Le 22 juin 2012, Julian Assange, pirate informatique et cofondateur de Wikileaks, s’est réfugié dans les locaux de l’ambassade d'Equateur à Londres pour, affirme-t-il, « attirer l’attention » sur un complot présumé des Etats-Unis dont il serait la victime. Poursuivi depuis 2010 pour des faits présumés de viols et violences sexuelles commis en Suède, Assange risque une extradition vers cet Etat. Craignant qu’à cette extradition n’en succède une autre, vers les Etats-Unis - il affirme y encourir la peine de mort pour espionnage, après divulgation, en 2010, de milliers de documents diplomatiques confidentiels américains – Assange demande formellement l’asile diplomatique à l’Equateur, dont les dirigeants ont a plusieurs reprises exprimé leur sympathie à son égard. Il fonde sa demande d’asile sur la Convention de Caracas de 1954, texte ratifié par 14 pays d’Amérique latine qui protège des personnes poursuivies ou condamnées pour des motifs politiques. Le contexte d’adoption de la Convention en explique la philosophie et la destination : née lors d’une période de forte instabilité politique en Amérique latine, elle permet la retraite des chefs d’Etat ou de gouvernement destitués par la violence dans les locaux d’ambassades amies, et par extension protège tous ceux qu’un militantisme politique a placé sous les feux de poursuites arbitraires. Bien que le caractère coutumier de l’asile diplomatique ait été rejeté par la Cour Internationale de Justice dans sa jurisprudence Haya de la Torre, il est une institution juridique bien connue de la pratique latino-américaine. Cependant, le texte ne lie pas le Royaume-Uni.
1. La Convention de Caracas, un texte qui ne lie pas le Royaume-Uni
Tierce partie à la Convention de Caracas, le Royaume-Uni n’est guère tenu d’en respecter les stipulations. Souvent perçu en Europe comme une ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat désireux de poursuivre pénalement un individu pour des crimes qu’il aurait commis, l’asile diplomatique n’y est pas reconnu comme une institution juridique. C’est parce que ces mêmes Etats reconnaissent le respect dû aux locaux et missions diplomatiques que la saisie d’Assange par les autorités britanniques semble improbable dans le contexte actuel. Ainsi, Pierre-Marie Dupuy note que « l’asile [que l’Etat] consent dans les locaux de ses ambassades, voire parfois de ses consulats, apparaît comme une exception au principe de l’exclusivité des compétences détenues par l’Etat accréditant sur son propre territoire », et que la « précarité de l’asile diplomatique au regard du droit trouve un écho naturel dans la fragilité relative de son efficacité matérielle. L’asile n'est respecté par le pays à l’autorité duquel il soustrait des personnes considérées comme dangereuses pour l’ordre public que pour autant que ce pays le veut bien ». En d’autres termes, dans la perspective du Royaume-Uni, non seulement la Convention de Caracas ne met à sa charge aucune obligation juridique, mais encore l’asile diplomatique accordé à Assange ne dépend que de sa bonne volonté, ici comprise comme le respect dû aux ambassades et autres locaux diplomatiques.
2. Crimes de droit commun et poursuites pour des « motifs politiques »
En supposant que le Royaume-Uni s’estime lié, non pas par la Convention elle-même mais par l’asile diplomatique auquel il reconnaîtrait un caractère coutumier, il n’est pas certain qu’Assange puisse être concerné, dans la mesure où les poursuites concernent des crimes de droit commun, et ne sont motivées, du moins en apparence, par des considérations politiques. Bien que la Convention ne soit pas applicable, son article 3 illustre le fait que l’asile ne vise pas à protéger les criminels ordinaires. En effet, son article 3 prévoit qu’ « il n’est pas légal d’accorder l’asile aux personnes qui, au moment de la demande, sont mises en accusation ou jugées pour des délits de droit commun, ou qui ont été condamnées par des tribunaux compétents et n’ont pas purgé leur peine (...), sauf si les faits donnant lieu à la demande d’asile (...) sont clairement de nature politique ». Or le viol est un crime de droit commun, et non pas un « crime politique » ; la preuve du « complot » allégué par Assange est donc au cœur de sa demande d’asile. Cependant le regard porté par l’Equateur sur les crimes présumés relève davantage de choix politiques que de l’administration de preuves formelles, la Convention de Caracas stipulant en effet dans son article 4 qu’il « appartient à l’Etat accordant l’asile de déterminer la nature de l’offense ou la nature des persécutions ». Ainsi, si les autorités équatoriennes ont rappelé à plusieurs reprises leur souci de connaître mieux le droit suédois, juridiction dont Assange relève dans le cadre des poursuites pénales menées contre lui, les avis juridiques de ce même Etat ne lient pas l’Equateur dans sa décision d’accueillir la demande d’asile. L’article 9 de la Convention de Caracas prévoit d’ailleurs que l’Etat requis tiendra compte des avis juridiques de l’Etat auteur des poursuites, mais signifie clairement que ces avis n’ont qu’une valeur de recommandation.
