Il n’est plus possible de négliger le rôle et l’influence de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre du droit international public. Au-delà de l’extension du droit de participer aux négociations visant la préparation des grandes conférences internationales, comme cela est le cas actuellement en ce qui concerne la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement, les organisations de la société civile tendent à imposer leur vision et à défendre des positions parfois inédites face à la réticence des Etats sur certaines questions. Après s’être inquiétés pour l'avenir du droit à l'eau dans le cadre de la préparation du sommet de Rio +20, les organisations de la société civile internationale ont finalement réussi à faire inscrire la question à l’ordre du jour de la Conférence qui se tiendra du 20 au 22 juin prochain à Rio de Janeiro. Cette inscription a été obtenue à la dernière semaine de négociations à l'ONU pour le texte base de la conférence sur le développement durable Rio+20. La nouvelle était très attendue par les groupes de la société civile travaillant sur le droit à l'eau. « Rio+20 », qui marquera le vingtième anniversaire de la première Conférence de l’ONU sur l’environnement et le développement qui a eu lieu à Rio (Sommet de la Terre), aura pour thèmes principaux l’économie verte, considérée comme un concept à l’intersection de l’environnement et de l’économie, et le cadre institutionnel du développement durable. Il faut rappeler que la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable (CDD) est organisée en application de la résolution64/236 de l’Assemblée générale (A/RES/64/236).
I.Une nouvelle très attendue par les sociétés civiles travaillant sur le droit à l’eau
Pendant plusieurs mois, il y a eu une offensive de la part des ONG travaillant sur le droit à l’eau, en confrontation avec le groupe de pays pour supprimer toute référence au droit à l'eau dans le texte base qui sera présenté aux chefs d'état à Rio au mois de juin. Plusieurs ONGs, syndicats et mouvement de femmes s'étaient alors mobilisés pour dénoncer cette offensive contre les droits humains et plus particulièrement contre le droit à l'eau. En effet, le processus de négociations du document final de Rio+20 a commencé à New York en janvier 2012, sur la base d’un « avant-projet de 6 000 pages » intitulé L’avenir que nous voulons. Les États Membres, la société civile, le secteur privé, parmi d’autres parties prenantes, se sont revus à New York, du 19 au 27 mars. Une autre série de négociations a eu lieu du 23 avril au 4 mai, avant les dernières retouches prévues du 13 au 15 juin, à Rio de Janeiro.
A.Tensions suscitées par la modification de l’article 67 du document de travail
Dans le cadre des négociations internationales qui préparent le texte de base de la conférence Rio+20 sur le développement durable, les associations ont constaté une nouvelle rédaction du paragraphe 67, essentiel à leurs yeux. L’article 67 du draft zero (L’avenir que nous voulons) provisoire réaffirmait l’importance de l’accès à l’eau potable comme droit humain fondamental, avant de le soumettre à d’éventuels amendements comme il est de règle en la matière. Or, de nombreux pays du Nord ont refusé catégoriquement toute nouvelle avancée en ce sens. Le débat était désormais clairement posé et allait sans aucun doute s’intensifier à l’approche du prochain Sommet de la Terre, dans la perspective duquel se mobilise déjà la société civile internationale. En fait, les notions de droit à l’eau, à l’assainissement et à la souveraineté alimentaire, présents dans la première mouture du texte, avaient disparu, situation qui constituait une régression sans précédent des droits de l’homme, en particulier la subsistance de plus d’un milliard de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable et à l’assainissement. Le 27 mars 2012, plusieurs associations de la société civile au cours d’une conférence de presse au Siège de l’ONU, ont estimé à New York que « Les progrès majeurs obtenus il y a 20 ans au Sommet de la terre de Rio sont menacés par les négociations menées en vue de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable « Rio+20 » qui aura lieu en juin prochain ». Selon les responsables d’Oxfam, de Greenpeace International, de la Confédération syndicale internationale (CSI), du Conseil des Canadiens et de l’organisation « Women in Europe for a Common Future » (WECF), les négociations informelles qui ont eu lieu, dans le cadre des préparatifs de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable remettent en question des principes fondamentaux acquis depuis longtemps au sein du système des Nations Unies. « Nous sommes préoccupés par les tentatives visant à diluer les dispositions du projet de document final de Rio+20 faisant référence aux droits de l’homme, y compris les principes fondamentaux liés à l’accès universel à l’eau et à l’assainissement, à un environnement sain, à la santé, à l’alimentation ou au développement », a expliqué M. Anil Naidoon, du Conseil des Canadiens, une ONG qui sensibilise le public à ces enjeux. (http://www.uncsd2012.org/rio20/index.php?menu=14) André Abreu, qui représentait France Libertés aux négociations préparatoires des 23 et 24 mars à New York, précise que « les organisations réunies au Forum Social de Porto Alegre dans le groupe thématique sur l’eau pour Rio+20, ne pouvaient pas imaginer un tel démantèlement du texte originel qui citait plus de trois fois le droit à l’eau. » A l’origine de ces régressions se trouvaient les positions des pays comme l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, le Japon, mais aussi désormais l’Europe. Les activistes de l’eau s’y sont opposés, avec le soutien des pays du G77. L’argument avancé par les Etats qui sont opposés aux droits – UE, Canada, Etats Unis, Australie, Japon, Nouvelle Zélande – et par le « business group» dans les « major groups », est que la conférence de Rio est une opportunité de faire avancer la dite « économie verte » et donc pas l’endroit pour parler de droit, mais d’investissement, de valorisation du capital naturel et des nouvelles opportunités pour le marché.
