Depuis l’inauguration de sa jurisprudence le 15 décembre 2009 à travers l’arrêt rendu en l’affaire Michelot Yogogombaye c. Sénégal, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (La Cour), dernière-née des juridictions internationales et régionales en matière de droits de l’homme après la Cour Européenne et la Cour interaméricaine, est confrontée à une question centrale, celle de l’accès direct à son prétoire par les individus et les Organisations Non Gouvernementales. En effet, sa jurisprudence qui est assez illustrative à ce titre (Voir en ces sens les affaires Micholot Yogogombaye c. Sénégal, Efoua Mbozo’o Samuel c. le Parlement panafricain, la Convention Nationale des syndicats du secteur de l’Education (CONASYSED) c. République du Gabon ; Ekollo Moundi Alexandre c. République du Cameroun et République Fédérale du Nigeria ; Emmanuel Joseph Uko c. République d’Afrique du Sud, Timan Amir Adam c. République du Soudan…) tend à confiner du moins pour l’instant la matière substantielle du Contentieux des droits de l’homme devant la Cour à la question de sa compétence personnelle. Le jugement rendu en l’affaire Femi Falana c. l’Union Africaine, en date du 26 juin 2012 s’inscrit dans cette perspective et se présente comme une affaire d’une importance remarquable qui fera certainement date dans la jurisprudence de la Cour tant il est vrai qu’elle marque non seulement la toute première audience publique de la Cour ; mais aussi, elle soulève la question de l’accès direct des individus et des ONG à la Cour en attaquant la légalité des dispositions de l’article 34(6) du Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples portant création de la Cour (Protocole de Ouagadougou) qui conditionne la saisine directe de ces derniers à la reconnaissance par l’Etat défendeur de la juridiction de la Cour à travers la formulation expresse d’une déclaration spéciale autorisant une telle saisine. Bien plus, cette affaire présente un tout autre intérêt non négligeable en ce sens qu’elle tranche une question fondamentale en reprécisant les contours de sa compétence personnelle, celle de savoir si une entité non étatique (en l’espèce une organisation internationale en l’occurrence l’Union Africaine) peut être attrait devant elle ?
Avant d’aller plus loin dans les subtilités des enseignements que l’affaire Femi Falana dégage, il convient de faire l’économie des faits ayant conduit à la saisine du juge d’Arusha.
M. Femi Falana (demandeur) est un citoyen de nationalité nigériane, « activiste des droits de l’homme » et avocat basé à Lagos (Nigeria). Ayant à maintes reprises essayé sans succès d’amener la République Fédérale du Nigeria à faire la déclaration spéciale de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou, portant reconnaissance de la compétence de la Cour à recevoir les requêtes individuelles, le sieur Femi Falana a décidé d’introduire une requête en date du 14 février 2011 devant la Cour contre l’Union Africaine en tant que représentant de ses 54 Etats membres ; motif pris de ce que l’exigence de la reconnaissance préalable par un Etat partie au Protocole de Ouagadougou, de la compétence de la Cour à connaître des requêtes individuelles et par voie de conséquence, à garantir l’accès direct des individus et des ONG au prétoire africain des droits de l’homme, n’est pas conforme aux dispositions des articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (La Charte) et constitue une violation de ses droits, notamment son droit de jouir des libertés reconnues par la Charte sans discrimination aucune, son droit à ce que sa cause soit entendue et son droit à un traitement équitable (§ 1, 2 & 3). Principalement, le requérant allègue que la Cour est compétente pour connaître de sa requête au motif que l’Union Africaine (défendeur) est poursuivi en tant que entité juridique propre pour le compte de ses Etats membres ; que sa requête est recevable étant donné que l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes n’opère pas en l’espèce ; qu’il a intérêt à agir et demande à la Cour de dire et de juger que l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou est nul et non avenu au regard de son incompatibilité avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte ; qu’il a qualité pour introduire une requête contre l’Union Africaine devant la Cour et surtout, demande l’annulation de l’article 34 (6) du Protocole.
