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Soumis par Metou Brusil le 15 July 2012

Le 5 juillet 2012, le Conseil de sécurité a enfin adopté à l’unanimité la résolution 2056, présentée par la France, apportant son soutien aux efforts de la CEDEAO et de l’Union Africaine pour résoudre la crise au Mali. Cette résolution, placée sous chapitre VII de la Charte des Nations Unies, prend note des travaux de planification militaire des organisations régionales pour déployer une force de stabilisation dans le pays. Elle appelle en outre tous les Etats à coordonner leurs efforts pour lutter contre le terrorisme d’AQMI, du MUJAO et de leurs soutiens et appelle à l’adoption de sanctions. En effet, l’Union africaine avait finalement décidé de se saisir du dossier malien face à l’imbroglio diplomatique de la CEDEAO. Après s’être accaparé de la situation, l’organisation sous-régionale s’est illustrée par ses menaces et tâtonnements, incapable de restaurer l’autorité politique dans le sud du pays et la sécurité dans le nord. Pis encore, la situation n’a fait que se dégradée au fil des jours, au point où le manque de fermeté de la CEDEAO à l’égard de la junte putschiste a conduit à l’agression du président de la transition.

L’intervention du conseil de sécurité des Nations unies met à grand jour la question des rapports entre l’ONU et les organisations régionales dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Les difficultés qu’éprouve l’organisation régionale mettent ainsi en exergue la difficile conciliation et l’articulation entre l’organisation internationale universelle et l’union Africaine, spécifiquement en ce qui concerne l’ordre de priorité des questions étudiées, mais aussi le calendrier d’examen des questions inscrites à l’ordre du jour du conseil de sécurité. En fait, comment la CEDEAO pouvait-elle espérer résoudre une crise politico-institutionnelle en ménageant excessivement des personnes qui sont parvenues au pouvoir par voie anticonstitutionnelle alors même que  l’organisation continentale tente de présenter une image démocratique sur la scène internationale ? La résolution 2056 (2012) recadre la situation au Mali en montrant une fermeté vis-à-vis des auteurs du coup d’état du 22 mars 2012, indique une feuille de route à suivre pour sortir de la crise sécuritaire dans le nord et prend juste acte de la demande d’autorisation du recours à la force dans le nord Mali. Avant d’examiner un peu plu en profondeur le contenu de cette résolution, il est utile de revenir sur le contexte de cette résolution.

I.Le Contexte de la résolution 2056

Depuis le début de l’année 2012, le Mali et plus largement le Sahel sont plongés dans une crise d'une extrême gravité, qui porte atteinte à la sécurité des populations, accentue la crise humanitaire dans la région, accroît la menace terroriste, et désormais, à Tombouctou, porte atteinte au patrimoine mondial. La dégradation de la situation sécuritaire au Mali a conduit l’ancien gouvernement alors sous le président Amadou Toumani Touré à y déployer une force militaire pour assurer la sécurité sur son territoire. Vaincus par les touaregs aidés en cela par les islamistes, les forces armées régulières maliennes ont quitté le nord du pays pour perpétrer un coup d’état et destituer le président de ses fonctions, lui reprochant son incapacité à assurer la sécurité dans le pays. Cette situation a conduit le pays dans l’impasse, car au lieu de prendre des mesures pour combattre la montée islamiste, les putschistes du 22 mars ont détourné la situation à leur profit, délaissant complètement le nord entre les mains des sécessionnistes et islamistes qui y ont gagné du terrain au point de proclamer l’indépendance de cette partie du territoire malien et même de commencer à détruire les monuments historiques que regorgeait le nord Mali.

