAO au Mali pourrait déployer un détachement de liaison et d'observation, à l'exclusion du déploiement d'unités de police constituées ou de forces militaires combattantes », a-t-elle souligné dans un communiqué. À New York, le nouveau président du Conseil de sécurité, l'ambassadeur allemand Peter Wittig, a indiqué qu'il revenait aux « acteurs africains », en particulier la CEDEAO, de saisir le Conseil de l'envoi d'une force panafricaine et de lui fournir des précisions sur cette force. Le président malien aura besoin de matériels sophistiqués pour assurer le contrôle des villes reconquises. Dès la Mi-août, l'armée malienne avait déjà prévenu que cette force régionale ne s'occuperait pas de la sécurité des institutions à Bamako et que, pour la reconquête du nord, « les autres viendront en appui, surtout en aviation, en logistique ». Parallèlement à la préparation de la force, la CEDEAO a entamé des discussions avec certains des groupes armés présents à Kidal, Gao et Tombouctou (nord) pour résoudre la crise malienne.
Cependant, la situation au Mali est de plus en plus complexe et confuse. La demande adressée à la CEDEAO constitue un tournant important dans la crise malienne. Au cours d’une visite officielle à Dakar, le président Nigérian Goodluck Jonathan, a avoué que la situation du Mali est complexe et que les pays de la sous-région faisaient tout pour stabiliser le gouvernement avant de stabiliser le Nord. Après la formation d’un nouveau gouvernement sous la houlette de la CEDEAO, tout ne semble pas pourtant rentrer en ordre car une bonne partie (non- négligeable) des autorités maliennes s’oppose à l’initiative du président de la République. Les islamistes qui contrôlent le Nord-Mali avancent dangereusement vers le sud du pays.
B. Une demande contestée à Bamako
La demande du Président malien a suscité des réactions controversées dans son propre pays. Si une partie de l’administration, en l’occurrence le front anti putsch s’était exprimée en faveur de cette intervention, une autre partie, notamment le camp des putschistes du 22 mars dernier s’oppose à toute intervention militaire dans leur pays. Curieusement, la partie qui s’oppose à l’intervention extérieure ne propose aucune solution (alternative) pour pacifier le nord du pays, au contraire. Le FDR, front anti-putsch au Mali, presse Bamako de demander «sans délai» à l'Afrique de l'Ouest et à l'ONU la permission pour le déploiement d'une force africaine dans ce pays, où des islamistes occupant le Nord ont pris le week-end dernier Douentza, une ville du Centre. Dans un communiqué reçu hier par l'AFP, le Front uni pour la défense de la République et de la démocratie (FDR) « demande instamment au président de la République d'adresser, sans délai, à la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), à l'Union africaine et aux Nations unies la requête tant attendue aux fins d'interventions des forces africaines pour aider» l'armée malienne «à libérer le territoire national ». La CEDEAO se déclare prête à envoyer au Mali une force de quelque 3.300 soldats, dont les contours restent flous, mais souhaite obtenir un mandat de l'ONU pour ce déploiement, qui dépend en outre d'une demande officielle des autorités de transition maliennes. «Il est temps, grand temps de mettre fin aux tergiversations sur la question de la requête qui est la jauge de notre volonté politique et de notre détermination à nous engager dans la voie du recouvrement de l'intégrité de notre territoire», estime le FDR dans son communiqué daté de lundi. Le front anti-putsch, qui regroupe 40 partis politiques, s'indigne de la prise de Douentza, dans la région de Mopti, le 1er septembre par le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), un des groupes islamistes extrémistes armés contrôlant depuis cinq mois le vaste Nord. Douentza est à environ 145 km au nord-est de Mopti-ville. Pour le FDR, «la prise de Douentza par le Mujao, à la barbe des forces armées et de sécurité massivement cantonnées à Sévaré (à environ 15 km à l'est de Mopti) » est