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Soumis par Gouritin Armelle le 9 September 2012

Alors que les enlèvements d’enfants défraient régulièrement la chronique, l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) B. c. Belgique  du 17 juillet 2012 rappelle que l’enlèvement d’enfants fait partie de ces domaines règlementés à la fois par le droit international (Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le droit de l’Union Européenne (UE, Règlement n° 2201/2003) et le droit national.

Les cours de ces ordres normatifs sont amenées à dire le droit. Dans cette note l’attention sera portée à l’arrêt B. c/ Belgique, à la lumière du droit international (la Convention de la Haye). Des informations complémentaires seront fournies quant au droit de l’Union Européenne, et là encore le lien avec le droit international sera mis en avant.

Enlèvements d'enfants et CEDH : importance de la Convention de La Haye

 

Dans ce qui suit nous verrons que la Convention de La Haye a joué un rôle primordial dans l'examen de la CEDH. La CEDH s'est en effet lourdement fondé sur la Convention de La Haye dans la qualification d'une ingérence (l'ordre de retour), son contrôle de la base légale, du but légitime et de sa nécessité (cad proporitonnalité de l'ingérence). Il convient avant tout de brièvement exposer l'affaire et les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye.

 

L'affaire

Dans l’affaire B. Contre Belgique, la mère de nationalité belge qui vivait aux Etats-Unis avec sa fille a quitté les Etats Unis et est retournée en Belgique. Le père, de nationalité américaine et résidant aux Etats-Unis, a entamé une procédure aux Etats-Unis. Les juridictions américaines ont exigé le retour de l’enfant. La mère s’est opposée au retour de l’enfant aux Etats-Unis (entre autres car elle est susceptible d’aller en prison, du fait de l’enlèvement). A l’issue des procédures internes en Belgique, un ordre de retour a été rendu par une juridiction belge (Cour d’Appel de Gand). C’est cet ordre de retour qui a été valablement contesté par la mère devant la CEDH. La CEDH constate dans l’arrêt la violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (droit au respect de la vie privée et familiale).

« Article 8

1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Convention de La Haye : dispositions pertinentes

L’article 3 définit le déplacement illicite:

«Le déplacement ou le non‑retour d’un enfant est considéré comme illicite:

a)      lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour; et

b)      que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.»

 

L’article 12 pose le principe du retour de l’enfant:

«Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non‑retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant.»

 

L’article 13 énonce les exceptions au principe du retour de l’enfant: le risque grave auquel l’enfant serait exposé

«Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit:

a)      que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour; ou

b)      qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale.»

La Convention de La Haye fondement, base légale et but légitime de l'ordre de retour, ingérence dans la vie privée et familiale

La CEDH ayant été saisie de l'affaire par la mère, la CEDH qualifie l'odre de retour qui se fonde sur la Convention de La Haye d'ingérence avec la vie familiale. La Convention de La Haye est aussi la base légale de l'ingérence (l'ordre de retour). A cet égard, la CEDH relève que la Convention de La Haye a effet direct en droit belge.

Au-delà de la qualification de l'ingérence et de la base légale, la Convention de la Haye est aussi garante du but légitime de l'ingérence, de l'ordre de retour.En effet, la CEDH relève que la Convention de la Haye a pour but la protection du droit à la vie familiale du père et la protection de l'intérêt de l'enfant.

La Convention de La Haye, question de la nécessité de l'ordre de retour

La CEDH rappelle que son examen se fait in concreto et qu'il revient en premier lieu aux autorités nationales d'apprécier si un ordre de retour doit être adopté. Il s'agit là d'une application classique du principe de subsidiarité.

La CEDH place au centre de son raisonnement l'intérêt supérieur de l'enfant. 

La CEDH donne les deux critères de l'intérêt supérieur de l'enfant (para. 62):

- les liens entre l'enfant et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci se serait montrée particulièrement indigne

- garantir à l’enfant une évolution dans un environnement sain

 

L'examen de la CEDH est essentiellement procédural. La CEDH vérifie que les autorités nationales belges qui ont adopté l'ordre de retour ont pris en compte les éléments suivants lors du processus décisionnel (paras. 58-59, 63):

- examen adéquat des implications concrètes du retour de l'enfant (appréciation équilibrée et raisonnable des intérêts des parents et de l'enfant de l'intérêt supérieur de l'enfant)

- décision prise dans un délai raisonnable. Le facteur temps est essentiel (paras. 65 in fine et 75)

 

Ainsi, l'examen de la CEDH est essentiellement procédural: le volet procédural des garanties de l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme prend le pas sur l'aspect matériel.

