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Soumis par Metou Brusil le 29 January 2012

Les juges de la Cour pénale internationale ont confirmé le 23 janvier 2011 les charges contre quatre Kényans, dont deux candidats à la présidentielle de 2013, soupçonnés de crimes contre l'humanité lors des violences post-électorales de 2007-2008, ouvrant la voie à des procès. Les juges ont ainsi décidé de juger, dans des procès différents, des membres des deux camps qui s'étaient affrontés lors des violences qui avaient fait quelque 1. 200 morts et plus de 600. 000 déplacés après la réélection contestée du président Mwai Kibaki, et qui se partagent désormais le pouvoir. Dans son rendu, la juge de la Cour pénale internationale, Ekaterina Trendafilova, a indiqué qu'il y avait des charges suffisamment sérieuses contre le vice-Premier ministre et ministre des Finances, Uhuru Kenyatta, l'un des fils du père de l'indépendance kényane et candidat à la prochaine présidentielle.

 

1.Retour sur les faits

Les affrontements avaient opposé le Parti national unifié de Mwai Kibaki, vainqueur de la présidentielle, aux partisans du principal parti d'opposition, le Mouvement démocratique orange, du premier ministre Raila Odinga. L'accusation avait demandé que des responsables des deux camps soient jugés pour les violences. Les violences post-électorales avaient fait quelque 1.200 morts et plus de 600.000 déplacés après la réélection contestée du président Mwai Kibaki, et qui se partagent désormais le pouvoir. Les émeutes entourant la réélection controversée kényan Mwai Kibaki ont tourné aux affrontements ethniques, et fait sortir de leur torpeur les chancelleries occidentales. Les violences ont opposé partisans de l'opposition et supporters de Kibaki, mais aussi la police et les manifestants. Près de 1 100 personnes avaient été tuées et plusieurs centaines de milliers -dont certaines ne sont toujours pas relogées aujourd'hui- ont été obligées de fuir leur foyer au cours des affrontements qui ont suivi la publication des résultats des élections de 2007. Les responsables des deux partis, PNU et MDO, qui revendiquaient chacun la victoire, avaient été soupçonnés très tôt d'avoir, si ce n'est armé, organisé les attaques entre partisans ou supposés partisans, visant  ainsi des populations d'ethnies spécifiques.

Inquiète de cette spirale meurtrière, la communauté internationale, de l’union européenne aux Etats-Unis et aux pays africains, a de nouveau appelé mardi à la concertation et au dialogue le président réélu Mwai Kibaki, et le chef de l'opposition Raila Odinga qui l'accuse de fraudes (Voir un document émanant d’un correspondant du Monde à Nairobi).  Le procureur général de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo avait ouvert en 2010 une enquête sur ces violences politico-ethniques, puis lancé deux procédures distinctes visant les membres du parti de l'actuel chef de l'État Mwai Kibaki et les perdants de l'opposition. Le gouvernement kényan avait fait objection aux procédures de la CPI en assurant que l'adoption d'une nouvelle Constitution et d'autres réformes lui permettraient d'engager ses propres poursuites. Or pour les juges d'appel de la Cour pénale internationale (CPI), le Kenya n'a pas assez fait la preuve qu'il enquêtait lui-même sur les six suspects visés par la Cour. Il ne suffit pas d'être « prêt » à enquêter, disent-ils, visiblement peu convaincus par les arguments du gouvernement kényan.

Dès lors, il ne semblait plus opportune que la CPI abandonne ses poursuites. Lors d'une première audience de confirmation des charges, du 1er au 12 septembre 2011, l'accusation avait présenté ses éléments de preuve contre l'ancien ministre kenyan William Ruto, 45 ans, candidat potentiel à l'élection présidentielle de 2013, l'ancien ministre de l'Industrialisation Henry Kosgey, 64 ans, et le présentateur de radio Joshua Arap Sang, 36 ans. P Trois des suspects devaient se rendre à La Haye à cette fin, notamment le groupe de l'ex-ministre William Ruto, démis de ses fonctions. Avec lui, le député Henry Kosgey, et un journaliste. Tous trois partisans du Premier ministre Raila Odinga, étaient soupçonnés de meurtres, transfert forcé de populations et persécutions dans les mois qui ont suivi la réélection contestée du président Kibaki fin 2007. Une seconde audience de confirmation de charges, contre le vice-Premier ministre kényan Uhuru Kenyatta, 50 ans, également candidat potentiel à l'élection présidentielle de 2013 et ministre kényan des Finances, Francis Muthaura, 65 ans, bras droit du président du Kenya Mwai Kibaki, et Mohammed Hussein Ali, 56 ans, chef de la police à l'époque des faits, s'était tenue du 21 septembre au 5 octobre 2011


