Introduction
Si la lutte contre l’impunité semble avoir atteint le point culminant depuis quelques années et ce, en dépit des contestations relatives à la partialité des poursuites engagées et des personnes poursuivies, il est important de revenir sur la peine encourue par les responsables des crimes relevant de la compétence des tribunaux pénaux internationaux et de la CPI. La Cour pénale internationale a ainsi prononcé le 10 juillet 2012 la première condamnation de son histoire à l’encontre du fondateur de l’Union des patriotes congolais (UPC), reconnu coupable d’avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans en 2002-2003 lors de la guerre civile en Ituri, une région au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) (Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo). En effet, l’article 76. 1 du Statut de Rome prévoit qu’ « En cas de verdict de culpabilité, la Chambre de première instance fixe la peine à appliquer en tenant compte des conclusions et éléments de preuve pertinents présentés au procès. » Cette première condamnation rendue par la CPI a également été l’occasion de faire un bilan des travaux de la Cour après dix années d’existence. Le 30 mai 2012, le tribunal spécial pour la Sierra Léone venait de condamner Charles Taylor, ancien président du Libéria à un emprisonnement de 50 ans (Taylor judgement, Sentencing Judgement). A la suite de ces condamnations, il est important de s’intéresser aux peines prononcées, même si les décisions d’un tribunal ne lient pas un autre tribunal. Il est loisible de constater qu’il n’ y a pas de lisibilité entre les peines prononcées par les tribunaux pénaux internationaux, ad hoc ou permanents et que celles-ci connaissent une variation en fonction du tribunal, des différences d’appréciation et des contradictions qui traduisent non seulement une absence de hiérarchie claire en fonction des crimes commis, mais également un désordre judiciaire marqué par l’absence de dialogue et de collaboration entre les diverses juridictions pénales internationales.
Il ne fait donc aucun doute que la répression en droit pénal international fait appel à des particularismes subjectifs, largement éloignés d’un modèle unanime de répression. En effet, il peut paraître curieux que d’un côté, on se réjouit de la condamnation des responsables des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, etc, alors que de l’autre, on en veut à la Gambie d’avoir décidé d’exécuter les personnes condamnées à mort dans son pays. Tandis que les victimes se sont réjouis des peines prononcées, les avocats de la défense ont trouvé ces peines déraisonnables, en l’occurrence les avocats de Monsieur Taylor, agé de 64 ans. La doctrine a remarqué à ce propos que l’« addition de finalités à la peine ébranle les fondements de la répression. (…) Nourries de ces différents courants doctrinaux, qui imposent un jour de sévir et le lendemain de pardonner ou de corriger puis d’éduquer, ce qui explique d’ailleurs la coexistence parfois surprenante de textes particulièrement sévères avec des dispositions consacrées exclusivement à la resocialisation du coupable, les sources du droit se révèlent dans l’incapacité de définir la peine ». (Paillard (B.), La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007, p. 16.)
I.Persistance d’une énigme autour de la peine en droit pénal international
Dans la société internationale contemporaine, la punition du délinquant s’affiche désormais comme un impératif. La seule poursuite ou la reconnaissance de la culpabilité est insuffisante, il faut encore sanctionner les coupables par d’autres mesures. Cependant, « Aujourd’hui encore, punir reste une activité énigmatique » (Cusson (M.), Pourquoi punir ?, Dalloz, 1987, p. 1.) Le mystère demeure entier sur la peine, mais aussi sur le brouillard qui entoure la punition en droit et dans la société. Depuis la création de l’homme et l’existence de la société, la punition a toujours existé, même dans les relations avec la divinité, tout dépendant du degré de la punition. L’existence de la règle de droit est intimement liée, à tort ou à raison à celle de la sanction. En ce sens, toute violation de la règle de droit doit être sanctionnée. La peine fait partie des notions juridiques dotées d’une forte ambiguïté et dont la définition n’est pas établie avec clarté. Quelle qu’en soit la dénomination, la doctrine est unanime à voir dans la peine un châtiment destiné à prévenir ou, le cas échéant, à réprimer une infraction, attentatoire par nature à l’ordre social. Ainsi, « la peine constitue l’accessoire nécessaire de la qualification (…) de l’infraction ». (Pansier (F.J.), La peine et le droit, Puf, 1994, p. 8). Pour Mme Poncela, par peine « il faut entendre toute sanction liée à une incrimination et prononcée par une juridiction pénale » (Poncela (P.), Droit de la peine, Puf, 2001, p. 39).
