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Soumis par Metou Brusil le 30 September 2012

La Guinée Equatoriale a introduit le 26 septembre 2012 une requête contre la France devant la CIJ, accusant cet Etat d'avoir bafoué, dans l'affaire des « biens mal acquis », l'immunité de dignitaires équato-guinéens et de locaux diplomatiques.  La requête guinéenne vise à faire cesser les poursuites engagées par la justice française. Il s’agit là d’une phase judiciaire de la crise diplomatique qui dure depuis des mois entre ces deux Etats. En cause, l'affaire des "biens mal acquis" relative aux patrimoines de chefs d'Etat africains en France. La requête, assortie d'une demande de mesures conservatoires, a été déposée mardi devant la Cour à La Haye (Pays-Bas). La Guinée invite en même temps la France à accepter la compétence de la Cour, consciente des futurs problèmes de compétence que posera sa requête.

I.Une suite des diverses affaires dites des « biens mal acquis » en France

Dans un document, avec annexes, intitulé «Requêteintroductive d’instance comportant demande de mesures conservatoires», la Guinée Equatoriale saisit la Cour d’une demande qui tend notamment à l’annulation, par le Gouvernement de la République française, d’actes de poursuite et d’instructiondirigés à l’encontre de M. TeodoroObiangNguemaMbasogo, président de la République de Guinéeéquatoriale, et de M. TeodoroNguemaObiang Mangue, ministre guinéen de l’agriculture et desforêts, actuel vice-président de la République de Guinée équatoriale. Depuis plusieurs années déjà, les chefs d’Etat et autres hauts fonctionnaires africains font l’objet d’enquête et de poursuite en France, pour biens mal acquis. Il en a été ainsi des présidents africains "amis de la France" de longue date dont le Congolais Denis SassouNguesso, le Gabonais feu Omar Bongo, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, le Burkinabé Blaise Compaoré, l’Angolais José Eduardo Dos Santos, et certains de leurs proches.De fait, l’affaire a commencé en mars 2007 sur la base d’une plainte déposée par les associations Survie et Sherpa, rejointes ensuite par l’ONG Transparency International France, contre cinq chefs d’Etat africains et leurs familles pour "recel de détournement de biens publics et complicité" auprès du Tribunal de grande instance de Paris. Le 9 novembre 2010, dans un arrêt historique, la Cour de cassation a jugé recevable la plainte déposée par TI France, permettant ainsi l'ouverture d'une instruction judiciaire.L’enquête, qui dure depuis cinq ans et qui met en cause des chefs d’État africains, avait pris un nouveau tournant avec la perquisition de l’appartement parisien du fils d’un des dirigeants visés.

            Depuis quelques années, les juges Roger le Loire et René Grouman enquêtaient sur les conditions dans lesquelles certains chefs d'Etats africains et leurs proches avaient acquis un important patrimoine en France ainsi que des avoirs bancaires auprès de banques françaises ou étrangères ayant des activités dans l’Hexagone. Autrement dit, d'avoir dépensé des deniers publics à des fins privées. Faute d’éléments à charge, les poursuites contre Compaoré et Dos Santos ont été abandonnées. En revanche, malgré la lourdeur du dossier, les menaces en tout genre, les pressions politiques et diplomatiques -recensées par Survie et Sherpa- et les trois années nécessaires pour convaincre le parquet de Paris d’instruire des juges, les trois autres leaders africains sont restés dans la ligne de mire de la justice française et étrangère, puisqueObiangNguema est également poursuivi en Espagne et aux États-Unis.

            A.L’internationalisation de la lutte contre la corruption, le détournement des deniers publics et le blanchiment d’argent

