INTRODUCTION
En débat depuis plus d’une décennie, le concept de «sécurité humaine » a connu cette année une impulsion majeure. En effet, lors de sa 66ème session tenue le 04 juin 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies a assuré le suivi de la résolution par laquelle elle priait le Secrétaire général de solliciter les vues des Etats membres sur une éventuelle définition de la notion de sécurité humaine (http://www.un.org/News/fr-press/docs/2012/AG11246.doc.htm).
La sécurité humaine est issue de la volonté de réexaminer le concept de sécurité à la lumière des bouleversements observés dans les années 1990 et de dépasser l’idée classique et restreinte de sécurité nationale. Elle propose à la fois d’élargir et d’approfondir la notion de sécurité. L’élargissement consiste à prendre en compte un large éventail de menaces, l’approfondissement à choisir comme objet de la sécurité non plus les Etats mais les individus. Elle nécessite d’évoluer d’une sécurité comprise comme étant celle de l’Etat vis-à-vis de l’extérieur vers une sécurité de l’individu, y compris à l’intérieur des frontières. Selon Jean-François RIOUX, « elle part plutôt d’une définition de l’insécurité comme l’ensemble des menaces politiques, économiques, sociales, environnementales et culturelles qui confrontent les individus dans leur vie quotidienne » et vise avant tout la satisfaction de leurs besoins primaires de sécurité. Elle s’intéresse donc plus spécifiquement à des considérations de développement et de respect des droits de l’homme.
Adoptée comme principe de politique étrangère par certains pays (Canada, Norvège, Japon), la sécurité humaine demeure en effet un concept encore flou et objet de débats bien que ce thème ne soit pas nouveau (I). Le débat actuel fait une distinction entre la notion de « sécurité humaine » et le concept de « responsabilité de protéger » (II).
I)- LA SECURITE HUMAINE : UNE LONGUE CONQUÊTE
Depuis le rapport 1994 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui énonça pour la première fois la notion de « sécurité humaine » (http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh1994/) (A), on observe un intérêt de plus en plus poussé des organisations internationales et des Etats pour cette notion, intérêt qui s’est même traduit par la mise en place d’un certain nombre d’institutions internationales et nationales chargées de la mettre en œuvre. Ainsi, par exemple, le Secrétaire général des Nations Unies; BAN KI MOON, a nommé M.YUKIO TAKASU (un diplomate japonais) au poste de Conseiller spécial pour la sécurité humaine. Animateur d’un réseau informel, les Amis de la sécurité humaine « Friends of Human Security » (FHS) depuis 2005, il sera chargé de mener des consultations avec les Etats membres, les organisations du système des Nations Unies afin de faciliter une « compréhension commune du concept de sécurité humaine » (B).
A)- Historique des débats sur la sécurité humaine à l’Assemblée générale
Le sommet mondial de 2005 et la décision prise par l’Assemblée générale de poursuivre son travail de définition de la sécurité humaine ont suscité un intérêt qui a beaucoup contribué à populariser le concept. Au paragraphe 143 du Document final du sommet mondial (http://www2.ohchr.org/french/bodies/hrcouncil/docs/gaA.RES.60.1_Fr.pdf), les Chefs d’Etat et de gouvernement ont souligné que « toutes les personnes, en particulier les plus vulnérables, ont le droit de vivre à l’abri de la peur et du besoin et doivent avoir la possibilité de jouir de tous leurs droits et de développer pleinement leurs potentialités dans des conditions d’égalité ». Ils se sont engagés à cette fin à définir la notion de sécurité humaine dans le cadre des travaux de l’Assemblée générale.
Pour donner suite à l’engagement pris par les Etats membres en 2005, le Président de la 62ème session de l’Assemblée générale, SRGJAN KERIM, a organisé un débat thématique informel sur la sécurité humaine, sa portée multidimensionnelle et sa valeur ajoutée pour les activités de l’ONU.
Lors de ce débat, les Etats membres sont convenus qu’il fallait une nouvelle culture des relations internationales fondée non plus sur des interventions dispersées mais sur des stratégies globales, intégrées, centrées sur l’humain et adaptées aux menaces qui existent ou se profilent à l’horizon. Ils ont par ailleurs estimé que l’application du principe de sécurité humaine pouvait aider à limiter la répétition des menaces et les empêcher de dégénérer en crises plus générales et plus tenaces.
