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Soumis par Weckel Philippe le 10 June 2012

L'affaire Chen Guangcheng est un cas inhabituel à la limite de la question de l'asile diplomatique.

La particularité tient d'abord à la personnalité de ce Chinois aveugle que l'on peut considérer comme un militant des droits civiques, plutôt que comme un opposant politique. Il n'a d'ailleurs eu de cesse d'appeler à l'aide les autorités centrales contre les violences dont il faisait l'objet dans son village d'origine dans la région de Shandong de la part de militants communistes locaux.

Masseur de formation, il s'était élevé contre certaines conséquences inhumaines de la politique de l'enfant unique, notamment la stérilisation forcée, voire l'avortement forcé pratiqué parfois à quelques jours de l'accouchement, donc dans des conditions qui s'apparentent à un infanticide ("Mieux vaut dix tombes fraîches qu'un enfant de trop"... :  Brice Pedroletti, «  Les violences de la politique de l'enfant unique continuent d'être taboues, »  Lemonde.fr, 3 novembre 2011). L'avocat aux pieds nus a ainsi dénoncé les graves problèmes de la société chinoise rurale, mais, après avoir obtenu quelques succès, il est devenu la cible des autorités locales. Aussi, il a été reconnu coupable en 2006 pour troubles à l'ordre public, dégradation volontaire des biens de l'État et obstruction de voies de circulation et condamné à quatre ans et trois mois de prison ferme. Les droits de la défense n'ont pas été respectés. En détention, il a été torturé par des codétenus et privé de soins médicaux. Après avoir purgé sa peine, il a été assigné à résidence en 2011 dans des conditions sévères et il aurait été roué de coups par la police. On voit que Chen est préoccupé par des considérations humanitaires et que l'arbitraire dont il a victime a fait de son sort une cause humanitaire.

La seconde particularité de l'affaire Chen réside dans la notoriété internationale et la sympathie dont bénéficie son combat pacifique. Le Département d'Etat américain avait d'ailleurs demandé sa libération en 2011.

La crise politique que traverse la Chine peut inciter certains responsables à rechercher un asile politique. Ainsi Wang Lijun, brillant chef de la police de Chongqing, s'est présenté en mars dernier au consulat américain avec l'intention de quitter la Chine ; il en est ressorti de son plein gré 36 heures plus tard. Cet incident est à l'origine de la chute du célèbre dirigeant Bo Xilai, l'acteur de l'ouverture de la Chine au commerce international. Il n'y a évidemment aucune commune mesure entre l'affaire Bo et le sort de Chen, l'avocat autodidacte des paysannes de Linyi. Cependant, Chen Guangcheng ne s'est pas rendu de sa propre initiative à l'ambassade américaine de Pékin et il n'a jamais envisagé de solliciter le statut de réfugié politique. Il s'était échappé le 21 avril de sa résidence surveillée, se blessant à la jambe en escaladant le mur d'enceinte. De leur propre témoignage, on sait que les agents diplomatiques des Etats-Unis sont venus à sa rencontre après son arrivée à Pékin et l'ont amené à l'ambassade le 27 avril en déjouant la surveillance de la police chinoise. Il voulait rester en Chine pour y poursuivre son combat en faveur du respect de la légalité chinoise. Il a effectivement obtenu des autorités de son pays les garanties et les concessions qu'il espérait. Coopératives, ces dernières lui ont permis de retrouver sa femme et ses deux enfants et l'ont autorisé à s'inscrire dans une université pour y suivre une formation en droit, malgré son handicap. Chen a donc quitté volontairement l'ambassade pour être admis à l'hôpital de Chaoyang en observation. Se sentant peut-être en danger, il a changé d'avis et a demandé à pouvoir finalement rejoindre les Etats-Unis. Déclenché dans le contexte de la visite de la Secrétaire d'Etat américaine à Pékin cette affaire a grandement embarrassé les diplomaties des deux Etats qui ont trouvé la solution permettant à chacun de sauver la face. Chen a été admis aux Etats-Unis avec sa famille pour s'inscrire dans une université à New-York et non en tant que réfugié politique. La Chine a affirmé qu'il pouvait quitter son territoire comme n'importe quel autre citoyen et lui a délivré, non le sauf conduit qui met fin à un asile diplomatique, mais des documents de voyage ordinaires.

