Voulant éviter que le Président soudanais séjourne sur son territoire, le Malawi a renoncé à accueillir le prochain sommet de l’Union africaine qui devrait se pencher sur l’élection des membres de la Commission de l’UA, sur la situation prévalant au Mali et sur bien d’autres thèmes. Conformément au règlement de l’Organisation africaine, si un sommet ne peut pas se tenir au lieu prévu, il doit se tenir au siège, à moins qu'un autre Etat demande à l'abriter. Ainsi, le 19ème sommet de l'Union africaine, après la déclaration de renoncement de la présidente du Malawi, se tiendra à Addis Abeba du 9 au 16 juillet 2012. La décision de ne plus recevoir le sommet de l’Organisation constituait la seule solution pour éviter la présence d’Omar El-Beshir au Malawi. En effet, selon une communication de la Commission de l'UA, le Malawi était tenu d’inviter tous les Présidents du continent, y compris, bien entendu, Omar El- Beshir.
Le désistement des autorités de Lilongwe s’explique par la volonté de ne pas violer les obligations internationales auxquelles le Malawi a souscrit en ratifiant la Convention de Rome instituant la Cour pénale internationale. En effet, accusé de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre au Darfour, Omar El-Beshir est, depuis 2009, sous le coup de mandats d’arrêts émis par la C.P.I. Pour l’heure, ces mandats d’arrêts sont restés inappliqués et ce, malgré les nombreux déplacements du Président soudanais dans des pays ayant pourtant intégré les dispositions conventionnelles de Rome dans leur corpus normatif. Rappelons que le Malawi a ratifié la Convention de Rome depuis 19 septembre 2002 et, qu’à ce titre, il était tenu de procéder à l’arrestation d’Omar El-Béshir si celui-ci avait foulé le territoire national. En sus, la résolution 1593 de Conseil de sécurité déférant la situation du Darfour devant la Cour impose « instamment à tous les États et à toutes les organisations régionales et internationales concernées de coopérer pleinement » avec la Cour.
En tout état de cause, la décision du Malawi apporte une preuve supplémentaire que l'inculpation de El-Béshir continue de diviser les chefs d'Etat africains. L’affaire El-Beshir polarise, en effet, de vifs antagonismes entre ceux qui sont favorables à son arrestation et ceux qui sont catégoriquement contre cette option. Pour ces derniers, l’existence d’une Cour sous la vigie des grandes puissances n’est pas un gage d’une reddition impartiale de la justice pénale. De surcroît, ils trouvent que la CPI se concentre uniquement sur les situations africaines.
A titre d’exemple, la Cour a émis quatorze mandats d'arrêt contre des ressortissants africains. Ce qui fait dire qu’«on a l'impression que la Cour pénale internationale ne vise que les Africains ».
Fondamentalement, cette décision de ne pas accueillir Omar El-Beshir rompt avec la position initiale du Malawi qui n’avait pas hésité, lors du sommet régional d’octobre 2011, de recevoir le Président soudanais. A l’époque, le chef de la diplomatie malawite arguait de l’absence d’obligation d’arrêter M. Béchir en ce qu’un chef d’Etat en poste bénéficie de l’immunité sous le droit international. Il va s’en dire que l’argument de l’immunité n’était pas recevable non seulement du point de vue du statut de Rome que du point de vue de la jurisprudence internationale pertinente en la matière. On soulignera simplement que derrière l’exigence des textes réfutant toute immunité pénale aux hauts dirigeants, l’arrestation d’un chef d’Etat à l’étranger s’avère problématique. Elle s’apparenterait à un acte de guerre qui aurait, vraisemblablement, de graves répercussions.
Sur le fond, quelles peuvent être les explications possibles du revirement de la position du Malawi à l’égard du dossier Omar El-Beshir ?