 

2.Les inculpés

Les quatre hommes, MM. Kenyatta et Ruto ainsi que Francis Muthaura, 65 ans, bras droit du président Kibaki, et Joshua Arap Sang, 36 ans, présentateur de radio, font l'objet de citations à comparaître et s'étaient à plusieurs reprises présentés libres lors d'audiences devant la CPI.  Pour éviter le sentiment d’injustice dans un camp comme dans l’autre, les juges de la CPI on choisi de poursuivre les membres des deux camps. En effet, les violences avaient opposé leurs partisans respectifs et il est évident que, d’une façon ou d’une autre, ils avaient incités leurs partisans à poser un certain nombre d’actes.  

Parmi les inculpés, se trouvent deux candidats à la prochaine présidentielle, le vice-Premier ministre Uhuru Kenyatta pour le Parti de l'unité nationale et le député William Ruto du Mouvement démocratique Orange. Uhuru Kenyatta, est vice-premier ministre et également ministre des finances. Candidat à la prochaine présidentielle pour le Parti de l'unité nationale (PUN), est accusé d'être le coauteur indirect de « meurtres, transfert forcé de population, viols et persécutions ». La cour affirme que Uhuru Kenyatta, issu de l'ethnie dominante des Kikuyus tout comme le président Kibaki, avait fait appel à des milices pour s'en prendre à une autre tribu, les Kalenjins. Ces derniers, alors proches de l'opposition, ont pour leader William Ruto soupçonné d'avoir mis sur pied des raids contre les Kikuyus, notamment dans la vallée du Rift, au centre du Kenya. Dans le camp du président Kibaki et du Parti de l'Unité nationale (PNU), les charges de meurtre, transfert forcé de population, viol, persécution et autres actes inhumains ont été retenues contre M. Kenyatta, 50 ans. Il est considéré comme leur "co-auteur indirect", tout comme Francis Muthaura, 65 ans, bras droit du président Kibaki, alors que les charges à l'encontre Mohammed Hussein Ali, 56 ans, chef de la police à l'époque des faits, ont été abandonnées. Les mêmes charges ont été retenues contre Francis Muthaura,, secrétaire du gouvernement et président du comité consultatif national de sécurité, considéré comme le bras droit du président actuel Mwai Kibaki. Il aurait autorisé les policiers à faire usage de force excessive contre les sympathisans du MDO (Mouvement démocratique orange).

Dans le camp du Premier ministre Raila Odinga, et du Mouvement démocratique orange (ODM), William Ruto est également poursuivi comme "co-auteur indirect, ainsi que le présentateur de radio Joshua Arap Sang, 36 ans. Ils sont tous deux accusés de meurtre, transfert forcé de population et persécution. William Ruto est député du Mouvement démocratique orange, également candidat à la présidentielle pour le Mouvement démocratique orange.  Sous la pression des associations des droits de l'homme, il avait été obligé de démissionner de son poste de ministre de l'Enseignement supérieur en août 2011. Le présentateur de la station de radio KASS FM, Joshua Arap San, 36 ans, est également poursuivi mais pas l'ancien ministre de l'Industrialisation (également du MDO), Henry Kosgey.

Mais les charges retenues contre le chef de la police à l'époque des faits Mohammed Hussein Ali, 56 ans, proche du président Kibaki, et l'ancien ministre de l'Industrialisation Henry Kosgey, 64 ans, ont été abandonnées lundi, les magistrats estimant que les éléments de preuve présentés par le procureur n'étaient pas assez solides. "La présomption d'innocence reste pleinement intacte", a souligné la juge Trendafilova, qui a lu un résumé de l'ordonnance rendue par les juges, dans une salle d'audience de la CPI à La Haye. "Lors du procès, l'accusation devra établir la culpabilité des accusés au-delà de tout doute raisonnable", a-t-elle ajouté.

 

3.Nature des charges retenues par la CPI

Le procureur de la CPI avait présenté en décembre 2010 deux dossiers. Dans l'un, le clan de M. Odinga, auquel appartient William Ruto, est accusé d'avoir "mis en place un plan criminel (…) bien avant" le scrutin du 27 décembre 2008 pour s'emparer du pouvoir, selon l'accusation.  Dans l'autre, les proches du président Kibaki, Uhuru Kenyatta et Francis Muthaura, sont soupçonnés d'avoir, en réaction, conçu et mis en oeuvre un "plan commun" d'attaques généralisées et systématiques contre des partisans de l'ODM pour conserver le pouvoir en utilisant une organisation criminelle, les Mungiki, et des jeunes supporteurs du PNU.  "Il ne s'agit ici que de quatre individus. Des milliers de violations des droits de l'Homme, certaines pouvant être considérés comme des crimes contre l'humanité, avaient été commises durant la période postélectorale et des milliers de victimes attendent encore la justice", a réagi Amnesty International, estimant "vital" que "le Kenya ouvre des enquêtes". La défense et l'accusation ont demandé aux juges de la chambre préliminaire de les autoriser à faire appel.

