La Suisse a finalement retiré le projet de résolution (en français) qu'elle avait présenté au nom des Small Five, Suisse, Liechtenstein, Singapour, Jordanie et Costa-Rica (S5), le 16 mai, le jour même où ce texte devait être examiné par l'Assemblée générale (Journal).
Dans la déclaration du Sommet mondial de 2005, les chefs d'Etat et de gouvernement ont exprimé leur volonté de réaliser une réforme de la composition et des méthodes de travail du Conseil de sécurité (A/RES/60/1) :
"153. Nous souhaitons – et c’est un élément central de la réforme générale de l’Organisation que nous menons – que le Conseil de sécurité soit réformé sans tarder, afin de le rendre plus largement représentatif, plus performant et plus transparent, ce qui accroîtra encore son efficacité, la légitimité de ses décisions et la qualité de leur mise en œuvre. Nous nous engageons à continuer à nous efforcer d’aboutir à une décision à cette fin, et nous prions l’Assemblée générale d’examiner, d’ici à la fin de 2005, les progrès accomplis sur cette voie.
154. Nous recommandons que le Conseil de sécurité continue à adapter ses méthodes de travail de façon à ce que les États qui n’en sont pas membres
participent davantage, le cas échéant, à ses travaux, à ce qu’il réponde mieux de son action devant l’ensemble des États Membres et à ce qu’il fonctionne dans une plus grande transparence".
Les Small Five se sont constitués comme une force de propositions visant de manière générale à améliorer l'interactivité entre le Conseil de sécurité et les membres extérieurs (voir). Ce groupe S5 est très actif depuis 2006 et l'introduction du projet de résolution devant l'Assemblée générale le 14 mars dernier a constitué le point d'orgue de cette initiative positive. Néanmoins le retrait du projet s'explique aisément par l'hostilité compréhensible des membres permanents du Conseil de sécurité à ce texte. Cette résolution aurait en effet constitué une ingérence de l'Assemblée générale dans les compétences du Conseil de sécurité et dans la liberté de vote des membres permanents et même dans le pouvoir de révision de la Charte.
Il est évident d'abord que l'organisation de ses méthodes de travail relève de la compétence du Conseil de sécurité qui n'est pas tenu d'en rendre compte à l'Assemblée générale. Cette règlementation prend la forme d'une note du Président (S/2010/507) plusieurs fois amendée. Ces améliorations sont le résultat d'une concertation élargie qui associe les Etats non membres du Conseil (Groupe de travail informel sur la documentation et les autres questions de procédure).
Ensuite il convient de souligner que tous les membres du Conseil de sécurité jouissent de la même liberté de vote, suivant leur préférence et sans qu'ils aient à s'en justifier. En voulant brider le veto des membres permanents on porterait atteinte en définitive au droit de vote.
I. Les recommandations au Conseil de sécurité
Annexe au projet de Résolution A/66/L.42/Rev.2 :
Le Conseil de sécurité est invité à envisager d’adopter les mesures ci-après en vue d’institutionnaliser ou d’améliorer les pratiques actuelles :
Rapports avec l’Assemblée générale et les autres organes principaux
1. Consulter les États Membres, par des moyens appropriés, en veillant à prendre en compte, dans le processus décisionnel, leur capacité de mettre en œuvre
ses décisions, en particulier lorsqu’il s’agit de renouveler des mesures qu’il a déjà prises, sans préjudice de la nécessité d’agir rapidement;
2. Lancer aux présidents des formations pays de la Commission de consolidation de la paix une invitation permanente à participer aux débats les concernant et, selon une formule appropriée, aux discussions informelles. Dans le même esprit, il devrait prendre en compte les questions de consolidation de la paix à tous les stades de ses travaux, en particulier lorsqu’il établit les mandats, en suit l’application et y met fin ;
3. Continuer de communiquer son programme de travail indicatif pour le mois suivant aux États Membres en même temps qu’à ses membres, et de tenir des
séances d’information mensuelles à l’intention de l’ensemble des États Membres, au cours desquelles sa présidence sortante fait le bilan des travaux du mois écoulé et la nouvelle présente son nouveau programme aux États Membres ;
4. Continuer d’améliorer la transparence de l’établissement de son rapport annuel, en lançant un débat informel et interactif sur la question, tant au moment de
l’établissement du rapport que de son examen par l’Assemblée générale;
5. User plus fréquemment de la possibilité que lui offre le paragraphe 3 de l’Article 24 de la Charte des Nations Unies de soumettre en temps opportun des
rapports thématiques spéciaux à l’examen de l’Assemblée générale, sur des questions qui intéressent l’ensemble des Membres, y compris à la demande de ces
derniers;
Application effective des décisions
6. Examiner des moyens possibles de déterminer dans quelle mesure ses décisions ont été effectivement appliquées, notamment en créant des groupes de
travail chargés d’étudier les enseignements tirés de l’expérience, afin de comprendre pourquoi certaines décisions n’ont pas été appliquées ou ne l’ont pas été