1. La volonté de ne pas s’aliéner le Conseil de sécurité
En tant que membre de la CPI et conformément à la résolution 1593, le Malawi doit, en principe, assumer sa responsabilité d’arrêter le Président soudanais. Déjà, l’abstention du Tchad et du Malawi d’exécuter les mandats d’arrêt avaient suscité des vives réactions. On se rappelle que la Chambre préliminaire I avait, dans ses décisions du 12 décembre 2011(Malawi) et du 13 décembre 2011 (Tchad), sollicité le déclenchement de l’appareil de sanction à l’encontre des Etats parties ayant méconnu leur obligation d’arrestation du Président soudanais, Omar Al-Bashir, après l’émission de mandats d’arrêt contre lui (C.P.I., Situation au Darfour, Affaire le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Chambre préliminaire I, Mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09, 4 mars 2009). A la suite du manquement par un Etat partie ou par un Etat tiers de son obligation générale de coopération, la Cour, conformément à l’article 87 du Statut de Rome, en prend acte et transfère l’affaire à l’Assemblée des Etats parties ou au Conseil de sécurité de l’ONU lorsque le renvoi lui est tributaire. Conséquemment, le mécanisme de sanction prévu au Chapitre VII de la Charte peut être déclenché par le Conseil de sécurité (Voir, CPI/ Soudan : L’inviolabilité, frein à une coopération effective ? Ndiaye Sidy Alpha).
2. La volonté de ne pas s’aliéner les bailleurs de fonds étrangers
Derrière la décision de ne pas violer leurs obligations conventionnelles en accueillant le Président soudanais, se cache également une arrière-pensée politique : celle de ne pas rompre les efforts consentis pour attirer les bailleurs de fonds étrangers. Dans un pays plus que jamais tributaire de l’aide étrangère (normalement 40 % du budget de développement du pays), le respect des obligations internationales et la bonne gouvernance sont indispensables. On peut donc comprendre que pour des raisons de politique économique nationale, le Malawi n’ait pas voulu se mettre à dos la communauté internationale. La volonté de respecter, enfin, leurs obligations conventionnelles s’inscrit vraisemblablement dans cette optique d’opportunisme économique national.
3. La volonté de ne plus nourrir la politique anti-CPI de l’UA
C’est un truisme de dire que l’UA entretient des rapports très distants avec la Cour. Plusieurs précédents l’illustrent : la demande de suspension des enquêtes dans le cadre des situations au Soudan, au Kenya et en Libye (article 16 du Statut de Rome), la condamnation des mandats d’arrêts émis contre El-Beshir et certains hauts dirigeants libyens, la proposition d’amender l’article 16 du Statut de Rome afin de permettre à d’autres organes de l’Organisation des Nations Unies de pouvoir demander la suspension des activités de la Cour en cas d’inaction du Conseil de sécurité…
Le moins que l’on puisse dire c’est que la position actuelle du Malawi constitue un véritable contre-pied à la politique anti-CPI de l’UA. De là à en déduire les prémices d’une pleine coopération avec la Cour ? Il n’y a qu’un pas…à ne sûrement pas franchir.
Chambre préliminaire i : L'Afrique à l'honneur (Prof. Philippe WECKEL, 8 mars 2009)
L'injustice de la justice ? (Prof Philippe Weckel, 8 mars 2009)
CPI/Darfour : bras de fer en perspective entre le Procureur et le Soudan quant à l’exécution des mandats d’arrêt émis pour les crimes commis au Darfour (Valérie GABARD, 17 juin 2007 Conseil de sécurité, résolution déférant la situation du Darfour à la CPI (Prof. P. WECKEL, 3 avril 2005)
CPI, ouverture d'une enquête sur le Darfour (A. SAMPO, 12 juin 2005)
CPI, liste des suspects du Darfour (A. SAMPO, 12 juin 2005)
Les juridictions pénales internationales et la coopération des Etats (R. ADJOVI, 22 octobre 2006)
Délicates poursuites de la CPI à l'encontre du président soudanais El Bashi
CPI/Soudan, venue du Président Omar Al Bashir à Djibouti : l’universalisme pénal mis à l'épreuve