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Soumis par Quelhas Daniela le 24 June 2012

1. Bosco Ntaganda, un long parcours de guerrier

Bosco Ntaganda, tutsi congolais d’origine rwandaise, a un long parcours de combattant armé sur le territoire de la République Démocratique du Congo (RDC). Alors âgé de 23 ans, il s’engage aux côtés de l’Alliance de Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), qui chasse en 1997 Mobutu de Kinshasa. Il se retourne très vite contre Laurent-Désiré Kabila, devenu Président du pays, pour s’engager auprès du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) avant de rejoindre les rangs de l’Union des Patriotes Congolais (UPC) de Thomas Lubanga, mouvement rebelle proche de Kigali. Devenu adjoint du chef d’état-major général, Ntaganda est responsable des opérations militaires des Forces Patriotiques pour la Libération du Congo (FPLC), branche armée de l’UPC. C’est en 1999 qu’il quitte le Nord-Kivu où il était installé, pour rejoindre l’Ituri à l’est de la RDC, district proche de la frontière ougandaise. C’est notamment en raison des mines d’or présentes dans cette région - riche en ressources naturelles - que l’UPC et sa branche armée, composées essentiellement de rebelles d’origine Hema (proches des Tutsi), s’engagent dans des combats violents contre l’ethnie Lendu. Sur une période de trois ans, qui commence en 2000, Ntaganda désormais surnommé le « Terminator » en raison de son tempérament à la fois taiseux et violent, aurait commis une multitude de crimes parmi lesquels la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans, les faisant participer aux hostilités dont lui et ses acolytes sont à l’origine.

2. L’émission d’un mandat d’arrêt par la CPI en 2006

L’adhésion de la RDC au Statut de Rome, qui active la compétence de la Cour sur le territoire congolais, marque un tournant dans l’attitude de Kinshasa à l’égard des rebelles de l’UPC. La Chambre Préliminaire I de la Cour Pénale Internationale (CPI), saisie par la RDC de la situation en Ituri, décide le 10 février 2006 de délivrer un mandat d’arrêt contre Thomas Lubanga Dyilo. Président de l’UPC depuis sa fondation en 2000, Lubanga est soupçonné d’avoir conscrit et à l’enrôlé des enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités du 1er septembre 2002 au 13 août 2003, en violation de l’article 8 al. 2. e). vii). du Statut de Rome Selon lequel « [a]ux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » (…) [dans les] conflits armés ne présentant pas un caractère international (…) [l]e fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou dans des groupes armés ou de les faire participer activement à des hostilités ». Quelques mois plus tard, en août 2006, la même chambre délivre un mandat d’arrêt à l’encontre de Bosco Ntaganda, présentant des charges identiques à celles visant son supérieur.

3. L’accord de Goma de 2009 paralyse l’exécution du mandat d’arrêt

Le mandat d’arrêt délivré en février 2006 contre Lubanga est rapidement exécuté par les autorités congolaises, qui se saisissent de l’homme après l’avoir fait venir à Kinshasa. Ntaganda, à l’inverse, qui a rejoint l’année précédente le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) l’année précédente, échappe aux poursuites. Au sein du CNDP de Laurent Nkunda crée en 2003, Ntaganda participe aux activités armées du groupe, en lutte contre le pouvoir en place pour établir au Nord-Kivu une administration indépendante. Les combats entre le CNDP et les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) font des milliers de morts et conduisent à de considérables déplacements de population, entre 2006 et 2009. C’est pour mettre un terme aux hostilités que Kinshasa et les rebelles, au terme d’un processus de paix facilité par l’Organisation des Nations Unies (ONU) ainsi que d’autres intervenants, concluent le 23 mars 2009 l’Accord de Goma. Le texte, qui prévoit la transformation du CNDP en parti politique pacifique, organise en échange l’intégration des rebelles ex-CNDP au sein des FARDC ainsi que le vote par le Parlement d’un loi d’Amnistie pour tous les actes commis durant la période allant de 2003 à la date de conclusion de l’Accord. Visé par le texte du fait de son appartenance au mouvement, Ntaganda se trouve mécaniquement non seulement intégré à l’armée congolaise régulière, mais aussi protégé par une loi d’amnistie. Bien que le texte ne vise pas les actes commis antérieurement, seuls visés par le mandat d’arrêt délivré contre lui en 2006, l’arrestation de l’homme et son transfert à la CPI deviennent improbables : il est même fait Général des FARDC en 2009. Promu à un haut poste au nom de la paix, Kinshasa ferme les yeux sur le mandat d’arrêt.