un « affront intolérable » à l'armée. Il « exige du gouvernement des actions appropriées et immédiates pour sécuriser les zones non encore occupées et procéder sans délai à la récupération des zones occupées par les islamistes armés ». Kidal, Gao et Tombouctou, les trois régions administratives composant le nord du Mali, sont tombées il y a cinq mois aux mains du Mujao et d'autres groupes armés, dont des rebelles touareg et jihadistes liés à Al Qaîda. Les islamistes ont ensuite évincé leurs ex-alliés touaregs et contrôlent désormais totalement le Nord. En juillet 2012, le président de transition Dioncounda Traoré avait promis à ses interlocuteurs de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cédéao) qu'il donnerait son feu vert à une intervention militaire « dès la mis en place du gouvernement d'union nationale ». Mais, depuis quelques jours, on découvre que le véritable pouvoir n'est pas à la présidence. « Les centres de décisions sont à la primature, mais aussi à Kati chez les militaires putschistes », avoue un observateur malien. Or, le capitaine Sanogo l'a dit plusieurs fois ouvertement : « Je ne veux pas de militaires étrangers pour régler la situation au Mali ». Tout récemment, le chef d'état-major de l'armée malienne devant ses pairs de la CEDEAO a affirmé que « personne ne fera cette guerre à notre place. On a simplement besoin d'un appui logistique et technique ».
II. Imprécisions sur les modalités de déploiement de l’aide sollicitée
Si l’intervention au Nord Mali est formellement sollicitée, elle est loin d’être clairement définie. Entre la volonté d’un exécutif malien repris en main par Dioncounda Traoré, les inquiétudes des Nations Unies, les plans imprécis de la CEDEAO et l’influence persistante du capitaine Sanogo, les problèmes de forme sont légion.
A.La recherche d’une base légale d’intervention
Si la CEDEAO ne doit apporter qu’une aide militaire au mali, a-t-elle encore besoin d’une autorisation du conseil de sécurité pour ce faire ? S’il s’agissait toujours d’une intervention de l’organisation sous-régionale comme c’était le cas dès le début de la crise, l’autorisation du conseil de sécurité aurait constitué un fondement légal à cette intervention. Cependant, dans le cadre d’une aide militaire, l’organe principal en charge des questions sécuritaires des nations Unies doit-elle encore accorder une autorisation expresse pour ce faire.
1. De la demande d’aide à l’intervention sollicitée en droit international
Le Mali a demandé une aide à la CEDEAO et non explicitement une intervention de l’organisation sous-régionale sur son territoire. Dans son sens littéral, le mot aide signifie est une action d’intervenir en faveur de quelqu’un en joignant ses efforts aux siens. Le Dictionnaire de droit international public (pp. 53-54) définit l’aide comme « appui, assistance, soutien accordé à un autre sujet de droit. Au sens large, c’est un terme utilisé à l’origine, surtout dans les milieux non spécialisés, pour désigner toute prestation en nature, en argent ou en services, accordée par un organisme privé ou public, national ou international, pour permettre à un pays en développement ou en transition d’accélérer son évolution économique, sociale et culturelle en vue d’améliorer le niveau de vie de sa population. » De nos jours, l’aide est employée plus dans le domaine économique et financier que dans le domaine politique. Une aide est distincte d’une intervention, même si dans l’action d’intervenir, on apporte toujours une aide à une partie. A l’inverse, l’intervention est un terme diversement employé en droit international public et dans les relations internationales, qui varie en fonction des situations dans lesquelles il est employé. Elle consiste en une action d’Etat ou d’une organisation internationale « qui prend place dans l’examen et la solution d’une affaire relevant de la compétence d’un ou de plusieurs autres Etats, le sens particulier de ce terme présentant des variantes suivant l’emploi qui en est fait » (Dictionnaire de la terminologie de droit international public, p. 347). Il est utilisé le plus souvent pour invoquer le fait pour un Etat ou pour une organisation internationale de se mêler des affaires d’autrui. Il peut s’agir aussi des mesures de contrainte d’ordre politique, économique ou militaire, prises par un ou plusieurs Etats, constituant une ingérence dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat et empiétant sur sa souveraineté et la liberté. Dans ce cas, l’article 2 § 7 de la Charte des Nations dispose que les Etats « ... Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII. » Même si cette norme n’empêche pas à elle seule l’intervention dans les affaires intérieures des Etats international dans certains cas, elle a pour mérite d’exister et de constituer une source de dissuasion à plus d’un titre. Allant dans le même sens, la Résolution 2625 (XXV) adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 24 octobre 1970 portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies dispose qu’ « aucun Etat ni groupe d’Etats n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. En conséquence, non seulement l’intervention armée, mais aussi toute autre forme d’ingérence ou toute menace, dirigée contre la personnalité d’un Etat contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont contraires au droit international ». Comme l’a relevé à juste titre la CIJ dans son arrêt du 26 juin 1986 relatif aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, « le principe de non- intervention interdit à tout Etat ou groupe d’Etats d’intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures d’un autre Etat. » (§ 205). C’est la raison pour laquelle toute intervention dans les affaires d’un Etat devrait avoir un fondement légale, en particulier une autorisation du conseil de sécurité qui va légitimer l’action entreprise. En dehors du conseil de sécurité, la base légale d’une intervention étrangère dans les affaires intérieures d’un Etat peut résider dans la demande expresse formulée en ce sens par l’Etat concerné. En tout état de cause, le principe de non- intervention garde sa pertinence en droit international public, d’où le caractère exceptionnel de l’intervention. Dans le cas de la situation malienne, la seule demande du Président de transition semble insuffisante pour le déploiement des forces de la CEDEAO en territoire malien. Il ne s’agit pas d’une demande adressée à un autre Etat, mais plutôt d’une demande adressée à un organisme sous-régionale. L’expression du consentement de l’Etat malien à une intervention sur son territoire pourrait peut-être s’analyser à l’aune de la jurisprudence de la CIJ. Dans l’affaire des Activités armées en territoire du Congo (RDC c. Ouganda), la CIJ a eu à se pencher sur le déploiement des activités militaires et paramilitaires sur le territoire d’un Etat avec son consentement. Dans cette affaire en effet, en réponse aux allégations d’activités militaires et paramilitaires constitutives d’agression formulées par la RDC, l’Ouganda affirme qu’entre mai 1997 (date de l’accession au pouvoir du président Laurent- Désiré Kabila à Kinshasa) et le 11 septembre 1998 (date à laquelle l’Ouganda prétend avoir décidé d’agir au titre de la légitime défense) il se trouvait en RDC avec le consentement de cette dernière. L’Ouganda soutient que la RDC a réitéré son consentement à la présence des forces ougandaises en juillet 1999, aux termes de l’accord de Lusaka, et l’a ensuite prorogé (§ 43). Sans se pencher sur la validité ou non d’un tel consentement en droit international, la CIJ a estimé que : « Si l’on peut raisonnablement penser que la coopération envisagée dans le protocole impliquait une prorogation de l’autorisation accordée à l’Ouganda de maintenir des troupes dans la région frontalière, le protocole ne constituait pas le fondement juridique de cette autorisation ou de ce consentement. L’origine de l’autorisation ou du consentement au franchissement de la frontière par ces troupes remontait à une date antérieure au protocole, et cette autorisation ou