Reste tout de même le problème soulevé par la protestation chinoise du 2 mai 2012.

 

La protestation et la réclamation chinoises :

  1. La Chine estime que les agents diplomatiques des Etats-Unis se sont ingérés dans les affaires internes chinoises en conduisant, à l'insu des services de police, Monsieur Chen dans les locaux de leur ambassade à Pékin. Elle a réclamé des excuses des Etats-Unis et demandé qu'une enquête soit diligentée sur le comportement de ces agents :

« Q: On Chen Guangcheng's entering the US Embassy in China, does China believe the US interferes in China's internal affairs? Does China demand an apology from the US?

A: According to our knowledge, Chen Guangcheng, a native of Yinan county, Shandong Province, entered the US Embassy in China in late April, and left of his own volition after a six-day stay. It should be pointed out that the US Embassy in China took Chen Guangcheng, a Chinese citizen, into the Embassy via abnormal means, with which China expresses strong dissatisfaction. The US move is an interference in China's internal affairs, which is completely unacceptable to China. The US Embassy in China has the obligation to abide by relevant international laws and Chinese laws, and should not engage in activities irrelevant to its duties.

China demands the US to apologize for that, carry out a thorough investigation into the incident, deal with those responsible, and promise not to let similar incidents happen again. China noted that the US has expressed the importance it attaches to China's demands and concerns, and promised to take necessary measures to prevent similar incidents. The US side should reflect upon its policies and actions, and take concrete actions to maintain the larger interests of China-US relations.

China emphasizes that China is a country under the rule of law, and every citizen's legitimate rights and interests are protected by the Constitution and laws. Meanwhile, every citizen has the obligation to abide by the Constitution and laws ».

Foreign Ministry Spokesperson Liu Weimin's Remarks on Chen Guangcheng's Entering the US Embassy in China

 

  1. Les Etats-Unis estiment que leurs agents ont agi conformément aux valeurs qui sont celles de l'Amérique. Ils ont souligné le caractère exceptionnel de l'affaire qui ne devrait pas se reproduire. Ils ont expliqué que Monsieur Chen a été amené à l'ambassade pour qu'il puisse y bénéficier des services de soin qu'exigeait son état :

« Chen Guangcheng, who I think of you all know, entered the United States Embassy in Beijing under exceptional circumstances on April 26, 2012, requesting medical treatment from the Embassy. In part because of his visual disability, he was injured while traveling to Beijing from his home village of Donshigu in Shandong province. That’s a couple hundred miles away. On humanitarian grounds, we assisted Mr. Chen in entering our facilities and allowed him to remain on a temporary basis. U.S. medical personnel conducted a series of medical tests and administered appropriate treatment while he was there ».

(…)

« We have worked together. We have sought to resolve this case in a manner consistent with American values and our commitment to human rights and in the context of a cooperative U.S.-China partnership ».

(…)

QUESTION: The Chinese are asking for an apology for accepting him. What – have you offered any sort of apology?

SENIOR STATE DEPARTMENT OFFICIAL ONE: Let me just answer it this way if I can. This was an extraordinary case involving exceptional circumstances, and we do not anticipate that it will be repeated. Recognizing the exceptional circumstances under which Mr. Chen entered the U.S. Embassy, we intend to work closely inside the U.S. Government to fully ensure that our policies are consistent and – with our values. And that’s about all I’ll say on that one.

MODERATOR: Jill.

QUESTION: But as an apology, an apology is really a pretty specific thing.

SENIOR STATE DEPARTMENT OFFICIAL ONE: I just want to – I think I just stated what our position is.

