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Soumis par Dumouchel Anne… le 30 September 2012

 Dans le cadre du conflit qui l’oppose au Japon concernant la souveraineté sur les îles Diaoyu / Senkaku, la Chine a rendu public un livre blanc, intitulé « Diaoyu Dao, an Inherent Territory of China » expliquant sa position.

Ce document, court et concis, se décompose en cinq titres, démontrant la position défendue par la Chine qui revendique sa souveraineté « pleine et entière » sur les îles Diaoyu et contestant les actions japonaises, jugées « illégales et invalides ». La présentation du document permet d’obtenir une approche chronologique de l’histoire de l’archipel et du conflit qui oppose des deux pays. Nous allons ici reprendre cette chronologie afin d’exposer l’argumentaire chinois 

I. L’argumentaire chinois

La découverte de l’archipel

Image retirée.

Source : Wikipedia : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/91/EEZ_disputes_in_East_China_Sea.jpg/440px-EEZ_disputes_in_East_China_Sea.jpg

La Chine démontre tout d’abord que la découverte et la nomination de l’archipel a été faite par les chinois. L’histoire remonterait à 1372, lorsque le roi des Ryukyu a commencé à payer un tribut à l’Empire. Dans les cinq siècles qui ont suivi, l’Empereur chinois envoyait des missions dans les îles, et, sur ce trajet se situaient les îles Diaoyu Dao, telles qu’elles étaient ainsi dénommées dans divers écrits (Records of the Imperial Title-conferring Envoys to Ryuku, écrit par Chen Kan en 1534 ; Records of Messages from Chong-shan, de Xu Baoguang, 1719). Par ailleurs, les frontières des Ryuku étaient déjà déterminées, en référence à la montagne Chi Yu, divers documents tendant à prouver que les frontières des Ryuku s’arrêtaient à cette montagne ; ce qu’il y avait de l’autre côté relevant alors de l’Empire chinois (y compris donc les îles Diaoyu) et constituant donc une partie du territoire chinois.
De plus, la Chine indique que les eaux entourant les îles Diaoyu étaient des lieux de pêche traditionnels pour les marins chinois qui avaient, depuis des générations, mené des activités de pêche et utilisé les îles comme repères. L’attachement du livre blanc à démontrer la non-appartenance des îles au Royaume de Ryukyu, prend toute son importance au regard du rattachement, plus tard, des îles au Japon (1879, v. ci-dessous).

Des îles sous juridiction chinoise

La Chine affirme que les îles contestées avaient été intégrées au système de défense de l'Empire, pour lutter notamment contre l’invasion des pirates japonais le long de la côté ouest du pays. Le pays cite à cet appui la carte publiée en 1561 dans le recueil « An Illustrated Compendium on Maritime Security » intitulée « Map o Coastal Mountains and Sands » qui incluait les îles Diaoyu  et les intégrait dans les zones sous juridiction des gardes-côtes chinois ; d’autres cartes témoignaient également de cette intégration des îles aux territoires maritimes chinois. Au-delà de cette incorporation dans le système de défense du pays, les documents de l’époque tendraient à prouver également le placement des îles sous la juridiction de Taïwan. Cet argument trouve son intérêt dans le rattachement à la Chine qui l'administre depuis 1945.

Par ailleurs, des cartes étrangères témoigneraient du fait que l’intégration des îles au territoire chinois était reconnue par les États tiers, et non uniquement par la Chine elle-même (le livre blanc donne ainsi en exemple des cartes françaises et britanniques).

L’ « invasion » japonaise de l’archipel

Le livre blanc explique ensuite comment le Japon aurait envahi les îles disputées. Dans le cadre de sa volonté d’expansion, le Japon a annexé les Ryukyu en 1879 avant de les rebaptiser Okinawa (département d’Okinawa) – d’où l’importance de la démonstration précédente sur les frontières de ces îles. Le pays aurait ensuite procédé à l’invasion et la saisie, dans le secret, des îles Diaoyu.