ce consentement préexistants pouvaient par conséquent être retirés à tout moment par le Gouvernement de la RDC, sans formalité particulière. » (§ 47). Pour la Cour dans cette affaire, tout en notant que la teneur textuelle de la déclaration du président Kabila relative au retrait du consentement de la RDC aux troupes ougandaises et rwandaises demeurait ambigu, « il importe surtout, de l’avis de la Cour, de relever que le consentement en vertu duquel l’Ouganda avait pu déployer ses forces en RDC et s’y livrer à des opérations militaires n’était pas sans limite. La RDC acceptait que l’Ouganda combatte ou aide à combattre les rebelles le long de la frontière orientale et, en particulier, à mettre un terme à leurs activités transfrontalières. A supposer que le consentement de la RDC à la présence militaire ougandaise ait couvert une période allant bien au-delà du mois de juillet 1998, les restrictions apportées à ce consentement, en ce qui concerne la localisation des troupes ou les objectifs visés, auraient dû être respectées » (§ 52). Il est donc évident que, pour permettre un déploiement sans ambiguïté de la force de la CEDEAO au Mali, la demande malienne aurait dû comporter à la fois la période de déploiement, sa durée, la possibilité du renouvellement de cette assistance et les modalités d’une telle intervention. Dans le cas d’espèce, ni l’Ouganda, ni le Rwanda n’avaient eu besoin d’une autorisation expresse du conseil de sécurité pour apporter à la RDC le soutien et l’appui demandés. Mais il s’agissait là de deux Etats souverains dont la décision de venir en aide à un autre Etat pouvait être envisagée comme un acte unilatéral d’un souverain dans ses relations avec d’autres souverains. Dans le cas du Mali, il en va autrement. En effet, la demande est adressée à une organisation sous-régionale et non à un Etat. Dans ce cas précis, le déploiement de l’intervention de la CEDEAO requiert-elle toujours l’autorisation du conseil de sécurité ?
2. Faut-il une autorisation du Conseil de sécurité dans le cadre d’une intervention sollicitée?
La demande du Président malien ne constitue pas un fondement légal de l’intervention de la CEDEAO au Mali. Certes, il est difficile d’affirmer qu’une autorisation expresse du conseil de sécurité de l’ONU est nécessaire dans le cadre du déploiement d’une intervention sollicitée. L’intervention sollicitée est comprise comme étant l’ « action de soutenir le gouvernement établi d’un Etat, à la suite d’un appel à l’aide, pour maintenir l’ordre, pour faire face à des activités subversives ou à des activités de rébellion ou de sécession ou encore pour repousser une agression extérieure » (Dictionnaire de droit international public, p. 611). Cette action peut être menée par une organisation internationale ou par un Etat ou groupe d’Etats. Dans ce cas, il est difficile a priori d’établir une frontière claire entre l’intervention prohibée en droit internationale et une demande d’aide interprétée comme une intervention sollicitée. Le contenu de la demande malienne laisse présager que cet Etat n’est pas incapable d’assurer le contrôle et la sécurité de son territoire dans le nord, mais a plutôt besoin d’un renforcement de ses capacités militaires institutionnels et logistiques. Elle vise donc à aider un Etat à assurer sa mission régalienne de maintien de la sécurité de ses institutions et de sa population dans le nord, en proie aux groupes islamistes qui y sèment la terreur. Seulement, la CEDEAO est une organisation internationale et, en tant que telle, elle est liée par des obligations découlant du droit international général et du droit régional africain. Dans son avis consultatif sur l’Interprétation de l’Accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, la CIJ affirme que : « L’organisation internationale est un sujet de droit international lié en tant que tel par toutes les obligations que lui imposent les règles générales du droit international, son acte constitutif ou les accords internationaux auxquels il est partie.» De même, dans