Il résulte de son examen que les autorités belges n'ont pas pris en compte tous les intérêts en présence, et notamment les intérêts de la mère qui était potentiellement sous le coup d'une peine de prison aux Etats-Unis. Entre autres, la Cour d'Appel  de Gand a écarté des expertises présentées par la mère mais n'en a pas demandé de nouvelles (expertises judiciaires cette fois). Les autorités nationales n'ont donc pu valablement estimé si l'enfant courrait un danger psychique ou physique du fait du retour aux Etats-Unis.

La Cour conclut donc que l'article 8 a été violé dans son volet procédural.

Remarques

- Convergence entre CEDH et Convention de La Haye: primauté de l'intérêt de l'enfant. La jurisprudence de la CEDH (y-compris antérieure à l'arrêt B. contre Belgique) et la Convention de La Haye ont en commun qu'elles accordent à l'intérêt supérieur de l'enfant un eplace primordiale. Dans le cadre de la CEDH, cet intérêt est essentiellement garanti dans son aspect procédural.

 

- On peut mentionner que dans le cadre de cette affaire la CEDH a indiqué une mesure provisoire: le non retour de l'enfant aux Etats-Unis. Ce type de mesure provisoire est gage d'effectivité non-seulement des droits garantos par la Convention Européenne des Droits de l'Homme, mais aussi des droits garantis par d'autres textes dont la CEDH se fait le relai (ici la Convention de La Haye).

 

- S'agissant justement du droit international devant la CEDH, nous avons vu plus haut que la CEDH s'est fait le relai de la Convention de La Haye. La CDH l'expose de manière très claire (para. 56):

 

"La Cour a constamment souligné qu’en matière d’enlèvement international d’enfants, les obligations que l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats devaient être interprétées à la lumière des exigences imposées par la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant ainsi que de celles de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, tout en tenant compte de la nature différente de ces traités (...)."

Cette relation est exposée avec encore plus de clarté dans l'opinion concordante commune aux juges Tulkens et Keller. Les points 2 à 5 et 8 sont reproduits, car ils sont particulièrement éclairants (les références ne sont pas reproduites):

 

"2.  La Cour a constamment souligné que la Convention européenne des droits de l’homme ne doit pas être interprétée isolément mais en harmonie avec les principes généraux du droit international public et qu’il importe de tenir compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties », en particulier celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme.

3.  Lorsqu’un conflit entre normes relève une divergence entre la Convention et les obligations d’un autre traité international, la Cour a progressivement développé sa jurisprudence. Tout d’abord, la ratification d’un traité international n’exempte pas les Etats parties de leurs obligations qui découlent de la Convention. Ensuite, la Cour tient à harmoniser les diverses obligations auxquelles les Etats sont soumis. Enfin, elle a accepté que les obligations découlant d’une organisation internationale s’appliquent dès lors que celle-ci offre une protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie par la Convention. L’équivalence n’est pas entendue au sens d’une protection identique, mais comparable. La présomption de protection équivalente peut toutefois être renversée lorsque le droit international laisse une marge d’appréciation aux Etats, dans le cas d’une insuffisance manifeste.

4.  En matière d’enlèvement international d’enfants, les obligations que l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats doivent être examinées à la lumière des dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant qui institue en ce domaine une coopération administrative et judiciaire. Entre ces deux instruments internationaux, il n’existe un conflit qu’à première vue. Certes, la Convention de La Haye a un caractère plutôt procédural, tandis que l’article 8 de la Convention demande une approche matérielle. Toutefois, les articles 12 et 13 de la Convention de la Haye offrent la possibilité d’harmoniser les obligations différentes (voir infra, point 8).

5.  D’un point de vue institutionnel, il y a cependant une différence primordiale entre le régime de la Convention de la Haye et la Convention européenne de protection des droits de l’homme. L’application de la première relève entièrement de la responsabilité des Etats parties, tandis que la Cour européenne des droits de l’homme contrôle le respect de la Convention. Certains soutiennent à juste titre que, sans s’ériger en interprète de la Convention de La Haye, la Cour participe ainsi, d’une certaine manière, à l’efficacité et l’effectivité de celle-ci, en exerçant le contrôle international qui lui fait défaut. Il ne s’agit donc en aucune manière de vider la Convention de La Haye de sa substance mais de la renforcer.