Le droit pénal international, dont on aurait pu s’attendre à ce qu’il s’implique d’avantage dans la question, ne pose que des prescriptions générales quant aux sanctions des comportements prohibés. Il ne fait ainsi aucun doute que l’Etat tend à vouloir rester le seul souverain habilité à présider aux destinés de la peine. Cependant, « le concept d’Etat a pu permettre de masquer la violence que représente tout pouvoir de punir, en le monopolisant, en le rationalisant, en le présentant comme droit » (Poncelat (P.), Droit de la peine, op. cit, p. 54). La peine étant le monopole de l’Etat, elle se légitimera grâce à lui et deviendra ainsi un des vecteurs fondamentaux de la protection de la société. L’évolution de cette organisation répressive suivra celle de l’Etat de droit vers une véritable humanisation des peines. La légitimité étatique de la peine entraîne comme conséquence qu’elle devient aussi un instrument, privilégié et prépondérant, de politique pénale dont dispose l’Etat pour sanctionner le crime et un instrument de gouvernement dont l’Etat use pour la sauvegarde de la société.
Le recours au droit conventionnel afin d’incriminer un comportement dénoncé en droit international est la méthode couramment retenue.
A.La base conventionnelle des peines appliquées
Les peines applicables par les tribunaux pénaux internationaux ont toutes une base conventionnelle. L’article 25 du Statut de Rome dispose à cet égard que « quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut. » Il en est de même de l’article 9 du statut du TSSL (Special Court Statute). Pourtant, si le juge de la CPI semble lié par le statut de Rome qui fixe la durée maximale de la peine d’emprisonnement applicable, la compétence du juge du TSSL n’est pas encadrée par une durée maximale. Il en est ainsi parce que pendant longtemps, la peine a été délaissée à l’appréciation souveraine, parfois arbitraire de celui qui juge. D’abord, synonyme de vengeance, la peine est avant tout un moyen de rendre à l’offensé son honneur perdu, de réaffirmer sa dignité et sa puissance, en humiliant l’offenseur. En ce sens, elle a un rôle essentiellement réparatrice. Ainsi, pour Aristote, la peine est vengeance car elle doit avant tout satisfaire l’offensé. Pour Aulu-Gelle, la peine doit répondre à l’honneur perdu car elle « se trouve quand la dignité et l’autorité de celui à l’égard de qui on a commis la faute sont à protéger, afin d’éviter que l’absence de punition n’engendre le mépris à son égard et ne diminue son honorabilité », Nuits attiques, VII, 14, 2 à 4). Ensuite, la peine doit permettre de restaurer l’ordre lésé, en rétablissant l’équilibre dans la Cité par le biais d’une sanction semblable au délit. La peine doit être exactement identique au délit, selon la philosophie du talion. Selon Platon, l’esclave qui vole des figues reçoit autant de coups de fouet que de figues volées, (Les Lois, VIII, 845 a.). Le criminel subit alors un mal égal à celui qu’il a infligé). Comme le remarque le Professeur Emmanuel Decaux, « C’est justement parce que le crime commis est sans «commune mesure» que la grandeur morale est d’échapper à la logique de la vengeance, du règlement de comptes – comme avec le «procès» expéditif des époux Ceauçescu – ou du lynchage public – comme lors de l’exécution sous les cris de haine de Saddam Hussein – sans pour autant se contenter d’un «procès symbolique». (Voir : « La définition de la sanction traditionnelle : sa portée, ses caractéristiques », RICICR, Vol. 90, N° 870, pp 249-257.) En fait, la peine a pour fondement de garantir l’ordre de la Cité. La peine sert ainsi à l’amendement du coupable, puisqu’elle s’adresse directement à lui. En effet, « la peine est infligée pour châtier et corriger afin qu’un délinquant occasionnel devienne plus attentif et soit amendé ». (Aulu-Gelle Nuits attiques, VII, 14, 2 à 4.) Grotius estimait que, en application de la théorie du contrat social, « celui qui a commis un crime est censé s’être volontairement soumis à la peine, parce qu’un crime grave ne peut pas ne pas être punissable ; de sorte que celui qui veut directement commettre une faute, a voulu aussi, par voie de conséquence, encourir la peine». (Grotius (H.), Du droit de la guerre et de la paix, Livre II, chap. XX, 1625.) Pour Thomas Hobbes, le droit de punir dérive à son tour du contrat social. La peine doit être dissuasive car elle assurerait la sûreté publique issue de ce contrat. Mais en même temps, cette peine doit satisfaire l’utilité publique en procurant un mal plus grand que l’avantage qui résulterait de la commission de l’infraction. Il prône donc une vision utilitariste de la peine faite de dissuasion et de rétribution. (Hobbes (T.), Le Léviathan, traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, Chap 28, 1651. Traduction par Tricaud (F.), Dalloz, 1999). Montesquieu et Beccaria ont milité pour des peines modérées, proportionnées et prévues par la loi. C’est ainsi que, désengagée de tout arbitraire, la peine ne doit plus descendre « du caprice du législateur, mais de la nature de la chose, et ce n’est point l’homme qui fait violence à l’homme ». Et Montesquieu de poursuivre que, « c’est le triomphe de la liberté lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime ». (De l’esprit des lois). C’est dans ce sens que le Statut de Rome a prévu à l’article 77 les peines applicables par la CPI. En effet, « 1. Sous réserve de l'article 110, la Cour peut prononcer contre une personne déclarée coupable d'un crime visé à l'article 5 du présent Statut l'une des peines suivantes :
a) Une peine d'emprisonnement à temps de 30 ans au plus ; ou
b) Une peine d'emprisonnement à perpétuité, si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient.
2. À la peine d'emprisonnement, la Cour peut ajouter :
a) Une amende fixée selon les critères prévus par le Règlement de procédure et de preuve ;
b) La confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi. »
En principe, la peine doit prévenir et non punir. Telle est certainement la leçon à tirer de la condamnation de sieurs Taylor et Lubanga. En ce sens, elle remplit essentiellement une fonction dissuasive et préventive, en amenant les responsables actuels à tenir compte de leur responsabilité future dans des actes de violation des droits de l’homme. Hiérarchisée selon la gravité des crimes en cause, la peine doit aussi être modérée et proportionnée. Pour ce faire cependant, il faudrait des instruments de mesure de cette proportion et de la modération. Est-ce par rapport aux crimes commis ou par rapport aux victimes ? Certes, la nature du châtiment devrait être aussi proche du délit commis que possible comme le suggérait Beccaria, fortement attaché à la légalité pénale. Quoiqu’il en soit, le principe de la légalité demeure le fondement de la peine en droit pénal contemporain, qu’il soit interne ou international. C’est ce à quoi se sont attelés les deux organes répressifs internationaux en condamnant respectivement Charles Taylor et Thomas Lubanga Dyilo. Il subsiste donc une confusion autour des notions de sanctions et de réparation
B.L’application des peines par les tribunaux internationaux
Le principe dit de la légalité des délits et des peines postule que l’infracteur soit prévenu de ce qui l’attend s’il transgresse la loi répressive. D’un côté, la communauté internationale écarte désormais la peine capitale dans l’échelle des sanctions, ce qui marque là aussi une évolution significative par rapport aux procès de Nuremberg et de Tokyo. Cette avancée des tribunaux ad hoc, instaurés par le Conseil de sécurité, s’est trouvée consacrée, non sans mal comme en témoigne l’article 80, par le Statut de Rome. La peine la plus élevée que peut prononcer la CPI est une «peine d’emprisonnement à perpétuité, si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient» (Article 77). Il ne saurait dans tous les cas exister, comme en droit international public, une certaine proportionnalité entre le fait illicite et la réparation prononcée. La proportionnalité entre l’ampleur du crime et la sanction semble impossible, à moins de sombrer dans la peine capitale.
