Lors d’une réunion tenue à Panama le lundi 2 juillet 2012, la Commission baleinière internationale (CBI) a refusé la proposition faite par un groupe d’Etats de créer un « sanctuaire » dans l’Atlantique Sud pour la protection de la baleine. Cette décision est adoptée dans le cadre de la 64e Réunion annuelle de la CBI, réalisée à Panama du 11 juin au 6 juillet 2012.
1. La décision de la Commission baleinière internationale
La proposition de la création du sanctuaire dans l’Atlantique Sud a été lancée par les gouvernements du Brésil, de l’Argentine, de l’Afrique du Sud et de l’Uruguay. Pour la troisième fois, une tentative de création d’un sanctuaire dans cette zone est à l’ordre du jour de la CBI, organe chargé de le faire en vertu de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, adoptée en 1946.
La proposition a été à nouveau refusée en raison du manque de quorum nécessaire exigé par la Convention internationale sur la chasse à la baleine. En effet, 38 Etats ont voté en faveur de la décision, 21 contre et 2 s’en sont abstenus, alors que la proposition devait recueillir au moins une majorité des trois quarts des voix favorables pour être adoptée.
2. La détermination des sanctuaires par la Commission baleinière internationale
En vertu de l’article V (1) (c) de la Convention sur la chasse à la baleine, la CBI pourra adopter des clauses relatives à la conservation et à l’utilisation des ressources représentées par les baleines concernant les eaux où la chasse est permise et celles où elle est interdite, y compris les zones de refuge.
Pour ce faire, la CBI doit modifier le Règlement de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, lequel établit des régulations et des obligations détaillées de la Convention, dont les sanctuaires où actuellement la chasse commerciale à la baleine est interdite.
La CBI a créé trois sanctuaires au long de son histoire, desquels deux subsistent aujourd’hui et sont mentionnés dans le règlement : le sanctuaire de l’Océan indien et le sanctuaire de l’Océan austral. Le plus ancien, créé en 1938 et couvrant le sud de l’Océan pacifique, n’a existé que jusqu’en 1955.
Conformément à l’article V (2) de la Convention, les modifications au règlement permettront de réaliser les objectifs de la Convention, seront basées sur des conclusions scientifiques, ne comporteront aucune restriction quant au nombre ou à la nationalité d’usines flottantes ou de stations terrestres et tiendront compte des intérêts des consommateurs des produits tirés des baleines et de ceux de l’industrie baleinière.
La Convention prévoit, en outre, que toute décision prise en vertu de l’article V requiert une majorité des trois quarts des voix. C’est-à-dire, la création d’un nouveau sanctuaire doit respecter les conditions décrites là-dessus et avoir le quorum nécessaire pour que la décision soit adoptée.
Selon le Japon, une des principales puissances baleinières, il n’existait pas de « fondement scientifique » pour la création du sanctuaire de l’Atlantique Sud, condition nécessaire pour modifier le règlement. Ce point de vue méconnaîtrait les recommandations du Comité scientifique de la CBI, organe qui est composé d’experts en la matière et qui mène des recherches, collecte des informations statistiques et recommande des mesures tendant à assurer la conservation des baleines.
3. Le moratoire international sur la chasse commerciale à la baleine
La création des sanctuaires n’est cependant pas la seule mesure qui assure la conservation de la baleine. Suite à l’épuisement de nombreuses espèces, un moratoire sur la chasse commerciale à la baleine a été adopté par la CBI en 1982, effectif à partir de 1986. Ce mécanisme, prévu à l’alinéa e) du paragraphe 10 du règlement de la Convention, fixe à zéro le nombre maximum de captures de baleines à des fins commerciales dans toutes les populations.
Cette décision a été déterminée par un changement de perception quant à la protection de la baleine. Au début, la Convention sur la chasse à la baleine a été adoptée en prévoyant la conservation judicieuse de l’espèce baleinière et, partant, rendre possible le développement ordonné de l’industrie baleinière. Toutefois, une approche de « préservation », donnant plus de valeur en soi à ces espèces a remplacé la conception « utilitariste » qui prévalait auparavant.
