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Soumis par Banzeu Rostand le 24 June 2012

La nécessité de promouvoir et de respecter les droits intrinsèques des peuples autochtones reste et demeure une préoccupation constante de l’Instance permanente de l’Organisation des Nations Unies  sur les questions autochtones (l’Instance). Créée par le Conseil Economique et Social (ECOSOC) par la Résolution 2000/22 du 28 juillet 2000, l’Instance se présente comme l’organe de référence  dans la configuration institutionnelle onusienne chargée spécifiquement « de contribuer à une prise de conscience de la situation des populations autochtones, à l’intégration et la coordination des activités concernant les questions autochtones, ainsi qu’à la dissémination d’informations relative aux questions autochtones ». A cet effet, depuis sa mise en place l’Instance ne cesse à travers ses multiples sessions d’œuvrer à la noble cause de la reconnaissance et du respect des droits des peuples autochtones à travers le monde entier. La onzième session de l’Instance qui s’est tenu à New York du 7 au 18 mai 2012 a débouché sur une série de recommandations importantes sur lesquelles il importe d’accorder une attention toute particulière tant-il est vrai que celles-ci augurent à tout le moins, une certaine avancée dans le champ du renforcement de la protection des droits des peuples autochtones.  Au-delà du thème spécial qui a cristallisé les travaux de cette onzième session autour de la « doctrine de la découverte », l’Instance a principalement  réclamé un changement de nom, la mise en place d’un mécanisme international facultatif de plaintes et, la reconnaissance des indicateurs culturels comme 4e  pilier du développement durable.

  1. De l’Instance Permanente sur les questions autochtones à l’Instance Permanente sur les Droits des Peuples autochtones : véritable réforme ou faux semblant ?

D’entrée de jeu, il convient de rappeler que les travaux de la 11e session de l’Instance s’inscrivaient dans un contexte particulier marqué par le 5e anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adopté le 13 septembre 2007. Partant, l’une des recommandations notable de la 11e session de l’Instance, est sans conteste la réclamation d’un changement de nom. En effet, tel qu’il ressort des recommandations de l’Instance formulées à l’égard   du rapport sur la réunion du groupe d’experts internationaux consacrée au thème de la lutte contre la violence envers les femmes et les filles autochtones (E/C.19/2012/L.3), l’Instance demande à l’ECOSOC de recommander que son nom soit remplacé par une nouvelle dénomination, celle d’ « Instance permanente sur les droits des peuples autochtones ».

Deux raisons sont avancées pour justifier la revendication de cette réforme. D’abord, l’Instance relève que l’adoption de sa dénomination actuelle (Instance Permanente sur les questions autochtones)  précède celle de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. En effet, il convient de noter à ce sujet que c’est à la suite des appels lancés en 1993 proclamée par l’ONU comme « l’Année Internationale des peuples autochtones du monde », en faveur de la création d’un organe spécialement chargé de discuter des questions autochtones, que l’Instance va être fondée par l’ECOSOC, sept  (07) ans plus tard, le 28 juillet 2000 et, va tenir sa session inaugurale en mai 2002, sous la dénomination d’Instance Permanente sur les questions Autochtones. Or le projet de Déclaration des droits des peuples autochtones, fruit des travaux du Groupe de travail sur les peuples autochtones formé en 1982 à la suite de l’étude réalisée par le  Rapporteur spécial de l’ONU en la personne de José Martinez Cobo dans les années 70, ne va connaître une consécration officielle qu’en 2007 à travers l’adoption de la Résolution 61/295 du 13 septembre 2007 (A/RES/61/295).

Ensuite, l’Instance évoque comme seconde raison justifiant la nécessité de cette réforme nominale, la modification en 2010 de la dénomination du Rapporteur spécial dédié à la question des peuples autochtones. L’on est en effet passé de la mention « Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales  des populations autochtones » à celle de « Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones ».