1.La peine prononcée par le TSSL: 50 ans d'emprisonnement
Le Tribunal spécial pour la Sierra Léone a condamné l’ancien président du Liberia, Charles Taylor, 64 ans, à 50 ans de prison. Celui-ci l’avait reconnu coupable, le 26 avril dernier, de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, commis en Sierra Leone, entre 1996 et 2002. Contrairement à la CPI qui fixe une peine maximale pour les personnes reconnues coupables des crimes les plus graves, la statut du TSSL (Special Court Statute) ne fixe pas de peine maximale. L’article 20 du statut de ce tribunal, adopté en 2002 dispose tout simplement que : « 1. La Chambre de première instance impose à une personne reconnue coupable, à l'exception d'un mineur délinquant, l'emprisonnement pour un nombre déterminé d'années. Dans la détermination des peines d'emprisonnement, la Chambre de Chambre doit, le cas échéant, avoir recours à la pratique des peines d'emprisonnement par le Tribunal pénal international pour le Rwanda et les juridictions nationales de la Sierra Leone.
2. En imposant toute peine, la Chambre de première instance doit tenir compte de facteurs tels que la gravité de l'infraction et la situation personnelle de la personne condamnée.
3. En plus de l'emprisonnement, la Chambre de première instance peut ordonner la confiscation des biens, procède et les actifs acquis illégalement ou par un comportement criminel, et leur restitution à leurs propriétaires légitimes ou à l'Etat de la Sierra Leone. »
Au départ, 80 ans d’emprisonnement ferme avait été requis contre Charles Taylor. Les victimes ont salué la condamnation en estimant que « justice a été rendue », alors que les avocats de ce dernier ont trouvé cette sentence déraisonnable. Pour justifier la peine, le juge Richard Lussick a précisé que « l’accusé est responsable d’avoir aidé et encouragé, ainsi que d’avoir planifié, certains des crimes les plus haineux de l’histoire de l’humanité ».
Le prononcé de cette peine d’emprisonnement a fait dire à un des avocats de Charles Taylor que son client « mourra en prison ». Dans les faits, « c’est de facto une peine de prison à vie », a déclaré Courtenay Griffiths lors d’une conférence de presse à l’issue du prononcé de la peine. En effet, l’âge de Charles Taylor, 64 ans, réclamé comme circonstance atténuante par la défense, n’a pas été retenu par les juges. De son côté, l’avocat français Robert Badinter, ancien garde des Sceaux et fervent défenseur des droits de l’homme considère qu’il s’agit là d’une illustration que « la justice internationale ne cesse de grandir en autorité et en influence ». Il rappelle qu’il y a une obligation d’aller chercher les auteurs de ces crimes mais aussi une obligation, des Etats, de les poursuivre. « Il faut toujours se souvenir qu’il y a imprescriptibilité de ces crimes et que, par conséquent, à quelque période que ce soit, leurs auteurs peuvent se trouver traduits devant le Tribunal pénal international et là, enfin connaître le sort qu’ils méritent », précise-t-il. Interrogé par RFI, Robert Badinter souligne également que la décision du TSSL prouve dorénavant que les chefs d’Etat qui ne sont pas eux-mêmes directement les auteurs des crimes sont les premiers responsables et doivent être condamnés.
