Dans cet arrêt du 21 décembre 2011, la Cour de l’Union Européenne a vérifié la validité de la Directive 2003/87 modifiée par la Directive 2008/101 (système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre) au regard du droit international. Dans le cadre d’une question préjudicielle, il était question des mesures nationales du Royaume Uni et de l’Irlande du Nord qui transposent la Directive et, de ce fait, incluent les activités aériennes dans le système d’échange de quotas à compter du 1er janvier 2012.
Plus précisément, la question soulevée concerne l’inclusion des activités de compagnies aériennes immatriculées dans un État hors de l’Union Européenne et en ce qui concerne des vols au départ d’un Etat Membre de l’Union ou qui y atterrissent tout en survolant des Etats non-Membres de l’Union ou n’étant soumis à aucune souveraineté (par exemple un vol partant de France et ayant comme destination les Etats-Unis ou vice-versa).
Dans cet arrêt la Cour rappelle le principe selon lequel l’Union est liée par le droit international. Le droit secondaire (Règlements, Directives etc) doit donc, en principe et sous certaines conditions, être en conformité avec le droit international. La Cour de l’Union est compétente pour procéder à un examen de validité du droit secondaire au regard du droit international. La Cour, après un examen du droit international conventionnel et coutumier invoqués, conclut à la conformité de la Directive avec le droit international. Cet examen appelle à des commentaires tant en ce qui concerne la forme que le fond. Cet arrêt met en lumière la spécificité du droit international de l’environnement dans ses rapports avec le droit de l’Union Européenne. Mais il convient avant tout d’exposer les principes rappelés par la Cour en ce qui concerne les rapports entre droit international et droit secondaire de l’Union, et plus précisément en ce qui concerne la légalité de ce dernier au regard du premier.
Conclusions de la Cour
Avant tout, la Cour rappelle qu’elle a compétence exclusive pour examiner la validité du droit secondaire à l’égard du droit international (§47 et §48). La Cour passe ensuite à l’examen de la validité de la Directive en cause eu égard au droit international tant conventionnel que coutumier.
Dans cet arrêt la Cour de l’UE a procédé à un examen du droit international conventionnel et du droit international coutumier pour déterminer si une norme de droit secondaire de l’UE (Directive 2008/101) était compatible avec ces normes. Son examen s’est limité à des dispositions de l’accord dit « ciel ouvert » et aux principes de droit coutumier selon lesquels chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien, aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté, et le principe de liberté de survol de la haute mer. Au passage, la Cour refuse de reconnaître au principe selon lequel les aéronefs survolant la haute mer sont soumis à la juridiction exclusive de l’État dans lequel ils sont immatriculés une valeur coutumière en droit international. 
A la suite de cet examen, la Cour conclut à la compatibilité de la Directive avec ces normes de droit international. Partant, la validité de la directive est préservée.
Droit international conventionnel
La Cour rappelle qu’en principe, « lorsque des accords internationaux sont conclus par l’Union, les institutions de l’Union sont liées par de tels accords et, par conséquent, ceux-ci priment les actes de l’Union » (para. 50). Partant, si un acte de l’Union est incompatible avec le droit international en question, l’acte de l’Union n’est pas valide.
Néanmoins, l’examen de compatibilité n’est pas « automatique » : la Cour doit d’abord vérifier si le droit international en cause remplit certains critères. L’Union doit être liée par ces règles (para. 52), la nature et l’économie du traité international ne s’opposent pas à l’examen d validité (para. 53), lorsque le critère précédent est rempli, les dispositions du traité en cause doivent être du point de vue de leur contenu inconditionnelles et suffisamment précises (para. 54). Ce sera le cas lorsque « la disposition invoquée comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur » (para. 55).
Dans son arrêt, la Cour a jugé de la conformité de la Directive avec les dispositions de l'Accord “ciel ouvert” (accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis d'Amérique, d'autre part) invoquées. Les autres textes internationaux ont été rejetés par la Cour sur la base des critères posés par sa jurisprudence (Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale du 7 décembre 1944 et Protocole de Kyoto).
La Cour conclut à la conformité de la Directive avec les dispositions invoquées de l’accord “ciel ouvert”.
