Ce minuscule archipel disputé par la Chine et le Japon était connu des navigateurs sous le nom des îles du Pinacle (et non Pinnacle). Senkaku Retto, puis aujourd'hui Senkaku Shoto (archipel) est une traduction tardive assez récente (1900) des îles du Pinacle en langue japonaise. Cette dénomination japonaise a permis de nommer le groupe d'îlots dans son ensemble. Le relief de l'île de Uotsuri-jima/Diaoyu Dao explique cette désignation :
Simple crête de montagne surgissant des flots et posée sur un plateau corallien, cette pauvre île dispose certes de quelques sources, mais n'est guère propice à l'habitation humaine. Le regard intemporel du navigateur renseigne aussi sur la situation du petit archipel à travers les âges. Ainsi les dénominations des différents îlots et rochers mêlaient les noms chinois et japonais. Ce fait était suffisamment étonnant pour avoir été mentionné. Ces modestes terres ont donc été sous l'influence de la Chine et du Japon. Ainsi, situé au milieu de la Mer de Chine orientale, l'archipel révélait bien la nature de cette mare nostrum établissant une communauté de destin entre les deux nations. La seconde caractéristique intemporelle est l'absence d'installation humaine dans l'archipel. Certes lors du tournant nationaliste de l'ère du Meiji à la fin du XIXème siècle le Japon y a mené une politique de colonisation qui s'est concrétisée par une conserverie et une installation de traitement des plumes d'albatros. L'activité a cessé en 1940.et l'archipel de 7 km2 a retrouvé aujourd'hui son caractère éternel d'espace vierge et inhospitalier. Subsitent de cet accident de l'Histoire les héritiers du propriétaire de la conserverie, l'industriel TatsushirÅ Koga, propriétaires actuels d'une crête de montagne désertique au milieu de la mer..
Si l'on observe la crise avec un regard neutre et amical pour les deux nations, on constate que
- les enjeux sont complètement erronés parce qu'ils sont pervertis par les parti-pris nationaux ;
- l'épisode critique actuel est un malentendu.
Des enjeux erronés
Google Maps permet très facilement de localiser les îles du Pinacle. On voit sur cette capture d’écran que ces très petites terres sont situées au nord-est de l’Île de Taïwan, à une bonne centaine de kilomètres de distance (120 plus précisément). Au sud-est s’étire en arc de cercle un chapelet d’îles sous souveraineté japonaises (Sakishima). La distance avec les îlots est sensiblement comparable. Vers le Nord on trouve à l’Ouest la côte chinoise et à l’Est une grappe d’îles japonaises où se situe Okinawa.
Sur cette carte publiée par le Figaro sont indiquées les prétentions des deux parties sur la zone disputée. On voit que chacun veut s’attribuer la part du lion. A l’œil on se rend compte qu’aucun des deux tracés ne s’approche d’une répartition équitable de l’espace maritime convoité.
Bien entendu les îlots ne présenteraient un intérêt que dans la mesure où leur présence aurait une incidence sur la délimitation de la frontière entre les deux Etats dans une vaste partie de la Mer de Chine orientale. Or c’est là que se situe le fond du problème. Le différend entre la Chine et le Japon porte en réalité sur la délimitation maritime au milieu de la Mer de Chine orientale. La question de l'attibution de l'archipel n'est pas l'objet du différend, mais elle constitue tout de même un préalable à son règlement. En effet, la détermination de la souveraineté sur les îlots est susceptible d'avoir une certaine incidence sur le tracé de la frontière commune. Le sort de cette poignée de cailloux au milieu de la mer, paradis pour les chèvres, est-il vraiment déterminant en ce qui concerne les champs pétrolifères situés plus au nord ? Absolument pas ! On s'en explique.
Le domaine maritime de l’Etat est déterminé par une projection géographique. Une ligne est tracée au large qui se situe, s’agissant de la zone économique exclusive (ZEE), à une distance de 200 milles marins (35o km) de la côte. Si on trace une telle ligne à partir de la côte de Taïwan et une autre des côtes des îles de Sakishima, on constate que les îlots disputés se situent très largement à l’intérieur de la zone de chevauchement des ZEE chinoise et japonaise. Il faudra donc partager cette zone équitablement entre les deux Etats.
