Les tentatives d'empêcher la justice internationale de se pencher sur les crimes commis au cours des violences post électorales de décembre 2007 au Kenya auront été vaines. Les présumés auteurs de crimes contre l'humanité, commis au cours de cette période tourmentée de l'histoire du Kenya viennent d'essuyer une énième défaite dans leurs démarches visant à faire échec à la procédure engagée depuis quelques années déjà par le Parquet de la Cour pénale internationale (CPI). Le 24 mai 2012 en effet, la Chambre d'appel de cette haute juridiction pénale internationale a rejeté l'appel interjeté (par quatre auteurs présumés des crimes commis aux lendemain des résultats contestés de l'élection présidentielle kenyane, à savoir Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta, William Samoei Ruto et Joshua Arap Sang) contre la décision de rejet du déclinatoire de compétence formulé par les sus-nommés.
Il convient de rappeler qu’après l’ouverture d’une enquête à l’initiative du Parquet de la Cour pénale internationale (Cf. Sentinelle N°220 du dimanche 04 avril 2010), puis la délivrance, le 8 mars 2011, de citations à comparaitre à certaines personnalités kenyanes (Cf. Bulletin Hebdomadaire Sentinelle 259 du 2011-03-20), suivie de la décision de rejet, par la Chambre préliminaire, de l’exception d’incompétence soulevée par les personnes sus-mentionnées, ces dernières avaient saisi la Chambre d’Appel pour obtenir la réformation de ladite décision ainsi que l’arrêt des procédures contre les auteurs présumés des crimes contre l’humanité. Comme dans leurs demandes devant la Chambre préliminaire, les quatre personnes susmentionnées faisaient valoir, dans leur demande, que l’interprétation de l’expression «Organisation politique » (figurant à l’Article 7(2)(i) des Statuts de la Cour) telle qu’adoptée par la Chambre préliminaire était incorrecte et que le Parquet n’avait pas établi la preuve de l’existence d’une telle organisation à laquelle aurait pu être imputés les crimes allégués. Les appelants reprochaient en outre à la Chambre préliminaire d'avoir appliqué cette définition tronquée au mouvement Mungiki, et de l'avoir considéré comme une organisation politique au sens du paragraphe 2(a) de l'Article 7 des Statuts. En effet, la Chambre préliminaire avait indiqué que point n'était besoin, pour être considéré comme une organisation, d'être lié à une structure étatique, et qu'il suffisait que l'entité en question constitue un groupe en mesure de commettre des actes qui portent atteinte aux droits de l'homme. Reproche était également fait à la Chambre préliminaire non seulement d'avoir estimé qu'il appartenait à la défense d'apporter la preuve de la nécessité de revisiter la définition donnée au concept d'organisation, mais également d'avoir refusé de procéder à un examen préliminaire et factuel des éléments de preuves présentés par l'accusation, afin de mieux évaluer sa compétence matérielle sur les faits allégués. Au delà de ces différents griefs formulés contre la décision de la Chambre préliminaire, le le nœud du problème s'articulait autour de la question de la nature des exceptions soulevées par les appelants. S'agissait -il de questions touchant au fond du contentieux, ou tout simplement de question de procédure?
Répondant à ces questions, la Chambre d'Appel, dans ses deux décisions rendues le 24 mai 2012 (Cf. Décision relative à l'Appel de M. Francis Kirimi Muthaura et M. Uhuru Muigai Kenyatta contre la décision de la Chambre Préliminaire II du 23 janvier 2012 et Décision relative à l'Appel de M. William Samoei Ruto et M. Joshua Arap Sang contre la décision de la Chambre Préliminaire II du 23 janvier 2012), confirme la décision des premiers juges en indiquant que les motifs avancés par les appelants ne peuvent être abordés que lors de l'examen de l'affaire sur le fond. Elle constate que les crimes reprochés aux accusés relèvent de la compétence de la Cour et que les questions d'interprétation et d'existence d'une organisation politique relèvent du fond de l'affaire ("the interpretation and existence of an 'organizational policy' relate to the substantive merits of this case as opposed to the issue of whether the Court has subject-matter jurisdiction to consider such questions" (Cf. §36 et 37 de la Décision relative à l'Appel de M. Francis Kirimi Muthaura et M. Uhuru Muigai Kenyatta). La Chambre d'appel s'inspire également de la jurisprudence et de la pratique internationales. Elle se réfère à cet égard à la jurisprudence du Tribunal pénal international pour la Rwanda (TPIR) et de celle du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) en notant que "the general approach taken in the ICTY and ICTR jurispmdence has been that factual and evidentiary issues are to be considered at trial, not as part of pre-trial jurisdictional challenges."
On note qu'au cours de ce procès ont refait surface les tentatives des autorités kenyanes d'obtenir la suspension des poursuites. L'on se souvient que la République du Kenya a, notamment sur la base du principe de complémentarité, maintes fois essayé d'obtenir l'arrêt des poursuites contre les auteurs présumés des crimes commis au cours de la période post-électorale (Cf. Bulletin Hebdomadaire Sentinelle 259 du 2011-03-20, Bulletin Hebdomadaire Sentinelle 268 du 2011-06-05 et Bulletin Sentinelle 274 du 18 septembre 2011). Se fondant sur l'Article 156(5) du Règlement de procédure et de preuve (aux termes duquel "Au moment du dépôt de l’acte d’appel, la partie appelante peut demander que l’appel ait un effet suspensif, conformément au paragraphe 3 de l’article 82.") et de l'Article 82(3) du Statut (aux termes duquel "l'appel n'a d'effet suspensif que si la Chambre d'appel l'ordonne sur requête présentée conformément au Règlement de procédure et de preuve") de la CPI. Les appelant on demandé à la Cour de donner à l'appel un effet suspensif. Comme le déclinatoire de compétence, cette demande fut rejetée.
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