Droit international coutumier
Parmi les quatre principes de droit international coutumier, seuls trois ont été retenus par la Cour comme fondement de son contrôle de conformité : le principe selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien, le principe selon lequel aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté, et le principe de liberté de survol de la haute mer (paras. 103-105). La Cour rappelle que l’Union est liée par le droit international coutumier (para. 101). Son analyse se fait en deux temps. D’abord, la Cour examine si les principes invoqués sont « reconnus comme faisant partie du droit international coutumier ». Ensuite et si la réponse est positive la Cour détermine « si et dans quelle mesure lesdits principes peuvent être invoqués par les justiciables pour mettre en cause la validité d’un acte de l’Union » (para. 102). A cet égard, deux conditions doivent être remplies pour que la validité du droit de l’Union soit vérifiée à l’aune du droit international coutumier : les principes coutumiers doivent être susceptibles de mettre en cause la compétence de l’Union pour adopter ledit acte et l’acte en cause doit être susceptible d’affecter des droits que le justiciable tire du droit de l’Union ou de créer dans son chef des obligations au regard de ce droit (para. 107). Dans son analyse des trois principes reconnus comme ayant valeur coutumière et sur la question de savoir si le législateur de l’Union avait compétence pour adopter la Directive, la Cour se limite à un contrôle restreint quant à la compétence de l’Union pour adopter la Directive. La Cour conclut au respect du droit international coutumier par la Directive.
Commentaires
Droit de l’environnement : concurrence entre ordres juridiques
La question des rapports entre droit international de l’environnement et droit de l’Union Européenne peut donner lieu à des solutions distinctes. Dans l’arrêt objet de la note, la validité du droit de l’Union est examinée au regard du droit international. Les rapports entre droit international et droit de l’Union peuvent revêtir d’autres formes.
D’autre part, le droit international peut être reconnu comme étant une source du droit de l’Union Européenne. Le droit international comme source du droit de l’UE apparait régulièrement dans les affaires portées devant la Cour de l’UE. C’est par exemple le cas dans le récent arrêt de la Cour dans l'affaire C-347/10 A. Salemink / Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen (17 janvier 2012). Dans cet arrêt et au sujet du plateau continental, la Cour opère un renvoi au droit de la mer (Convention de Montégo Bay).
Par ailleurs, le droit international est aussi parfois écarté au profit de l’application du droit de l’Union. C’était par exemple le cas de l’arrêt dans l’affaire de la Commune de Mesquer du 24 juin 2008, là encore une question préjudicielle. La Cour y avait conclu que : “s’il s’avère que les coûts liés à l’élimination des déchets générés par un déversement accidentel d’hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par le Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou ne peuvent l’être en raison de l’épuisement du plafond d’indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d’un État membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l’affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme de l’article 15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. (…)”
Dimension extraterritoriale du droit de l’environnement
La Cour apporte une précision importante en ce qui concerne l’application extraterritoriale de sa législation qui a vocation à protéger l’environnement au paragraphe 129:
« Par ailleurs, le fait que, dans le cadre de l’application de la réglementation de l’Union en matière d’environnement, certains éléments contribuant à la pollution de l’air, de la mer ou du territoire terrestre des États membres trouvent leur origine dans un évènement qui se déroule en partie en dehors de ce territoire n’est pas de nature, au regard des principes du droit international coutumier pouvant être invoqués dans l’affaire au principal, à remettre en cause la pleine applicabilité du droit de l’Union sur ledit territoire (…). »
Il semble que la Cour ouvre la porte à l’application extraterritoriale de la législation de l’Union lorsque l’origine de la pollution se situe à l’extérieur du territoire des Etats Membres de l’Union.
La question soulevée est celle du champ d’application de la législation environnementale de l’Union à des activités menées sur son territoire par des opérateurs qui ne sont pas enregistrés sur son territoire. Cette question est très polémique et plusieurs voix s’élèvent pour que (par exemple) les produits vendus au sein de l’Union respectent les critères environnementaux et sociaux de l’Union. Il est soutenu par certains qu’à défaut les opérateurs relevant de la juridiction d’un état tiers bénéficient d’un avantage concurrentiel du fait de standards environnementaux et sociaux plus faibles. A cet égard, là encore l’arrêt de la Cour est source d’enseignements, et notamment au paragraphe 128:
« Quant à la circonstance que l’exploitant d’un aéronef se trouvant dans une telle situation est tenu de restituer des quotas calculés au regard de l’ensemble du vol international que son aéronef a effectué ou va effectuer au départ ou à l’arrivée d’un tel aérodrome, il y a lieu de rappeler que, la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement visant à assurer un niveau de protection élevé conformément à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, le législateur de l’Union peut en principe faire le choix de n’autoriser l’exercice sur son territoire d’une activité commerciale, en l’occurrence le transport aérien, qu’à la condition que les opérateurs respectent les critères définis par l’Union et tendant à remplir les objectifs qu’elle s’est assignés en matière de protection de l’environnement, notamment lorsque ces objectifs s’inscrivent dans le prolongement d’un accord international auquel l’Union a souscrit, tel que la convention-cadre et le protocole de Kyoto. »
Le lien entre profit et obligations (internationales ?)