La juge Ekaterina Trendafilova a déclaré qu"'il y a des motifs substantiels de croire que" M. Kenyatta, candidat à la présidentielle de 2013 au Kenya, est pénalement responsable en tant que co-auteur indirect de meurtre, transfert forcé de population, viol, persécution et autres actes inhumains. "La chambre a estimé qu'il y a des motifs substantiels de croire que M. Ruto est responsable, en tant qu'auteur indirect, des crimes allégués", à savoir meurtre, transfert forcé de population et persécution, a également annoncé la juge à propos de William Ruto, ancien ministre de l'Enseignement supérieur et également candidat à la présidentielle de 2013.

 

4.Conséquences juridiques et politiques

La décision du 23 janvier 2012 aura des conséquences considérables sur le plan juridique et politique.

Sur le plan juridique, c’est une décision qui remet les pendules d’une justice soupçonnée de plus en plus d’être partiale et partisane à l’heure. Depuis la création de la Cour, certaines personnes en Afrique ont toujours pensé que cette juridiction ne pouvait poursuivre que des dirigeants et non des opposants, et que ses décisions ne pouvaient aucunement inquiéter les prétendants au pouvoir, souvent recroquevillés dans une posture de victime et non de bourreau. En effet, la CPI a pris l’habitude de ne pas donner de suites aux demandes qui lui sont adressées parfois même par des gouvernements. Cette décision à travers laquelle les responsables à la fois du parti au pouvoir et des partis d’opposition sont mis en cause permettra aux membres du jeu politique en Afrique (et même un peu partout dans le monde), d’avoir de la retenue à l’issue d’un scrutin politique. A l’heure des contestations des résultats tout azimuts en Afrique, la décision de la CPI gronde comme un coup de tonnerre dans le ciel africain et rappelle aux dirigeants et aux partis d’opposition qu’ils sont tous responsables des actes commis par leurs partisans respectifs, en particulier s’ils appellent à la violence. Dès lors, il n’y a pas et/ou plus seulement les dirigeants qui peuvent être poursuivis pour crime contre l’humanité, toute personne doit répondre de ses actes. Par sa décision, la CPI réaffirme sa vocation à lutter contre l’impunité, quel que soit le statut de l’auteur d’un crime entrant dans le cadre de l’article 5 du statut de Rome de 1998. Dans une Afrique où de plus en plus de responsables de partis politiques et même des membres de la société civile tendent à instrumentaliser la jeunesse à des fins insoupçonnables, il est temps que la Cour martèle dans la conscience des hommes et des femmes en quête du pouvoir qu’ils doivent employer des voies et moyens légaux et licites pour atteindre leurs objectifs. Les institutions judiciaires de la société internationale jouent ainsi également un rôle de conscientisation des acteurs politiques dans les jeunes démocraties.  

Sur le plan politique, la décision de la CPI va entrainer la prise en compte d’un peu plus d’éthique et de responsabilité de la part des prétendants u pouvoir, mais aussi des dirigeants.  Au Kenya en particulier, certains inculpés sont des potentiels candidats au scrutin présidentiel de 2013, en l’occurrence Uhuru Kenyatta, actuellement vice-premier ministre et William Ruto, ancien ministre de l’enseignement supérieur. Le ministre kényan des finances, Uhuru Kenyatta, a démissionné de cette fonction, tout en gardant son poste de vice-premier ministre. C'est ce qu'a annoncé la présidence kényanne, jeudi 26 janvier, après la confirmation par la Cour pénale internationale (CPI) des charges retenues contre lui pour les violences postélectorales de 2007-2008. Francis Muthaura, chef de cabinet du président Mwai Kibaki et chef de la fonction publique kényane, également passible d'un procès devant la CPI, a aussi démissionné, a ajouté la présidence.

Une fois les charges définitivement confirmées, la date de l'ouverture du procès dépendra du nombre de charges, de la nature des crimes, et du nombre de suspects, selon Fadi el-Abdallah, le porte-parole de la CPI.  La CPI a reconnu à 560 personnes la qualité de victime autorisée à participer à la procédure.