La lutte contre la corruption est devenue un enjeu global et les questions de bonne gouvernance isont présentes dans toute la sphère de la vie nationale et internationale.  Par sa dimension transnationale et son caractère transversal, la corruption est  considérée comme l’une des graves menaces qui pèsent sur le développement, l’état de droit et même la stabilité et la sécurité des Etats, au-delà de la sécurité internationale. A l’heure de la mondialisation, et dans le contexte d’une criminalité qui se globalise, les efforts de la communauté internationale convergent en faveur de la mise en œuvre effective et de l’arsenal juridique adopté pour lutter contre les diverses formes de corruption, y compris le recel et le détournement de fonds publics. Cette exigence résulte des principales conventions internationales en vigueur depuis quelques années et dont est partie la France et de nombreux Etats africains. Il en est ainsi des diverses conventions internationales à caractère universel (Nations Unies, Convention Contre la corruption adoptée le 11 décembre 2003) quasi-universelles (Convention adoptée dans le cadre de l’OCDE, sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationale le 21 novembre 1997), ou régionales (Union Européenne, convention Relative à la lutte contre la corruption concernant des fonctionnaires des communautés Européennes ou des fonctionnaires des Etats membres, 26 mai 1997 ; Conseil de l’Europe, convention Pénale sur la corruption, 27 janvier 1999 ; Union Africaine, convention Sur la prévention et la lutte contre la corruption, 11 juillet 2003 et la convention Interaméricaine du 29 mars 1996). Sur la base de ces instruments, chaque État partie est tenu de prendre les mesures nécessaires afin que les comportements constituant des actes de corruption passive ou active de fonctionnaires  soient pénalement sanctionnables. La France a ratifié dès le 31 juillet 2000 la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers. Elle fut en outre la première des membres du G8 et la deuxième de l’UE à ratifier, le 11 juillet 2005 à Mérida, la Convention des Nations-Unies contre la corruption. La France avait d’ailleurs joué un rôle majeur dans la négociation de la Convention. Sur la base de ces textes, les juridictions françaises sont compétentes pour poursuivre les personnes soupçonnées d’actes de corruption et de détournement de deniers publics sur leur territoire. Le juge d’instruction avait rappelé dans son ordonnance qu’en l’espèce la plainte simple avait dans un premier temps été classée sans suite pour "infraction insuffisamment caractérisée". Ce risque d’ineffectivité a d’ailleurs conduit le groupe chargé du suivi de la convention OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales à critiquer le droit Français concernant les fonctionnaires étrangers en ce qu’il réserve au Ministère Public le monopole des poursuites (art. 435-6 CP), la seule exception étant celle des affaires concernant l’Union Européenne.Le groupe avait conclu en recommandant à la France de modifier la loi sur ce point (voir Lucinda A. Low et Peter J. Cullen, The OECD Convention, A Commentary, Mark Pieth, Cambridge Univ. Press, 2007, P. 329). Si le risque d’ineffectivité vaut pour les actes de corruption commis à l’étranger sur des fonctionnaires étrangers (compétence extraterritoriale), a fortiori, doit-il être combattu lorsque le délit – en l’espèce le recel de détournement de fonds publics – est commis sur le territoire national (voir Mireille Delmas-Marty, Revue d’études Juridiques Comparatives et Internationalisation du Droit, 09 septembre 2009).

B.Lutte contre la corruption et protection des biens publics étrangers dans un Etat: Applicabilité du principe de l'inviolabilité?