A. Les diverses actions infructueuses de la CEDEAO

Dès le début de la crise malienne, la CEDEAO s’est saisie de la question et a déployé de nombreuses actions pour parvenir à un retour à la situation normale. L’organisation sous –régionale a ainsi consacré plus de cinq sommets extraordinaires et une multitude de réunions ministérielles et techniques. En certains de ses points, les divers communiqués produits à l’issue de ces sommets laissaient clairement transparaître un certain agacement des présidents de la sous-région vis-à-vis de la situation au Mali où ils continuaient de condamner des « forces sociopolitiques marginales visant à entraver le bon déroulement de la transition ».  Pourtant, l’organisation sous-régionale a multiplié de nombreuses maladresses et ne s’est pas montré suffisamment ferme envers la junte au pouvoir. Tout en multipliant des réunions au cours desquelles des décisions et menaces de sanctions étaient diffusées, l’insécurité s’aggravait dans le nord Mali et finalement, le coup d’état a été au service du progrès des touaregs et islamistes dans le nord.

Parallèlement à cette détérioration de la situation sécuritaire, l’instabilité politique s’est aggravée et a conduit à l’agression du président de transition qui a été évacué en France, faisant du mali un Etat acéphale. Dès le 9 avril 2012, le Conseil de sécurité a adopté une déclaration à la presse appelant à la mise en œuvre immédiate de l’accord cadre signé entre la CEDEAO et les mutins. Le Conseil a par ailleurs souligné son attachement à la préservation de l’unité du Mali et rejeté toute déclaration d’indépendance de la part des rebelles. Exprimant ses inquiétudes face à l’intensification de la menace terroriste au Nord du pays, en particulier provenant d’Aqmi, il a condamné l’enlèvement de diplomates algériens à Gao. Le Conseil a réitéré son soutien aux efforts de la CEDEAO dans sa recherche d’options concrètes pour rétablir la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité du Mali.  Le 15 juin 2012, le Conseil de sécurité s’est réuni avec une délégation conjointe de l’Union africaine et de la CEDEAO pour examiner les moyens de sauvegarder l’ordre constitutionnel au Mali ainsi que l’unité et l’intégrité du pays, notamment à travers le déploiement d’une force régionale. Le 11 mai 2012, le Conseil de sécurité réuni en consultations privées a entendu M. Saïd Djinnit, Représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest, sur la situation dans la région (Voir rapport). Le Conseil a pu évoquer à cette occasion la situation au Mali.

Le 41ème sommet ordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAOà Yamoussoukro a été largement consacré à la crise malienne. Ce sommet se tenait au lendemain d’une victoire symbolique des islamistes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO) sur les combattants du MNLA à Gao. De même, les chefs d’Etat de la sous-région se rencontraient après que le MNLA ait abandonné ses dernières positions à Tombouctou. Du coup, le sommet avait lieu au moment où le péril islamiste était des plus évidents. Pour autant, on ne peut pas dire que la gravité de la situation dans le nord Mali a poussé la CEDEAO à réorienter ses positions. Les chefs d’Etat de cette organisation ont continué de tenir des discours et de menacer de recourir à la force en insistant sur le caractère inacceptable « l’enlisement » de la crise malienne. Ces menaces n’étaient nullement accompagné de la position ferme du conseil de sécurité de l’ONU, seul organe habilité à autoriser le recours à la force dans ou contre un Etat souverain. De même, à aucun moment, la CEDEAO n’a clairement établi une proposition de feuille de route de mise en œuvre de l’intervention militaire au nord Mali. Il aurait fallu pour ce faire, fournir des réponses exactes aux questions qui président au déploiement d’une force de maintien de la paix. Est-ce pour empêcher le morcellement du pays par le MNLA ? Pour protéger les populations civiles ? Pour empêcher le progrès de AQMI dans le Sahel ? Si l’on attribue une telle mission à une force de maintien de la paix, ce sera en fait pour combien de temps ? De même, en assimilant la force d’intervention à l’AMISOM, il y a une somalisation implicite du Mali, c’est-à-dire une reconnaissance de l’incapacité du gouvernement malien à assurer la sécurité sur son territoire et donc l’attribution du statut d’Etat sous perfusion, dont le maintien du statut d’Etat devient artificiel. Or si tel est le cas, pourquoi continuer de négocier pour la mise en place d’un gouvernement de transition avant même le déploiement d’une telle force. En effet, depuis le début de la crise malienne, c’est la CEDEAOqui menace de recourir à la force dans le nord-Mali alors même que le gouvernement instauré après la démission du président Toumani Touré ne s’est nullement prononcé sur le sujet. Dans ce cas, l’opération déployée devrait-elle venir en renforcement de l’armée régulière ou pour supplanter cette armée ? Décidément, l’intervention dans le nord Mali nécessite des clarifications que la CEDEAO semble ignorer dans un mouvement de précipitation et d’amateurisme. Il a donc fallu la résolution 2056 du conseil de sécurité pour recadrer le sujet de la crise malienne en droit international.

