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Soumis par Metou Brusil le 24 June 2012

Le 19 juin 2012, la CIJ a clôturé par un arrêt de 24 pages l’instance ouverte le 28 décembre 1998 par la requête de la Guinée contre la R.D.C., relative à l’affaire Ahmadou Sadio Diallo. Par quinze voix contre une, la Cour a ainsi fixé à 95.000 dollars des Etats-Unis le montant de l’indemnité due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée pour les préjudices immatériels et matériels subis par M. Diallo.  Cette somme est libellée dans la devise que les deux Parties ont utilisée dans leurs écritures relatives à la question de l’indemnisation. A l’unanimité, la cour a fixé le délai de paiement de cette indemnité en au 31 août 2012, et décidé qu’en cas de non-paiement à la date indiquée, des intérêts courront sur la somme principale à compter du 1er septembre 2012, au taux annuel de 6 pour cent. Elle a rejeté parallèlement les autres demandes en indemnités de la Guinée, en décidant  qu’aucune indemnisation n’est due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée pour le préjudice matériel qu’aurait subi M. Diallo du fait d’une perte de rémunération professionnelle au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion illicites, encore moins pour le préjudice matériel qu’aurait subi M. Diallo du fait d’une privation de gains potentiels.  Cette décision de l’organe judiciaire principal des Nations Unies, actuellement présidé par Peter Tomka, est intervenue après que les deux parties aient échoué à se mettre d’accord sur le montant de l’indemnité en question. Dans le camp Diallo, si l’arrêt du 19 juin 2012 s’apparente à une victoire, il faut néanmoins souligner que le montant ainsi fixé apparaît comme dérisoire par rapport aux 36 milliards USD qui étaient réclamés puisque, comme l’a dit le surarbitre dans l’affaire du Lusitania: «La conception fondamentale des dommages-intérêts est la réparation d’une perte subie, une compensation octroyée par voie judiciaire pour un préjudice. La réparation doit être proportionnelle au préjudice, de façon que la partie lésée retrouve la totalité de ce qu’elle a perdu » (Cf. Recueil des sentences arbitrales, vol. VII (1923), p. 39). Cet  arrêt en réparation est une suite logique de l’arrêt du 30 novembre 2010 rendu par la Cour dans la même affaire.

            I. Suite logique de l’obligation de réparer: L’arrêt de la Cour illustre l’ancrage de l’obligation de réparer dans le cadre de la responsabilité internationale. Selon la définition du Dictionnaire Basdevant, la responsabilité internationale se définit en effet, comme "l'obligation incombant selon le droit international, à l'État auquel est imputable un acte ou une omission contraire à ses obligations internationales, d'en fournir réparation à l'État qui en a été victime en lui-même ou dans la personne ou les biens de ses ressortissants" (Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, p. 541). La Cour rappelle que «la République démocratique du Congo a[vait] l’obligation de fournir une réparation appropriée, sous la forme d’une indemnisation, à la République de Guinée pour les conséquences préjudiciables résultant des violations d’obligations internationales visées aux points 2 et 3 [du dispositif]» (par. 4). Comme le relevait la CPJI dans l’arrêt du  13 septembre 1928 relatif à l’Usine de Chorwoz, « c'est un principe du droit international, voire une conception générale du droit, que toute violation d'un engagement comporte l'obligation de réparer ». Elle transposait ainsi en droit international public le principe bien connu en droit interne, et notamment en matière de responsabilité civile (article 1382 du Code civil), selon lequel tout préjudice causé à une personne entraine une obligation de réparation pour la personne qui en est responsable. En effet, en droit international comme ailleurs, l'obligation de réparer, qui est l'effet spécifique de la responsabilité civile soulève principalement deux questions : quoi réparer et comment y parvenir, ce qui met en cause les formes et l'étendue de la réparation. Dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, la réparation a consisté en une indemnisation dont le montant a été fixé par la Cour après une procédure relativement brève. L’indemnisation est en effet la forme la plus fréquente de la réparation en droit international public.