Dans sa requête, Malabo soutient que la France a notamment violé le principe de non-ingérence et l'immunité pénale de dignitaires ainsi que de locaux diplomatiques équato-guinéens. En effet, en juillet dernier, ils ont délivré un mandat d'arrêt contre le fils Obiang, après une spectaculaire saisie en février dans son somptueux hôtel particulier de l'avenue Foch.En effet, les juges d'instruction, qui enquêtent parallèlement sur les conditions dans lesquelles trois chefs d'Etat africains (Congo, Gabon et Guinée équatoriale) ont acquis un important patrimoine en France, soupçonnent Teodorin Obiang de détournement de fonds publics, de blanchiment, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance. Attachés à trouver l'origine des fonds qui ont servi à acheter les 14 voitures de luxe saisies à leur demande en septembre 2011, comme les centaines de m3 de meubles et d'objets d'art emportés, en février2012, lors de la spectaculaire perquisition de l'hôtel particulier de l'avenue Foch à Paris, les deux magistrats ont estimé avoir suffisamment avancé dans leur enquête pour refuser de lever les scellés sur ces biens.Ainsi ont-ils rejeté, le 23 avril, la demande en restitution présentée par l'avocat de M. Obiang, Me Emmanuel Marsigny, concernant les véhicules. L'enquête a établi que les Maserati, Rolls Royce, Bentley (dont une à 1,96 million d'euros) et autres Bugatti, avaient été réglées par la société Somagui Forestal ou par virement d'un compte du fils Obiang intitulé "Présidence Malabo". Au total, 5,4 millions d'euros, payés pour l'essentiel par la Somagui. Le juge français Roger Le Loire a émis, le 13 juillet 2012, un mandat d'arrêt contre Teodorin Obiang Nguema, le fils du président de Guinée équatoriale, dans l'affaire des biens mal acquis concernant le patrimoine accumulé en France par plusieurs chefs d'Etat africains et leurs proches. Mais cette saisie a été jugée illégale par les autorités équato-guinéennes ; le gouvernement de Malabo ayant  indiqué qu'il n'a jamais été informé et qu'il est désormais propriétaire de cet immeuble.Le ministère des Affaires étrangères français, cité dans le Monde du 14 février, argue pour sa part que "cet appartement relève du droit commun". Argument balayé d’un revers de la main par Maître Pardo pour qui les traités internationaux ont "la primauté sur les règles de droit interne."Par ailleurs, Malabo affirme avoir prévenu les autorités françaises fin 2011 que cet immeublesomptueux est aujourd'hui l'ambassade de la Guinée Equatoriale à Paris et qu'il estdonc protégé diplomatiquement. Les services du Ministère français des affaires étrangères n’ont pas été en mesurede confirmer ou non ces affirmations. Mr. AgapitoMba Mokuy, le ministre équato- guinéen des Affaires étrangères et de la coopération, n’avait pas cachécette saisie allait compromettre l'avenir de l'ambassade de France en GuinéeEquatoriale en affirmant que: « Je pense qu’aucun juge français peut entrerdans cet immeuble. Si effectivement, on arrive à déloger le personnel de l’ambassadede la Guinée Equatoriale, j’aurais beaucoup de mal à voir comment l’ambassade du pays sera logée en Guinée Equatoriale ». S'il n'est pas capable de fournir la date de cette vente, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération AgapitoMbaMokuy l'explique : « Bien évidemment, il y a eu une vente. Il y a même des documents, mais devant moi, je ne les ai pas. Et je ne cache rien de dire que le vice-président a des moyens. Combien d’autres ministres, combien d’autres personnalités, en Guinée Equatoriale qui ont les moyens ! Cela ne doit pas déranger ». Il faudrait établir une frontière ou une lisibilité entre les biens appartenant au Sieur Obiang à titre personnel et ceux appartenant à son Etat. Seuls les preuves pouvant être fournies à la Cour sur cette question permettront d'établir cette frontière.

Dans sa requête, la Guinée équatoriale fait valoir que ces actes de procédure violent les principes d’égalité entre Etats, de non-ingérence, de la souveraineté et du respect de l’immunité dejuridiction pénale. La République de Guinée équatoriale prie donc la Cour «de faire cesser cesviolations du droit international» en enjoignant notamment la France de «mettre fin à [la] procédurepénale», et de «prendre toutes mesures afin d’annuler les effets du mandat d’arrêt prononcé contrele Second Vice-Président de Guinée Equatoriale ainsi que de sa diffusion». Dans sa «demande demesures conservatoires», la Guinée équatoriale appelle en particulier la Cour à «faireordonner … la restitution … des objets et immeubles … appartenant à la République de GuinéeEquatoriale» et saisis par les magistrats français dans le cadre de l’instruction.  En outre, Téodorin Obiang, a été nommé en fin mai 2012 second vice-président de Guinée équatoriale. Or jusqu'à cette date, il aurait été difficile pour lui de se prévaloir d'une certaine immunité devant les juridictions d'un Etat, considéré comme un citoyen ordinaire et non un représentant de son Etat. 

Cependant, il ne suffit pas de saisir la CIJ d’un litige pour qu’elle accepte de le connaître, il faut encore que sa compétence pour connaitre du litige soit établie, ce qui pose problème dans le cas d’espèce.

II.Vers une autre situation de forum prorogatum devant la CIJ ?