Il a été noté à cet égard que l’application de la notion de sécurité humaine offrait au système des Nations Unies une excellente occasion de concevoir des mesures harmonisées, concertées et efficaces réunissant les composantes pertinentes des activités de l’Organisation. Les Etats membres ont également réitéré la nécessité de s’assurer que cette application cadrait avec les principes inscrits dans la Charte des Nations Unies, qu’elle était découplée de la responsabilité de protéger et qu’elle visait à renforcer les capacités des gouvernements et des individus à affronter les menaces existantes et émergentes, dans le strict respect de la souveraineté nationale.
Pour poursuivre les discussions sur la notion de sécurité humaine, le Président de la 64ème session de l’Assemblée générale, Ali ABDUSSALAM TREKI, a convoqué les 20 et 21 mai 2010 une table ronde intitulée « démarches axées sur les populations : l’intérêt que présente la notion de sécurité humaine » ainsi qu’une séance plénière consacrée à l’examen du rapport du Secrétaire général sur la sécurité humaine (A/64/701).
A cette séance, les Etats membres ont souligné les aspects multidimensionnels des menaces qui pèsent sur l’humanité aujourd’hui. Ils ont noté par ailleurs que l’application de la notion de sécurité humaine renforçait la souveraineté nationale en ce sens qu’elle donnait aux gouvernements des outils efficaces pour examiner les causes à l’origine des menaces et de promouvoir des interventions qui s’appuient sur les capacités des institutions locales et nationales. De plus, un certain nombre d’Etats membres ont été d’avis que l’application de la notion de sécurité humaine n’alourdissait pas la charge de travail des organismes des Nations Unies car elle venait compléter et mieux focaliser les activités de l’Organisation dans une optique plus précise d’efficacité, d’efficience et de prévention.
Les Etats membres ont également souligné que la définition de la sécurité humaine devrait être fondée sur les principes de la Charte des Nations Unies notamment le respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale et la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Enfin, un certain nombre ont rappelé le rapport de complémentarité entre la sécurité humaine et la souveraineté nationale ainsi que la distinction entre sécurité humaine et responsabilité de protéger.
Rappelant l’engagement pris par l’Assemblée générale dans sa résolution 64/291, le Président de la 65ème session, Joseph DEISS, a convoqué le 2ème débat thématique informel sur la sécurité humaine le 14 avril 2011. Les Etats membres ont réaffirmé à cette occasion la nécessité de poursuivre les consultations, mais leurs contributions ont néanmoins confirmé l’amorce d’un consensus quant au périmètre de la notion de sécurité humaine.
Ils ont notamment interprété la notion de sécurité humaine comme un schéma global contextualisé privilégiant l’élément humain et l’action préventive, à travers lequel les capacités nationales pourraient être renforcées. Un certain nombre d’Etats membres ont estimé par ailleurs que la sécurité humaine créait de la valeur ajoutée en ce sens qu’elle obligeait les décideurs et les praticiens à focaliser leur attention sur les besoins réels et les multiples dimensions de l’insécurité dans le monde actuel. Il est apparu en conséquence que la notion de sécurité humaine donnait un prisme d’action important qui permettrait à l’ONU de mieux faire jouer l’interface entre sécurité, développement et droits de l’homme dans ses activités.
Plusieurs Etats membres ont signalé en outre qu’il fallait empêcher toute interprétation ou utilisation dévoyée de la notion, d’où la nécessité d’en définir très clairement les contours, à savoir l’application sans usage de la force, le respect intégral des principes de la Charte et la contribution aux efforts déjà déployés dans le système des Nations Unies, sans jamais les dupliquer ni les affaiblir. Etablir une définition légale de la sécurité humaine a semblé aller à l’encontre du but recherché étant donné que la notion est à la fois un cadre opérationnel et un schéma d’action.
Enfin, il a été noté de manière générale que la notion de sécurité humaine devait être appliquée sur la base d’une définition commune approuvée par les Etats membres.