B. Objectif affiché : empêcher une régression des acquis en matière d’affirmation du droit à l’eau et à l‘assainissement comme droit fondamental
La garantie de l’accès à l’eau potable est une des cibles des Objectifs du millénaire pour le développement Il s’agit de l’objectif 7.C : " Réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas d’accès à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base ". Le 28 juillet 2010, une résolution reconnaissant un droit à l’accès à une eau potable salubre et propre a été adoptée à l’Assemblée générale. Le texte (A/RES/64/292) a reçu le vote favorable de 122 pays, dont la France. 41 se sont abstenus et aucun Etat ne s’y est opposé. Cette résolution reconnait le droit à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit de l’Homme essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’Homme. Elle place les Etats et les organisations internationales comme garants de ce droit et insiste sur la coopération et l’assistance internationales. Dans le même temps, de vives tensions se font jour au sein de la communauté internationale autour du « droit à l’eau », qui fait l’objet depuis plusieurs années de négociations complexes dans différentes instances. C’est un droit qui ne se laisse pas appréhender aisément, et qui fait l’objet de polémiques récurrentes. En effet, ce concept, instrumentalisé de longue date par Veolia et Suez, est devenu un véritable cheval de Troie pour les tenants de la marchandisation des services hydriques (voir « Note à usage interne » élaborée en mai 2011 par le pôle études, veille & argumentaires de la direction de la communication de Veolia Environnement, qui y décrit par le menu tous les avantages qu’un opérateur privé peut attendre d’une maligne promotion du « Droit à l’eau »). Comme l’indique Franck Laval, président d’Ecologie sans Frontière, « l’eau est la seule ressource non substituable nécessaire à la vie. Le texte actuellement proposé consacre le triomphe du chacun pour soi, et nie les enjeux de subsistance et d’utilisation raisonnée de la ressource ».
C’est la raison pour laquelle ces organisations se sont battues pour faire réintégrer dans le texte de base la mention explicite de l’affirmation du droit à l’eau, à l’assainissement et à la souveraineté alimentaire. Selon Emmanuel Poilane, Directeur de France Libertés: « si nous laissons passer l’échéance de Rio avec un recul sur le droit à l’eau alors c’est tout le travail des 5 dernières années qui sera réduit à néant. Si par contre, nous réussissons à faire avancer le droit à l’eau alors c’est la possibilité d’imaginer des avancées politiques internationales pour les biens communs » (www.france-libertes.fr).