Un Japonais aurait ainsi, en 1884, affirmé être le premier à découvrir les îles disputées, qu’il aurait décrites comme inhabitées. Le gouvernement japonais aurait alors envoyé, dans le plus secret, des missions dans l’archipel dans un but d’occupation. La Chine indique avoir réagi à ces opérations, sans que le Japon ne lui donne de réponse. Un rapport rédigé par Okinawa, daté du 22 septembre 1885, indiquait pourtant que les îles découvertes, certes inhabitées, étaient en réalité les Diaoyu et exprimait des doutes sur la souveraineté exercée sur ces territoires, tout en émettant le souhait, réitéré les années suivantes qu’ils passent sous la sienne. Cependant, le gouvernement japonais, auquel étaient destiné ce rapport et les requêtes d’incorporation des îles au territoire japonais, n’a pas réagi. Pour la Chine cependant, cette abstention de prise de parti du Japon faisait partie d’une stratégie, toujours « secrète » d’occupation des îles ; le caractère secret de ces manœuvres serait du au fait que le pays était parfaitement conscient des titres chinois sur les îles Diaoyu.
Les évènements se sont précipités lors de la guerre sino-japonaise de 1894, le Japon déclarant que « les circonstances avaient changées » et plaçant, par résolution du 14 janvier 1895 les îles Diaoyu sous la juridiction d’Okinawa. Le livre blanc indique qu’ici aussi les autorités japonaises auraient agi dans le secret ; de ce caractère secret la Chine tire la conséquence que la déclaration de souveraineté proclamée par le Japon n’a aucun effet de droit international.

La fin de la guerre, actée par le Traité de Shimonoseki du 17 avril 1895, conduit à la cession des îles Diaoyu et Taïwan au Japon. Toutefois, la Chine qualifie ce traité d’ « inégal », qu’elle a été « forcée » de signer. Les îles sont alors renommées Senkaku par le Japon cinq ans plus tard.

Les accords américano-japonais sont illégaux et invalides

La Chine conteste la légalité et la validité des accords conclus entre les États-Unis et le Japon dans la seconde moitié du XXème siècle. Pour en comprendre les raisons, il faut remonter à la 2ème guerre mondiale, au cours de laquelle la Chine avait déclaré la guerre au Japon en 1941, avec l’abrogation de tous les traités liant les deux pays. En décembre 1943 est signée la Déclaration du Caire, aux termes de laquelle tous les territoires « volés » ou pris par la force par le Japon sont rendus à la Chine. Puis, en 1945, est adoptée la Déclaration de Potsdam, délimitant restrictivement le territoire japonais ; déclaration acceptée « explicitement » par le gouvernement japonais. Cette déclaration délimitait le territoire japonais en indiquant les îles y étant incluses ; les îles Diaoyo n’en faisaient pas partie. De ces deux déclarations, la Chine tire comme conséquence le retour des îles sous sa souveraineté.

Mais, le 8 décembre 1951, les États-Unis concluent avec le Japon le traité de San Francisco, en excluant la Chine. Ce traité plaçait les îles Nansei sous administration américaine, sans pour autant inclure les Diaoyu. Mais, selon la Chine, les États-Unis ont, « arbitrairement », étendu la juridiction de l’administration des îles Ryukyu sur les îles disputées, dans une proclamation du 25 décembre 1953. Puis, le 17 juin 1971, les États-Unis signent l’accord concernant les îles Ryukyu et Daito, redonnant administration de ces territoires au Japon.

A cette occasion, les premières protestations chinoises apparaissent, la Chine condamnant ces accords considérés comme « illégaux », tout comme Taïwan. En réponse à ces protestations, les États-Unis ont alors choisi de ne pas se prononcer sur ce conflit et de rester neutre, renvoyant aux deux États la tâche de le régler. Cette position explique la neutralité actuelle des américains sur le conflit, exprimée récemment par leur représentante.