La Convention et le règlement prévoient plusieurs exceptions à la chasse à la baleine. La plus importante consiste en l’autorisation qu’un Etat peut accorder, en vertu de l’article VIII de la Convention, à tuer, capturer et traiter des baleines « en vue de recherches scientifiques », cas dans lequel la Convention est inopérante. Trois pays (le Japon, la Norvège et l’Islande) utilisent cette exception afin pour poursuivre la chasse à la baleine, ce qui peut porter atteinte à la continuité des espèces.
La CBI a aussi prévu une exception concernant la « chasse aborigène », selon laquelle la chasse pour la subsistance des communautés qui dépendent de la consommation de la baleine est permise. Conformément au règlement, cette activité est soumise à certaines conditions et à des limites sur le nombre de baleines qui peuvent être capturées afin d’assurer un rendement maximum de renouvellement des espèces.
4. Les enjeux et les perspectives
La négative de la CBI quant à la création du sanctuaire dans l’Atlantique Sud laisse entrevoir certains enjeux que la régulation internationale de la chasse à la baleine doit affronter, ainsi que ses perspectives futures.
Le premier enjeu consiste en la gouvernabilité que la CBI peut réellement exercer afin de réaliser les objectifs de la Convention sur la chasse à la baleine et de son règlement. Bien que ces objectifs et la régulation adoptée par la suite visent à une meilleure protection des baleines contre leur extinction, il est clair que les puissances baleinières continuent d’exercer une influence telle que le rôle de la CBI peut être ignoré dans la pratique, au moins pour les décisions importantes sur la conservation des espèces de baleines menacées. Un renforcement des fonctions et du pouvoir de tous les organes de la CBI est nécessaire, assurant l’application des provisions de la Convention et en harmonisant les différents éléments du développement durable, dont les aspects environnementaux, économiques et sociaux.
Deuxièmement, l’exception permise par la Convention quant à la chasse à la baleine en vue de recherches scientifiques a aussi été au centre de la discussion. Cette exception, qui ne peut en aucun cas constituer une excuse pour masquer la poursuite d’autres fins, en particulier commerciales, fait l’objet de débat actuellement à la Cour internationale de Justice, suite à la requête introduite par l’Australie contre le Japon le 30 mai 2010 sur la Chasse à la baleine dans l'Antarctique.
Dans cette instance, l’Australie soutient que le Japon a violé et continue de violer les obligations du règlement de la Convention, spécialement celle « de respecter de bonne foi la limite fixée à zéro en ce qui concerne le nombre de baleines tuées à des fins commerciales » et celle « d’agir de bonne foi en s’abstenant d’entreprendre des activités de chasse commerciale à la baleine à bosse et au rorqual commun dans le sanctuaire de l’océan Antarctique ». Etant close la procédure écrite, la Cour internationale de Justice constituera un scénario transcendantal pour établir si les activités réalisées par le Japon sont justifiées par la Convention sur la chasse à la baleine ou si ces activités sont des faits internationalement illicites.
Troisièmement, la régulation de la chasse à la baleine dans la zone économique exclusive fait aussi l’objet de discussion, la Convention sur la chasse à la baleine n’y faisant aucune référence. A cet égard, la proposition de création du sanctuaire dans l’Atlantique Sud mentionnait qu’elle n’était pas applicable aux eaux soumises à la juridiction nationale d’un Etat riverain, à l’exception du Brésil qui a été en faveur de la chasse à la baleine dans sa zone économique exclusive s’il le désire. Cette position doit pourtant être compatible avec les caractéristiques spéciales de certaines espèces qui pourraient migrer vers ces zones et une autorisation de leur chasse y porterait atteinte.
Ces enjeux, parmi d’autres, continueront d’être sans doute au centre des travaux de la CBI. Certaines décisions, comme l’extension du moratoire sur la chasse commerciale à la baleine et la prolongation de l’existence des sanctuaires dans l’Océan indien et dans l’Océan austral, encouragent les perspectives du travail futur de la CBI. Son rôle d’organisation internationale capable d’assurer la protection des baleines doit être renforcé et toujours mis en valeur, visant à ce que les objectifs de la Convention et du règlement soient réalisés et à ce que les générations futures profitent des ressources naturelles que notre génération pourra encore protéger.
Observation (philippe Weckel)
Il est opportun de rappeler l'instance introduite devant la CIJ par l'Australie contre le Japon au sujet de la pêche à la baleine dans l'Antarctique.