l’avis consultatif relatif à la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, la même Cour a noté qu’elle a «… à peine besoin de rappeler que les organisations internationales sont des sujets de droit international qui ne jouissent pas, à l’instar des États, de compétences générales. » La CEDEAO ne peut donc accomplir dûment sa mission au Mali que si elle fonde son action sur des bases légales. Certes, le Protocole relatif au maintien de la paix et de la sécurité en Afrique de l’Ouest lui attribue cette responsabilité, mais cette organisation ne peut se passer des articles 53 et 54 de la charte des Nations Unies. L’article 53 dispose in fine qu’ : «… aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité » pendant que l’article 54 précise que « Le Conseil de sécurité doit, en tout temps, être tenu pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée, en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux, pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. » La base légale de l’intervention de la CEDEAO au Mali, même sur demande expresse du président malien en peut donc être fournie que par une décision du conseil de sécurité dans ce sens. Même si l’organisation sous-régionale dispose de quelques ressources humaines, elle ne dispose ni des moyens matériels et logistiques, ni des moyens financiers pour déployer des forces de maintien de la paix dans un Etats membre. Il est donc indispensable que la CEDEAO ait le soutien de l'ONU et des pays membres du conseil de sécurité, dotés de fortes capacités militaires et économiques. En plus, la CEDEAO semble négliger le rôle de l’Union africaine qui, en tout état de cause est le premier interlocuteur des Nations Unies sur le continent. Il serait difficile d’établir une liaison directe entre l’ONU et la CEDEAO sans passer par l’Union africaine. Il y a donc lieu de s’interroger sur le rôle du COPAX de l’Union africaine qui, jusqu’à nos jours est cloîtré dans un mutisme qui frise un laxisme de la part de l’organisation continentale, alors même qu’elle dispose des organes susceptibles de gérer la crise malienne en collaboration avec la CEDEAO.
Une fois acquis le principe d’une autorisation du conseil de sécurité, il faut encore que l’organisation sous- régionale se plie aux conditions posées par la résolution 2056 (2012) du conseil de sécurité sur la situation au Mali. En effet, dans la résolution 2056 sur le Mali, le conseil de sécurité avait demandé à l’organisation sous-régionale de finaliser la feuille de route permettant le déploiement d’une force militaire dans le nord Mali. Celle-ci n’a pas encore été établie. Si la CEDEAO souhaite intervenir dans le nord Mali, elle souhaite également obtenir un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies et un soutien logistique occidental pour ce déploiement, qui dépendait, en outre, d'une demande officielle des autorités de transition maliennes. A cet égard, le 8 août dernier, le commissaire chargée des affaires politiques à la CEDEAO, Mme. Salamatu Hussaini Suleiman a annoncé que l’organisation sous-régionale allait finaliser dans les prochains jours ses plans de déploiement d'une force militaire au Mali. Il a indiqué qu’une "conférence finale de préparation" se tiendra du 9 au 13 août à Bamako. Son objectif sera de "peaufiner davantage le concept stratégique [...] et préparer le terrain pour le déploiement dès la réception d'un mandat de l'ONU". Devaient participer à cette conférence des représentants de la CEDEAO, de l'Union africaine, des Nations unies et de l'Union européenne. MmeSuleiman, qui s'exprimait devant le Conseil de sécurité de l'ONU lors d'un débat sur la situation au Mali, a ajouté qu'un premier rapport sur les objectifs et modalités du déploiement avait été transmis entre-temps au Conseil. La CEDEAO se tient prête à envoyer une force régionale de 3 300 hommes pour aider l'armée malienne à reconquérir le nord du pays, aux mains des islamistes. Elle n’attendait toutefois qu’une demande formelle de Bamako, ce qui a été fait cette semaine.