Ces deux raisons traduisent manifestement un souci d’adaptation et d’arrimage de l’Instance à l’ensemble de la dynamique du dispositif de promotion et de protection des droits des peuples autochtones au sein des Nations Unies. Loin d’être une simple modification nominale ou encore un faux semblant, il est utile d’y voir non seulement un souci d’affinement et de précision dans les orientations et le mandat de l’Instance, mais aussi, la volonté manifeste d’évoluer dans la perspective du renforcement de la protection des droits fondamentaux des peuples autochtones. Partant, la nouvelle dénomination qui est revendiquée par l’Instance doit nécessairement être liée avec une seconde recommandation celle de la création d’un mécanisme de dépôt de plaintes, qui par ailleurs justifie clairement l’orientation nouvelle que l’Instance compte se donner en matière de protection des droits des peuples autochtones. C’est dire qu’il s’agit d’une réforme non négligeable dont la portée rejaillira certainement à la fois sur la nature juridique de l’Instance, mais aussi, sur son mandat. Il convient en outre de souligner que la validation de cette recommandation par l’ECOSOC va nécessairement induire l’adoption d’un acte additionnel à la Déclaration modifiant l’actuelle dénomination de l’Instance par la nouvelle.

  1. De la création d’un mécanisme international de plaintes ou de communications au sein de l’Instance

L’Instance a par ailleurs formulé la recommandation de « créer un mécanisme international facultatif destiné à recevoir et examiner des communications des peuples autochtones, notamment leurs plaintes en lien avec des violations de leurs droits aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis ».

Cette recommandation est la marque évidente d’une volonté ferme de la part de l’Instance d’évoluer de manière significative sur la voie du renforcement de la protection des droits des peuples autochtones, tels que consacrés par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones. Seulement, il importe de s’interroger sur le fondement d’une telle recommandation, et surtout sur sa portée,  tant-il est vrai qu’elle tend à faire de l’Instance un véritable organe de surveillance ou de mise en œuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.

D’abord, sur la question du fondement, il faut retourner aux dispositions de l’article 42 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones pour trouver un fondement légal à cette recommandation. En effet, il ressort des dispositions de cet article que : « l’Organisation des Nations Unies, ses organes, en particulier l’Instance permanente sur les questions autochtones, les institutions spécialisées, notamment au niveau des pays, et les Etats, favorisent le respect et la pleine application des dispositions de la présente Déclaration et veillent à en assurer l’efficacité ».  C’est dire qu’à l’observation, l’on peut noter que c’est sur la base de la responsabilité particulière qui est la sienne de favoriser le respect, la pleine application et surtout,  l’efficacité de la Déclaration, que l’Instance a recommandé la création d’un mécanisme international  facultatif  destiné à recevoir et à examiner les plaintes ou communications des Peuples Autochtones. En effet, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la mise en place d’un tel mécanisme est de nature à renforcer la protection des droits des peuples autochtones.

Ensuite, l’analyse  de la portée d’un tel mécanisme peut permettre de faire un double constat : Premièrement,  la mise en place d’un tel mécanisme au sein de l’Instance aura pour conséquence d’instituer un véritable organe de surveillance ou de mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones doté d’une fonction contentieuse  à part entière. Deuxièmement, l’effectivité d’un tel mécanisme pourra contribuer utilement à une interprétation dynamique et progressive de la Déclaration et concourir ainsi au renforcement de la protection des droits des peuples autochtones. Toutefois, il est prudent de relever que la mise en place d’un tel mécanisme soulève tout de même un certain nombre d’interrogations qu’il convient de mettre en exergue : quelle sera la nature juridique d’un tel mécanisme ?  Quelle en sera la composition ? Quel sera le fondement juridique de sa compétence contentieuse  étant donné que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne rentre pas dans la nomenclature des instruments conventionnels internationaux contraignants?  Quelles seront les conditions de sa saisine par les peuples autochtones et les conditions de recevabilité des plaintes ou des communications ? Quelle sera par ailleurs la nature des décisions rendues par le dit mécanisme ?

