Dans son tout premier rapport au Conseil de sécurité sur la situation des enfants victimes de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), le Secrétaire général Ban Ki-moon souligne que le groupe armé reste l'un des pires auteurs de crimes commis contre les enfants. Plusieurs chiffres reflètent l’effet dévastateur de l’activité de la LRA: environ de 700 à 500 combattants opérant dans les unités de la LRA depuis 2009, sur un vaste territoire d’une superficie de 400 000 kilomètres carrés dans la région d’Afrique centrale, le déplacement de plus de 440.000 personnes dans toute la zone depuis 2008, 278 attaques et plus de 300 enlèvement en 2011 (cf. les données de Integrated Regional Information Networks et le « fact-sheet » du Bureau du Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés).
A sa conférence de presse, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, Mme Radhika Coomaraswamy a présenté le « Rapport du Secrétaire général sur les situations des enfants victimes de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) » à côté de Mme Grace Akallo, ex-enfant soldat. Il convient de résumer les conclusions principales du rapport (I.), présenter l’initiative de coopération régionale de l’Union africaine concernant la LRA (II.) et enfin souligner l’aspect de droit international pénal, notamment les procédures pendantes contre les dirigeants de la LRA (III.).
I. Le rapport du Secrétaire général
En juin 2010, le Groupe de travail du Conseil de sécurité concernant la situation en Ouganda a prié le Secrétaire général d’établir un rapport d’ensemble sur la situation des enfants victimes de l’Armée de résistance du Seigneur et le conflit armé (cf. ONU Doc. S/AC.51/2010/1).
En 2010, l’Ouganda a informé le Groupe de travail des Nations Unies sur les enfants et les conflits armés que la LRA n’opérait plus sur le territoire ougandais depuis la signature, en août 2006, de l’Accord de cessation des hostilités. La LRA a acceptée certaines obligations en signant l’Accord sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration (entre la LRA et le Gouvernement de l’Ouganda) en février 2008, notamment l’interdiction du recrutement et de l’usage des enfants soldats en conflit armé [cf. Art. 2.6.]. Toutefois, la LRA continuait de commettre des atteintes aux droits des enfants au Sud-Soudan, en République démocratique du Congo (RDC) et en République centrafricaine.
En décembre 2008, le Président Joaquim Chissano, l’Ouganda et la RDC ont lancé une opération militaire conjointe, dénommée « opération Coup de tonnerre », contre le groupe armé dans la province Orientale dans le nord-est de la RDC. Après la fin de l’opération, mars 2009, la LRA a éclaté en petits groupes mobiles opérant dans les zones frontalières entre la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud. Alors que les attaques se sont calmées pendant la deuxième moitié de 2011, la fréquence des attaques a augmenté pendant le premier trimestre de 2012.
Le rapport documente des violations commises contre des enfants et les mesures prises contre la menace que représente la LRA entre juillet 2009 et février 2012. Au cours de cette période, au moins 591 enfants, dont 268 filles, ont été séquestrés et recrutés de force dans les rangs de la LRA, principalement en RDC, mais également en République Centrafricaine et dans le Soudan du Sud. Le rapport informe sur six formes d’atteintes graves aux droits des enfants : le recrutement et l’emploi d’enfants soldats, le meurtre et les mutilations d’enfants, la violence sexuelle, les enlèvements, les attaques contre les écoles et les hôpitaux, ainsi que le refus de l’accès aux organismes humanitaires. Il est important de souligner que le recrutement des enfants a été dans tout cas précédé par leur enlèvement, et que le temps que les enfants passent dans les rangs de la LRA varie de quelques semaines ou mois à deux ans, mais dans la majorité des cas une à deux semaines. Pendant la période examinée, on a recensé 45 cas d’enfant tué et 39 cas d’enfant mutilé par la LRA, mais ce nombre est probablement inférieur au nombre réel.
Au total, 113 cas de violence sexuelle perpétrée par des éléments de la LRA contre des filles et 1 cas contre un garçon ont été recensés pendant la période considérée. La quasi-totalité des filles enlevées par la LRA pour de longues périodes ont été soumises à des violences sexuelles répétées, notamment dans le cadre de l’esclavage sexuel, et l’exploitation sexuelle.
Au cours de la période considérée, deux attaques contre des écoles et une contre un centre de soins de santé primaires ont été recensées au Soudan du Sud et deux attaques contre des écoles en RDC. Par conséquence, dans cette vaste région les parents sont peu enclins à envoyer leurs enfants à l’école par crainte d’autres enlèvements ou attaques de la LRA et pensaient que l’école est un lieu dangereux.
L’accès aux populations demeurait le principal problème rencontré par les agents humanitaires dans les zones reculées à cause de l’insécurité causée par la présence de la LRA et ses attaques contre la population. Cette insécurité a entravé ou limité la fourniture de l’aide humanitaire et la mise en œuvre de missions de surveillance et d’évaluation.