4. Lubanga condamné, le processus entamé à l’encontre de Bosco Ntaganda est relancé

La condamnation de Lubanga le 14 mars 2012 par la Chambre de première instance de la Cour pénale internationale (CPI) en qualité de coauteur des crimes de guerre visés par le mandat, change la donne pour Ntaganda. Premier verdict rendu par une chambre de première instance de la CPI, Lubanga est la première personne condamnée par la Cour pénale internationale. Bien que l’arrêt prononçant la condamnation ne vise guère Ntaganda, il y est désigné par les juges comme co-auteur des crimes reprochés à l’ancien président de l’UPC, en particulier à l’été 2002 : alors que son supérieur était emprisonné pour une courte période, le « Terminator » se serait montré « particulièrement [actif] dans le cadre des campagnes de mobilisation et de recrutement visant à convaincre les familles hema d’envoyer leurs enfants grossir les rangs de l’UPC/FPLC ». Dans ce contexte tendu, qui accroît la pression de la communauté internationale sur le Président Kabila récemment réélu (au terme d’un processus considéré comme trouble, ce qui entame sa légitimité), la loyauté de Ntaganda au régime n’est que de courte durée : il déserte l’armée en avril 2012, entraînant dans son sillage d’anciens membres de l’ex-CNDP, majoritairement tutsis. A cette défection suit celle du colonel Sultani Makenga, à l’origine d’un groupe appelé le « Mouvement du 23 mars » (M23), par référence à la date de conclusion de l’Accord de Goma. Makenga, proche de Ntaganda, estime que les désertions trouvent leur origine dans les promesses non tenues par le régime ainsi que dans les mauvais traitements dont les anciens soldats du CNDP feraient l’objet au sein des FARDC. Le non respect de l’Accord de Goma par d’anciens membres éminents du CNDP et la formation d’un nouveau mouvement, dont les ONG prétendent qu’il serait soutenu par Kigali, fait craindre à la population du Nord-Kivu une reprise des affrontements entre les FARDC et les rebelles, avec raison, les combats ayant déjà fait des victimes civiles, et conduit à des enrôlements forcés d’hommes adultes et de mineurs de moins de 15 ans. Le Rwanda, accusé par certains commentateurs de soutenir les rebelles pour favoriser son assise sur les ressources de la région, aurait déjà proposé sa médiation via le porte-parole du ministre rwandais de la Défense, le général James Kabarebe. Désireux semble-t-il de montrer sa bonne volonté dans le règlement de la crise aux Kivus, le régime de Paul Kagame aurait même émis un ordre visant l’arrestation de Ntaganda, soupçonné de s’être réfugié au Rwanda depuis sa désertion. La pression internationale sur le Président Kabila, qui aurait combattu aux côtés de Ntaganda pendant les guerres civiles du Congo dans le courant des années 1990 – ce qui explique en partie le peu de volonté de procéder à l’arrestation demandée par la CPI – est donc de plus en plus forte et pourrait contraindre Kinshasa a s’allier avec Kigali pour mettre un terme à la fuite de leur allié souterrain.

5. Le Procureur de la CPI demande la délivrance d’un second mandat d’arrêt à l’encontre de Ntaganda

Le procès de Thomas Lubanga Dyilo a permis, nous l’avons vu, de dégager de nombreuses preuves à l’encontre de Bosco Ntaganda, concernant des crimes qui n’étaient pas visés par le mandat d’arrêt initial émis en 2006. C’est pourquoi le Bureau du Procureur de la CPI a demandé aux juges, le 14 mai dernier, d’élargir les charges pesant contre lui. Actuellement examinée par une Chambre Préliminaire, la délivrance d’un nouveau mandat permettrait d’étendre les poursuites à la charge de crimes contre l’humanité, dont le meurtre, la persécution pour des motifs ethniques, le viol et l’esclavage sexuel. Cependant, la demande de mandat d’arrêt continue de viser la période comprise entre le 1er septembre 2002 au 13 août 2003, ce qui exclue toute enquête sur les faits commis dans le cadre de ses activités en tant que membre et dignitaire du CNDP. Il est probable que l’Accord de Goma constitue un obstacle politique de taille au déclenchement d’une nouvelle enquête concernant les activités des membres du Congrès, visé par des lois d’amnistie et désormais – officiellement – force politique démilitarisée participant au débat public en RDC.

6. Le Procureur demande, parallèlement, la délivrance d’un mandat d’arrêt contre Sylvestre Mudacumura

Le 14 mai 2012, le Procureur de la CPI a également demandé la délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Sylvestre Mudacumura, commandant suprême des Forces Combattantes Abacunguzi (FOCA, branche armée des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda - FDLR). La demande vise cette fois-ci précisément la situation aux Kivus, puisqu’elle vise une série d’attaques contre les populations civiles dans ces provinces entre 2009 et 2010. Désireux de poursuivre Mudacumura pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, dont le meurtre, le viol et la torture, le Procureur a néanmoins été débouté de ses demandes le 31 mai dernier, la Chambre Préliminaire II considérant que la demande n’avait pas rempli « le niveau de spécificité requis ». Le 13 juin le Procureur a renouvelé sa demande, en précisant les charges.

L’action du Procureur est le fruit d’une stratégie qui tente de réunir le soutien de Kinshasa comme de Kigali : le refus de maintenir le champ des poursuites visant Ntaganda à ses actions en Ituri a pour principal objectif de laisser hors des projecteurs les actions des FARDC, peu impliquées dans l’est du pays. La Cour s’assure ainsi le soutien du régime, libre de poursuivre le processus de paix comme il le souhaite, même si c’est au prix de l’impunité pour certains criminels présumés. Quant aux poursuites visant Mudacuruma, elles ont pour objectif de satisfaire le régime de Kagamé dont les FDLR, groupe très actif aux Kivus essentiellement composées de Hutus ayant pour la plupart participé au génocide de 1994, sont le principal ennemi. Une fois de plus ces deux affaires, conduites en parallèle, soulignent l’impuissance de la Cour en l’absence d’une force de police qui lui permettrait d’intervenir sur le territoire des Etats de manière autonome. La coopération des Etats avec la Cour demeure encore et toujours le point d’achoppement des succès ou échecs de la justice pénale internationale.

 

Premier verdict de la CPI rendu en l'affaire "Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo" (Metou Brusil Miranda, 18 mars 2012)

Bulletin numéro 310