II.Mobilisation
Les syndicats et ONG se sont associés à un large éventail d’alliés au niveau mondial, national, régional et local pour faire entendre leurs revendications et amener le comité préparatoire de la conférence à réintégrer le droit à l’eau dans le texte de base qui sera soumis à la discussion. Les protagonistes du droit à l’eau ont très vite songé à prolonger cette étape marquante des mobilisations pour l’eau, qui gagnent en ampleur depuis plus d’une décennie, comme l’atteste la déclaration adoptée à l’issue du Forum alternatif de Marseille. Pour faire entendre leur voix, les ONG françaises ont étendu la mobilisation pour la cause à plusieurs domaines et de façon diversifiées. Dans une Déclaration, ces ONG ont lancé un appel à tous les organes représentation nationale (Ministériel, Assemblée nationale, Sénat) à prendre immédiatement des positions publiques fermes et sans ambigüité réaffirmant la volonté française de voir aboutir dans la déclaration Rio+20 le droit à l’eau, à l’assainissement et à la souveraineté alimentaire, et à Faire entendre la voix de la société civile qui réclame la reconnaissance de ces droits, et ce de la manière la plus large possible, notamment en y associant les entreprises citoyennes qui souhaitent voir ces droits reconnus plus rapidement, et de manière ambitieuse (Télécharger la version PDF de cette déclaration). Elles ont également élaboré une pétition en ligne pour mobiliser les citoyens contre cette atteinte aux droits (http://www.ipetitions.com/petition/rightsatrisk/). George Gendelman, associé fondateur des Ateliers de la Terre, précise que « plus que jamais, le temps d’une co-construction est venu : sur les territoires, nous identifions très régulièrement, et dans de nombreuses parties du monde, des initiatives ambitieuses servant le développement humain et d’environnement, avec des modèles sociaux et économiques qui forcent le respect. Il est temps que ces acteurs puissent accéder à la représentation internationale, et faire entendre une voie de paix et de raison ». Le droit à l’eau, à l’assainissement et à la souveraineté alimentaire est nécessaire à la survie de l’espèce humaine et sa mise en œuvre effective doit être notre engagement commun, en commençant par les plus fragiles. C’est un enjeu essentiel de solidarité, de prévention des conflits, de maintien de la paix. Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires, indique qu’ « une bonne gouvernance de l’eau et de l’assainissement sera mené à bien uniquement par une approche fondée sur les droits humains, et par des investissements adaptés, avec une implication informée et concrète de la société civile. Ne sapons pas la reconnaissance par les Nations Unies en 2010 du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement. Au contraire, partageons nos expériences pour mettre en œuvre conjointement et soutenir ces droits, de manière concrète. C’est la meilleure manière de servir conjointement économie verte et développement humain, et d’initier à Rio+20 un travail concret de co-construction entre gouvernements et autorités, société civile et entreprises. » (: http://gcft.fr)
III. Fléchissement des positions étatiques et réinsertion du droit à l’eau dans le texte de base
Présents dans la salle principale pour la session relative à l'eau, ces organisations ont su aussi maintenir la pression sur les négociateurs et ont vu le recul de la plupart des pays qui s'étaient opposés au paragraphe 67, avec l'exception du Canada qui a encore demandé sa suppression. Après l'ouverture des travaux, la Suisse a commencé par renforcer "l'importance du droit à l'eau comme un élément essentiel du texte". Le Japon a ensuite pris la parole pour déclarer bizarrement que les objectifs du millénaire pour l'eau sont déjà atteints et a demandé la suppression de l'eau potable dans l'introduction du chapitre sur l'eau relatif aux Objectifs du Millénaires pour le Développement. Les Etats Unis, l'Union Européenne, Israël et l'Australie, qui avaient auparavant rallié le Canada, se sont abstenus cette fois de demander la suppression du chapitre 67 relatif au droit à l'eau. La Norvège a ensuite pris la parole pour demander le maintien du chapitre entier, en opposition à la position du Canada. Le négociateur des G77 (regroupement de 132 pays du monde qui en comptait au départ 77 d'où son nom) a ensuite fait une défense appuyé du droit à l'eau en demandant même la division du paragraphe en deux parties pour valoriser la première relative au droit à l'eau. "Le droit à l'eau ne peut pas être mis sur le même terrain que des questions de management et d'investissement".
Les négociations sur la préparation de la conférence Rio+ 20 ont permis de prendre la pleine mesure des mutations progressives et irréversibles de la société internationale actuelle. Désormais, les conférences internationales ne réunissent plus des participants devant travailler sur une base égalitaire, en vue de l’élaboration des règles de droit. En effet, la participation d’une ONG à une conférence internationale est une indice de la reconnaissance d’une certaine personnalité internationale (même si celle-ci est encore très limitée en droit internationale). D’ailleurs, la participation de la société civile à l’organisation de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) et à la précision de ses objectifs était l’une des missions assignées au Comité préparatoire par l’ONU. En effet, la résolution A/RES/64/236 de l’Assemblée générale du 24 décembre 2009 réaffirme « l’objectif consistant à accroitre la participation et le concours actif de la société civile et d’autres parties prenantes et (…) à promouvoir la transparence et une large participation de la population à la mise en œuvre d’Action 21 ». Elle invite, entre autres, « les grands groupes s’intéressant au développement durable, à soumettre des idées et propositions reflétant ce qu’ils ont appris et les enseignements qu’ils ont tirés de leur expérience afin de contribuer au processus préparatoire ». A cet effet, de nombreuses organisations non gouvernementales nationales et internationales se mobilisent pour apporter leur expertise et leur expérience en matière environnementale tout au long de la phase préparatoire de la Conférence. Le caractère technique et crucial des questions qui seront discutées au cours de la conférence Rio + 20, leur complexité et la multiplicité des intérêts en jeu expliquent les débats qui ont actuellement lieu et les contestations en cours sur l’ordre du jour.
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