L’avocat de l’ancien président du Libéria, Morris Anyah, a trouvé que cette peine était totalement disproportionnée. Les avocats de l’ancien président libérien ont fait appel. "Charles Taylor demande respectueusement que la chambre d'appel inverse toutes les déclarations de culpabilité et les condamnations prononcées à son encontre et annule le verdict", a indiqué la défense de l'ancien président dans une requête déposée mercredi rendue publique par le TSSL. Le bureau du procureur a également fait appel, a-t-on appris auprès du TSSL. La défense avait annoncé le 19 juin son intention de faire appel de la condamnation de Charles Taylor, 64 ans, reconnu coupable le 26 avril d'avoir soutenu, en échange de diamants, les rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (RUF) lors de la guerre civile en Sierra Leone qui avait fait 120.000 morts entre 1991 et 2001. La défense de M. Taylor affirme notamment que les juges ont commis des erreurs de droit en se basant sur des "preuves par ouï-dire non corroborées" et en ne réussissant pas à évaluer la crédibilité des sources de ces informations.
2. La peine prononcée par la CPI: 14 ans d'emprisonnement
Le 10 juillet 2012, Thomas Lubanga Dyilo a été condamné à une peine totale de 14 ans d’emprisonnement de laquelle sera déduit le temps qu’il a passé en détention de la CPI. M. Lubanga reste pour l’instant détenu au quartier pénitentiaire de la CPI, à La Haye. L’article 23 du Statut de Rome porte sur le principe nulla poena sine lege et dispose qu’ « Une personne qui a été condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du présent Statut. » Reconnu coupable d'avoir recruté des enfants soldats dans l’est de la République démocratique du Congo entre 2002 et 2003, l'ancien chef de milice Thomas Lubanga a été condamné à 14 ans de prison par la Cour pénale internationale. Lors de son réquisitoire, le procureur avait demandé aux juges d’infliger une peine de trente ans à Thomas Lubanga, et estimé que les crimes sexuels commis contre les fillettes enrôlées dans les troupes du milicien devaient constituer une circonstance aggravante. Les juges ont pris en compte les souffrances endurées par les victimes, ont-ils expliqué lors de l’audience, mais ils ont reproché au procureur de n’avoir ni apporté les preuves de ces violences sexuelles, ni établi que l’accusé en était responsable. En effet, l’article 78 du Statut de Rome « Lorsqu'elle fixe la peine, la Cour tient compte, conformément au Règlement de procédure et de preuve, de considérations telles que la gravité du crime et la situation personnelle du condamné. » La Cour, chargée de poursuivre les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, prévoit une peine maximale de perpétuité, réservée « aux crimes d’une extrême gravité ». Pour les autres crimes, c’est trente ans, maximum, sauf si les juges estiment que les crimes commis étaient d’une extrême gravité. Ce n’est que dans ce cas qu’ils peuvent prononcer une condamnation à perpétuité. Or au cours du procès, le dossier du procureur s’est révélé fragile, d’autant plus que les avocats de Thomas Lubanga avaient révélé l’existence de faux témoignages. Si les juges ont souligné les nombreuses erreurs de l’accusation, ils les ont aussi, finalement, validées. Pour permettre la condamnation de Thomas Lubanga, ils ont ainsi estimé que le conflit en Ituri n’était pas international. La milice de Thomas Lubanga était soutenue par l’Ouganda et le Rwanda qui menaient leur guerre dans l’est pour s’emparer des richesses de la région, par milices interposées. En soulignant le côté ethnique du conflit, la Cour a accrédité l’idée d’une justice à deux vitesses. En effet, tous les chefs de milices n’ont pas été poursuivis par le procureur, et la communauté Hema, de Thomas Lubanga, apparaît dès lors plus ciblée par la justice que les autres ethnies. Les avocats des victimes devaient s'exprimer après le procureur. La date à laquelle sera prononcée la peine infligée à Thomas Lubanga n'a pas encore été fixée. Les affrontements entre milices pour le contrôle du nord-est de la RDC ont provoqué la mort de 60 000 personnes depuis 1999, selon des ONG. Thomas Lubanga avait été écroué en 2006 à la Haye. L’article 78.2 dispose que « Lorsqu'elle prononce une peine d'emprisonnement, la Cour en déduit le temps que le condamné a passé, sur son ordre, en détention. Elle peut également en déduire toute autre période passée en détention à raison d'un comportement lié au crime. » Il faudrait donc déduire de la peine prononcée, les années de détention du sieur Lubanga pour savoir exactement quel nombre d’années il devra encore passer en prison. Encore que la possibilité de faire appel est offerte en ce qui concerne les décisions de culpabilité et de peine, conformément aux articles 80 et suivants du statut de Rome.