          B. Aggravation de la situation sécuritaire dans le nord     

             La poussée fondamentaliste a connu deux phases distinctes: d'abord la prise de Tombouctou, quand le mouvement Ansar Eddine a chassé le MNLA de la "cité des 333 saints" fin avril. Le groupe a alors fait régner ce qu'il estime être les préceptes de la charia: l'interdiction de l'alcool et de la télévision, le voile imposé aux femmes, etc. Après les fameux coups de fouet contre le couple adultère, les islamistes du nord du Mali ont décidé d’établir un Etat d’intégrisme islamiste de plus de 800 000 km2 sur le continent africain. Un deuxième pas a été franchi, beaucoup plus politique et symbolique, avec la destruction d'édifices religieux: le groupe fondamentaliste considère que le culte des saints n'est pas conforme à sa vision de l'islam. Les stèles des tombeaux des saints sont en effet pour eux symbole d'idolâtrie.   Le nord du Mali est aux mains des groupes islamistes Ansar Eddine, du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et de leur allié Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ils règnent en maîtres, détruisent des mausolées des saints musulmans de Tombouctou et estiment que l’islam traditionnel pratiqué au mali est impie.  

La cité a été fondée entre le XIe et le XIIe siècle, selon les documents, par des tribus touareg. Les mausolées de saints musulmans sont considérés comme des protecteurs dans la ville. "Il y a 333 saints à Tombouctou, on sait exactement où ils sont enterrés, entre les cimetières, les mausolées ou de simples tombeaux. Il y a 16 mausolées, bien construits", généralement en terre crue, "les sépultures sont là, on peut les visiter", explique, sous couvert d'anonymat, un expert malien de ces questions, originaire de la ville. Selon lui, ces personnages vénérés, qui valent à Tombouctou son surnom de "cité des 333 saints", "représentent ceux que, dans la culture occidentale, on appelle saints patrons". Il y en a qui sont sollicités "pour les mariages, pour implorer la pluie, contre la disette..." Les mausolées des saints ont une grande importance à Tombouctou et sont "des composantes essentielles du système religieux dans la mesure où, selon la croyance populaire, ils étaient le rempart qui protégeait la ville de tous les dangers", affirme l'Unesco sur son site. Ces sites, importants lieux de recueillement, sont situés en ville ou dans des cimetières en périphérie de la cité avec des tombes portant des stèles et autres insignes funéraires. La ville est également célèbre pour ses dizaines de milliers de manuscrits, dont certains remontent au XIIe siècle, et d'autres de l'ère pré-islamique. Ils sont pour la plupart détenus comme des trésors par les grandes familles de la ville. Avant la chute de Tombouctou aux mains des groupes armés, environ 30 000 de ces manuscrits étaient conservés à l'Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba (Ihediab, ex-Centre de documentation et de recherches Ahmed Baba), fondé en 1973 par le gouvernement malien. Possession des grandes lignées de la ville, ces manuscrits, les plus anciens remontant au XIIe siècle, sont conservés comme des trésors de famille dans le secret des maisons, des bibliothèques privées, sous la surveillance des anciens et d'érudits religieux. Ils sont pour la plupart écrits en arabe ou en peul, par des savants originaires de l'ancien empire du Mali.