8.  Dans l’exercice de son contrôle, il ne revient pas à la Cour de se prononcer sur l’intérêt supérieur de l’enfant et encore moins de substituer sa vision propre de l’intérêt de l’enfant à celle des juridictions internes. En revanche, le rôle de la Cour est de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions de la Convention de La Haye, les cours et tribunaux ont respecté l’ensemble des garanties de l’article 8 de la Convention. Comme elle l’a souligné dans d’autres affaires, la Cour doit favoriser les obligations de coopération tout en assurant le respect des droits fondamentaux."

 

A l'inverse, les juges Berro-Lefèvre et Karakas estiment que la CEDH a outrpassé ses compétences et n'a pas respecté le principe de subsidiarité:

"la majorité substitue clairement ses conclusions sur l’intérêt supérieur de l’enfant à celles de la cour d’appel, et se pose en définitive en juge de quatrième instance.

Nous pensons que le raisonnement minutieux et détaillé de la cour d’appel de Gand, qui, rappelons-le encore une fois, était basé sur un examen direct des faits de la cause, ne peut être considéré comme insuffisant ou arbitraire uniquement parce que nous, juges à Strasbourg, statuant sur un dossier brut, sommes d’un avis différent sur les conclusions que cette juridiction a tirées de chaque argument développé devant elle.

L’espèce est totalement différente des faits exposés dans l’arrêt Neulinger et Shuruk précité, où il est indéniable que le retour du jeune Noam en Israël aurait eu, pour lui, des conséquences graves. Contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire suisse, il existe dans l’affaire belge des décisions de juridictions américaines qui ont accordé le droit de garde au père sur sa fille (ce n’était pas le cas des juridictions israéliennes qui avaient imposé des restrictions au droit de visite de M. Shuruk), la situation du père aux Etats-Unis permet l’accueil de son enfant, il a manifesté un intérêt constant pour maintenir les liens avec sa fille (procédures engagées en ce sens, visites en Belgique), et une volonté affichée de trouver un accord avec la mère.

Malheureusement, nous avons le sentiment que la conclusion de violation basée sur la situation exceptionnelle de l’affaire suisse devient désormais la règle, en ce sens que faisant fi de l’appréciation contraire des juridictions internes sur l’absence de risque grave en cas de retour de l’enfant, la Cour a tendance, par le seul effet du passage du temps, et en se substituant auxdites juridictions, à entériner des conduites illicites (...).

Nous souhaitons à cet égard rappeler que la philosophie sous-jacente de la Convention de La Haye réside en la lutte contre la multiplication des enlèvements internationaux d’enfants. Il s’agit, une fois les conditions d’application de cette Convention réunies, de revenir au plus vite au statu quo ante en vue d’éviter la consolidation juridique de situations de fait initialement illicites, et de laisser les questions relatives au droit de garde et d’autorité parentale à la compétence des juridictions du lieu de résidence habituelle de l’enfant.

Imposer aux juridictions internes un examen en profondeur de la situation de toute la famille dans chaque cas de ce type n’a pas de sens ; il n’y aurait plus aucune différence entre les procédures de retour initiées sous l’empire de cette Convention (où une certaine célérité est exigée) et les procédures « au fond » statuant sur la garde ou le droit de visite et d’hébergement. Une telle approche reviendrait à vider la Convention de La Haye, instrument de droit international dont la Cour doit s’inspirer pour examiner l’article 8 de la Convention, tant de sa substance que de son objet premier, ce qui explique que les exceptions au retour de l’enfant doivent être d’interprétation stricte (...). Il nous paraît essentiel de souligner que le danger visé à l’article 13 de cette Convention ne doit pas seulement être constitué par la séparation d’avec le parent qui a procédé au déplacement ou au non retour illicite.

Nous notons pour terminer que les juridictions belges se sont prononcées dans un délai relativement bref de quatorze mois pour deux degrés de juridictions, avant que la Cour n’ordonne l’application de l’article 39 de son règlement jusqu’à la fin de la procédure devant la cour de cassation, qui statua moins d’un an plus tard. Ayant maintenu le bénéfice de l’article 39 par la suite, et statuant à notre tour plus de sept mois après la cour de cassation, là encore, nous entérinons, par le passage du temps, une situation illicite qui a pour conséquence de rendre lettre morte l’esprit même de la Convention de La Haye." 

Enlèvements d’enfants et droit de l’UE : aspects de droit international privé

Les aspects de droit international privé ne font pas l’objet de cette note qui se concentre sur la notion de risque grave pour l’enfant, ce à quoi s’est attachée la CEDH. En ce qui concerne les aspects de droit international privé, on peut mentionner le droit de l’UE. Les dispositions en matière d’enlèvements d’enfants du Règlement n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ont été interprétées (le plus récemment) par un arrêt du 20 juillet 2010.