A la fin, il est question dans cet arrêt de responsabilité pour pollutions environnementales. La Directive en cause dans cet arrêt met en place un instrument qui se fonde sur le marché pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et la question préjudicielle concerne plus précisément la participation des activités aériennes à l’émission de gaz qui causent les changements climatiques. Dans l’arrêt du 17 janvier 2012 mentionné plus haut il est aussi question de responsabilité. De façon extrêmement claire, la Cour y fait au paragraphe 36 le lien entre les profits générés par une activité (potentiellement) polluante et les obligations (responsabilités) inhérentes :
“ L’État membre qui tire profit des prérogatives économiques d’exploration et/ou d’exploitation des ressources exercées sur la partie du plateau continental qui lui est adjacente ne saurait ainsi se soustraire à l’application des dispositions du droit de l’Union visant à garantir la libre circulation des travailleurs exerçant leur activité professionnelle sur de telles installations.”
Le lien entre profit et obligations (et responsabilité si celles-ci sont violées) est rarement exprimé de façon si claire que ce soit dans le droit écrit ou coutumier. Si ce lien était réaffirmé de façon aussi claire, il pourrait être le support de nouvelles obligations liant les personnes privées comme publiques tant au niveau du droit de l’Union Européenne qu’au niveau du droit international.
Protocole de Kyoto, droits et obligations des personnes privées
Dans cet arrêt, la Cour a une lecture du protocole de Kyoto qui en rejette toute dimension individuelle.
Para. 76 « En particulier, l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, mentionné par la juridiction de renvoi, prévoit que les parties à celui-ci cherchent à limiter ou à réduire les émissions de certains gaz à effet de serre provenant des combustibles de soute utilisés dans les transports aériens en passant par l’intermédiaire de l’OACI. Ainsi, ladite disposition, quant à son contenu, ne saurait en tout état de cause être considérée comme revêtant un caractère inconditionnel et suffisamment précis de manière à engendrer pour le justiciable le droit de s’en prévaloir en justice en vue de contester la validité de la directive 2008/101. »
L’Opinion de l’Avocate Général Mme Kokott est encore plus claire à cet égard :
Para. 82 « On peut certainement considérer que les mesures de protection du climat prises par les parties contractantes dans le cadre du protocole de Kyoto produiront des effets à moyen et long terme en faveur des particuliers, en ce qu’elles visent à préserver l’environnement. Il est également vraisemblable que certaines des mesures prises impliqueront des contraintes pour les particuliers. De tels effets n’ont cependant qu’une nature indirecte. Ni la convention cadre ni le protocole de Kyoto ne contiennent de dispositions concrètes susceptibles d’affecter directement la situation des particuliers. Tout au plus trouve-t-on quelques références générales à l’ «humanité» et aux «hommes» dans ces instruments juridiques. »

Il convient de relever que le Comité Européen des Droits Sociaux a une toute autre lecture. Dans sa Décision sur le bien-fondé dans l’affaire Fondation Marangopoulos pour les Droits de l’Homme (FMDH) c. Grèce du 6 décembre 2006, le Comité fait le lien entre Protocole de Kyoto et le droit à la protection de la santé garanti à l’article 11 de la Charte sociale européenne (paras. 205-207). Au passage, on peut aussi noter que le Comité relève que le droit à la protection de la santé garantit le droit à un environnement sain.
Changements climatiques et sécurité internationale (Chassin Catherine-Amélie)
Dossier Spécial : Climat, la Conférence de Durban (2011)
Dossier spécial: Sommet de Copenhague, 7-18 décembre 2009: défi climatique, défi diplomatique
Conférence de Bali: renforcement de la Convention sur les changements climatiques et indispensable préparation de l'après Kyoto
Protocole de Kyoto: instrument de la lutte internationale contre les changements climatiques (Anne Rainaud)
La République de Palau propose que l’Assemblée générale de l’ONU saisisse la CIJ d’une demande d’avis consultatif sur les responsabilités internationales de l’Etat en cas de dommages causés par les émissions de gaz à effet de serre du fait d’activités menées sur son sol (Djimgou Djomeni Michel)