Plus récemment, les Etats membres ont été invités à soumettre des communications écrites en application de la résolution 64/291 de l’Assemblée générale. (http://www.google.fr/#hl=fr&sclient=psy-ab&q=la+résolution+64%2F291+de+l'Assemblée+générale+&oq=la+résolution+64%2F291+de+l'Assemblée+générale) Ces rapports, de même que la série de consultations informelles tenues par le Conseiller spécial sur la sécurité humaine à la mi-novembre 2011 avaient pour but de : trouver une définition commune de la notion de sécurité humaine, et recenser les domaines d’activité de l’ONU qui pourraient utilement tirer parti de l’application du principe de sécurité humaine.
B)- Vers une définition commune de la sécurité humaine
Le rapport établi par le Secrétaire général, à partir des communications des Etats membres, en application de la résolution 64/291 (http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/66/763&Lang=F), indique les principaux éléments constitutifs de la notion de sécurité humaine (1) et examine les domaines dans lesquels l’application du principe de sécurité humaine peut apporter de la valeur ajoutée aux activités de l’ONU (2).
1)- Les éléments de la définition
Le paragraphe 143 du Document final du Sommet mondial de 2005, les vues exprimées par les Etats membres, les valeurs fondamentales, le périmètre et l’approche de la sécurité humaine définis plus haut permettent de soumettre à la réflexion des Etats membres une esquisse de définition commune de la sécurité humaine comprenant les éléments ci-après : «
a)- La sécurité humaine incarne le droit de tous les êtres humains de vivre libres et dans la dignité, à l’abri de la pauvreté et du désespoir. Tous les individus, en particulier les plus vulnérables, ont le droit de vivre à l’abri de la peur et du besoin et doivent pouvoir jouir de tous leurs droits et de développer pleinement leurs potentialités dans des conditions d’égalité ;
b)- La notion de sécurité humaine est distincte de la notion de responsabilité de protéger et de son application ;
c)- La sécurité humaine n’appelle pas la menace ou l’usage de la force et s’exerce dans le respect intégral des buts et principes de la Charte des Nations Unies, notamment le strict respect de la souveraineté des Etats et de l’intégrité territoriale et la non-ingérence dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale. Elle n’implique pas d’obligations légales supplémentaires pour les Etats ;
d)- La sécurité humaine ne remplace pas la sécurité de l’Etat. Les deux notions sont interdépendantes ;
e)- La sécurité humaine consiste à garantir la survie, les moyens de subsistance et la dignité de tous les individus, notamment les plus vulnérables, face aux menaces existantes et émergentes multidimensionnelles et de grande ampleur ;
f)- La sécurité humaine incarne l’universalité d’un ensemble de libertés fondamentales pour la vie humaine (droit de vivre à l’abri de la peur, à l’abri du besoin et dans la dignité). Ces libertés valent pour tous les individus qui vivent dans une forme ou une autre d’insécurité, tant dans les pays en développement que dans les pays développés ;
g)- La sécurité humaine intègre les liens réciproques entre paix, développement et droits de l’homme et englobe les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Elle s’attaque donc aux mesures qui pèsent sur la survie, les moyens de subsistance et la dignité des individus dans une optique multidimensionnelle et globale ;
h)- La sécurité humaine appelle des initiatives préventives globales, axées sur l’humain et adaptées au contexte, qui renforcent la protection et la capacité d’action individuelle et collective ;
i)- La sécurité humaine est assurée au mieux par une action volontaire qui contribue à atténuer l’impact des mesures existantes et, si possible, à en prévenir la multiplication ;
j)- La sécurité humaine renforce les solutions ancrées dans les réalités locales et fondées sur l’appropriation nationale. Comme ses paramètres politiques, économiques, sociaux et culturels varient considérablement dans un même pays, d’un pays à l’autre et selon les époques, sa promotion tient compte de ces disparités en encourageant les mesures d’initiative nationale qui produisent des avantages plus immédiats et tangibles pour les peuples et les gouvernements ;
k)- C’est au premier chef aux gouvernements qu’il incombe d’assurer la survie, les moyens de subsistance et la dignité des populations dont ils ont la charge. Le rôle de la communauté internationale consiste à fournir aux gouvernements, à leur demande, les appuis complémentaires dont ils ont besoin pour renforcer leurs capacités d’action face aux menaces existantes ou émergentes ;
l)- La sécurité humaine est un cadre d’action dynamique et pragmatique qui permet de combattre les menaces multidimensionnelles de grande ampleur de manière cohérente et globale grâce à une collaboration et à des partenariats renforcés entre les gouvernements, les organisations internationales et régionales, la société civile et les acteurs sur le terrain.