La CIJ ne peut connaitre d’un litige que si les parties à un différend ont expressément, par l’une quelconque des manières énumérées à l’article 36 de son statut, sa compétence. En effet, « …en vertu de son statut, la Cour n’a pas automatiquement compétence pour connaître des différends juridiques entre les Etats parties audit Statut ou entre les autres Etats admis à ester devant elle… » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de la Russie), Ordonnance du 15 octobre 2008, § 84). Comme elle l’a relevé dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, « il est clair avant tout que les questions de compétence sont celles qui doivent être résolues au stade préliminaire de la procédure » (Arrêt du 26 novembre 1984, C.I.J., Rec. 1984, p. 166). La compétence de la Cour se détermine au moment du dépôt de la requête(CIJ, 27 févr. 1998, arrêt,Convention de Montréal, Rec. 1998, 23 et 26, §§ 38 et 44 ; CIJ, 18 nov. 2008, Application de la convention sur le génocide (Croatie c/ Serbie), Rec. 2008, §§ 79 s.) ; mais elle ne doit pas sanctionner un défaut deprocédure auquel la partie requérante pourrait aisément porter remède (CIJ, 3 févr. 2006, arrêt, Activitésarmées au Congo (RDC/Rwanda), Rec. 2006, § 54). Dans le cas d’espèce, si la Guinée Equatoriale, Etat défendeur a accepté la Compétence de la CIJ, il en va autrement de la France. L’acte introductif d’instance devrait fournir à la Cour les bases de sa compétence et,  consciente que la France a retiré sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la CIJ depuis 1974, la Guinée a indiqué dans sa requête qu’elle compte «sur le consentement que ne manquera pas de donner la République française», en applicationdu paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la Cour. Aux termes de cet article :«Lorsque le demandeur entend fonder la compétence de la Cour sur unconsentement non encore donné ou manifesté par l’Etat contre lequel la requête estformée, la requête est transmise à cet Etat. Toutefois, elle n’est pas inscrite au rôlegénéral de la Cour et aucun acte de procédure n’est effectué tant que l’Etat contrelequel la requête est formée n’a pas accepté la compétence de la Cour aux fins del’affaire.» Il est à noter qu’avant la révision du Règlement de la Cour en 1978, aucune indication en ce sens n’existait et la Cour traitait ce type de requêtes comme toute autre. En effet, le Greffier procédait aux notifications habituelles et inscrivait l’affaire au rôle général de la Cour. Elle ne pouvait plus être rayée de ce rôle que si l’Etat défendeur refusait de manière explicite la compétence de la Cour pour en connaître.  La Cour ne pourra donc  examiner le bien-fondé de la requête équato-guinéenne qu’après avoir donné une réponse positive à la question de sa compétence sur le défendeur et sur le litige. En ce qui concerne sa compétence vis-à-vis de la France, elle devra attendre une réaction de cet Etat après la notification du différend avant de poursuivre la procédure. Comme l’a si bien dit à plusieurs reprises l’organe judiciaire principal des Nations Unies,  « quelle que soit la source du consentement, l’attitude de l’Etat défendeur doit  ‘’ pouvoir être regardée comme une manifestation non équivoque’’ de la volonté de cet Etat d’accepter de manière ‘’volontaire, indiscutable’’ la compétence de la Cour ». (Activités armées sur le territoire du Congo (Nouvelle requête ),Arrêt du 3 février 2006, C.I.J., Rec. 2006, p.  18).  Par conséquent, en cas de refus ou de silence de la France, et sans base de compétence à son égard, la Cour sera dans l’obligation de refuser de statuer sur ledit litige. Mais si la France accepte d’ester devant la Cour pour cette affaire comme l’espère la Guinée Equatoriale, cette acceptation pourrait  occasionner une autre situation de forum prorogatum devant la CIJ.Cette possibilité n’existe pas dans le statut de la Cour et c’est  plutôt l’article 38 § 5 du Règlement qui la prévoit en disposant que, « Lorsque le demandeur entend fonder la compétence de la Cour sur un consentement non encore donné ou manifesté par l’Etat contre lequel la requête est formée, la requête est transmise à cet Etat… ». En effet, depuis quelques années, diverses affaires introduites devant la Cour contre la France ont occasionné le déclenchement de cette situation. La Cour a précisé que le forum prorogatum, « …joue lorsqu’un Etat défendeur a, par sa conduite devant la Cour ou dans ses relations avec la partie demanderesse, agi de manière telle qu’il a accepté la compétence de la Cour » (Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale, Arrêt du 4 juin 2008, § 61.) Il existe plusieurs modalités de forum prorogatum, la Cour reconnaissant que sa compétence « …peut être fondée sur le forum prorogatum selon des modalités diverses que le paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement n’épuise nullement » (Ibid, § 64).  Divers cas de figure se présentent devant elle en la matière : Elle s’estime compétente pour connaître du différend si l’autre Etat accepte de se présenter à l’instance (Détroit de Corfou, arrêt du 25 mars 1948, C.I.J., Rec. 1947- 1948, p. 15) ;  ou s’il participe effectivement à la discussion en déposant une pièce de procédure ou en n’émettant pas d’objection contre sa future décision au fond  (Concessions Mavrommatis à Jérusalem, arrêt du 26 mars 1925, C.P.J.I., Série A, n° 5, pp. 27-28; Haya de la Torre, C.I.J.,   Rec. 1951, p. 78. Le forum prorogatum est donc, « une extension, par le consentement des parties en cause, de la compétence d’un tribunal à une affaire qui, d’après les règles ordinaires, n’en relevait pas ». (J. Basdevant, Dictionnaire de terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, p. 481; également J. Salmon, dir.,Dictionnaire de droit international public, Op. Cit., p. 518). Le formalisme n’est pas de mise ici, la Cour considérantqu’« …il ne semble plus douteux que la volonté d’un Etat de soumettre un différend à la Cour puisse résulter, non seulement d’une déclaration expresse, mais aussi d’actes concluants. Il paraît difficile de nier que le fait de plaider le fond sans faire des réserves sur la compétence, ne doive être regardé comme manifestation non équivoque de la volonté de l’Etat d’obtenir une décision sur le fond de l’affaire » (Droit des minorités, C.P.J.I., Série A, n° 15, 1928, pp.  23-24.) Le forum prorogatum sert donc à régulariser a posteriori la compétence du juge international sur un litige.