Dans ses conclusions, le défendeur conteste la compétence de la Cour pour connaître de la requête introduite par le requérant, et soulève une exception préliminaire à ce sujet. Il demande ainsi à la Cour de débouter le requérant de sa requête pour défaut de compétence personnelle de la Cour et défaut de qualité du requérant à agir directement devant la Cour. la confrontation de ces divers point de vue permet de dégager la question centrale qui se posait à la Cour celle de savoir si elle est compétente pour connaître d’une requête introduite devant elle par un individu contre une entité non étatique ?
La Cour estime que l’Union Africaine ne peut pas être attrait devant elle pour le compte de ses Etats membres et décide par conséquent qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la requête introduite par le sieur Femi Falana conformément aux dispositions des articles 5 (3) et 34(6) du Protocole de Ouagadougou (§.75). Par cette décision, la Cour a eu l’occasion de repréciser le domaine de sa compétence personnelle essentiellement à l’égard du défendeur. par ailleurs, il reste tout aussi évident que cette affaire adresse la question de l’accès direct des individus au prétoire de la Cour d’une façon particulière qu’il convient de mettre en évidence.
- La reprécision du domaine de la compétence personnelle de la Cour quant au défendeur
Sur la question de la compétence personnelle de la Cour à connaître des requêtes introduites contre une entité non étatique, le requérant allègue que l’Union Africaine en tant que sujet de droit à part entière, doté de la personnalité juridique peut être poursuivi devant la Cour pour le compte de ses Etats membres en raison du fait qu’elle a adopté la Charte et le Protocole de Ouagadougou. Par cette action, le requérant soutient que l’Union africaine représente ses Etats membres et peut en conséquence répondre des actions intentées contre l’un de ses Etats membres. Le défendeur quant-à lui conteste ce mandat qui existerait entre l’Union Africaine et ses Etats membres tout en soutenant qu’elle n’est ni partie à la Charte, ni au Protocole de Ouagadougou et par voie de conséquence, ne peut répondre des obligations de ses Etats membres notamment celle de la ratification du Protocole ou de la Charte et encore moins celle de la déclaration de l’article 34 (6) du Protocole. Pour trancher cette contestation, la Cour conclut au défaut de sa compétence à connaître d’une telle requête sur la base de trois arguments essentiels.
Premièrement, elle établit très clairement que le fait que le Protocole a été adopté par l’Assemblée des Chefs d’Etats et de gouvernement ne signifie pas que l’Union Africaine est partie au Protocole de Ouagadougou et qu’elle peut par conséquent être attraite devant la Cour (§ 67 de l’arrêt).
Deuxièmement elle établit que malgré le fait que l’Union Africaine soit une organisation internationale dotée de la personnalité juridique distincte de celle de ses Etats membres (§ 68 de l’arrêt), elle ne peut répondre des obligations découlant du Protocole de Ouagadougou que si et seulement si elle est partie au Protocole. Ce qui n’est pas encore le cas. Bien plus, la personnalité juridique de l’Union Africaine n’implique pas qu’elle puisse être considérée comme représentant de ses Etats membres au titre des obligations découlant du Protocole.
Troisièmement, la Cour reconnaît que le fait que la requête soit introduite contre une entité autre qu’un Etat partie au Protocole de Ouagadougou ayant fait la déclaration préalable de l’article 34 (6) dudit Protocole échappe au domaine de sa compétence personnelle (§ 73 de l’arrêt). Seulement, les fondements textuels évoqués par la Cour pour soutenir ce raisonnement que sont les dispositions des articles 5(3) et 34 (6) du Protocole, ne sont pas appropriés en l’espèce car elles s’appliquent dans l’hypothèse d’une requête introduite par un individu ou une ONG contre un Etat partie au Protocole. Or en l’espèce l’hypothèse est celle d’une requête introduite par un individu contre une organisation internationale. En conséquence, les fondements textuels du défaut de la compétence personnelle de la Cour en l’espèce se trouvent ailleurs. Ces derniers sont fournis par les opinions séparées des juges Jean Mutsinzi et Fatsah Ouguergouz. En effet, le juge Mutsinzi affirme que “ It is my opinion that the provisions of the Protocol as a whole and Articles 3, 30 and 34 (1, 4), in particular, show that, the Respondent before this Court can only be a State party” (§ 8 opinion séparée du juge Mutsinzi). En effet, les dispositions des articles 3, 30 et 34 du Protocole identifient les Etats parties comme uniques débiteurs des obligations découlant du Protocole.