Convention de la Haye et Règlement n° 2201/2003 de l’UE

Avant tout, il convient de relever que le Règlement prime sur la Convention de La Haye lorsqu’un litige tombe sous le champ d’application du Règlement et concerne deux Etats-Membres :

« Article 60

Relations avec certaines conventions multilatérales

Dans les relations entre les États membres, le présent règlement prévaut sur les conventions suivantes dans la mesure où elles concernent des matières réglées par le présent règlement: (…) e) convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants »

 

Dès le Préambule, le Règlement se réfère à la Convention de La Haye : celui-ci complète et s’appuie sur celle-là.

Considérant 17 : « En cas de déplacement ou de non-retour illicite d'un enfant, son retour devrait être obtenu sans délai et à ces fins la convention de La Haye du 25 octobre 1980 devrait continuer à s'appliquer telle que complétée par les dispositions de ce règlement et en particulier de l'article 11. Les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant a été déplacé ou retenu illicitement devraient être en mesure de s'opposer à son retour dans des cas précis, dûment justifiés. Toutefois, une telle décision devrait pouvoir être remplacée par une décision ultérieure de la juridiction de l'État membre de la résidence habituelle de l'enfant avant son déplacement ou non-retour illicites. Si cette décision implique le retour de l'enfant, le retour devrait être effectué sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure pour la reconnaissance et l'exécution de ladite décision dans l'État membre où se trouve l'enfant enlevé. »

Considérant 18 : « En cas de décision de non-retour rendue en vertu de l'article 13, de la convention de La Haye de 1980, la juridiction devrait en informer la juridiction compétente ou l'autorité centrale de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour illicites. Cette juridiction, si elle n'a pas encore été saisie, ou l'autorité centrale, devrait adresser une notification aux parties. Cette obligation ne devrait pas empêcher l'autorité centrale d'adresser également une notification aux autorités publiques concernées conformément au droit national. »

Contenu du Règlement n° 2201/2003

L’article 2§11 du Règlement n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale définit le « déplacement ou non-retour illicites d'un enfant » comme étant

« le déplacement ou le non-retour d'un enfant lorsque:

a) il a eu lieu en violation d'un droit de garde résultant d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur en vertu du droit de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour

et

b) sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l'un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l'enfant sans le consentement d'un autre titulaire de la responsabilité parentale.»

 

Les articles 10 et 11 donnent les règles en matière de juridiction compétente et de retour de l’enfant. La Convention de La Haye y est omniprésente :

« Article 10

Compétence en cas d'enlèvement d'enfant

En cas de déplacement ou de non-retour illicites d'un enfant, les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre et que

a) toute personne, institution ou autre organisme ayant le droit de garde a acquiescé au déplacement ou au non-retour

ou

b) l'enfant a résidé dans cet autre État membre pendant une période d'au moins un an après que la personne, l'institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l'enfant, que l'enfant s'est intégré dans son nouvel environnement et que l'une au moins des conditions suivantes est remplie:

i) dans un délai d'un an après que le titulaire d'un droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l'enfant, aucune demande de retour n'a été faite auprès des autorités compétentes de l'État membre où l'enfant a été déplacé ou est retenu;

ii) une demande de retour présentée par le titulaire d'un droit de garde a été retirée et aucune nouvelle demande n'a été présentée dans le délai fixé au point i);

iii) une affaire portée devant une juridiction de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites a été close en application de l'article 11, paragraphe 7;

iv) une décision de garde n'impliquant pas le retour de l'enfant a été rendue par les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites. »

 

« Article 11

Retour de l'enfant

1. Lorsqu'une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d'un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (ci-après "la convention de La Haye de 1980") en vue d'obtenir le retour d'un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d'application.

2. Lors de l'application des articles 12 et 13 de la convention de La Haye de 1980, il y a lieu de veiller à ce que l'enfant ait la possibilité d'être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n'apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité.

3. Une juridiction saisie d'une demande de retour d'un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national.

Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s'avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.

4. Une juridiction ne peut pas refuser le retour de l'enfant en vertu de l'article 13, point b), de la convention de La Haye de 1980 s'il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l'enfant après son retour.

5. Une juridiction ne peut refuser le retour de l'enfant si la personne qui a demandé le retour de l'enfant n'a pas eu la possibilité d'être entendue.