2)- Les domaines d’application de la définition
Les questions thématiques présentées ci-dessous, qui figurent sur le rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la base des communications écrites et des consultations avec les Etats membres ne rendent pas compte de tous les domaines ou priorités qui appellent l’approche de la sécurité humaine et ne fournissent pas une analyse exhaustive des thèmes choisis. Chaque sous-thème met plutôt en exergue certains domaines dans lesquels la sécurité humaine peut apporter de la valeur ajoutée à l’action de l’Organisation :
a)- Changement climatique et risques liés au climat
Dans son rapport, le Secrétaire général de l’ONU affirme que « les Etats membres ont très largement souligné la pertinence de la notion de sécurité humaine pour affronter les effets conjugués du changement climatique et d’autres facteurs d’insécurité ». Les fluctuations climatiques, la dégradation de l’environnement et les phénomènes météorologiques extrêmes perturbent les récoltes, épuisent les zones de pêche, érodent les moyens de subsistance et favorisent la propagation des maladies infectieuses. La convergence du changement climatique et de l’évolution démographique, de l’urbanisation accélérée et d’une concurrence accrue pour contrôler les ressources naturelles (eau, et autres biens collectifs) de plus en plus rares peuvent provoquer des tensions sociales aux conséquences graves pour la stabilité nationale, régionale et internationale. Dans certains cas, c’est l’élévation du niveau de la mer qui menace la survie, les moyens de subsistance, la dignité et la souveraineté de peuples entiers. Comme le changement climatique a des conséquences humaines multiples et le plus souvent foncièrement catastrophiques, une approche globale et intégrée qui contribue à en réduire l’impact social, politique, économique et environnemental est une priorité urgente… ;
b)- Consolidation de la paix après les conflits
L’architecture de la consolidation de la paix a été profondément réformée dans les deux dernières décennies. A biens des égards, les changements ont donné des résultats. Pourtant, plus de 1,5 milliard de personnes continuent de vivre dans des pays fragilisés par des conflits, minés par des hostilités larvées, la violence des gangs organisés et un sous-développement qui assombrissent le paysage de l’après-conflit et risquent de réduire à néant les fruits des efforts consentis.
C’est dans ce contexte que la sécurité humaine peut apporter une valeur ajoutée considérable aux opérations de l’ONU. Si l’évaluation des besoins, des vulnérabilités et des capacités individuelles et collectives privilégie le facteur humain, l’effort national d’édification et de consolidation de la paix dans les communautés peut être mis au premier plan des politiques.
L’application du principe de sécurité humaine fait la part belle à la protection et à la capacité d’action en insistant sur l’effort de protection à déployer pour assurer l’ordre public, mettre en place une offre de service essentiels et renforcer l’état de droit. Enfin, en promouvant une approche globale et contextualisée, l’application du principe de sécurité humaine peut aider le système des Nations Unies à vérifier que ses interventions cadrent avec les réalités du terrain ;
c)- La crise financière et économique mondiale et les Objectifs du Millénaire pour le Développement
La crise financière et économique qui vient de frapper simultanément l’ensemble de la planète est de l’avis général la plus grave des 70 dernières années. La raréfaction des emplois, la baisse des revenus, le ralentissement des échanges de biens et de services et la diminution spectaculaire des envois de fonds des migrants ont mis en échec les efforts déployés pour réduire la pauvreté qui frappe des millions de personnes dans le monde, en vue notamment de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Malgré les initiatives concertées et coordonnées des Etats membres, des institutions multilatérales et des organes régionaux, l’impact de la crise économique et financière mondiale a compromis la capacité de nombreux pays à répondre aux besoins économiques et sociaux de leurs populations.
Il faut donc de toute urgence améliorer les systèmes d’alerte rapide et les mécanismes de prêt d’urgence, mais aussi mieux comprendre l’impact différentiel des crises sur les différents groupes sociaux, notamment les femmes et dans les différentes régions d’un même pays. L’analyse permettra d’apporter des améliorations mieux ciblées et plus tangibles au bien être des plus vulnérables et de limiter les effets négatifs des crises sur la stabilité économique, sociale et politique des pays.
d)- Menaces sanitaires et autres
D’après le rapport du Secrétaire général, « l’amélioration de la santé mondiale au cours des 20 dernières années a été une réussite sans précédent. L’amélioration des mécanismes de surveillance et des dispositifs de lutte contre les pandémies s’est traduite par un recul continu du nombre de décès causés par les maladies ». Mais en dépit des avancés, ledit rapport reconnaît que les OMD dans le domaine de la santé sont loin d’être atteints : « les disparités dans et entre les pays n’ont pas disparu, et l’action engagée pour améliorer la santé et la prestation des soins n’a pas réussi à atteindre les plus vulnérables ».