Les prétentions japonaises sur les îles Diaoyu sont infondées

Le livre blanc démontre ensuite en quoi les prétentions japonaises sur les îles disputées seraient infondées. Le document présente les arguments japonais et les contre-arguments chinois.

Il rappelle que, dès le 8 mars 1972, le Japon a justifié sa souveraineté sur les îles en indiquant d’une part que, avant leur annexion, elles étaient considérées comme terra nullius, d’autre part, que le traité de San Francisco ne les incluait pas dans la liste des territoires rendus à la Chine mais qu’elles étaient placées sous administration américaine comme incluses dans les îles Nansei.

A l’argument de la qualification des îles comme terra nullius avant leur annexion, la Chine rétorque que les faits prouvent que tel n’est pas le cas. Il est ici renvoyé aux arguments présentés plus haut (§1) : cartes historiques, histoire de la découverte des îles, utilisation de leurs eaux par les pêcheurs chinois, intégration au système de défense de l’Empire. Dès lors, la déclaration de souveraineté sur des territoires ne constituant pas en réalité des terra nullius va à l’encontre du droit international et constitue donc un acte illégal d’occupation du territoire chinois.
Aux arguments conventionnels, la Chine répond d’une part que les déclarations du Caire et de Potsdam visant la restitution des territoires par le Japon incluent les îles Diaoyu ; d’autre part que le traité de San Francisco ne fait pas référence à ces territoires.Une grande partie de l’opposition Chine / Japon repose donc sur une divergence d’interprétation des traités cités, qui dans tous les cas semblent avoir occultés (volontairement?) le sort de ces territoires, laissant alors les deux protagonistes face à un conflit d'interprétation qui seule pourrait être résolue par le recours à un mode de pacifique de règlement des différends.

Mesures chinoises visant à préserver la souveraineté sur les îles Diaoyu

Le livre expose ensuite les protestations émises par la Chine. Ainsi, en 1951, la Chine avait fait part, avant la conférence de San Francisco, au contenu du traité, qu’elle a alors déclaré invalide et illégal à son adoption. Lors de la ratification de l’accord de 1971, la Chine a également témoigné son opposition, rappelant que les iles sont une partie indivisible du territoire chinois. Le document fait part d’usage par la Chine de moyens diplomatiques pour affirmer sa position dans ce différend. Par ailleurs, le livre liste les législations internes relatives à la souveraineté chinoise sur les îles Diaoyu : en 1958, l’annonce du gouvernement que Taïwan et ses îles adjacentes reviennent à la Chine ; la Law of the People’s Republic of China on the Territorial Sea and the Contiguous Zone de 1992 ; Law of the People’s Republic of China on the Protection of Offshore Islands ; annonce du gouvernement en 2010 de la détermination des lignes de bases des îles Diaoyu et dépôt du dossier au Secrétariat général des Nations Unies. Enfin, la Chine rappelle exercer une présence et une surveillance dans les eaux entourant les îles disputées, notamment par l’intervention de navires de sa marine.

 

II. Appréciation du livre blanc

Que faut-il retenir principalement de ce livre blanc ? De nombreux arguments pourraient être utilement examinés dans le cas d’un recours un moyen de règlement pacifique du différend (solution qui n’a par ailleurs toujours pas été évoqué par les parties).

            1) contrairement à ce qu’affirme le Japon, les îles Diaoyu n’étaient pas, avant 1895, des terra nullius. A l'appui de cette démonstration, le fait que les Chinois aient dénommé les îles; que des cartes prouvent leur intégration à l'Empire; que les pêcheurs chinois y travaillaient habituellement. Prouver que les terres n'étaient pas terra nullius permet à la Chine de contrer l'argument japonais et, alors, de contester l'annexion opérée en 1895. Surtout si on se réfère à la jurisprudence internationale (v. l'arrêt de la CIJ relatif à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et south Ledge (Malaisi Singapour) du 23 mai 2008)qui fait référence à cette notion aux fins de résolution du litige. Cependant, il est possible de s'interroger sur la portée de l'argument chinois. En effet, dans la jurisprudence de la CIJ (avis consultatif sur l'affaire du Sahara Occidental du 16 octobre 1975), qui considère un territoire comme terra nullius s'il est établi que le territoire n'appartenait à personne, la qualification n'a pas été retenue au regard du fait que les terres étaient occupées par des individus ayant une organisation sociale et politique. Ce qui, concernant les îles Diaoyu, n'était pas le cas. Pour autant, il ne serait pas prudent de penser que la qualification de terra nullius pourrait être admise sur le seul fondement que les terres seraient inhabitées. C'est pourquoi la Chine expose son argumentaire visant à prouver le titre historique qu'elle a sur les îles disputées.