6. Si une juridiction a rendu une décision de non-retour en vertu de l'article 13 de la convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement, soit directement soit par l'intermédiaire de son autorité centrale, transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents, en particulier un compte rendu des audiences, à la juridiction compétente ou à l'autorité centrale de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. La juridiction doit recevoir tous les documents mentionnés dans un délai d'un mois à compter de la date de la décision de non-retour.

7. À moins que les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies par l'une des parties, la juridiction ou l'autorité centrale qui reçoit l'information visée au paragraphe 6 doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, conformément aux dispositions du droit national, dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification, afin que la juridiction examine la question de la garde de l'enfant.

Sans préjudice des règles en matière de compétence prévues dans le présent règlement, la juridiction clôt l'affaire si elle n'a reçu dans le délai prévu aucune observation.

8. Nonobstant une décision de non-retour rendue en application de l'article 13 de la convention de La Haye de 1980, toute décision ultérieure ordonnant le retour de l'enfant rendue par une juridiction compétente en vertu du présent règlement est exécutoire conformément au chapitre III, section 4, en vue d'assurer le retour de l'enfant. »

Arrêt C-211/10

Dans l’arrêt C-211/10  de la Cour de l’UE du 1er juillet 2010, la Cour devait interpréter le Règlement n° 2201/2003. Etaient en cause les jurisprudences allemandes et autrichiennes qui s’opposaient au retour de l’enfant déplacé en Autriche (ou en Allemagne) alors que les juridictions d’Etats Membres de l’UE attribuaient la garde de l’enfant au conjoint résidant dans un autre Etat de l’UE. Ces jurisprudences ont été condamnées par l’arrêt de la Cour de l’UE.

 

Dans cet arrêt, la Cour a conclu que

 - L’article 10, sous b), iv) du Règlement n° 2201/2003 « doit être interprété en ce sens qu’une mesure provisoire ne constitue pas une «décision de garde n’impliquant pas le retour de l’enfant», au sens de cette disposition, et ne saurait fonder un transfert de compétence aux juridictions de l’État membre vers lequel l’enfant a été illicitement déplacé. »

- L’article 11 paragraphe 8 du Règlement n° 2201/2003 « doit être interprété en ce sens qu’une décision de la juridiction compétente ordonnant le retour de l’enfant relève du champ d’application de cette disposition, même si elle n’est pas précédée d’une décision définitive de la même juridiction relative au droit de garde de l’enfant. »

- L’article 47 paragraphe 2, second alinéa, du Règlement n° 2201/2003 « doit être interprété en ce sens qu’une décision rendue ultérieurement par une juridiction de l’État membre d’exécution, qui accorde un droit de garde provisoire et est considérée exécutoire selon le droit de cet État, ne peut pas être opposée à l’exécution d’une décision certifiée, rendue antérieurement par la juridiction compétente de l’État membre d’origine et ordonnant le retour de l’enfant. »

- « L’exécution d’une décision certifiée ne peut être refusée, dans l’État membre d’exécution, au motif que, en raison d’une modification des circonstances survenue après son adoption, elle serait susceptible de porter gravement atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Une telle modification doit être invoquée devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine, laquelle devrait être également saisie d’une demande éventuelle de sursis à l’exécution de sa décision. »

 

Les points 43, 44, 56 et 58 de l’arrêt méritent d’être reproduits car ils affirment les mécanismes de la Convention de La Haye : le principe est le retour de l’enfant.

43      « À cet égard, il convient de relever que le règlement vise à dissuader les enlèvements d’enfants entre États membres et, en cas d’enlèvement, à obtenir que le retour de l’enfant soit effectué sans délai (…). »

44      « Il s’ensuit que l’enlèvement illicite d’un enfant ne devrait pas, en principe, avoir pour conséquence de transférer la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement à celles de l’État membre dans lequel l’enfant a été emmené, et ce même dans l’hypothèse où, à la suite de l’enlèvement, l’enfant aurait acquis une résidence habituelle dans celui‑ci. »

56     « La Cour a considéré que, bien qu’intrinsèquement liée à d’autres matières régies par le règlement, notamment le droit de garde, la force exécutoire d’une décision ordonnant le retour d’un enfant consécutive à une décision de non‑retour jouit de l’autonomie procédurale, afin de ne pas retarder le retour d’un enfant illicitement déplacé. Elle a également affirmé cette autonomie des dispositions des articles 11, paragraphe 8, 40 et 42 du règlement et la priorité donnée à la compétence de la juridiction d’origine, dans le cadre du chapitre III, section 4, du règlement (…). »