Renchérissant, le juge Fatsah Ouguergouz souligne dans son opinion séparée que « It seems to me obvious that applications may only be filed against a « State », which state as a matter of course be party to the Protocol ; this stems from both the letter and the spirit of the Protocol » (§ 9 opinion séparée du juge Ouguergouz)
C’est dire en effet, que seuls les Etats parties au Protocole de Ouagadougou peuvent être poursuivis devant la Cour. L’Union Africaine n’a pas encore manifestement qualité pour être attraite devant le prétoire africain des droits de l’homme. Cette possibilité qui est envisagée au niveau de l’Europe à travers la possibilité de permettre à l’Union Européenne d’être partie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est largement tributaire de la volonté soit des Etats parties, soit de la Cour elle-même qui conformément à l’article 35 du Protocole de Ouagadougou, peuvent proposer des amendements audit Protocole.
Toutefois, il importe de noter que les juges Sophia A.B AKUFFO, Bernard NGOEPE et Elsie N. THOMPSON ont joints une opinion dissidente au jugement de la Cour dans laquelle ils ne partagent pas la décision de la Cour selon laquelle, l’Union Africaine ne peut pas être attrait devant la Cour. Ils affirment à cet effet que « We, however, disagree with the majority judgment that the respondent could not be cited in the case before us ».
A l’appui de cette opinion dissidente, les juges évoquent une série d’arguments (§ 8 de l’opinion dissidente). D’abord, que conformément à l’avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice, le 11 avril 1949 dans l’affaire de la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies (Rec. 1949, p.174), « the right to bring international claims carries with it, as a natural legal consequence, the capacity to be sued ». Ensuite, qu’étant donné que l’Acte Constitutif de l’Union Africaine, la Charte et le Protocole de Ouagadougou reconnaissent des obligations en matière de protection des droits de l’homme à l’égard de l’Union Africaine, celle-ci a le devoir d’accomplir ces obligations indépendamment de ses Etats membres en tant que sujet de droit international. Bien plus, que la Cour, et la Commission ont été créés au sein de l’Union Africaine pour permettre à cette dernière d’accomplir lesdites obligations ; et qu’enfin, l’Union Africaine a la possibilité de solliciter un avis consultatif sur toute question concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme au terme de l’article 4 du Protocole de Ouagadougou.
Ces arguments sont certes fondés mais ne suffisent pas à objectiver l’idée selon laquelle l’Union Africaine peut être attrait devant la Cour. En effet, l’on ne saurait contester le fait qu’en tant que sujet de droit international, doté d’une personnalité juridique distincte de celle de ses Etats membres, l’Union Africaine puisse être appelé à répondre de ses obligations en matière de droits de l’homme. Seulement, elle ne peut le faire pour le compte de ses Etats membres. C’est à ce titre que le Juge Fatsah Ouguergouz relève très pertinement dans son opinion séparée, que « The African Union could only be brought before the court to answer for its own conduct. For that to happen, however, it would be necessary for it to be allowed to become a party to the Protocol and for it to be willing to do so which would require that it be beforehand allowed to accede to the African Charter and for it to have accepted to do so.”
En résumé, il importe de retenir qu’à travers l’affaire Femi Falana, la Cour reprécise les contours de sa compétence personnelle quant au défendeur. Conformément, à l’esprit et à la lettre de la Charte (articles 1, 16 alinéa 2, 18 alinéa 2 & 3, 25, 26) et du Protocole de Ouagadougou seul un Etat partie peut être attrait devant la Cour. Cela découle simplement du fait qu’en ratifiant, la Charte, les Etats prennent l’engagement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la garantie des droits qui y sont consacrés et sont ainsi comptables des cas de violations de ces droits à l’égard de leurs citoyens. Bien plus, en ratifiant le Protocole, les Etats reconnaissent la juridiction de la Cour qui reste conditionnée par le verrou procédural de la déclaration préalable de l’article 34 (6) dudit Protocole en ce qui concerne les requêtes émanant des individus ou des ONG. En effet, à partir du moment où l’auteur de la requête est soit la Commission, un Etat partie au Protocole ou une organisation intergouvernementale africaine, la clause de l’article 34(6) du Protocole n’opère pas et la compétence de la Cour est ainsi obligatoire à l’égard de l’Etat du seul fait de sa participation au Protocole (Voir Fastah Ouguergouz, La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Gros plan sur le premier organe judiciaire africain à vocation continentale, AFDI, Vol.52, 2006, p.230).