Pauline Simonet a estimé que le bilan de cour, dix ans après son entrée en fonction demeure maigre. En effet, si la juridiction de la Haye - créée en juillet 2002 - s’était fixée comme mission de poursuivre les auteurs présumés de génocides, crimes contre l'humanité et crimes de guerre à travers la planète, elle peine à remplir son devoir. "Dans le dossier Lubanga, on note de nombreuses lacunes. L’ancien milicien n’a été reconnu coupable que de l’enrôlement d’enfants alors que de nombreux massacres ont été commis par son armée. Beaucoup pointe du doigt le manque de professionnalisme de la Cour", note la journaliste. Un manque de professionnalisme intrinsèquement lié à un manque de moyens, concède cependant la spécialiste internationale. "La CPI n’a pas de police, elle est donc incapable d’arrêter les suspects. Elle dépend de la bonne volonté des pays qui ont signé le traité de Rome et reconnaissent de fait son autorité. Dans l’ensemble, son bilan est assez faible", explique-t-elle. Cet avis a été partagé par Stéphanie Maupas, pour qui la CPI n’a toujours pas réussi à être à la hauteur de ses ambitions. "Une seule condamnation en dix ans. Le constat parle de lui-même", déplore-t-elle.
III. Questions des réparations
Dans les prochaines semaines, les juges devraient ordonner des réparations en faveur des victimes. Une première, devant la justice internationale. Jusqu’ici, les tribunaux internationaux renvoyaient les victimes devant les juridictions nationales pour obtenir des réparations. Le 7 août 2012, la Cour pénale internationale a rendu sa toute première décision sur les réparations pour les victimes dans l’affaire Le Procureur contre Thomas Lubanga (Decision establishing the principles and procedures to be applied to reparations). L’article 79 du Le Statut de Rome prévoit la création d’un «Fonds au profit des victimes», mais son champ reste incertain. A défaut « d’amendes ou de biens confisqués » par le Tribunal lorsque les personnes jugées coupables auront organisé leur insolvabilité – comme Charles Taylor qui bénéficie de l’assistance judiciaire devant le Tribunal spécial de Sierra Leone – c’est la solidarité internationale qui devra jouer pour alimenter le fonds. De plus, comme l’estime le Professeur Emmanuel Decaux, un lien trop direct entre le sort des accusés et celui des victimes serait également injuste pour toutes les autres victimes anonymes, restées dans l’ombre faute de poursuites diligentées ou de preuves disponibles. Il serait particulièrement malsain que, selon les aléas de la politique internationale ou de la stratégie pénale, certaines victimes soient indemnisées et d’autres victimes soient négligées. A cet égard, passer de l’échelle individuelle du procès pénal –avec le face à face de la victime et l’accusé – au procès collectif de crimes de masse, pose des problèmes de principe et des difficultés pratiques d’une tout autre dimension. Sur ce terrain, les principes directeurs élaborés par Théo Van Boven et Chérif Bassiouni sur les formes de réparation collective sont utiles (Voir : Rapport final de Théo van Boven, Ensemble révisé de principes fondamentaux et de directives concernant le droit à réparation des victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et du droit humanitaire, E/CN.4/Sub.2/1996/17 ; et pour la Commission des droits de l’homme, rapport final de Chérif Bassiouni, Le droit à restitution, indemnisation et réadaptation des victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; E/CN.4/2000/62.)