I.1. Fondement de la réparation : Dans son arrêt, la Cour rappelle la base de la réparation qui est le constat de la responsabilité internationale de la RDC, avant d’examiner les chefs de préjudices invoqués par la Guinée pour prétendre à l’indemnisation. En effet, dans son arrêt sur le fond du 30 novembre 2010, la Cour avait jugé que, eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo avait été expulsé le 31 janvier 1996, la RDC avait violé l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que le paragraphe 4 de l’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 692, par. 165, point 2 du dispositif). Elle a également jugé que, eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo avait été arrêté et détenu en 1995-1996 en vue de son expulsion, la RDC avait violé les paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte et l’article 6 de la Charte africaine (ibid., p. 692, par. 165, point 3 du dispositif).  Enfin, dans ledit arrêt, la Cour avait aussi décidé de régler elle-même la question de l’indemnisation au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans les six mois à compter du prononcé de l’arrêt (par. 165, point 8 du dispositif).  Le délai de six mois ainsi fixé par la Cour étant arrivé à échéance le 30 mai 2011 sans que les Parties aient pu se mettre d’accord sur la question de l’indemnisation due à la Guinée, le président de la Cour a tenu une réunion avec les représentants des Parties le 14 septembre 2011, aux fins de recueillir les vues de celles-ci sur les délais à fixer pour le dépôt des deux pièces de procédure écrite prévues par la Cour. C’est justement dans le cadre de cette dernière disposition que la CIJ a été saisie pour déterminer le montant de l’indemnisation.

I.2. Brièveté de la procédure  Dans une ordonnance en date du 20 septembre 2011, la Cour avait relevé que le délai qu’elle avait fixé dans le dispositif de son arrêt était arrivé à échéance le 30 mai 2011, sans que les Parties aient pu se mettre d’accord sur la question de l’indemnisation due à la Guinée. Elle avait en outre rappelé qu’elle avait décidé dans ledit arrêt que, étant suffisamment informée des faits de l’espèce, un seul échange de pièces de procédure écrite lui serait suffisant pour fixer le montant de cette indemnité. Partant, la Cour avait fixé au 6 décembre 2011 et au 21 février 2012, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la Guinée et du contre-mémoire de la RDC sur la question précitée. Ces délais avaient été fixés compte tenu des vues exprimées par les Parties. Ces pièces ont été déposées dans les délais ainsi fixés. La  Cour rappelle que, dans cet arrêt, la Cour a précisé que le montant de l’indemnité devait être établi « à raison du dommage résultant des détentions et de l’expulsion illicites de M. Diallo en 1995-1996, y compris la perte de ses effets personnels qui en a[vait] découlé» (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691, par. 163).

II. Indemnisation pour préjudices matériels et immatériels: L’indemnisation a pour principale fonction de remédier aux pertes subies en conséquence du fait internationalement illicite. Comme la CPJI  l’a déclaré dans l’affaire de l’Usine de Chorzów (fond, arrêt n° 13, 1928, C.P.J.I. série A n° 17, p. 27-28), «[i]l est un principe de droit international que la réparation d’un tort peut consister en une indemnité correspondant au dommage que les ressortissants de l’Etat lésé ont subi par suite de l’acte contraire au droit international». En ce sens, l’article 36 du projet d’articles sur la responsabilité des Etats pour fait internationalement illicite dispose que ; « L’État responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n.est pas réparé par la restitution. L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établie ». Les dommages causés au Sieur Sadio avaient été jugés par la Cour susceptibles de faire l’objet d’une évaluation financière. A cet égard, La Guinée a demandé  à être indemnisée pour quatre chefs de préjudice: un chef de préjudice immatériel (qu’elle a appelé «dommage psychologique et moral») et trois chefs de préjudice matériel, à savoir, respectivement, la perte alléguée de biens personnels, la perte alléguée de rémunération professionnelle (qu’elle a appelée la «perte de revenus») subie par M. Diallo au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion, et la privation alléguée de «gains potentiels», au total pour une somme de onze millions cinq cent quatre-vingt-dix mille cent quarante-huit (11 590 148) dollars américains, outre les intérêts légaux moratoires. Cet Etat considérait par ailleurs que, le fait de l’avoir contraint à engager la présente procédure l’a exposé à des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge et qui sont évalués à la somme de 500.000 dollars américains, devrait entrainer la condamnation de la RDC à lui payer cette somme, et qu’il convient, en outre, de condamner la République démocratique du Congo aux entiers dépens. La RDC a priait à son la Cour de dire et de juger que, l’indemnité d’un montant de 30.000 USD est due à la Guinée pour réparer le préjudice immatériel subi par M. Diallo à la suite de ses détentions et expulsion illicites en 1995-1996; qu’aucun intérêt moratoire n’est dû sur le montant de l’indemnité fixé ci-dessus; que la RDC dispose d’un délai de 6 mois à compter du prononcé de l’arrêt de la Cour pour verser à la Guinée l’indemnité fixée ci-dessus; qu’aucune indemnité n’est due pour les autres dommages matériels allégués par la Guinée et que chacune des Parties supporte ses propres frais de procédure, y inclus les frais et honoraires de ses conseils, avocats, conseillers, assistants et autres. Pour chacun de ces chefs, la Cour examine si l’existence du préjudice était établie avant de  «rechercher[a] si et dans quelle mesure le dommage invoqué par le demandeur est la conséquence du comportement illicite du défendeur», en analysant «s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice subi par le demandeur» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 233-234, par. 462). Une fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation de ce préjudice.  Au bout de son examen, la Cour a fixé des montants pour deux chefs de préjudice et en a rejeté d’autres.