Sans avoir la prétention d’épuiser la substance de la problématique qui découle de cette recommandation de l’instance, il est loisible de penser que le mécanisme sollicité en l’espèce pourra prendre la forme d’un organe de contrôle non juridictionnel ou plus précisément d’un comité d’experts indépendants à l’image des comités onusiens crées dans le cadre des conventions et pactes internationaux en matière de droits de droits de l’homme à l’instar du comité des droits de l’homme ou du comité des droits économiques, sociaux et culturels pour ne citer que ceux-là. Bien plus, il faut noter que pour se faire, il serait nécessaire d’objectiver de manière pertinente le fondement de l’obligatoriété et de l’opposabilité des obligations découlant de la Déclaration  à l’égard des Etats en l’absence d’un fondement conventionnel. A ce niveau, le caractère coutumier des normes consacrées par la Déclaration  peut constituer un élément de réponse  et  surtout, les dispositions de l’article 43 de la Déclaration qui précisent de manière explicite que « les droits reconnus dans la présente Déclaration constituent les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde ». En effet, le caractère de normes minimales traduit l’idée de l’existence en matière de peuples autochtones d’un minimum incompressible de règles qui s’imposent aux Etats en l’absence d’un fondement conventionnel, à l’image des considérations élémentaires d’humanité consacrées en droit international humanitaire.

Tout compte fait, la validation de cette recommandation par l’ECOSOC permettra de poursuivre l’analyse sur le mécanisme international facultatif destiné à recevoir et à examiner les plaintes ou communications des peuples autochtones.

Par ailleurs, dans l’attente de la mise en place de ce mécanisme de plaintes, l’Instance a vivement demandé aux Etats de lui présenter des rapports détaillés sur la mise en œuvre de la Déclaration et, de les inclure dans les rapports périodiques qu’ils sont appelés à soumettre aux organes des traités en matière des droits de l’homme et plus généralement dans le cadre de l’examen périodique universel (E/C.19/2012/L.9). Cette voie alternative semble plus pratique et facile dans sa mise en œuvre, car elle permet à l’Instance de mobiliser le canal classique de la soumission des rapports périodiques pour assurer le respect de la Déclaration par les Etats, tout en mobilisant la voie plus ouverte de l’examen périodique universel.

 

  1. La reconnaissance des indicateurs culturels comme 4e pilier du développement durable

L’instance a en  outre recommandé à la Conférence Rio+20 qui vient tout juste de s’achever d’approuver les indicateurs culturels comme 4e pilier du développement durable aux côtés de la croissance économique, du développement humain et de la protection de l’environnement.

L’on se souvient en effet que c’est à l’issue de la publication du rapport Brundtland, fruit des travaux de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, créée en 1983 que le concept de développement durable va véritablement prendre corps sous la vision d’un processus qui consiste à « répondre aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures de répondre aux leurs ». Le rapport Brundtland a en effet identifié trois piliers du développement durable notamment, la croissance économique qui repose sur l’efficacité économique, le développement humain qui repose sur la solidarité sociale et la protection de l’environnement qui elle, repose sur la responsabilité écologique. Seulement, à ces trois piliers l’on est parvenu à démontrer la nécessité  de leur adjoindre un 4e pilier, celui de la culture afin de promouvoir un développement durable qui prend en compte les sensibilités culturelles des peuples de la planète, facteurs pertinents du respect des différences, de l’innovation et de la créativité des peuples.

A ce titre, la formulation de cette recommandation par l’Instance, se justifie par le fait que l’épanouissement, la promotion et le respect des droits des peuples autochtones passe aussi par la reconnaissance et le respect des valeurs, des traditions, des croyances, des modes de vie…brefs de l’identité et de la culture de ces peuples. A ce titre, la Déclaration des Nations Unies sur les Peuples Autochtones reconnaît pertinemment dans son préambule le droit des peuples autochtones d’être différents et d’être respectés en tant que tels. Bien plus, le même préambule souligne que « le respect des savoirs, des cultures et des pratiques traditionnelles autochtones contribue à une mise en valeur durable et équitable de l’environnement et à sa bonne gestion ». Ces dispositions du préambule de la Déclaration sont renforcées par les articles 13 à 16 de la Déclaration qui valorisent le respect de la culture des peuples autochtones. Par ailleurs,  il est important de relever le lien inextricable qui existe entre les droits intrinsèques des peuples autochtones et leur culture, leurs traditions spirituelles et leurs valeurs traditionnelles et qui justifie à suffisance l’importance de cette recommandation adressée à la Communauté internationale à l’occasion de la Conférence de Rio+20.