Dans l’affaire Thomas Lubanga, la Chambre a ordonné que des propositions en matière de réparations, émanant des victimes elles-mêmes, soient recueillies par le Fonds au profit des victimes et présentées à une future chambre de première instance. Des réparations seront alors versées au moyen des ressources du Fonds disponibles à cette fin. La Chambre, composée des juges Adrian Fulford (Royaume Uni), Elisabeth Odio Benito (Costa Rica) et René Blattmann (Bolivie), a estimé qu’il est essentiel que les victimes, leurs familles et leurs communautés participent au processus de réparation et qu’elles puissent donner leur avis personnel et exposer leurs priorités. Selon la Chambre, les bénéficiaires potentiels d’une ordonnance de réparations sont les personnes qui ont directement ou indirectement subi un préjudice du fait de l’enrôlement, de la conscription et de l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans le contexte des faits survenus en Ituri, en République démocratique du Congo (RDC), entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003. Il peut s’agir également des membres de la famille de victimes directes, ainsi que de personnes intervenues pour aider les victimes ou empêcher la commission des crimes.
Les principes établis par la Chambre dans sa décision soulignent le besoin d’assurer que les mesures de réparation soient mises en œuvre sans aucun caractère discriminatoire fondé sur l’âge, l’ethnie ou le sexe, et qu’elles tendent à la réconciliation entre les enfants victimes de recrutement et leurs familles et communautés en Ituri, tout en préservant leur dignité et leur vie privée. En outre, ces mesures devraient tenir compte de l’âge des victimes et des violences sexuelles qu’elles ont pu subir, ainsi que de la nécessité de réhabiliter et réinsérer les anciens enfants soldats, afin qu’ils vivent de façon responsable au sein de leurs communautés.
La Chambre a décidé que, dans l’affaire à l’encontre de Thomas Lubanga Dyilo, les mesures de réparation doivent être mises en œuvre par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes, dans la limite toutefois des ressources dont il dispose. La Chambre a également souligné que, pour que des ordonnances de réparation aboutissent, les États parties- en particulier la RDC - et les États non parties au Statut de Rome doivent coopérer et qu’il faudra que le Fonds au profit des victimes reçoive suffisamment de contributions volontaires pour réaliser des programmes de réparation utiles et efficaces. M. Lubanga a été déclaré indigent et ne semble posséder à ce jour aucun bien ou avoir. Il peut néanmoins présenter volontairement des excuses aux victimes, de façon publique ou confidentielle. La Chambre a considéré que d’autres mesures symboliques de réparations peuvent être envisagées. En effet, la Chambre a estimé que le verdict de culpabilité et la peine prononcée à l’encontre de Thomas Lubanga constituent une réparation symbolique, compte tenu de l’importance qu’elles revêtiront probablement aux yeux des victimes, de leurs familles et de leurs communautés. Les réparations peuvent aussi prendre la forme de campagnes visant à améliorer la position des victimes, de certificats reconnaissant le préjudice subi, ainsi que d’activités de sensibilisation et d’information, de même que des programmes d’éducation qui permettent d’informer et visent à réduire la stigmatisation et la marginalisation des victimes, sans discrimination aucune.
Le Fonds au profit des victimes a été crée par l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome. Ses ressources proviennent essentiellement de contributions volontaires des Etats et de donations privées. Le Fonds au profit des victimes dispose de deux mandats. Dans son mandat d’assistance, qui ne dépend pas de l’issue des procédures judicaires devant la CPI, le Fonds assure une réhabilitation physique ou psychologique, ou encore un soutien matériel, au profit des victimes – ainsi que de leurs familles – de crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Au cours des quatre dernières années, les activités relevant du mandat d'assistance ont bénéficié à plus de 80 000 victimes, y compris en Ituri. Avec la décision de la Chambre sur les réparations, le mandat de mise en œuvre des réparations sera utilisé pour la première fois dans l’histoire du Fonds au profit des victimes.
-Le tribunal spécial pour la Sierra Léone reconnaît la culpabilité de l’ex président libérien Charles Taylor dans les exactions commises en Sierra Léone entre 1997 et 2002 (Metou Brusil Miranda)
-Le procès de Charles G. Taylor dans l’impasse ? Roland ADJOVI