       II.1.Pertinence de la pratique des autres juridictions en matière de fixation d’indemnité : Tout au long de son arrêt, la Cour fait largement référence à la jurisprudence des cours régionales des droits de l’homme. En effet, il n’existe pas de règles spécifiques applicables en matière de fixation des indemnités, et sur lesquelles la Cour pouvait valablement s’appuyer pour rendre sa décisionC’est la raison pour laquelle  elle a tenu compte de la pratique d’autres juridictions et commissions internationales (telles que le Tribunal international du droit de la mer, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH), le Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran, la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie et la Commission d’indemnisation des Nations Unies), qui ont appliqué les principes généraux régissant l’indemnisation lorsqu’elles ont été appelées à fixer le montant d’une indemnité, notamment à raison du préjudice découlant d’une détention ou d’une expulsion illicites. (par.13). 

II.2. Indemnité pour préjudice immatériel subi par M. Diallo : Se basant sur des considérations d’équité, la Cour a estimé que la somme de 85.000 dollars des Etats-Unis constitue une indemnité appropriée au titre du préjudice immatériel subi par M. Diallo (par. 21-25). Pour ce faire, la Cour a d’abord pris soin de préciser la notion de préjudice immatériel «préjudice moral et psychologique», qui désigne le préjudice non matériel qui est subi par l’entité ou la personne lésée. Le préjudice immatériel subi par une personne et susceptible d’être reconnu en droit international peut prendre diverses formes. (par.18). Pour étayer cette définition, elle se réfère aux affaires Lusitania portées devant la Commission mixte de réclamations (Etats-Unis/Allemagne), dans lesquelles le surarbitre a mentionné les «souffrances morales [du plaignant], l’atteinte à ses sentiments, l’humiliation, la honte, la dégradation, la perte de sa position sociale ou l’atteinte portée à son crédit ou à sa réputation.» (Cf. Affaire Lusitania, 1er novembre 1923, Recueil des sentences arbitrales (R.S.A.), vol. VII, p. 40 [traduction du Greffe]). Elle prend également appui sur la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui a observé dans l’affaire Gutiérrez-Soler c. Colombie que «[l]e préjudice immatériel p[ouvait] comprendre la détresse et la souffrance, l’atteinte aux valeurs fondamentales de la victime et les bouleversements de nature non pécuniaire provoqués dans sa vie quotidienne» (arrêt du 12 septembre 2005 (fond, réparations et frais), CIADH, série C, n°132, par. 82 [traduction du Greffe]). Pour la Cour, un préjudice immatériel peut être établi même en l’absence d’éléments de preuve précis. (§21). De ce fait, la Cour a pris en compte divers facteurs pour évaluer le préjudice immatériel subi par M. Diallo, notamment le caractère arbitraire des arrestations et détentions dont l’intéressé a fait l’objet, la durée exagérément longue de sa période de détention, les accusations sans preuve dont il a été victime, le caractère illicite de son expulsion d’un pays dans lequel il résidait depuis trente-deux ans et où il exerçait des activités commerciales importantes, et le lien entre son expulsion et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement des créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par l’Etat zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détenait une part importante du capital. Elle prend également en considération le fait qu’il n’a pas été démontré que l’intéressé avait été soumis à des mauvais traitements.  C’est la raison pour laquelle la cour considère que la détermination du montant de l’indemnité due à raison d’un préjudice immatériel repose nécessairement sur des considérations d’équité. (§ 24)

II.3. Indemnité pour préjudice matériel subi par M. Diallo : Aux paragraphes 25 à 56 de l’arrêt, la Cour examine tour à tour la demande d’indemnisation guinéenne au titre de trois chefs de préjudice matériel.