Une avalanche de condamnations de ce comportement est venue de partout dans le monde, en commençant par l’UNESCO qui a inscrit la ville de Tombouctou au rang de patrimoine culturel de l’humanité. L'Union africaine (UA) a vivement condamné la destruction de mausolées sacrés dans la ville de Tombouctou au Mali. Dans un communiqué, l'institution panafricaine a indiqué que le président de la Commission de l'UA Jean Ping avait appris avec tristesse la destruction délibérée par des éléments armés, proclamant allégeance au groupe Ansar Dine, de plusieurs mausolées musulmans sacrés à Tombouctou, ville inscrite au Patrimoine de l'Humanité par l'Organisation des Nations unies pour l'Éducation, la Science et la Culture (UNESCO). Ce communiqué ajoute que le président condamne vivement cet acte, survenu plusieurs jours après la décision par l'UNESCO de placer Tombouctou sur la liste des sites du Patrimoine Mondial en danger. Le président a réitéré la vive préoccupation de l'UA face aux violations persistantes des droits de l'Homme et autres abus des groupes terroristes armés qui continuent d'occuper le nord du Mali.  L'UA est également préoccupée de l'aggravation de la situation humanitaire sur le terrain, a indiqué M. Ping. Il a également réaffirmé l'engagement de l'UA à collaborer avec le gouvernement malien, la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), les pays de la région, l'ONU et les autres partenaires internationaux pour contribuer à la mise en oeuvre de mesures appropriées restaurer rapidement l'autorité du Mali sur cette partie de son territoire, et pour préserver l'unité nationale et l'intégrité territoriale du pays, selon ce communiqué. De même, le Secrétaire général de l’ONU a marqué son indignation face à ce comportement. De son côté, la procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré que la destruction en cours de mausolées était "un crime de guerre" passible de poursuites de la CPI. "Mon message à ceux qui sont impliqués dans cet acte criminel est clair : arrêtez la destruction de biens religieux maintenant. C'est un crime de guerre pour lequel mes services sont pleinement autorisés à enquêter", a dit Mme Bensouda à Dakar. Elle a précisé que l'article 8 du statut de Rome portant création de la CPI stipulait que "les attaques délibérées contre des bâtiments civils non protégés qui ne sont pas des objectifs militaires constituent un crime de guerre. Cela inclut les attaques contre les monuments historiques, tout comme la destruction de bâtiments dédiés à la religion".

Face à cette situation et au regard de l’incapacité des instances africaines à saisir valablement le conseil de sécurité de la question, la France à soumis la résolution 2056 à l’organe principal en charge de maintien de la paix et de la sécurité dans le monde.

                        II.Le contenu de la résolution 2056

La résolution 2056 fixe le cadre d'une solution politique globale au Mali et témoigne de la mobilisation de la communauté internationale comme l'avait demandé la France.  La résolution fixe clairement ses attentes pour avancer dans la mise en oeuvre de la transition à Bamako. Elle rappelle l'intégrité territoriale du Mali, elle appelle tous les États à coordonner leurs efforts pour lutter contre le terrorisme.  La résolution 2056 est placée sous chapitre VII et le Conseil se déclare donc prêt à examiner la demande de la CEDEAO et de l'Union africaine et à autoriser, le moment venu, le déploiement d'une force de stabilisation au Mali dès que le Conseil aura reçu les informations complémentaires sur les objectifs et les moyens d'une telle force. Nous avons entendu au Conseil une représentante de la CEDEAO qui nous a dit que cette organisation se préparait à demander au Conseil de sécurité les autorisations nécessaires avec les informations que le Conseil a demandées.