Dans une affaire similaire, relative à Certaines procédures pénales engagées en France (Ordonnance du 17 juin 2003), le Congo avait expressément indiqué dans sa requête qu’il entendait fonder la compétence de la Cour, en application du paragraphe 5 de l’article 38 du règlement de la Cour sur « le consentement que ne manquerait pas de donner la République française ». Conformément à cette disposition, la Cour a transmis la requête du Congo  et n’a effectué aucun acte de procédure. De même, dans l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Arrêt du 4 juin 2008, § 2), le Djibouti, dans sa requête, entendait fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la Cour et était « confiant que la République française accepterait de se soumettre à la compétence de la Cour pour le règlement du présent différend ».Mais comme l’a rappelé la Cour, « pour pouvoir s’appliquer en l’espèce, le forum prorogatum devrait être fondé sur quelque acte ou déclaration …» (Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Arrêt du 4 juin 2008, § 2). Par une lettre du 8 avril 2003, la France a indiqué qu’elle «acceptait la compétence de la Cour pour connaître de la requête en application  de l’article 38, paragraphe 5 » en rapport avec l’instance introduite par le Congo concernant l’affaire relative à Certaines procédures pénales engagées par la France . Mais, cette affaire  rayée du rôle de la Cour le 17 novembre 2010 suite à un désistement du Congo. De même, c’est par une lettre datée du 25 juillet 2006 que la France a accepté la compétence de la Cour en réponse à la demande du Djibouti concernant  l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale. Ce n’est qu’après cette acceptation formelle que la Cour a inscrit l’affaire au rôle général. Le règlement de la Cour avait certes prévu cette possibilité, mais c’était la première fois depuis l’adoption du règlement de 1978, qu’un Etat acceptait ainsi l’invitation d’un autre Etat à reconnaître la compétence de la Cour pour connaître d’une affaire le mettant en cause.

L’Etat qui accepte ainsi spontanément la compétence de la Cour peut limiter celle-ci uniquement à certains aspects du différend dont la Cour se trouve saisie, et ce à partir d’une certaine période. La Cour a précisé que, « l’Etat qui est ainsi invité à consentir à la compétence de la Cour pour trancher un différend a toute liberté de répondre comme il l’entend; s’il accepte la compétence de la Cour, il lui appartient, le cas échéant, de préciser les aspects du différend qu’il consent à soumettre au jugement de celle-ci » (Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale, Arrêt du 4 juin 2008, § 63.). S’il en est ainsi, la Cour devra analyser scrupuleusement les termes de l’acceptation de sa compétence par la France car comme elle a eu à le souligner, « là où la compétence est fondée sur le forum prorogatum, une attention toute particulière doit être portée sur l’étendue du consentement tel qu’il est circonscrit par l’Etat défendeur » (Ibid, § 87).

En attendant, la Cour ne peut procéder à aucun acte de procédure, ni connaitre de la demande en indication des mesures conservatoires qui est jointe à la requête équato-guinéenne, eu égard au lien intrinsèque censé exister entre l’exercice de son pouvoir d’indiquer lesdites mesures conservatoires et les droits en cause dans le litige.

 

Désistement de la République du Congo dans le différend qui l'oppose à la France devant la CIJ

Bulletin numéro 317