efficacement, et de suggérer des mécanismes qui permettraient de renforcer l’exécution de ses décisions;
Organes subsidiaires
7. Continuer d’accroître la transparence des travaux de ses organes subsidiaires, notamment en augmentant la qualité et la fréquence de leurs rapports
officiels et non officiels, en organisant à l’intention des États non membres du Conseil des séances d’information interactives sur les questions de fond, ainsi qu’en
diffusant plus largement et rapidement les comptes rendus analytiques des séances;
8. Offrir plus souvent l’occasion aux États Membres d’apporter, de façon informelle, leur contribution effective aux travaux de ses organes subsidiaires ;
9. Continuer, dans le respect des normes de garanties de procédure, d’améliorer les procédures concernant les demandes de radiation des listes de
personnes et entités visées par des sanctions;
10. Faire participer tous les membres du Conseil à la répartition des présidences de ses organes subsidiaires, afin de faire en sorte que celle-ci permette
aux travaux d’aboutir aux meilleurs résultats possibles;
11. S’efforcer d’assurer la bonne répartition entre ses membres des différents rôles de chef de file des activités par pays, d’une part, et des activités thématiques,
d’autre part;
Opérations prescrites et missions de terrain menées par le Conseil de sécurité
12. Informer les États Membres de façon plus complète des faits intéressants concernant la planification, la préparation, l’exécution et l’achèvement des
opérations, des missions politiques spéciales prescrites et des missions menées sur le terrain par le Conseil, notamment en leur donnant tôt une estimation des
incidences budgétaires;
13. Continuer d’améliorer l’élaboration des mandats des nouvelles opérations et des missions politiques spéciales créées ou autorisées par le Conseil,
notamment en définissant des objectifs et buts précis, et faire le point sur les progrès accomplis en se fondant sur des critères et des impératifs bien arrêtés de
présentation des informations;
14. Renforcer la participation des pays fournisseurs de contingents et d’effectifs de police, ainsi que celle des autres États jouant un rôle particulier dans
les opérations des Nations Unies, notamment pour leur permettre de prendre part, selon une formule appropriée, aux discussions informelles avec les membres du
Conseil, en particulier lorsque le personnel déployé court des risques importants;
Gouvernance et principe de responsabilité
15. Veiller à ce que les méthodes de travail convenues soient systématiquement appliquées, notamment en adoptant un règlement intérieur et en
faisant figurer dans son rapport annuel un chapitre analytique sur l’application de ses méthodes de travail, en se fondant en particulier sur la note de son président
16. Faire fond sur les progrès réalisés dans certains domaines thématiques et consolider ces progrès en appliquant les dispositions et principes clefs des résolutions
adoptées dans ces domaines aux activités par pays, selon qu’il conviendra;
17. Rendre plus systématique le recours à tous les mécanismes disponibles du droit international pour faire en sorte que les auteurs des crimes les plus graves
doivent répondre de leurs actes;
Désignation du Secrétaire général
18. Contribuer à la mise en œuvre des mesures prévues par l’Assemblée générale dans sa résolution 51/241 du 31 juillet 1997 concernant la désignation du Secrétaire général, notamment en tenant compte des résultats des consultations que peut tenir le Président de l’Assemblée générale;
Usage du droit de veto
Les membres permanents du Conseil de sécurité sont invités à envisager d’adopter les mesures ci-après :
19. Expliquer les raisons du recours au droit de veto ou de l’annonce de l’intention d’y recourir, en particulier sur le plan de la conformité aux buts et principes de la Charte des Nations Unies et au droit international applicable. Cette explication devrait faire l’objet d’un document distinct du Conseil de sécurité, qui serait communiqué à tous les États Membres de l’Organisation;
20. S’abstenir de recourir au droit de veto pour bloquer une décision que le Conseil pourrait prendre pour prévenir ou faire cesser un génocide, des crimes de
guerre ou des crimes contre l’humanité".
Note :
le projet initial comportait un paragraphe supplémentaire qui était manifestement contraire à la Charte :
"21. Establishing a practice, in appropriate cases, of declaring, when casting a negative vote on a draft resolution before the Council, that such a negative vote
shall not constitute a veto in the sense of Article 27, paragraph 3, of the Charter".
II. Observations sur le droit de vote des membres permanents
L'article 1er Section 7 de la Constitution des Etats-Unis confère au Président des Etats-Unis le pouvoir de renvoyer la loi adoptée (bill) aux chambres pour une nouvelle lecture. L'exercice de ce pouvoir d'objecter à la loi peut être surmonté par un vote à une majorité renforcée acquis dans les deux chambres. Cette procédure qualifiée de « veto » aurait pu, éventuellement, inspirer les rédacteurs de la Charte s'ils avaient envisagé la possibilité de contrer l'opposition de l'un des Etats membres permanents du Conseil de sécurité.