A. Condamnation ferme du coup d’état du 22 mars 2012 et rejet de l’indépendance de l’Azawad

1.A l’unanimité de ses membres, le conseil de sécurité a, à travers la résolution  résolution 2056 (2012) par laquelle il condamne la prise du pouvoir par la force, le 22 mars 2012, par certains éléments des forces armées maliennes du Gouvernement malien démocratiquement élu. Par cette condamnation, le conseil de sécurité reste fidèle à sa logique de condamner sans ménager en aucun cas les auteurs des changements anticonstitutionnels de gouvernement. Le conseil a affiché une fermeté vis-à-vis des putschistes qui avaient alors été ménagés maladroitement dès le départ par la CEDEAO. En effet, l’organisation sous-régionale avait reconnu au président du CNDRE un statut d’ancien chef d’Etat avant de revenir très rapidement sur sa décision. Le mini sommet tenu en marge du sommet de l’UEMOA à Lomé le 6 juin 2012, a été l’occasion pour les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de réaffirmer, entre autres, « la non-reconnaissance du CNRDRE » ainsi que « de tout statut de chef d’Etat ou d’ancien chef d’Etat au capitaine Amadou Sanogo » et des avantages que ce statut procure par l’Organisation. Cela veut dire clairement que, désormais, la CEDEAO ne reconnait pas la junte comme partenaire et que pour elle, Sanogo n’est pas et n’a pas été un chef d’Etat dûment reconnu. Tout portait à croire que la CEDEAO remettait en cause, de façon indirecte, l’accord conclu avec les putschistes. Il faut souligner à cet égard le fait pour le moins curieux que ni l’organisation sous-régionale, ni même l’Union africaine, ne se soient pas référées aux divers textes juridiques condamnant fermement les changements anticonstitutionnels de gouvernement sur le continent. En ménageant les putschistes du 22 mars au mali, la CEDEAO allait, du reste, donner des idées à d’autres personnes, susciter des envies pas forcément saines sur le continent.

2.Réaffirmant son rejet catégorique des déclarations du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) relatives à une prétendue « indépendance » du nord du Mali et réaffirmant en outre qu’il considère de telles annonces comme étant nulles et non avenues, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil se déclare « également gravement préoccupé par la menace terroriste croissante dans le nord du Mali, due à la présence de membres d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ».

Eu égard à cette situation, le Conseil décide que les autorités de transition du Mali élaboreront, en concertation avec les forces politiques, y compris les représentants légitimes des régions du nord, une feuille de route pour assurer la consolidation des institutions, notamment la réorganisation des forces maliennes, le rétablissement de l’autorité de l’État sur tout le territoire du Mali et l’organisation d’une élection présidentielle dans un délai de 12 mois à compter de la signature de l’Accord-cadre pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel.

            3. Par ce texte, le Conseil exprime son plein soutien aux efforts déployés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine au Mali, avec l’appui de l’ONU et il prend note de la demande que lui ont adressé la CEDEAO et l’Union africaine afin qu’il autorise le déploiement d’une force de stabilisation de la CEDEAO pour accompagner le processus politique au mali et aider à préserver l’intégrité territoriale du pays et contribuer à lutter contre le terrorisme.  Le Conseil se déclare également prêt à examiner plus avant la demande soumise par la CEDEAO « dés qu’il aura obtenu davantage de précisions sur les objectifs, les moyens et les modalités du déploiement envisagé ».

            III.Question de l’intervention militaire au Mali

Dès le début de la gestion de la crise malienne, il se posait le problème de l’articulation entre les organismes régionaux et l’organisation universelle en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, notamment en ce qui concerne le recours à la force dans un Etat souverain. Les Etats membres de la CEDEAO s’étaient accaparés de la situation, en prenant des décisions sans se référer aux autres organisations internationales, en particulier, l’Union africaine et l’ONU. DE même, ils menaçaient de recourir à la force en faisant l’impasse sur le conseil de sécurité ou l’organe similaire de l’Union africaine, comme si cela ne dépendaient que de leur volonté agissant seul dans ce cadre. Or une telle action nécessite toujours la conjugaison d’efforts et l’approbation du conseil de sécurité. Certes, bien que l’article 53  de la Charte des Nations Unies réaffirme la primauté du Conseil de sécurité en ce qui concerne les mesures coercitives, en indiquant que le Conseil utilise les organisations régionales (ou les accords régionaux) pour l’application de ces mesures, mais qu’aucune action coercitive ne peut être engagée au niveau régional sans l’autorisation du Conseil de sécurité, il existe une exception à cette règle. Il fallait donc préalablement procéder à une lecture conforme des pouvoirs de la CEDEAO dans la région ouest-africaine avec l’Autorité du conseil de sécurité en matière e maintien de la paix et de la sécurité internationales.