- Regards sur la question de l’accès direct des individus à la Cour à la lumière de l’affaire Femi Falana
A l’évidence, la question de l’accès direct des individus à la Cour reste une problématique cruciale dans le contentieux des droits de l’homme en Afrique. Il semble en effet que la subordination de l’accès direct de l’individu à la Cour au consentement déclaré de l’Etat relève d’un anachronisme qui traduit manifestement l’infortune du recours individuel direct devant le prétoire africain des droits de l’homme. En effet, la jurisprudence de la Cour illustre à suffisance, le blocage que constitue l’exigence de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou. En effet, à ce jour sur les 26 Etats ayant ratifié le Protocole de Ouagadougou, seuls cinq (05) Etats ont souscrit à la clause de l’article 34 (6) du Protocole. Il s’agit notamment du Burkina Faso, du Mali, du Malawi, de la Tanzanie et du Ghana). Ce nombre minoritaire démontre bien que les Etats partie au Protocole ne sont pas prompts à permettre à leurs citoyens de saisir directement la Cour. Or étant donné que la jurisprudence de la Commission illustre à suffisance le fait que son importance est largement tributaire des requêtes individuelles, il est à noter que le rôle de la Cour en matière de protection des droits dépend encore principalement de la volonté des Etats à faire la déclaration de l’article 34 (6). (Fabienne Quilléré-Majzoub in « l’option juridictionnelle de la protection des droits de l’homme en Afrique. Etude comparée autour de la création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples », Rev. Trim. dr. h. 2000, p.760)
Tout compte fait, l’affaire Femi Falana soulève la problématique de l’accès direct des individus au prétoire africain des droits de l’homme en remettant en cause la légalité de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou. En effet, le requérant demande à la Cour de dire et de juger que les dispositions de l’article 34 (6) sont incompatibles avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte. Il faut noter que la Cour ne s’est pas prononcé sur cette question car relevant du fond de l’affaire. Or ayant retenu qu’elle n’était pas compétente pour connaître de la requête du sieur Femi Felana, il n’était plus utile d’examiner l’affaire au fond.
Toutefois, les juges Sophia A.B AKUFFO, Bernard M. NGOEPE et Elsie N. THOMPSON retiennent dans leur opinion dissidente que les dispositions de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou sont incompatibles avec la Charte lorsqu’ils affirment que :
« to the extend that Article 34 (6) denies individuals direct access to the court, which access the Charter does not deny, the article far from being a supplementary measure towards the enhancement of the protection of human rights, as envisaged by Article 66 of the Charter, does the very opposite. It is at odds with the objective, language and spirit of the Charter as it disables the court from hearing applications brought by individuals against a state which has not made the declaration, even when the protection of human rights entrenched in the Charter, is at stake. We therefore hold that it is inconsistent with the charter” (§ 16 opinion dissidente).
Cette position semble critiquable tout au moins à un point de vue: conformément aux dispositions de l’article 31 alinéa1 de la Convention de Vienne du 23 Mai 1969 sur le droit des Traités, « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Suivant cette disposition en prenant en compte le sens ordinaire à attribuer aux dispositions de l’article 34(6) du Protocole de Ouagadougou, il semble que l’on ne peut soutenir l’affirmation selon laquelle « l’article 34 (6) refuse l’accès direct des individus à la Cour ». En effet, cet article dispose très clairement que « A tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l’Etat doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5 (3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5 (3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
Le sens ordinaire des termes de l’article 34 (6) du Protocole expriment simplement l’idée selon laquelle la saisine directe des individus par la Cour est conditionnée par une déclaration préalable. Celle de la reconnaissance de la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes individuelles. Elle ne saurait exprimer l’idée d’un refus de l’accès direct des individus au prétoire africain des droits de l’homme. En effet, si l’on admettait cette idée, que doit-on dire des individus ressortissant des 5 Etats qui ont déjà souscrit à la clause de l’article 34 (6) du Protocole ? Ces derniers ont sur le fondement de l’article 34 (6) du Protocole un accès direct au prétoire africain des droits de l’homme.