 

  1. La Doctrine de la découverte : son impact durable sur les peuples autochtones et le droit à réparation pour les conquêtes du passé (E/C.19/2012/L.2)

Le thème spécial de cette 11e session de l’Instance portait sur l’étude de l’impact de la doctrine de la découverte sur les peuples autochtones et le droit à réparation qui en découle. Le débat sur cette question de la doctrine de la découverte a été amorcé à l’occasion de la  10e session de l’Instance et, s’est poursuivie lors de sa 11e session. Assimilé au « droit international du colonialisme », la doctrine de la découverte  est  présentée comme étant le fruit de 06 siècles de justification de l’exploitation et de la destruction des territoires et cultures des peuples autochtones à travers le monde. Tirant son origine des croisades en « terre sainte » initiées par l’Europe et l’Eglise, cette doctrine a justifié la violation longue et continue des droits fonciers et culturels des peuples autochtones, considérés comme des « peuples sauvages » ou encore des « peuples inférieurs ».

Il était essentiellement question pour l’Instance de mettre en exergue l’impact que la « doctrine de la découverte » continue d’avoir sur la jouissance paisible par les peuples autochtones de leurs droits fondamentaux, notamment le droit à la terre et aux ressources naturelles ; qui se traduit principalement par la persistance d’un esprit colonialiste des Etats dans leurs rapports avec les peuples autochtones. A ce titre, l’Instance invite les Etats à invalider cette doctrine dans l’ordre juridique interne  afin de préserver les droits des peuples autochtones. En effet, elle note pertinemment que « les Etats n’ont plus le droit de faire preuve de positivisme juridique dans l’interprétation de lois qui ont été adoptées à une époque où des principes tels que le terra nullius (territoire sans maître) avait cours. »

Par ailleurs, le second volet capital des travaux de cette 11e session sur la « doctrine de la découverte » a porté sur le droit à réparation des peuples autochtones découlant des dommages qu’ils ont subi du fait de la pratique de cette doctrine. Ce droit à réparation qui trouve son fondement dans les dispositions de l’article 28 de la Déclaration est sans nul doute le point de départ  de l’entreprise de réconciliation et  de réhabilitation fondé sur le respect mutuel, la confiance, l’équité et la justice qui doit désormais gouverner les rapports entre les Etats et les peuples autochtones. Et comme l’a relevé l’observateur du Saint Siège lors de cette session, la communauté internationale doit passer de la « doctrine de la découverte » à la « doctrine de la liberté ».

Somme toute, cette onzième session  a permis à l’Instance d’adopter d’autres recommandations non négligeables relatives entre autres, à la conservation et à la mise en valeur des savoirs traditionnels ; à la souveraineté et la sécurité alimentaire, à la lutte contre la violence envers les femmes et les filles autochtones et surtout, à une participation égale, directe et véritable des peuples autochtones au processus d’adoption et ou de révision au sein des Etats, des lois relatives à leur situation. Par ailleurs, un défi majeur subsiste, celui de la garantie de l’effectivité de la reconnaissance et de la protection des droits des peuples autochtones au sein des Etats. En effet, l’Instance relevait dans le rapport de sa 10e session que « dans la plupart des régions du monde, l’application de la Déclaration demeure une véritable gageure », malgré le fait que certains Etats ont pris des dispositions pour incorporer dans leur législation nationale la prise en considération et le respect des droits fondamentaux des peuples autochtones. En effet, la marginalisation, l’expropriation des terres, le déplacement et la réinstallation forcée, le déni des droits fonciers, l’impact du développement à grande échelle et toutes les autres formes de violations sont des préoccupations constantes qui font appel à une application effective de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Observations (Philippe weckel)

Cette structure militante a perdu le sens des réalités.

 

Un pas en arrière apporteur spécial sur les droits des peuples autochtones : l'étude sur les impacts des sociétés minières en territoires ancestraux Rinaldi Karine

Appel à l'adoption d'une déclaration sur les peuples autochtones (A. RAINAUD)

Adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones Karine RINALDI

Conférence de Nagoya, la protection des savoirs traditionnels des peuples indigènes ou autochtones Metou Miranda Brusil

l'Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones lance un nouveau programme d'action de la deuxième décennie en faveur des peuples autochtones Fatma RAACH

1er anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et 1er bilan. Karine RINALDI.

Bulletin numéro 310