A.Relecture des rapports entre l’ONU et les organisations régionales en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale

La Charte des Nations Unies  consacre spécifiquement le chapitre VIII aux organisations régionales (ainsi qu’aux accords régionaux). Dans ce chapitre est affirmée avant tout la compatibilité avec la Charte des organisations régionales et des accords régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, à condition qu’ils soient conformes aux buts et aux principes des Nations Unies (art. 52, par. 1). On le voit bien, la compatibilité avec les buts et les principes de l’ONU représente une condition de légitimité de l’action d’une organisation régionale, à plus forte raison, une organisation sous-régionale. 

Les organisations et les accords régionaux prévus par l’article 52 et suivants sont ceux qui ont une compétence en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Plus précisément l’article 52, paragraphe 1, se rapporte aux organisations et accords qui sont « destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional ». En réalité, les problèmes que pose l’existence d’une multiplicité de sujets compétents pour apprécier si une affaire se prête à une action régionale (Conseil de sécurité, organisations régionales et éventuellement Etats membres) ne peuvent trouver une solution unitaire : les solutions dépendent des différents rapports entre Conseil de sécurité, organisations régionales et Etats membres, en vertu des articles 52 et 53 et, en particulier, des pouvoirs attribués au Conseil de sécurité à l’égard des organisations régionales et des Etats membres. Il ne faut toutefois pas oublier que les solutions dépendent non seulement des rapports entre organisations régionales et Conseil de sécurité, mais des pouvoirs que ces mêmes organisations régionales ont par rapport à leurs Etats membres respectifs, aussi bien en matière de règlement des différends que de mesures coercitives. Il faut donc se référer aux normes du statut de chaque organisation pour savoir, par exemple, si celle-ci, estimant qu’une affaire se prête à son action, peut imposer aux Etats membres de la soumettre à ses propres organes ; ou bien si elle peut décider certaines mesures coercitives, obligatoires pour les Etats membres.

Les organismes régionaux, en l’occurrence la CEDEAO gardent leur autonomie, pourvu que leurs activités soient compatibles avec les buts et principes des Nations Unies (article 52 de la charte.) Rien n’empêche donc qu’une organisation sous-régionale étende son influence sur tous les domaines possibles de la collaboration pacifique entre les Etats. Cependant, lorsqu’il s’agit du recours aux mesures coercitives, l’organisme régional perd son autonomie au profit du conseil de sécurité, parce que selon l’article 53 de la charte : « Aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l’autorisation du conseil de sécurité ».  Néanmoins dans cette même hypothèse, la limitation de l’autonomie des organismes régionaux est atténuée par le devoir qu’a le conseil de sécurité « d’utiliser, s’il ya lieu, les accords ou organismes régionaux pour l’application des mesures coercitives prises sous son autorité » (article 53 ) , d’où la pertinence d’encourager les efforts entrepris par la CEDEAO  et l’Union africaine pour régler la situation au Mali depuis le coup d’Etat du 22 mars dernier. Dans l’état actuel des choses, pour qu’un Etat  puissance accepte des obligations d’assistance comportant danger de guerre, il faut qu’elle ait la conviction qu’en venant au secours de la victime, c’est sa propre défense qu’elle assure indirectement, « condition qui, manifestement, ne peut se réaliser que dans un cadre géographique limité ». (M. Bourquin, « Le problème de la sécurité internationale », RCADI, vol. 49, 1934, p. 521).

L’organisation de la sécurité collective devrait être conditionnée par l’existence d’organismes régionaux, toujours prêts à parer à toute menace contre la paix, sans qu’il y ait à devoir déclencher immédiatement et dans tous les cas le mécanisme universel. Mais cela n’est possible que si le mécanisme régional s’illustre par son efficacité et s’appuie sur des bases juridiques solidement établies lui permettant de déployer son action dans ce cas précis. La solution régionale s’est avérée inefficace dans le cas du Mali et finalement et c’est vers le conseil de sécurité, avec l’appui déterminant de la France qu’il a fallu se tourner. Les défenseurs du régionalisme africain en matière de maintien de la paix et de la sécurité sur le continent ont  ainsi reçu de plein fouet cet ‘’échec’’ de la CEDEAO et de l’Union africaine à rétablir la paix au Mali sur le fondement des instruments qu’ils ont eux-mêmes élaborés et auxquels ils ne se sont pas référés dans leurs différentes déclarations et résolutions.