58      « Suivant ce mécanisme, lorsqu’une juridiction de l’État membre dans lequel l’enfant a été illicitement déplacé a adopté une décision de non‑retour en application de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, le règlement, qui affirme à son article 60 sa primauté sur cette convention dans les rapports entre les États membres, entend réserver à la juridiction compétente conformément à ce même règlement toute décision concernant l’éventuel retour de l’enfant. Ainsi, l’article 11, paragraphe 8, dispose qu’une telle décision de la juridiction compétente est exécutoire conformément au chapitre III, section 4, du règlement, en vue d’assurer le retour de l’enfant. »

 

Aussi, le point 62 de l’arrêt est relatif à un aspect vu dans la note: l’aspect temporel. La Cour de l’UE rejoint la CEDH quant à l’exigence de célérité : 

« L’objectif de célérité poursuivi par les dispositions des articles 11, paragraphe 8, 40 et 42 du règlement et la priorité donnée à la compétence de la juridiction d’origine seraient difficilement conciliables avec une interprétation suivant laquelle une décision de retour devrait être précédée d’une décision définitive sur le droit de garde. Une telle interprétation constituerait une contrainte qui obligerait éventuellement la juridiction compétente à prendre une décision sur le droit de garde, sans disposer de toutes les informations et de tous les éléments pertinents à cet effet, ainsi que du temps nécessaire pour leur appréciation objective et sereine. »

Enlèvements d’enfants et droit de l’Union Européenne : la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne 

La Charte (qui a acquis une valeur contraignante avec le Traité de Lisbonne) énonce à l’Article 24 (droits de l’enfant) deux droits pertinents en matière d’enlèvements d’enfants qui ont été évoqués dans la note: la primauté de l’intérêt de l’enfant et le droit d’entretenir des relations avec les deux parents.

 

Article 24§2: « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intéêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

 

Article 24§3: « Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »

La Cour de l’Union Européenne a, dans l’arrêt C-211/10 abordé plus haut, fait référence à la Charte (point 64) : «  l’un des droits fondamentaux de l’enfant est celui, énoncé à l’article 24, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (…), d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents dont le respect se confond incontestablement avec un intérêt supérieur de tout enfant (…). Or, force est de constater qu’un déplacement illicite de l’enfant, consécutivement à une décision prise unilatéralement par l’un de ses parents, prive, le plus souvent, l’enfant de la possibilité d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec l’autre parent (…). »

Conclusion

Dans l'affaire qui fait l'objet principal de cette note, il ne revenait pas à la CEDH d'interpréter la Convention de La Haye. La CEDH a plutôt interprété la Convention Européenne des Droits de l'Homme et les obligations afférentes à la lumière de la Convention de La Haye. L'essentiel du raisonnement de la CEDH s'attache aux garanties procédurales et à leur respect par les autorités belges qui se sont prononcées par un ordre de retour de l'enfant auprès de son père aux Etats-Unis.

Les juridictions de l'UE opèrent un contrôle bien distinct, bien qu'elles prennent également pleinement compte de la Convention de La Haye. Dans des notes antérieures il a été relevé que les juridictions de l'UE ont une approche pour le moins ambigue quant au droit international. Par exemple, elles s'arrogent la compétence de "dire le droit international", par exemple existence ou non d'une règle de nature coutumière.

Il convient de bien prendre en compte les différences entre la CEDH et les juridictions de l'UE: le moteur de ces dernières est l'intégration. En effet, l'intégration moteur des juridictions de l'UE est bien distincte du moteur de la CEDH: la protection des droits garantis. Cette différence n'est pas sans conséquence sur la façon dont les cours appréhendent le rapport entre l'ordre normatif dont elles sont issues et d'autres ordres normatifs, ici le droit international.

Annexes

Guide de bonnes pratiques, Convention-Enlèvement d'enfants: Deuxième Partie - Mise en oeuvre, 2003 (Conférence de La Haye de droit international prive - HCCH)

Convention européenne sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, Luxembourg, 20 mai 1980 (Conseil de l'Europe)

Fiche thématique "droits parentaux" avec l'essentiel de la jurisprudence de la CEDH relative aux droits des enfants et parentaux, voir plus particulièrement les références aux autres arrêts en matière d'enlèvements d'enfants (14 avec l'arrêt B. contre Belgique, et une affaire pendante), juillet 2012 (Conseil de l'Europe)

Bulletin numéro 314