Par conséquent, la réalisation des OMD relatifs à la santé et la diminution de la charge mondiale des maladies passent par « le repositionnement de la santé dans l’ensemble de son contexte social, économique et environnemental ».
D’autre part, l’expérience acquise a montré la nécessité d’appliquer des stratégies globales de protection et de capacité d’action pour obtenir de bons résultats. Les mesures de protection visent à prévenir, surveiller et anticiper les risques sanitaires. Elles consistent notamment à mettre en place des mécanismes d’alerte et d’intervention rapides et à renforcer l’état de préparation nécessaire pour identifier, confirmer et maîtriser les risques sanitaires. Ce cadre d’action intégré améliore la préparation aux risques sanitaires existants ou émergents et marque un progrès supplémentaire vers une offre de soin de santé abordable, opérationnelle, efficace et accessible, deux domaines d’action qui contribuent de façon décisive à la prospérité et au développement à long terme.
Dans son rapport établi en application de la résolution 64/291, le Secrétaire général de l’ONU relève que, des douze (12) éléments constitutifs d’une définition, « les délégations insistent sur la distinction entre la notion de sécurité humaine et le concept de responsabilité de protéger ».
II)- LA SECURITE HUMAINE : UNE NOTION DISTINCTE DU CONCEPT DE RESPONSABILITE DE PROTEGER
Dans son rapport, le Secrétaire général précise « qu’alors que la sécurité humaine renvoie aux situations d’insécurité multidimensionnelles, comme le changement climatique, les crises financières ou les menaces sanitaires, la responsabilité de protéger consiste principalement à protéger les populations dans des cas spécifiques de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité ».
Par conséquent, « la sécurité humaine n’implique pas la menace ou l’usage de la force et elle est assurée dans le respect intégral des buts et principes inscrits dans la Charte des Nations Unies, dont le respect de la souveraineté des États et de l’intégrité territoriale et la non-ingérence dans les affaires intérieures qui relèvent essentiellement de la compétence nationale ».
Ce point de vue est largement partagé tant par les Etats africains (A) que par les autres Etats membres de l’ONU (B).
A)- Les vues des Etats africains
1)- Mme KAREN HOSKING (Afrique du Sud) a estimé que l’application du concept de sécurité humaine devait aider le Sud, l’Afrique notamment, à réaliser un développement durable. De son point de vue, la sécurité humaine doit être mise au service de l’élimination de la pauvreté et du sous-développement, de la prévention de la marginalisation, ainsi que de l’élimination des maladies transmissibles, notamment le VIH/Sida, la tuberculose et le paludisme ainsi que les maladies infectieuses. Il existe une corrélation directe entre insécurité et déni du droit à l’alimentation et aux ressources de base, a-t-elle ajouté ;
2)- M. MOOTAZ AHMADEI KHALIL (Égypte) a affirmé que la longueur des discussions sur la sécurité humaine reflétait les inquiétudes quant à l’utilisation du concept pour justifier des interventions mal venues dans les pays vulnérables, lesquelles n’auraient rien à voir ni avec les véritables besoins des populations et ni avec la stabilité sociale et politique. Il a estimé que le rapport du Secrétaire général répond directement à la plupart de ces inquiétudes. Afin d’éviter les abus à des fins politiques ou autres, le représentant a proposé que les pourparlers se concentrent sur les modalités d’application de la notion de sécurité humaine dans le travail de l’ONU. Le concept doit être appliqué, a-t-il précisé, au travail de l’Assemblée générale et non à celui du Conseil de sécurité. Toute application du concept doit se fonder sur le consensus si pas l’unanimité, a-t-il insisté.