            Si le revirement vers le régionalisme  a prévalu au détriment de l’universalisme dans certains cas, c’était grâce à la détermination d’éminents publicistes, rompus à la tâche et convaincus d’œuvrer pour la paix et le bien-être sur leur continent qui mettent leurs compétences au service de leurs organismes respectifs.  Or contrairement à l’Europe et à l’Amérique, le continent africain est en quête permanente d’affirmation d’une certaine autogestion des affaires continentales.  Si les frappes de l’OTAN sur la Libye du colonel Kadhafi demeurent critiquables et constituent la pomme de discorde entre l’Union africaine et le conseil de sécurité des Nations Unies, la situation au Mali  a fini par convaincre les africains eux-mêmes de leur incapacité à trouver des solutions efficientes pour la résolution des crises sur le continent. Dans tous les cas, le recours à l’universel demeure indispensable, non pas  tellement par manque de moyens matériels ou humains, mais par une sorte d’inaptitude à s’appuyer sur des bases juridiques solides pour concilier régionalisme et universalisme.

On peut considérer également que si le Conseil de sécurité estime que la procédure régionale n’est pas réellement efficace pour amener le différend à une solution pacifique (à cause de la nature spéciale du différend ou parce que, par exemple, l’organisation régionale ne garantit pas l’objectivité nécessaire), ce même différend ne fait pas partie « des affaires qui … se prêtent à une action de caractère régional ». En conséquence, l’article 52 ne serait plus applicable et le Conseil de sécurité récupérerait toute l’ampleur de ses pouvoirs de recommandation dérivant des articles 36 et 37. En réalité, c’est le Conseil de sécurité qui, dans son pouvoir discrétionnaire, peut apprécier si une procédure régionale n’est pas en mesure de conduire à la solution efficace d’une situation mettant en cause la paix et la sécurité internationale et promulguer les recommandations qui lui semblent les plus appropriées. Sur un plan plus général, il y a encore une raison pour affirmer que l’obligation de rechercher la solution d’un problème local ou sous-régional  n’empêche ni de soumettre cette même situation au Conseil de sécurité (ou à l’Assemblée générale) ni à ces organes de faire les recommandations les plus opportunes.

B. La question de la lisibilité d’une action militaire au Mali 

1.L’exigence d’une feuille de route

Sans donner son feu vert, la résolution 2056 du conseil de sécurité laisse la porte ouverte à une intervention contre les  groupes islamistes liés à Al-Qaïda. La résolution prône des sanctions contre les individus et les groupes armés associés à Al-Qaïda et soutient la CEDEAO dans ses efforts de résolution de la crise malienne. Mais le Conseil ne se prononce pas sur une intervention militaire des Etats ouest- africains, à qui il demande plus de détails sur l’opération envisagée. Cela fait plusieurs semaines déjà que les pays de la CEDEAO sont suspendus à une décision du Conseil de sécurité de l’ONU. Bien que « soutenant pleinement » leurs efforts, la résolution du Conseil de sécurité ne leur donne pas de mandat pour déployer une force africaine contre les groupes armés qui occupent le Nord-Mali. L’ONU a bien enregistré la demande de la CEDEAO demandant l’autorisation d’intervenir militairement dans le pays. Mais elle exige des  informations supplémentaires, principalement en ce qui concerne les objectifs, les moyens et les modalités de l’intervention envisagée avant d’examiner la requête plus en profondeur. La France qui a présenté la résolution, concède que le financement de l’opération militaire de la CEDEAO devait encore être discuté. Les membres du conseil de sécurité  estiment aussi que le concept de la mission et la stratégie politique visée doivent également être approfondis. La commission de la CEDEAO n’a pas tardé à réagir. Dans la foulée de la publication de la résolution de l’ONU, son président Kadre Desire Ouedraogo a annoncé l’envoi d’une mission d’évaluation technique vendredi au Mali. Elle devait y rester une dizaine de jours pour peaufiner les plans et les détails de l’opération. Les chefs des états-majors des pays de la CEDEAO se réuniront alors pour définir le concept opérationnel. Les résultats de ces travaux seront ensuite transmis à l’ONU.