B. Des difficultés en perspective
Le 17 septembre 2012, les ministres de la défense, ministres des affaires étrangères ainsi que ceux de l’intégration africaine des différents pays membres de la CEDEAO se réuniront à Abidjan. S'appuyant sur la rencontre des chefs d'état-major qui avait précédé la leur, les ministres ont tenté de mettre au point un projet que les chefs d'État devaient présenter le 18 septembre, à New-York, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Il existe des divergences de vue, voire des divisions au sein des Etats de la CEDEAO sur la question. Les présidents sénégalais et mauritaniens, qui avaient exprimé à Nouakchott lors de la visite de Macky Sall leurs profondes préoccupations face au drame que vit le Mali ont finalement fait savoir qu’ils n’enverraient pas de troupes. Pourtant la Mauritanie serait un partenaire solide du Mali dans la lutte contre les islamistes pour avoir mené en 2010 et 2011 plusieurs raids contre des bases d’Aqmi et ce jusqu’à quelques kilomètres de Tombouctou notamment à Ber. De plus, le Ghana, a également décliné sa participation militaire. De son côté, le président burkinabè et médiateur de la CEDEAO dans la crise malienne juge qu'une intervention de l'organisation ouest-africaine pour libérer le Nord-Mali n'est pas possible. Interrogé par la chaîne France 24 lors de son séjour à Paris, mercredi 19 septembre, le président burkinabé estime que les conditions posées par le Mali pour une intervention militaire de la CEDEAO ne sont pas réalistes. Pour lui, « Les conditions qui accompagnent cette requête font qu'il est impossible pour la CEDEAO aujourd'hui d'être de façon efficace sur le terrain … Bamako souhaite avoir des troupes de la Cedeao mais ne souhaite pas les avoir dans le sud du pays, par exemple à Bamako, ce qui est impossible », a réagi Blaise Compaoré.
Il faut dire que sur de nombreux points, Bamako et la Cédéao ne se sont pas encore mis d'accord sur une proposition précise à présenter à l'ONU. La Cédéao a demandé à Bamako de revoir sa copie car deux des trois points évoqués par Bamako posent problème et ne permettent pas un "accomplissement efficace" d'une éventuelle intervention, a expliqué à l'AFP une source diplomatique ouest-africaine. Pour l’organisation sous-régionale, si une force africaine était envoyée au Mali, Bamako devrait ainsi "accepter le déploiement à Bamako d'un minimum d'éléments". Mais le président Traoré a réaffirmé vendredi soir que le Mali demandait, pour assurer "la sécurité des institutions de la transition (à Bamako), des équipements et des moyens formulés par l'armée malienne" et refusait "le déploiement de forces de polices constituées et d'unités combattantes de l'armée", "sans objet" selon lui. Par ailleurs, alors que le nombre de partenaires du Mali s'inquiètent de différences et contradictions dans les positions maliennes, M. Traoré a réaffirmé que la requête adressée à la Cédéao avait été faite "en parfait accord avec la hiérarchie militaire", "la Défense" et "le Premier ministre" Cheikh Modibo Diarra. De son côté, le Conseil de sécurité avait pressé les anciens putschistes maliens, dirigés par le capitaine Amadou Haya Sanogo, de "cesser immédiatement toute ingérence dans le travail" des autorités de transition, sous peine de sanctions.
En outre, la France, sous le coup d'une menace d'Aqmi de tuer les otages français au Sahel, s'est efforcée de ne pas s’impliquer fortement dans la gestion de la crise malienne. Si l’ex colonie accepte d’accorder un soutien logistique à la CEDEAO, elle ne va pas plus loin dans son offre. Pour Paris le temps des interventions directes est révolu. Mais cet Etat ne peut rester indifférent au "défi" lancé à ses intérêts en Afrique par des "terroristes et fondamentalistes" qui occupent le nord du Mali, selon le président François Hollande. Le rôle de la France est de soutenir les organisations africaines régionales dans le cadre des Nations unies et de leur fournir un soutien logistique si une intervention était décidée, a dit le président français. Une position répétée jeudi par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
En attendant, les islamistes continuent de dicter leur loi avec son cortège de mutilations, de flagellations en public et autres actes dégradants : ainsi après Gao, où de présumés voleurs et braqueurs, au nombre de cinq, ont eu chacun une main et un pied amputés par le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest), c’était au tour,de Tombouctou d’entrer dans la danse macabre des mutilations ; Tombouctou où un jeune homme d’une trentaine d’année a été barbarement privé de son membre inférieur droit par les irrédentistes d’Ansar Dine. Ils ont d'ailleurs accepté de dialoguer avec Bamako si les autorités maliennes acceptent d'instaurer la charia dans tout le pays.
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