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Soumis par Quelhas Daniela le 17 June 2012

1. Le Conseil de Sécurité et la situation au Darfour

De 2003 à 2005, d’intenses combats opposent les forces armées soudanaises - aidées par les milices janjaouites - et des rebelles luttant contre le pouvoir de Khartoum. Alarmé par l'ampleur des atrocités commises lors du conflit dans la région du Darfour, le Conseil de Sécurité dans la résolution 1564, demande au Secrétaire Général de créer une Commission internationale chargée d'enquêter sur la situation. Son rapport, publié en janvier 2005, confirme la commission de violations massives des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, notamment des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Il préconise aussi le renvoi de la situation à la Cour pénale internationale (ci-après CPI) – alors jugée par la Commission comme la seule juridiction capable de juger les principaux responsables des crimes visés. L’opposition constante des Etats-Unis et de la Chine à la CPI pousse cependant le Conseil de Sécurité à agir, dans un premier temps, dans d’autres directions. Fin mars 2005, il décide par sa résolution 1591 de compléter l’action de la Commission d’un Comité, notamment chargé de dresser une liste d’individus faisant « obstacle au processus de paix », constituant « une menace pour la stabilité au Darfour et dans la région » et violant « le droit international humanitaire », aux fins de sanctions - dont la nature et l’ampleur est dans les mains dudit Comité -. Ce même texte prévoit en outre la constitution d’un « groupe d’experts » composé de 4 personnes, chargé de soutenir le Comité du Conseil dans son action par des visites et enquêtes de terrain.

2. La Cour Pénale Internationale aux prises avec un contexte politique difficile

La persistance des violations du droit international humanitaire au Darfour, très médiatisée, pousse néanmoins le Conseil vers la solution préconisée par la Commission, à savoir le renvoi de la situation à la CPI. La Cour, qui ne possède aucun titre de compétence lui permettant de se saisir de la situation – le Soudan n’ayant pas ratifié son Statut – ne peut en effet voir sa compétence activée que par une résolution du Conseil fondée sur le Chapitre VII, comme le prévoit l’article 13 b) de son Statut. C’est finalement grâce à des abstentions chinoise et américaine que la résolution 1593 défère « au Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 ». Désormais compétent pour enquêter, le Procureur doit compter sur le soutien du Soudan, de l’Union Africaine (ci-après UA) et de tous les membres concernés pour mener à bien sa mission. Ce soutien lui sera toujours refusé par Khartoum, pour qui la saisine de la Cour est le fruit d’une décision purement politique sans lien aucun avec la justice pénale internationale, sensée être impartiale. La coopération des autres organisations ou Etats membres concernés, contrainte en principe par le jeu de l’article 25 de la Charte de l’Organisation des Nations Unies et du Chapitre VII, est fluctuante et dépend du jeu diplomatique qui se déroule en parallèle des enquêtes : les Nations Unies et l’Union Africaine agissent en effet par d’autres voies, tentant, parfois avec succès, de réunir les belligérants autour d’un processus de paix négocié dont la mise en œuvre demeure problématique. La situation au Darfour soulève donc la question des relations entre la justice pénale internationale - incarnée par la CPI - et les exigences du maintien de la paix, qui passe selon certains par la clémence vis-à-vis des criminels impliqués dans les processus de transition, et sans lesquels aucune discussion n’est considérée viable. Elle met aussi le Procureur aux prises avec la communication onusienne, désireuse de promouvoir son action, jusqu’à parfois dissimuler la persistance des crimes commis au Darfour, avec l’aide d’armes chinoises notamment.

3. Le quinzième et dernier rapport du Procureur Moreno Ocampo au Conseil : une invite à la coopération des Etats membres comme des tiers

C’est dans ce contexte politique complexe que le Procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, qui n’a jamais pu se rendre sur le terrain, a conduit son enquête sur la situation au Darfour. Tenu de présenter des rapports au Conseil de Sécurité sur l’avancement de ses travaux, il s’est exprimé pour la dernière fois sur la situation au Darfour le 5 juin dernier, 13 jours avant la fin de son mandat à ce poste. Le Secrétaire Général, citant le Procureur, dresse un constat plutôt négatif de la situation : il rappelle en effet que les mandats d’arrêts émis entre 2007 et 2012 par la Cour à l’encontre du Président soudanais en exercice M. Béchir, l’ancien chef de milice M. Ali Kushayb, l’actuel ministre de la Défense M. Mohamed Hussein et l’actuel gouverneur du Sud Kordofan M. Ahmed Haroun, n’ont pas été suivis d’effet. Ces quatre individus, pourtant inculpés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et pour l’un d’eux du crime de génocide, demeurent libres et n’ont pour l’heure pas été inquiétés. M. Ocampo, exhortant le Conseil de Sécurité à prendre des mesures pour faire arrêter les dirigeants soudanais poursuivis, a estimé que face au refus soudanais de coopérer, même des Etats tiers au statut de la CPI pourraient procéder aux arrestations. Bien que les non membres ne soient guère tenus de respecter les stipulations du Statut de la Cour, tout obstacle juridique serait levé si le Conseil adoptait une résolution fondée sur le Chapitre VII invitant ces tiers à coopérer. C’est d’ailleurs sur le fondement de la Charte et non du Statut que le Conseil a, depuis l’entrée en fonction de la Cour, suspendu ou activé les pouvoirs de son procureur, agissant chaque fois « en vertu du Chapitre VII », comme le spécifient les résolutions pertinentes.

Le Procureur, fait donc face à un Conseil doté de larges marges de manœuvre dans la mise en œuvre des stipulations du Statut de Rome. En lui suggérant avec force des mesures variées, il entend néanmoins exprimer la volonté ferme de lutter contre l’impunité au Soudan, volonté appelée à perdurer sous le mandat de Fatou Bensouda qui débute le 15 juin 2012.

 

 

Bulletin numéro 309