 

5. Réactions

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a qualifié mardi de "très bonne" la décision des juges sur la confirmation des charges contre six Kényans qu'il soupçonne de crimes contre l'humanité lors des violences post-électorales en 2007/2008. "Nous n'allons pas faire appel de la décision, nous pensons que c'est une très bonne décision", a déclaré le procureur lors d'une conférence de presse à la CPI, qui siège à La Haye : "nous nous préparons pour le procès". "Nous allons continuer notre enquête sur les faits", a souligné le procureur, assurant que son bureau tenterait de rassembler d'autres éléments de preuve contre ces deux hommes afin "d'avancer dans ces dossiers". "La protection des témoins me préoccupe", a ajouté le procureur, soulignant que ceux-ci doivent être préparés pour venir témoigner devant la CPI. M. Moreno-Ocampo a notamment indiqué que des contacts avec des témoins vont être établis au Kenya alors que son enquête avait été menée jusqu'à présent en dehors du Kenya, dans des pays voisins principalement. Le procureur a assuré être en train de réfléchir à la manière "la plus efficace" de poursuivre les quatre hommes, à savoir s'il faut les juger lors d'un seul et même procès ou dans des procès séparés : "la chambre chargée de les poursuivre pourrait prendre une décision à ce sujet", a-t-il soutenu.

Les réactions internationales sont positives face à l’ouverture prochaine du procès. Liz Evenson, conseillère en justice internationale pour Human Rights Watch a considéré la décision de la cour comme « une très bonne nouvelle pour la justice et pour le Kenya » tout en mettant en garde les tribunaux kenyans contre le risque de nouveaux affrontements. Elle recommande d’ailleurs des poursuites nationales contre les autres responsables de ces exactions. L’institut de recherche International Crisis Group a, quant à lui, salué la fin de « l’impunité dont ont bénéficié tous les dirigeants de ce pays, habitués aux violences politiques ».

Face à ces accusations, les suspects s’annoncent très coopératifs envers la Cour. «Ma conscience est tranquille, a toujours été tranquille et restera tranquille», a déclaré Uhuru Kenyatta. L'ancien ministre de l'Enseignement supérieur Ruto a aussitôt dénoncé les charges confirmées contre lui : "les charges retenues contre moi me sembleront toujours étranges", a-t-il affirmé, assurant maintenir sa candidature à la prochaine élection présidentielle kényane sans clairement dire s'il fera ou non appel de la décision de la CPI.

Après l'annonce de la décision des juges de la CPI, le président Kibaki avait appelé au calme sans jamais évoquer l'idée de démettre de leur fonctions les responsables visés par la CPI. Mais plusieurs groupes issus de la société civile ont depuis déposé des recours devant les tribunaux pour empêcher M. Kenyatta de se présenter à la prochaine présidentielle, qui doit se tenir d'ici mars 2013, comme il en avait exprimé l'intention à ce jour.

Dans un communiqué, Kofi Annan, président d'un panel de dirigeants de l'UA, a averti que la période menant aux prochaines élections nationales serait un défi. "Alors que les réformes se poursuivent et que les préparations pour les élections et le transfert des pouvoirs s'accélèrent, j'appelle tous les Kenyans à se concentrer sur ces missions essentielles", a déclaré l'ancien chef de l'ONU, qui a mené le processus de réconciliation du Kenya après les élections présidentielles de 2007. M. Annan a également appelé les Kenyans à laisser la justice faire son travail, la Cour pénale internationale (CPI) basée à La Haye ayant confirmé les chefs d'accusations contre quatre Kenyans éminents considérés comme responsables des violences post-électorales en 2007, notamment le ministre des Finances, Uhuru Kenyatta, et l'ancien ministre de l'Education supérieure, William Ruto, tous deux candidats à la prochaine présidentielle.  "Quatre ans après les violences post-électorales qui ont ébranlé le Kenya, rappelons-nous les victimes et le problème des personnes déplacées internes qui doivent être relogées et indemnisées", a souligné M. Annan. Le conflit a été ensuite arbitré par M. Annan, qui a initié un accord sur le partage des pouvoirs entre le président Mwai Kibaki, qui est resté au pouvoir, et Raila Odinga, qui est devenu Premier ministre du pays, poste créé dans le gouvernement de coalition.


 

6. Conclusion

La défense et l'accusation peuvent demander aux juges de la chambre préliminaire de les autoriser à faire appel dans les cinq jours ouvrables qui suivent l'annonce de la décision, soit avant le lundi 30 janvier. Une fois les charges définitivement confirmées, la date de l'ouverture du procès dépend du nombre de charges, de la nature des crimes, et du nombre de suspects, a expliqué à l'AFP Fadi el-Abdallah, le porte-parole de la CPI.

 

 

Bulletin numéro 291