Enfin, le Secrétaire général attire l’attention à deux effets secondaires préoccupants :
- La formations des groupes d’autodéfense : la faiblesse des forces de sécurité de l’État dans la région frontalière a encouragé la formation de groupes d’autodéfense incontrôlés par les Etats. Il semble que ces groupes se soient rendus coupables d’exactions contre les communautés locales et, dans le cas de la République centrafricaine, qu’ils comptent eux-mêmes des enfants dans leurs rangs.
- La stigmatisation des Peuls (une ethnie de pasteurs nomades connus aussi sous le nom de Mbororo ou de Fulani) : présents dans la zone d’opérations de la LRA, les Peuls « sont maintenant exposés non seulement aux attaques de la LRA elle-même (attestées par les cas d’enlèvement mentionnés dans ce rapport), mais aussi à une stigmatisation de la part des autres groupes ethniques de la région pour qui leur nomadisme vaut présomption d’association avec la LRA » (Rapport, par. 70.).
II. L’assistance de l’ONU et l’initiative de coopération régionale de l’Union africaine concernant la LRA
La lutte contre l’activité de la LRA ne pouvait, jusqu’ici, mener à des résultats de longue durée sans l’aide de la communauté internationale, notamment de l’ONU. Dans la déclaration du Président du Conseil de Sécurité en novembre 2011 (cf. ONU Doc. S/PRST/2011/21), le Conseil a prié le Secrétaire général de l’ONU de préparer « un rapport unique sur le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale et la LRA faisant état des possibilités d’améliorer l’échange d’informations entre l’Union africaine, les États touchés par les opérations de la LRA et les missions des Nations Unies et définissant le rôle du Bureau régional dans la coordination des actions menées pour lutter contre la LRA ». Dans sa rapport, le Secrétaire général donne plusieurs bons exemples sur la coopération entre l’ONU et l’Union africaine (AU).
Au sein de l’ONU, les suivants organes agissent dans le domaine de la lutte contre la LRA : le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République Centrafricaine, qui accorde une attention accrue aux activités relatives à la LRA en République centrafricaine ; la MONUSCO (1 200 Casques bleus dans le Haut-Uélé et le Bas Uélé, avec le mandat de protéger les civils ; appui pour les forces armées des quatre pays touchés) et la Mission des Nations Unies au Soudan/Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (appui de protection); le Bureau des Nations Unies auprès de l’Union africaine ; le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale ; l’UNICEF (programmes de réhabilitation et de réinsertion pour les enfants rescapés de la LRA; sessions de formation pour les membres de la société civile et des forces armées) ; le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires et la Section de la protection de l’enfance de la MONUSCO (organisation conjointe d’ une session de sensibilisation avec les FARDC).
Tout d’abord, les organes des Nations Unies soutiennent les forces armées des Etats concernés. Par exemple les Forces de défense populaires de l’Ouganda (FDPO) ont entamé des opérations militaires contre la LRA en République centrafricaine, en RDC et au Soudan du Sud. En mai 2011, le Chef des FDPO a signé les instructions permanentes pour la prise en charge des enfants rescapés de la LRA et leur remise à des organismes compétents, notamment à l’UNICEF ou à un autre organisme des Nations Unies ou organisme humanitaire. De plus, avec l’assistance de l’UNICEF, la Direction des droits de l’homme des FDPO a dispensé à des militaires ougandais déployés en RDC et en République centrafricaine une formation à l’application pratique des instructions permanentes.
Quant à l’Union africaine, elle a commencé d’organiser des réunions ministérielles régionales dans la question de l’action commune contre la LRA en 2010. À sa deuxième réunion ministérielle régionale sur la LRA tenue à Addis-Abeba en juin 2011, l’UA a défini l’objectif stratégique de ses opérations contre la LRA, à savoir éliminer la LRA en vue d’instaurer un climat de sécurité et de stabilité dans les zones touchées. Par la suite, en novembre 2011, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a autorisé la mise en place d’une initiative régionale de coopération concernant la LRA, comprenant un mécanisme conjoint de coordination et une équipe spéciale régionale [cf. décision PSC/PR/COMM.(CCXCIX) et rapport du président de la Commission]. L’UA a nommé un envoyé spécial pour cette initiative, M. Francisco Caetano Madeira, Représentant spécial en charge de la Coopération contre le Terrorisme (cf. le Communiqué de presse).
Pour accélérer la mise en œuvre de l’initiative régionale de coopération contre la LRA, une mission conjointe de l’UA et des Nations Unies doit être mise en place dans les pays affectés par la LRA (cf. le Communiqué de presse de janvier 2012). Lancée officiellement en mars 2012, l’équipe spéciale régionale devrait être constituée de 5 000 soldats provenant de l’Ouganda, de la République centrafricaine, de la RDC et du Soudan du Sud et avoir pour quartier général Yambio, Soudan du Sud (cf. la Déclaration de presse de l’UA). Les Ministres de la Défense et chefs de délégation des pays affectés par les atrocités de la LRA ont tenu la première réunion du Mécanisme conjoint de coordination de l’initiative de coopération régionale pour l’élimination de la LRA le 8 mai 2012 (cf. le Communiqué de presse).