Sur la capture d'écran de Google Maps on identifie très bien les quatre masses terrestres dont la projection crée un effet de chevauchement qui impose la détermination d'une frontière maritime commune. Si l'on accorde au minuscule point central, le petit archipel disputé, un effet propre dans la délimitation, celle-ci sera faussée et ne sera pas équitable. Dans la jurisprudence constante des tribunaux internationaux ces petites formations maritimes perturbatrices sont neutralisées.. En l'occurence une juridiction répartirait les points de base nécessaires au tracé de la frontière commune sur les quatre masses en question et n'en placerait aucun sur les îles du Pinacle. Ainsi dans l'affaire du Plateau continental (Lybie/Malte) la Cour internationale de Justice a refusé de retenir un point de base sur l'îlot de Filfa. Dans l'affaire de la Délimitation maritime (Roumanie c. Ukraine) elle a aussi exclu un point de base sur l'île aux Serpents qui aurait eu une incidence exagérée sur la délimitation. Comme dans la présente affaire une formation maritime insignifiante a cristallisé l'opposition entre les Etats concernés, alors qu'elle n'a qu'une incidence marginale sur le règlement du différend. L'île aux Serpents était aussi devenue une cause nationale et sacrée...
Les petites îles du Pinacle ont seulement une mer territoriale. On trace donc un cercle de 12 milles marins (22 km) de rayon. Ce cercle de faible dimension peut avoir une incidence limitée sur le tracé de la frontière commune départageant les ZEE de chacun des deux Etats.: selon la position de cette terre, il peut infléchir cette ligne sur une courte distance. Néanmoins ces îles n’ont donc pas d’effet vers le large au-delà de 22 km.
Dès lors quel est l’intérêt de savoir à qui appartient cette poignée de cailloux ? Pourquoi ne pas s’entendre, Chinois et Japonais, pour faire de cet espace presque vierge (sauf l’introduction néfaste des chèvres) de l'influence humaine une réserve naturelle ? Le sauvetage de l’albatros à queue courte et des espèces endémiques telles que la fourmi Okinawa-kuro-oo-ari et la taupe Mogera uchidai trouverait avantage dans cette coopération. D’ailleurs ne dit-on pas que le conflit territorial a empêché l’étude exhaustive de la faune et de la flore ? Comme la frontière commune devrait traverser la zone des hydrocarbures, pourquoi ne pas se mettre d’accord sur les conditions d’exploitation pour des profits partagés ? L’exploitation et même l’exploration sont impossibles tant que les deux Etats n’auront pas résolu leur différend. Maintenir indéfiniment la situation de crise est-elle la meilleure façon de défendre l’intérêt national ? Quel enjeu représentent ces quelques rochers hirsutes battus par les vents marins ? Au final est-il besoin de rappeler qu'à défaut d'accord entre la Chine et le Japon, le différend sur la Mer de Chine orientale devrait être réglé selon les dispositions de la Partie XV de la CNUDM ? Ce différend n'a rien de politique. Il est purement juridique.
L'épisode actuel, un malentendu
A l'occasion de l'ouverture de la 67ème session de l'Assemblée générale, les ministres des affaires étrangères chinois et japonais se sont entretenus pendant une heure au sujet des îles disputées.
Les îlots du Pinacle relèvent aujourd'hui de l'administration municipale d'Ishigaki (archipel de Sakishima). Néanmoins l'Etat interdit toute activité, y compris la recherche, dans les îles disputées. L'Etat est propriétaire de l'île de Taisho. Depuis 2002 il loue les autres îlots (Uotsuri, Minami Kojima, Kita Kojima et Kuba). Le gouvernement de Tokyo est en butte aux menées d'activistes nationalistes. S'il envisage de racheter. les îlots qu'il loue très cher tout de même aujourd'hui (on parle de 24 millions de yen) c'est pour empêcher la municipalité d'Ishigaki de le faire. Il n'y a pas de provocation dans l'attitude du gouvernement japonais qui s'efforce au contraire de préserver le gel des activités sur l'archipel du Pinacle. Le Japon respecte et préserve comme il le peut l'engagement qu'il a pris envers la Chine de ne pas aggraver le différend. Le gouvernement japonais fait face aux activistes de Taïwan, de Chine continentale et à ses propres insulaires des archipels du Sud. Et le Gouvernement de Pékin est également démuni face aux bouffées patriotiques du peuple chinois. Tout cela pour cinq cailloux qui ne recèlent pas d'autres trésors que des albatros, à queue courte tout de même, des fourmis et des taupes !
Qu'on nous épargne, de grâce, les lieux communs nourris par l'ignorance sur l'impérialisme atavique de la Chine ou bien du Japon.
· Signature, entre la Chine et le Japon, d'un accord sur l'exploration commune du gisement de gaz de Chuanxiao en Mer de Chine Méridionale, Michel Djimgou Djomeni
· Mer de Chine : le Japon accorde un permis de forage dans la zone disputée, Tidiani Couma
· Chine/Japon, incidents de Shangaï, protection des locaux diplomatiques, Philippe Weckel
· Crise diplomatique entre la Chine et le Japon, Tidiani Couma
La Chine proteste contre l'intégration d'un phare au domaine public de l'Etat japonais, Tidiani Couma