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Soumis par Raach Fatma le 29 January 2012

Si Ali Abdallah Saleh a accepté de quitter le pouvoir, c’est par ce qu’il pense qu’il s’est fait immunisé en faisant adopter une loi d’amnistie qui prévoit dans son article premier que le Président de la république ainsi que toutes les personnes au sein de toutes les institutions étatiques civiles militaires ou sécuritaires ayant travaillé avec lui durant son exercice du pouvoir, bénéficient d’une immunité totale contre toutes poursuites judiciaires ou toutes les plaintes pouvant être formulées à leur encontre au Yémen ou à l’extérieur. Dans son article deuxième cette loi prévoit qu’il s’agit d’un acte de gouvernement impassible d’être attaqué.

Immuniser des personnes pour des faits punissables peut être admis, mais en fonction des faits faisant l’objet de l’amnistie.  Cette loi ne précise pas les faits amnistiés puisqu’elle est générale et prévoit une immunité contre tout type de poursuites. On comprend donc qu’elle est adoptée pour s’appliquer également aux faits commis à l’occasion de la répression des manifestations populaires au Yémen revendiquant le départ du président yéménite. Des faits qui sont passibles d’être qualifiés de crime contre l’humanité. De ce fait, cette loi d’amnistie doit être examinée à la lumière du droit international.  En effet, si les autorités d’un Etat peuvent adopter de telles mesures,  leur opposabilité aux autres Etats demeure dépendante du droit international. Elle s’apprécie par rapport aux règles du droit international pénal et du droit international humanitaire

Les crimes contre l’humanité, crimes non susceptibles d’être amnistiés

L’amnistie, définie par le dictionnaire de droit international comme étant un  « Terme de droit pénal interne désignant la mesure par laquelle le législateur décide de ne pas poursuivre les auteurs de certaines infractions ou de ne pas appliquer les condamnations […] ». Cette possibilité d’amnistier des faits ayant lieu pendant les conflits internes a été reconnue par le droit international puisque l’article 6. 5 du Protocole additionnel II aux convention de Genève de 1949 prévoit qu’ : «  A la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s'efforceront d'accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu'elles soient internées ou détenues». La question qui se pose est celle de savoir si les crimes contre l’humanité entrent ou pas dans le cadre de la mise en œuvre de cette mesure ?

Pour répondre à cette question il faut s’arrêter d’abord sur la rédaction de cet article. Un article qui ne prévoit pas une spécification des crimes amnistiables et qui semble privilégier une réconciliation nationale.

La lecture de cet article dois se faire dans l’esprit des Conventions de Genève qui incrimine certains faits commis pendant les conflits internes et internationaux et qui ne seraient donc pas favorable à une paix sans justice. L’examen des caractéristiques du crime contre l’humanité renforce cette lecture. En effet,  il s’agit d’un crime international défini par l’article 7 du Statut de Rome qui énumère des faits pouvant constituer un crime contre l’humanité lorsqu’ils sont commis de manière généralisée et systématique contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. Un crime qui fait donc partie de la compétence ratione materiae de la Cour pénale internationale, dont le préambule de son statut confirme que les Etats parties sont déterminés à mettre fin à l’impunité de crimes internationaux. Il ne serait donc pas possible de penser qu’une loi interne amnistiant des faits constitutifs de crimes contre l’humanité peut être compatible avec le droit international.

En outre, la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, 26 novembre 1968 prévoit dans son article 1 al. b que « Les crimes suivants sont imprescriptibles, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis: (…)  b) Les crimes contre l'humanité, qu'ils soient commis en temps de guerre ou en temps de paix ».

D’ailleurs, La Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Navi Pillay a déclaré que « Le droit international et les règles de l'ONU sont très clairs sur le sujet : les amnisties ne sont pas permises si elles empêchent la poursuite d'individus qui sont suspectés d'être criminellement responsables de crimes internationaux, de crimes contre l'humanité, de génocide ou de violations graves des droits de l'homme ». Elle a ajouté que « Les victimes ont le droit à la justice, à la vérité et à la réparation. Ce sont des droits qui sont établis au niveau international. Toute nouvelle législation doit respecter le principe d'égalité devant la loi, ce qui signifie qu'il ne peut pas y avoir de discrimination entre des individus pro-gouvernementaux ou de l'opposition et aucune distinction ne peut être faite sur la base de l'appartenance à une famille. Chaque individu qui commet un crime est responsable et ne devrait pas pouvoir échapper à la justice ».

La loi d’amnistie adoptée, un acte de gouvernement non susceptible de faire l’objet d’un recours en justice ?

Afin de garantir plus d’immunité, cette loi d’amnistie prévoit dans son article 2 qu’il s’agit d’un acte de gouvernement qui en peut faire l’objet de recours judiciaire. En effet, si certains actes de l’administration sont soustraits aux regards de la justice ceci ne lui accorde pas la possibilité de protéger des criminels. Surtout que les limites de la théorie de l’acte de gouvernement se trouvent aussi dans le droit international. De ce fait, un acte de gouvernement est soumis au contrôle du juge s’il est en contradiction avec le droit international. Il s’agit d’une jurisprudence que le Conseil d'État français a mis en application. De ce fait, considérer cette loi comme un acte de gouvernement ne mettra pas le président yéménite à l’abri de la justice. Toutefois, une éventuelle poursuite à l’encontre du président yéménite restera dépendante du bon vouloir de l’Etat qui l’accueille au moment de la demande d’extradition.

Observations (Philippe Weckel)

Qualifier une loi d'acte de gouvernement est un peu étrange.

Le bon vouloir de l'Etat d'accueil d'un suspect n'est certainement pas indiscutable, puisqu'il est précisément l'objet du différend qui oppose actuellement la Belgique au Sénégal devant la CIJ.

Voir la Déclaration du Président du Conseil de sécurité sur le Yémen

Déclaration à la presse du Conseil de sécurité sur la situation au Yémen (26 janvier 2012) 

Voir le point de vue très éclairant du Quai d'Orsay :

"Nous avons par ailleurs pris note du vote, en toute souveraineté, par l’assemblée yéménite du projet de loi d’amnistie le 21 janvier, qui s’inscrit dans le cadre de l’accord de transition signé le 23 novembre par les parties yéménites. Nous notons que cette loi prévoit un processus de réconciliation nationale qui doit permettre au pays de retrouver son unité et sa cohésion. La France reste attachée à ce que ce processus se fasse dans le plein respect des droits de l’Homme et de la légalité internationale, conformément à la résolution 2014 du conseil de sécurité des Nations unies".

Point de presse du 25/01/2012

 

 

 

Bulletin numéro 291