            2) l’annexion des îles par le Japon en 1895 était illégale, puisque fondée sur un traité contesté par la Chine ;

            3) les accords conclus entre les États-Unis et le Japon après la Seconde guerre mondiale ne permettent pas d’établir la souveraineté japonaise ; ceux-ci ne faisant aucune référence, contrairement à ce que soutient le Japon, aux îles Diaoyu, et ne font donc pas partie des territoires administrés par les Etats-Unis puis restitués au Japon ;

            4) les Déclarations du Caire et de Potsdam impliquent le retour des îles à la Chine ; la liste des territoires devant être restitués à la Chine comprend les îles Diaoyu, contrairement à ce que soutient le Japon, et ce bien qu'elles n'y soient pas expressément citées;

            5) que, contrairement à ce qui a pu être avancé, la Chine a à plusieurs reprises manifesté sa contestation. Pour comprendre cette argumentation, il faut se référer à la jurisprudence internationale, notamment l'arrêt de la CIJ évoqué plus haut, qui prend en compte les manifestations de contestation dans le cadre du règlement des litiges portant sur la souveraineté. Un silence de la part d'un Etat pourrait en effe équivaloir à une acceptation tacite; ce dont la Chine se défend, arguant de ses protestations dès le début des années 50.

Le rapport a le mérite de rendre publics les arguments chinois dans ce conflit, mais aussi de donner un aperçu historique de la situation. Cependant, nous pouvons regretter l’absence d’arguments de droit international étayés. Le rapport ne fait en effet aucune référence aux obligations internationales actuelles des deux pays, ni à la jurisprudence pertinente en matière de conflits de souveraineté. Il est également dommage qu'aucune carte de la région ne soit intégrée au livre, qui aurait permis au lecteur de mieux situer géographiquement les îles et ainsi de mieux appréhender le document dans son ensemble.

 

Observations (Philippe Weckel)

En 1893 un édit impérial chinois a règlementé la cueillette des herbes sur les îlots disputés. C'est en 1895, deux ans plus tard, que le gouvernement japonais a accordé à un industriel la propriété de quatre des cinq îlots. On comparera volontiers cet édit à la concession du ramassage des oeufs de tortue dont l'existence a été déterminante dans l'atrtibution de l'île de Pulau Sipadan à la Malaisie (CIJ, Souveraineté sur Pulau ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie). Avant le XXème siècle le petit archipel était une page blanche pour l'Etat japonais. Il faut rappeler que le Japon s'est complètement fermé pendant le Shogunat des Tokugawa, à partir des lois d'isolation de 1635. Cette fermeture (Sakoku) s'est prolongée jusqu'au bombardement d'Edo par les vaisseaux de guerre américains commandés par le Commodore Perry en 1853 et la signature du traité inégal de 1854 qui ont provoqué l'avènement de l'ère du Meiji. Si l'isolement a permis de rompre la relation tributaire avec la Chine, il a aussi limité l'influence de l'Etat japonais. Le Japon n'a donc rien à dire  au sujet de la période d'avant 1895, le moment où son intérêt s'est portée sur le petit archipel, comme un avant-poste symbolique vers la Chine. On voit dans l'édit impérial chinois de 1893 que les îlots aujourd'hui disputés relevaient directement de l'administration impériale. 
 

 

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Bulletin numéro 317