B)- Les vues des autres Etats
1)- M. JOHN F. SAMMIS (États-Unis) a rappelé que le concept de sécurité humaine témoignait des valeurs fondamentales des Nations Unies et se basait sur l’autonomisation et la liberté des individus. Il a salué le fait que le rapport du Secrétaire général fasse le lien entre sécurité humaine, paix, développement et droits de l’homme. Il s’est également félicité du fait que celui-ci souligne que l’État occupe le rôle premier pour garantir le bien-être de ses citoyens. « Nous devons à présent nous concentrer sur ce que les États peuvent faire concrètement ». À cet égard, il a ajouté que la délégation des États-Unis travaillerait activement avec les autres délégations afin de développer ce concept de sécurité humaine et voir comment cette notion pouvait être promue au sein du système des Nations Unies.
2)- M. DMITRY I. MAKSIMYCHEV (Fédération de Russie) a tenu à rappeler que la notion de sécurité humaine devait être le fruit d’un consensus au sein de système des Nations Unies. Il a mis l’accent sur le fait que l’objectif était de garantir un potentiel de développement humain efficace et équilibré. Il a ajouté que, pour y parvenir, la communauté internationale pouvait, par exemple, travailler sur les problèmes de prévention des catastrophes ou collaborer à relever les défis qui se posent en matière de santé.
Pour la Fédération de Russie, le débat sur la mise en œuvre de la sécurité humaine doit se faire après une définition du concept qui ne laisse aucune marge à de mauvaises interprétations, a dit son représentant. Il a, à cet égard, considéré qu’une définition était beaucoup plus opportune qu’une démarche d’approche commune. Cette définition devra s’intégrer dans les concepts du droit international, tel que le respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité des États et de la non-ingérence.
Il a encore rappelé que ce sont les gouvernements qui sont les principaux responsables en matière de sécurité humaine et qui doivent identifier les problèmes auxquels sont confrontées leurs populations. Il a mis l’accent sur le fait que le rôle de la communauté internationale était de répondre aux demandes des gouvernements et qu’il serait, dès lors, inconcevable que des gouvernements ou autres acteurs extérieurs imposent leur vision dans ce domaine. C’est la raison pour laquelle, il a prévenu contre toute politisation du concept de sécurité humaine. Cette notion n’est pas liée à la responsabilité de protéger, a-t-il souligné, à son tour.
3)- M. TSUNEO NISHIDA (Japon) a estimé que la sécurité humaine était un outil au service des gouvernements pour leur permettre d’identifier les menaces transversales à la prospérité de leurs peuples et à la stabilité politique. Il a attiré l’attention sur le fait que pour le Secrétaire général, la sécurité humaine n’implique pas de recours à la force. Il faut, a-t-il reconnu, éviter toute mauvaise interprétation. Le Secrétaire général, a-t-il insisté, établit une distinction claire entre sécurité humaine et responsabilité de protéger.
Le représentant a constaté que de nombreuses organisations régionales et sous-régionales, notamment l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ANASE) avaient adopté ce concept qui est d’ailleurs de plus en plus intégré dans les stratégies du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO). Il a estimé que l’Assemblée générale devait encourager ce type d’initiatives afin d’opérationnaliser le concept.
CONCLUSION
Les contributions des Etats membres aux débats sur la sécurité humaine engagés depuis le Sommet mondial de 2005 ont permis de dégager les grandes lignes d’une définition commune du concept. Comme l’illustre le rapport du Secrétaire général de l’ONU établi en application de la résolution 64/291, « l’application du principe de sécurité humaine sert nos grandes priorités pour le 21ème siècle ».
Le concept de sécurité humaine réunit des éléments jusqu’alors épars et focalise l’attention sur l’impératif de prévention. L’intégrer dans les activités du système des nations Unies peut donc aider à réduire le coût humain, financier et environnemental des problèmes multiples et complexes du monde contemporain.
Observations (Philippe weckel)
Emmanuel Moubitang me semble un peu optimiste. On voudrait surtout faire de la sécurité humaine une notion périphérique cantonnée dans des domaines assez peu sensibles comme le "droit des catastrophes", les mesures sanitaires et de santé publique ou la gestion post-conflit. Entre ceux qui craignent qu'elle ne favorise un élargissement de la responsabilité de protéger et ceux qui voient en elle une menace contre la gestion de la paix et de la écurité internationale sur laquelle le Conseil de sécurité a la haute main il n'y a plus beaucoup d'espace.