Le problème qui découle de la position émise par les juges sus-cités dans leur opinion dissidente relève de la mise en pratique de l’article 34 (6) qui ressort de la souveraineté des Etats. Bien plus, s’il est vrai que la lenteur avec laquelle les Etats parties au Protocole souscrivent à la clause de l’article 34 (6) du Protocole, tend à mettre en évidence le fait que cette clause constitue un véritable verrou qui déteint sur l’éfficacité de la Cour dans la protection des droits de l’homme en Afrique, il reste constant que la perception du sens ordinaire des termes de cet article ne saurait incliner à affirmer que l’article 34 (6) du Protocole « refuse » ou encore « dénie » l’accès direct des individus à la Cour.
En tout état de cause, comme le juge Ouguergouz l’a suggéré dans son opinion séparée, les voies de l’avis consultatif et de l’amendement du Protocole de Ouagadougou restent ouvertes pour adresser de manière plus formelle la question de l’accès direct des individus à la Cour sous le prisme de la clause de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou. (§ 37 opinion séparée Ouguergouz).
Sans doute, au-delà de la question de la compétence personnelle de la Cour à l’égard du défendeur et de celle de l’accès direct des individus au prétoire africain des droits de l’homme, l’affaire Femi Falana soulève d’autres questions non négligeables telles que la démarche procédurale de la Cour. En effet, la Cour tend de plus en plus à accorder un traitement contentieux complet débouchant sur des jugements face aux requêtes pour lesquelles il appert manifestement qu’elle n’est pas compétente. Cette tendance fustigée par le juge Fatsah Ougeurgouz à travers ses multiples opinions séparées jointes aux décisions de la Cour depuis l’arrêt rendu en l’affaire Michelot Yogogombaye c. Sénégal qui préconise un traitement administratif par le Greffe et un simple rejet desdites requêtes de plano par une lettre du greffe ne manque pas de pertinence surtout lorsqu’on sait que la mécanique processuelle rigoureuse aménagée par le Règlement de la Cour qui passe notamment par 05 étapes à savoir, l’examen préliminaire de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête, l’examen du caractère manifestement mal fondée de la requête, l’examen des exceptions préliminaires éventuelles, l’examen de la recevabilité à titre autonome et l’examen au fond, est de nature à filtrer les requêtes introduites devant la Cour et à discipliner les justiciables. La Cour a encore manqué d’appliquer de manière rigoureuse son Règlement à l’occasion de l’espèce Femi Falana et je juge Ouguergouz le relève à suffisance dans son opinion séparée.
Observations (Philippe Weckel)
La décision de la Cour est brève et on aurait apprécié que cette qualité inspirât aussi Rostand Banzeu dans sa présentation.
La Haute juridiction africaine aurait pu faire plus bref encore et s'économiser donc comme il le faudrait lorsque l'on a devant soi une éternité de jurisprudence à bâtir.
Elle n'est pas compétente pour examiner une requête individuelle qui n'est pas dirigée contre un Etat ayant accepté cette compétence. La Cour devait se reconnaître incompétente à raison du défaut de qualité de l'Union africaine pour se présenter devant elle en tant que défendeur. Il lui appartenait même de soulever d'office cette absence de locus standi. Elle aurait ainsi évité de prendre position sur les questions débattues devant elle. La situation de l'Union africaine par rapport aux jugements qu'elle sera amenée à rendre est un chapitre si important qu'il n'était vraiment pas opportun de l'ouvrir prématurément et sans utilité.
Une telle démarche aurait trouvé un appui solide dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (Génocide (Serbie c. Etats membres de l'OTAN).