L’UA a aussi prévu de mettre en œuvre un équipe spéciale a pour mandat de capturer les dirigeants de la LRA, de protéger les civils exposés aux attaques de la LRA et de promouvoir l’aide humanitaire (cf. rapport du Secrétaire général, para. 9.). Parmi ses recommandations, le Secrétaire général de l’ONU prévoit « la mise au point d’une approche multidimensionnelle et coordonnée de la menace posée par ce groupe armé, avec notamment la création par l’Union africaine de l’Initiative de coopération régionale pour l’élimination de l’Armée de résistance du Seigneur et l’élaboration de la stratégie régionale commune ONU-Union africaine », prévue par la déclaration du 14 novembre 2011 du président du Conseil de sécurité (S/PRST/2011/21). Il avertit que toute action militaire contre la LRA, y compris celles menées par les forces de sécurité de la région et par la Force régionale d’intervention de l’Union africaine, doit mettre au premier plan de ses préoccupations la protection des civils et le respect du droit international humanitaire, des droits de l’homme et du droit des réfugiés (Rapport, par. 65.).
Outre l’ONU, les Etats-Unis déploient une centaine de conseillers militaires équipés pour le combat en Afrique centrale en vertu de la loi sur le désarmement de la LRA et le relèvement du nord de l’Ouganda, adoptée en 2009. La coopération africaine, avec l’appui des Nations Unies et les Etats-Unis peut remédier la cause principale de la liberté d’action de la LRA, notamment la faiblesse ou l’absence des forces nationales de sécurité dans les zones frontalières des Etats concernés.
III. Droit international pénal - mandats d’arrêt en cours
La Cour pénale internationale a délivré cinq mandats d’arrêt à l’encontre des principaux dirigeants de la LRA qui sont accusés, entre autres crimes, d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, y compris des meurtres, des viols et des enlèvements d’enfants (cf. Le Procureur c/ Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen).
En Ouganda, seulement un procès pénal a été effectivement ouvert: le 11 juillet 2011, la nouvelle Division des crimes internationaux de la Haute Cour de l’Ouganda a entamé à Gulu (Ouganda) son premier procès pour crimes de guerre avec l’affaire Thomas Kwoyelo, un commandant de la LRA. Il a été inculpé de 53 chefs de crimes de guerre en vertu de la loi sur les Conventions de Genève, avec des accusations en alternative de meurtre, d’enlèvement dans l’intention de tuer, de tentative de meurtre et de vol en vertu du Code pénal. Toutefois, le 22 septembre 2011, la Cour constitutionnelle ougandaise a décidé que M. Kwoyelo avait droit à l’amnistie, conformément à la loi d’amnistie adoptée par l’Ouganda en 2000, qui offre une amnistie totale à ceux qui renoncent à toute participation à la guerre ou à la rébellion armée contre le Gouvernement ougandais, ou l’abandonnent, y compris pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Alors que le procès de Kwoyelo a pris fin en novembre 2011, le ministère public soutient que l’amnistie ne s’applique pas aux crimes contre l’humanité et M. Kwoyelo est toujours en détention à Kampala.
Le Secrétaire général et le Comité des droits de l’enfant ont aussi critiqué la loi ougandaise sur l’amnistie : alors que la loi d’amnistie a facilité la libération de milliers d’enfants enrôlés de force par la LRA, l’impunité des malfaiteurs n’est pas conforme aux obligations de l’Ouganda qui découlent du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (cf. Rapport, par. 67. ; Comité des droits de l’enfant, CRC/C/OPAC/UGA/CO/1, par. 28-29.). Le Secrétaire général déconseille l’adoption de lois d’amnistie explicites qui contreviennent à l’obligation de traduire en justice les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Enfin, au début de mai 2012, l’armée ougandaise a annoncé l'arrestation du général Caesar Achellam, d'un adjoint de Joseph Kony (dirigeant de la LRA), en République centrafricaine.
Conclusion
L’initiative régionale de coopération concernant la LRA est le fruit des travaux préparatoires conjoints de l’UA et l’ONU. Le Mécanisme conjoint de coordination de l’initiative de coopération régionale de l’UA, avec l’appui des Nations Unies et les Etats-Unis, est susceptible de remédier la porosité des frontières et d'éliminer la LRA. Toutefois, les deux observations secondaires du Secrétaire général restent préoccupantes : la menace présentée par la formations des groupes d’autodéfense et la stigmatisation des Peuls. Pour pacifier la région, les quatre Etats concernés doivent adopter des programmes pour résoudre ces questions aussi.
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Metou, Brusil Miranda, Le conseil de sécurité adopte une résolution sur le ressèrement des relations entre l'ONU et l'Union africaine, Sentinelle, no. 290 du 22 janvier 2012
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