De fait, ce n'est que par assimilation que l'on parle du veto des cinq "grands". Le mot en effet ne désigne pas dans ce contexte une procédure particulière d'objection, un pouvoir spécifique d'un organe envers un autre organe, mais il vise le vote négatif qu'exprime un Etat envers un projet de décision, une résolution en l'occurrence, de l'organe collégial auquel il participe. De même, l'objection de l'un des 15 membres du Conseil de sécurité empêche-t-elle l'adoption par consensus d'une déclaration présidentielle. On pourrait aussi évoquer à ce propos un « pouvoir de veto » et ce serait assez réaliste de le faire. D'ailleurs lorsque 8 des 15 membres sont favorables à l'adoption d'un projet de résolution, le neuvième potentiel, généralement très courtisé, détient la capacité de faire adopter ou rejeter le projet. Le neuvième ne détient que le pouvoir de voter selon son choix, mais il est en capacité de déterminer l'issue du scrutin. Ainsi dans le contexte de la Charte, la question du veto se rapporte au pouvoir de voter. Or la participation aux conférences intergouvernementales et aux Organisations internationales est une prérogative souveraine et on voit mal les Etats, quels qu'ils soient, accepter de restreindre leur liberté de choix lors d'un vote dans une enceinte internationale qui est une décision de nature politique.
On voudrait interdire à un membre permanent de voter contre un projet de résolution proposé par d'autres membres, lorsque ce texte vise un génocide ou des crimes contre l'humanité. Ils seraient donc tenus de voter pour ou de s'abstenir ? Or il y a mille et une raisons de désaccord au sujet de la rédaction d'un projet. Aucune ne vaudrait lorsque le mot magique de génocide aura été prononcé. La proposition est-elle réaliste et raisonnable, ou même censée ?
Pourrait-on envisager de supprimer le privilège des membres permanents pour une catégorie de résolutions, celles qui sont relatives au génocide et aux crimes contre l'humanité ? Le Conseil peut identifier de tels crimes -comme vous et moi, en somme- mais il ne détient pas un pouvoir de les qualifier. Comment attacher des effets de droit à une telle identification ?
Il est question dans le projet des Small Five d'imposer aux membres permanents de motiver leur veto. Or ils ont la faculté aujourd'hui d'expliquer leur vote et ils en usent largement. De fait ils expliquent toujours leur position publiquement sans y être contraints et parce qu'ils en estiment le besoin. Ils avancent systématiquement de bonnes raisons pour se justifier, jamais les considérations d'intérêt national qui en réalité ont pu être déterminantes. A travers cette exigence de motivation du vote négatif voudrait-on établir un contrôle de la pertinence du choix effectué par l'Etat, voire de ses intentions cachées ?
Au demeurant une telle règle pourrait être aisément contournée. Il suffit à l'Etat concerné de présenter son propre projet de résolution auquel va naturellement sa préférence. Il n'est pas réaliste de prétendre encadrer l'exercice du droit de vote.
Plus généralement, une approche empreinte de juridisme de l'activité du Conseil de sécurité serait finalement dommageable à la gouvernance mondiale. Cette gouvernance fonctionne mal, à la fois sur le plan régional et global. La faiblesse des leadership, la crise de confiance entre les membres permanents, une certaine forme de dogmatisme souverainiste - toutes causes politiques donc- expliquent les difficultés du moment. La consécration de la "responsabilité de protéger" n'a finalement pas aidé à l'amélioration de l'action collective. En suscitant les craintes, les suspicions et la stigmatisation elle gêne son accomplissement. Bien entendu la Communauté internationale est en droit de critiquer la faiblesse du Conseil de sécurité, notamment la gestion actuelle de la crise en Syrie. La médiation de Kofi Annan est un pansement posé sur une plaie béante et personne ne se berce d'illusion sur l'évolution de la situation dans le pays. Or aucun des membres permanents n'a intérêt à l'échec de l'ONU, ni à l'affaiblissement du rôle du Conseil de sécurité. Une amélioration du fonctionnement de l'organe de maintien de la paix est certainement indispensable, mais la solution ne peut venir de l'Assemblée générale. Elle dépend finalement de la prise de conscience des nécessités et du volontarisme que sauront afficher ensemble les « cinq grands ». Au niveau régional une détermination accrue est aussi fortement attendue. Ainsi, en l'état actuel, la situation des Soudan marque l'échec cinglant de l'Union africaine et la CEDEAO est défiée par les jungles militaires qui compromettent ses projets de développement.
Des membres permanents du Conseil de sécurité, "Nous, Peuples du monde" attendons simplement qu'ils sachent travailler ensemble en confiance et avec efficacité.