II.3.1. Indemnité accordée pour perte de biens personnels qu’aurait subie M. Diallo (y compris ses avoirs en banque) : Se basant sur des considérations d’équité, la Cour considère que la somme de 10 000 dollars des Etats-Unis constitue une indemnité appropriée au titre dudit préjudice matériel subi par M. Diallo (par. 30-36).  Pour parvenir à cette conclusion, la Cour examine la demande d’indemnisation formulée par la Guinée au titre de la perte de biens personnels subie par M. Diallo, sans tenir compte des biens des deux sociétés (auxquels cet Etat a fait également référence), puisqu’elle avait déclaré irrecevables les réclamations afférentes à celles-ci. Les biens personnels en cause se répartissent en trois catégories : le mobilier de l’appartement qui figurait dans l’inventaire susmentionné, certains objets de grande valeur qui se seraient aussi trouvés dans l’appartement et ne sont pas répertoriés dans cet inventaire, et les avoirs en banque. A cet égard, la Cour estime que la Guinée n’est pas parvenue à établir l’étendue de la perte de biens personnels- à savoir, le mobilier figurant dans l’inventaire des biens trouvés dans l’appartement de M. Diallo, certains objets de grande valeur qui s’y seraient aussi trouvés et ne sont pas répertoriés dans cet inventaire, et des avoirs en banque- qu’aurait subie l’intéressé ni la mesure dans laquelle cette perte aurait été causée par le comportement illicite de la R.D.C.  (par. 32). La Cour rappelle toutefois que M. Diallo a vécu et travaillé sur le territoire congolais pendant une trentaine d’années, au cours desquelles il n’a pu manquer d’accumuler des biens personnels. Elle considère que l’intéressé aurait eu à les déménager en Guinée ou prendre des mesures pour pouvoir en disposer en R.D.C. Partant, elle ne doute pas que le comportement illicite de la R.D.C a causé à M. Diallo un certain préjudice matériel s’agissant des biens personnels qui se trouvaient dans son appartement. Dans ces conditions, elle estime approprié d’accorder une indemnité qui sera calculée sur la base de considérations d’équité (voir paragraphe 36 ci-après). D’autres juridictions, comme la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, ont procédé ainsi lorsque les circonstances le justifiaient (Cf. Lupsa c. Roumanie, requête n°10337/04, arrêt du 8 juin 2006, CEDH Recueil 2006-VII, par. 70-72 ; Chaparro Álvarez et Lapo Íñiguez c. Equateur, arrêt du 21 novembre 2007 (exceptions préliminaires, fond, réparations et frais), CIADH, série C, n°170, par. 240 et 242)  (par. 33). C’est la raison pour laquelle elle décide d’attribuer la somme de 10.000 dollars des Etats-Unis au titre de ce chef de préjudice.

