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Soumis par Tavernier Julie le 17 June 2012

L’arrêt Poghosyan and Baghdasaryan v. Armenia (voir aussi le communiqué de presse), rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 12 juin 2012, est le premier à constater une violation de l’article 3 du Protocole n° 7. Cette disposition garantit le droit à une indemnisation en cas d’erreur judiciaire. A plusieurs reprises, le juge européen s’était prononcé sur la recevabilité de griefs tirés de cette disposition (voir parmi d’autres exemples Matveyev v. Russia, 29 septembre 2008, n° 26601/02) mais jamais il n’avait procédé à un examen au fond de tels griefs. Le principal apport de l’arrêt réside dans le fait que la Cour précise que l’indemnisation prévue par l’article 3 du Protocole n° 7 ne doit pas couvrir uniquement la réparation du dommage matériel mais également celle du dommage moral. Pour le reste, les développements de la Cour se résument à une redite des détails contenus dans le rapport explicatif du Protocole n° 7. Sans doute peut-on regretter que, pour cette première, la Cour ne soit pas efforcée d’en dire un peu plus sur les exigences découlant de cette disposition.

Le requérant avait été condamné à quinze années de réclusion criminelle après avoir été reconnu coupable de viol et de meurtre sur le fondement d’aveux qui lui avaient été extorqués par la force. Tout au long de la procédure, il ne cessa de clamer son innocence. Après cinq ans et demi de détention, le requérant fut libéré et sa condamnation annulée car d’une part le vrai coupable avait été retrouvé et, d’autre part, il fut établi que les aveux du requérants avaient été obtenus en violation de la loi.

Une fois la condamnation du requérant annulée, le procureur l’informa qu’il pouvait saisir les juridictions civiles d’un recours en indemnisation du préjudice subi. Le requérant demanda une indemnisation du dommage matériel découlant des mauvais traitements qui lui avaient été infligés, de sa condamnation inéquitable et de sa détention arbitraire. Le requérant demanda ultérieurement une indemnisation du dommage moral. La demande d’indemnisation du dommage matériel fut pour partie accueillie, alors que celle relative à l’indemnisation du dommage moral fut rejetée au motif que l’indemnisation ce type de dommage n’était pas envisagée par le code civil arménien.

Le requérant allègue devant la Cour EDH une violation des articles 13 (droit à un recours effectif), 3 du Protocole n° 7 (droit d’indemnisation en cas d’erreur judiciaire), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 6 (droit à un procès équitable) découlant selon lui de l’absence d’indemnisation du dommage moral subi.

Applicabilité de l’article 3P7

La lecture combinée de l’article 3 Protocole 7 et du rapport explicatif audit protocole offre une vision assez claire des conditions requises pour que cette disposition soit applicable. D’abord, la personne concernée doit avoir été déclarée coupable d’une infraction pénale par une décision définitive et avoir subi une peine à la suite d’une condamnation. Ensuite, la condamnation doit avoir été annulée, ou la grâce accordée, parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire (c’est-à-dire un défaut grave dans un procès entraînant un préjudice important pour la personne qui a été condamnée). Enfin, la non-révélation en temps utile du fait inconnu ne doit pas être imputable, en tout ou en partie, à la personne condamnée.

Toutes les conditions étant en l’espèce réunies, il ne restait qu’à établir la juridiction ratione temporis de la Cour.  En effet, les procédures ayant mené à la condamnation du requérant étaient antérieures à l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’Arménie. Cependant, l’annulation de la condamnation et les procédures d’indemnisation étant postérieures à cette date, la Cour est compétente ratione temporis pour connaître des griefs tirés de la violation alléguée de l’article 3 du Protocole n° 7.

Le respect de l’article 3 du Protocole n° 7 implique l’indemnisation du dommage moral

La Cour rappelle que si l’indemnité doit être versée « conformément à la loi ou à l’usage en vigueur dans l’Etat concerné », cela ne signifie pas qu’aucune indemnité n’est due lorsque la loi ou l’usage en vigueur ne le prévoit pas. En outre, le but de l’article 3 du Protocole n° 7 n’est pas simplement de réparer le dommage matériel causé par une condamnation injuste mais aussi de garantir aux personnes condamnées du fait d’une erreur judiciaire une indemnisation du dommage moral. Cette solution apparaît logique si on la met en perspective avec l’interprétation retenue par la Cour de la notion de « recours effectif ». En effet, pour qu’un recours soit considéré comme répondant au critère d’effectivité, il doit permettre à celui qui l’utilise d’obtenir un redressement approprié et suffisant, ce qui comprend, le cas échéant, une indemnisation du dommage moral (voir en ce sens Keenan c. Royaume-Uni, 3 avril 2001, n° 27229/95, §130 ; Apicella c. Italie, Gr. Ch., 29 mars 2006, n° 64890/01).

Selon le gouvernement défendeur, le dommage moral était suffisamment réparé par les excuses officielles adressées par courrier au requérant par le procureur général. Cette mesure de satisfaction ne peut, aux dires du requérant, ni réparer suffisamment le dommage moral subi, ni même être prise au sérieux dans la mesure où la lettre du procureur était accompagnée d’une exemplaire du Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas. Cette circonstance semble effectivement retirer à la mesure toute la solennité qui devrait la caractériser. Il n’est donc pas surprenant que la Cour n’accorde aucune attention à l’argument du gouvernement d’autant que l’article 3 du Protocole n° 7 ne prévoit pas la réparation (ce qui laisserait une certaine latitude quant à la forme que pourrait revêtir celle-ci) mais précisément l’indemnisation du dommage subi du fait d’une erreur judiciaire.

Autres articles de la Convention

La Cour conclut également à la violation de l’article 13 de la Convention du fait du défaut d’indemnisation du dommage moral découlant des mauvais traitements qui ont été infligés au requérant. Elle considère, eu égard au constat de violation de l’article 3 du Protocole n° 7, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 5§5.

Extrait de l’arrêt

« 49.  The Court reiterates that the aim of Article 3 of Protocol No. 7 is to confer the right to compensation on persons convicted as a result of a miscarriage of justice, where such conviction has been reversed by the domestic courts on the ground of a new or newly discovered fact. Therefore, Article 3 of Protocol No. 7 does not apply before the conviction has been reversed (see Matveyev v. Russia, no. 26601/02, §§ 38-39, 3 July 2008).

50.  In the present case, inasmuch as the applicant’s conviction was quashed and he applied for compensation after 1 July 2002, the date of entry into force of Protocol No. 7 in respect of Armenia, the conditions for jurisdiction ratione temporis are satisfied (ibid.). Furthermore, the Court has no doubts that this Article is applicable to the applicant’s case, all the necessary elements being in place.

51.  As regards compliance with the guarantees of Article 3 of Protocol No. 7, the Court considers that, while this provision guarantees payment of compensation according to the law or the practice of the State concerned, it does not mean that no compensation is payable if the domestic law or practice makes no provision for such compensation (see also paragraph 25 of the Explanatory Report to Protocol No. 7 to the Convention in paragraph 30 above). Furthermore, the Court considers that the purpose of Article 3 of Protocol No. 7 is not merely to recover any pecuniary loss caused by wrongful conviction but also to provide a person convicted as a result of a miscarriage of justice with compensation for any non-pecuniary damage such as distress, anxiety, inconvenience and loss of enjoyment of life. No such compensation, however, was available to the applicant in the present case.

52.  There has accordingly been a violation of Article 3 of Protocol No. 7 to the Convention.”

Bulletin numéro 309