2.L'indispensable ralliement des puissances sous-régionales à la cause malienne

La CEDEAO compte quinze Etats membres. Pourtant, depuis le début de la crise malienne, ce n’est que le tiers de ces membres qui se sont mobilisés pour résoudre ce problème. Même s’il existe une force d’attente de l’organisation sous-régionale, cette force est financée par tous les Etats Membres. Or la mobilisation n’a pas ratissé large et certaines puissances sous-régionales ne se sont pas prononcées sur la question. Il a fallu que les Etats-Unis mettent en garde contre une "entreprise très lourde pour la CEDEAO", qui devrait être "préparée très soigneusement et disposer de ressources en conséquence" pour que les membres de la CEDEAO activement impliqués dans la résolution de la crise malienne prennent conscience de leurs limites. En fait, la grande difficulté est que les alternatives purement locales ne sont pas légion. Alors que la Côte d’Ivoire se remet à peine de sa guerre civile, le Burkina-Faso apparaît comme un des derniers pays stables de la région, et son président, Blaise Compaoré, a été nommé médiateur de la CEDEAOau Mali. L'armée burkinabé n'a cependant pas les moyens de rétablir l'ordre constitutionnel à Bamako. Or le Mali et le Burkina-Faso ont eu un antécédent frontalier qui les a conduit devant la CIJ. Les Etats francophones de la sous-région n’ont pas mobilisé les Etats anglophones dans la résolution de la crise malienne. Or en Afrique de l’ouest, les Etats les plus stables sont les Etats anglophones, tels le Ghana et le Nigeria. De même, le Libéria n’y a pas été impliqué. Ainsi, les atermoiements de la CEDEAOet l'attentisme des autres Etats de la sous-région  laissent présager une solution a minima. Pour rétablir la paix dans le Sahel en général et au mali, il est nécessaire de coopérer avec tous les Etats de la sous-région et même du continent. La reconquête du Nord saharien ne pourra se faire sans une implication forte de l'Algérie et de la Libye, et pas seulement de la Mauritanie, du Burkina-Faso ou du Niger. En outre, le Nigeria, puissance de la sous-région ne s’est pas suffisamment investi jusqu’à présent dans cette crise, même s’il est vrai que cet Etat fait face actuellement à la montée de la secte islamiste Boko Haram. Cependant, il faudrait l’implication de cet Etat dans le cadre d’une opération de la paix cautionnée par la CEDEAO et les Nations unies au Mali. Le défi est grand et nécessite le ralliement de tous les Etats africains pour combattre durablement la montée islamiste et l’aggravation de l’insécurité sur le continent. 

 

Observations (Philippe Weckel)

Dans une situation comme celle du Mali le recours au Chapitre VII de la Charte remplit une fonction exclusivement juridique. Les décisions du Conseil ne sont pas seulement obligatoires. Elles bénéficient d'une primauté conférée par l'Article 103 qui évite tout conflit d'obligations ou de normes. La sécession du Nord est condamnée ; elle est donc hors la loi. Le Conseil décide la dissolution de la junte ; elle est donc dissoute, la discussion est close... Cette légalité d'exception déroge à toute règle nationale ou internationale autant que de besoin.

Les organisations régionales au sens du Chapitre VIII ont donc en pratique besoin de ce parapluie des résolutions du Chapitre VII dès lors que leurs décisions ont une incidence juridique : monter une opération de guerre particulièrement complexe, s'impliquer dans le fonctionnement de l'ordre politique et constitutionnel d'un Etat, etc.

Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause la capacicité des structures de solidarité africaine. Néanmoins à terme se posera la question, aussi redoutable que le poids de la colonisation : la France peut-elle abandonner Tombouctou ?

 

 

Bulletin numéro 313