Mais surtout, la demande d’Assange trouve des ramifications allant bien au-delà de la Convention de Caracas, puisque celui-ci demande en réalité l’asile politique – et donc territorial – à l’Equateur.
3. Une demande d’asile territorial - un contexte équatorien favorable
L’expression « asile politique » employée dans la presse depuis qu’Assange s’est réfugié dans les locaux diplomatiques équatoriens de Londres recouvre une réalité juridique différente de la simple demande d’asile diplomatique, puisqu’il espère en réalité être accueilli physiquement en territoire équatorien, seul moyen selon lui d’échapper à la possibilité d’une extradition vers les Etats-Unis. Jugé par lui accueillant, l’Equateur est le seul Etat à même de protéger des intérêts que l’Australie, son Etat de nationalité, a depuis longtemps cessé de garantir – et ce bien que l’Australie ait proposé son assistance consulaire le 20 juin dernier. L’asile demandé est donc un asile territorial, accordé par l’Etat sur son territoire en vertu de sa souveraineté. L’Equateur, qui privilégie la thèse de la « persécution idéologique », semble tendre la main vers Assange dont la situation est pour l’heure en suspens. Il est vrai que son Président cherche à redorer un blason terni par des accusations de censure visant les organes de presse nationaux. Certains commentateurs estiment même que le soutien très tôt exprimé à Assange n’est qu’un moyen parmi d’autres de se présenter, à l’image d’Hugo Chavez, comme un pourfendeur de l’impérialisme américain. Par ailleurs, le droit équatorien est généreux vis-à-vis des demandeurs d’asile politique. En effet, l’article 29 de la Constitution équatorienne de 1998 affirme que les « l’Equateur reconnaît aux étrangers le droit d’asile », et l’article 6 de la loi sur les étrangers dispose que « le Gouvernement équatorien peut accorder l’asile aux étrangers déplacés à la suite d’une guerre ou de persécutions politiques dans leur pays d’origine, pour protéger leur vie ou leur liberté, conformément aux dispositions des conventions internationales applicables, ou à défaut, à celles de la législation nationale ».
4. La demande d’asile face à la juridiction territoriale britannique
Cependant, Assange ne se trouve pas en Equateur, et bien que sa demande y trouve a priori un écho favorable, elle est extra-territoriale et suppose un consentement préalable du Royaume-Uni. Le comportement des autorités britanniques indique cependant l’intention ferme de se saisir d’Assange dès que la chose sera rendue possible, c’est-à-dire dès qu’il aura quitté l’ambassade équatorienne. En effet, alors qu’il était convoqué le 28 juin par une brigade londonienne de Scotland Yard dans le cadre des poursuites dont il fait l’objet pour viols et violences sexuelles, la police a clairement affirmé qu’un refus de présentation l’exposerait à une arrestation pour violation de sa liberté conditionnelle. Cette position s’inscrit dans le cadre d’une bataille juridique de 18 mois ayant opposé Assange aux autorités du Royaume-Uni, dont tous les démembrements ont conclu à la validité du mandat d’arrêt européen émis par la Suède en décembre 2010 à l’encontre de l’australien. Dès le 2 novembre 2011, la Haite Cour de Londres rendait une décision validant l’extradition du pirate informatique vers la Suède, confirmée le 30 mai 2012 par la Chambre des Lords en tant que Cour Suprême britannique, puis le 14 juin suivant à l’issue d’une procédure d’appel. Cette dernière, en jugeant qu’un mandat d’arrêt peut être émis par un procureur – comme ce fut le cas en l’espèce – et non pas seulement par un tribunal, a définitivement autorisé l’extradition. Seule une requête transmise à la Cour européenne des droits de l’homme dans les 15 jours suivant l’ultime décision de la Cour Suprême pourrait désormais faire reculer la réalisation de la procédure, mais les avocats d’Assange se sont récemment refusés à confirmer ou infirmer un tel recours.
5. Extradition contre droit d’asile
Les avocats de l’australien arguent enfin que la demande d’asile formulée par Assange est supérieure, en droit international, au droit de l’extradition. Ils ne précisent guère les fondements juridiques de cette supériorité alléguée mais nous pouvons gager qu’elle trouve sa justification dans la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. L’argument est original mais ne semble guère porter. En effet, les procédures d’extradition ici mises en cause découlent de l’application du droit européen, qui prime les droits nationaux et y bénéficie de l’effet direct. L’avenir proche éclairera le devenir de cette argumentation, et permettra de faire la lumière sur l’éventualité d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.