QUESTION: Do you feel that there’s anything to apologize for?

QUESTION: So you’re not saying whether the U.S. will apologize, as the Chinese have demanded?

SENIOR STATE DEPARTMENT OFFICIAL ONE: I think I’m just going to stand on what we’ve stated.

MODERATOR: I think he’s answered the question.

Jane.

QUESTION: Beyond that, the foreign ministry statement says it’s asking the U.S. to investigate, because the Embassy was used in a way that embassies are not supposed to be. This seemed to be an inference that he got in with maybe the help of others. What do you say to that?

SENIOR STATE DEPARTMENT OFFICIAL ONE: I think at this time, I’m just going to repeat what I’ve just said, so I’m not going to go into any further details. We are going to be sure, as we review all of the details, that we are completely consistent in what we say.

QUESTION: And given that Chen – that there are Chinese guards outside of the Embassy, how did Chen get inside? Was he picked up by U.S. diplomats elsewhere and then brought in?

SENIOR STATE DEPARTMENT OFFICIAL ONE: I think I’ll just stick there and stick with what I –

(…) »

Background Briefing With Senior State Department Officials on Chen Guangcheng

 

Observations

Les autorités chinoises n'ont jamais communiqué sur les éventuelles suites qui seraient données à l'évasion de Chen. Rien ne permet de dire s'il devait être renvoyé en détention ou puni pour son évasion. Les autorités centrales sont demeurées très discrètes sur le procès irrégulier qui avait conduit à sa condamnation, sur son assignation à résidence sur les mauvais traitements subis... Quelles sont ces affaires internes dont se prévaut la Chine ? La justice chinoise ? Mais il n'en justement pas été été question. D'ailleurs la Chine a reconnu la liberté de circulation de Chen.

Ce dernier s'est rendu à l'ambassade et l'a quitté de sa propre volonté. La France considère qu'interdire à des ressortissants du pays d'accueil de se rendre dans ses locaux lorsqu'ils y sont invités constitue une entrave injustifiée à la liberté de ses activités diplomatiques et consulaires protégées par les Conventions de Vienne. Les autorités chinoises ont-elles interdit à Chen de se rendre dans l'ambassade ?

L'assistance apportée à un ressortissant du pays d'accueil dans les locaux de l'ambassade n'excède pas, à l'évidence, les compétences de l'Etat d'envoi.

Finalement les déclarations des Etats-Unis ne laissent subsister aucun doute sur leur détermination. Ils étaient prêts à permettre à Chen de résider durablement dans l'ambassade, s'il l'avait demandé. Depuis les deux arrêts Haya de La Torre rendus par la Cour internationale de Justice en 1950 et 1951 le droit international a évolué sur la question de l'asile diplomatique sous l'influence du développement des droits de l'homme ; non seulement l'Etat n'est pas tenu de livrer une personne qui a trouvé refuge dans son ambassade aux autorités de l'Etat d'accueil, mais il manquerait à ses obligations internationales si, en accédant à leur demande, il exposait cette personne à un traitement gravement arbitraire. Or les autorités nationales chinoises n'ont certes pas approuvé ce que que des autorités locales ont fait subir à Chen, mais elles n'ont pas assumé la responsabilité qui leur incombe dans un Etat de droit.

 

Document

Press Statement

Hillary Rodham Clinton

Secretary of State

May 2, 2012

I am pleased that we were able to facilitate Chen Guangcheng’s stay and departure from the U.S. Embassy in a way that reflected his choices and our values. I was glad to have the chance to speak with him today and to congratulate him on being reunited with his wife and children.

Mr. Chen has a number of understandings with the Chinese government about his future, including the opportunity to pursue higher education in a safe environment. Making these commitments a reality is the next crucial task. The United States Government and the American people are committed to remaining engaged with Mr. Chen and his family in the days, weeks, and years ahead.

Bulletin numéro 308