I1.3.2. Refus d’indemnité pour perte de rémunération qu’aurait subie M. Diallo au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion illicites : Dans son mémoire, la Guinée réclamait 6.430.148 dollars des Etats-Unis au titre de la perte de revenus subie par M. Diallo à la fois au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion. Pour évaluer ce préjudice, la Cour se réfère sur l’approche suivie par la Cour européenne des droits de l’homme (cf. Teixeira de Castro c. Portugal, requête n° 44/1997/828/1034, arrêt du 9 juin 1998, CEDH Recueil 1998-IV, par. 46-49), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cf. Suárez-Rosero c. Equateur, arrêt du 20 janvier 1999 (réparations et frais), CIADH, série C, n° 44, par. 60), ainsi que le conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies (Cf. Rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la quatorzième tranche des réclamations de la catégorie «E3», Nations Unies, doc. S/AC.26/2000/19, 29 septembre 2000, par. 126). Elle estime par ailleurs, qu’il peut y avoir lieu de procéder à une estimation si le montant de la perte de revenus ne peut être chiffré avec exactitude (Cf. Elci et autres c. Turquie, requêtes n° 23145/93 et 25091/94, arrêt du 13 novembre 2003, CEDH, par. 721 ; Affaire des enfants des rues (Villagrán-Morales et autres) c. Guatemala, arrêt du 26 mai 2001 (réparations et frais), CIADH, série C, n° 77, par. 79), pour faire observer que, de manière générale, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’indemnisation, elle peut connaître d’une réclamation formée au titre d’une perte de revenus subie par suite d’une détention illicite (par. 40).  Elle doit cependant d’abord se demander si la Guinée a établi que M. Diallo percevait une rémunération avant ses détentions, et que cette rémunération se chiffrait à 25.000 dollars des Etats-Unis par mois.  La Cour estime cependant que la Guinée n’a pas établi que M. Diallo percevait de ses deux sociétés une rémunération mensuelle dans la période qui a précédé immédiatement ses détentions et observe que le demandeur n’a pas davantage expliqué en quoi les détentions de M. Diallo auraient provoqué l’interruption du versement de la rémunération que l’intéressé aurait pu recevoir en sa qualité de gérant desdites sociétés. Dans ces circonstances, la Cour estime que la Guinée n’a pas prouvé que M. Diallo aurait subi une perte de rémunération professionnelle à la suite de ses détentions illicites (par. 37-46). Elle considère alors que les raisons pour lesquelles elle a rejeté la demande formulée au titre de la perte de rémunération professionnelle qu’aurait subie M. Diallo pendant ses périodes de détention valent tout autant pour la demande qui a trait à la période suivant l’expulsion de M. Diallo. Elle ajoute que cette demande est en outre fondée en grande partie sur des conjectures, partant notamment de la supposition que M. Diallo aurait continué de percevoir cette somme mensuelle, n’eût été son expulsion illicite. Par conséquent, la Cour conclut qu’aucune indemnisation ne saurait être allouée au titre des allégations de la Guinée qui concernent la rémunération que M. Diallo n’aurait pu percevoir à la suite de son expulsion (par. 47-49). En conséquence, la Cour n’accorde aucune indemnité au titre de la perte de rémunération prétendument subie par M. Diallo au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion (par. 50).

I1.2.3. Refus d’indemnité pour privation alléguée de gains potentiels : La Guinée a en outre formulé une autre demande au titre de ce qu’elle appelle les «gains potentiels» de M. Diallo. Elle estime que cette demande revient à réclamer une indemnisation à raison d’une perte de valeur des sociétés qui serait attribuable aux détentions et à l’expulsion de M. Diallo. Or, pareille réclamation va au-delà de l’objet de l’instance, la Cour ayant déjà déclaré irrecevables les demandes guinéennes se rapportant aux préjudices qui auraient été causés aux sociétés. En conséquence, la Cour n’alloue aucune indemnité à la Guinée au titre de sa demande afférente à des «gains potentiels» de M. Diallo (par. 51-54). La Cour décide que chaque Partie supportera ses frais de procédure (par. 60).

VI. Total de l’indemnité due et intérêts moratoires : La Cour conclut que l’indemnité à verser à la Guinée s’élève à un total de 95.000 dollars des Etats-Unis, payable le 31 août 2012 au plus tard. Elle décide que, en cas de paiement tardif, des intérêts moratoires sur la somme principale due courront, à compter du 1er  septembre 2012, au taux annuel de 6 pour cent (par. 56). En fixant le délai d’acquittement du montant intégral de l’indemnité due à la République de Guinée par la R.D.C, la Cour se réapproprie en quelque sorte le délai d’exécution de ses décisions en matière de réparation matérielle d’un préjudice subi par une partie au différend. Le versement  de l’indemnité est une peine définitive peine à laquelle il n’existe aucune alternative. En ce sens, la Cour a repris son autorité en matière d’exécution immédiate de certaines de ses décisions, compte tenu de la longueur de la durée de l’acquittement de l’indemnité due à l’Angleterre par l’Albanie dans le cadre de l’arrêt du Détroit de Corfou.  Même si la Cour ne fait pas référence à ce précédent, la fixation du bref délai de l’acquittement de la R.D.C du montant total de l’indemnité repose finalement sur la nécessité par la Cour d’asseoir définitivement son autorité dans l’application du droit international découlant de ses décisions.

Bulletin numéro 310