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Soumis par Bourrel Marie le 13 May 2012

Mercredi 25 avril 2012, le Ministre des affaires étrangères Alain JUPPÉ, a présenté un projet de loi autorisant la ratification de la Convention internationale pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, adoptée à Hong Kong le 15 mai 2009 (Convention de Hong Kong).

Elaborée et adoptée sous les auspices de l'Organisation maritime internationale (O.M.I), de l'Organisation internationale du travail (O.I.T) et de la Conférence de Parties à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux (Conférence des Parties à la Convention de Bâle), cette Convention a pour objectif de règlementer le démantèlement des vieux navires de manière à prévenir les atteintes à la santé humaine et à l'environnement qu'une telle activité génère. Sur la base de cet objectif, plusieurs obligations sont mises à la charge des Etats parties qui auront pour tâche de coopérer entre eux afin de garantir la mise en œuvre, le respect et l'effectivité de la Convention.

Un contexte économique, politique, social et environnemental qui échappe pour l'heure à toute règlementation « rationnelle »

 

                    L’économie mondiale du démantèlement des navires en fin de vie

Le marché du démantèlement des navires de commerce, mis à part certains navires saisis ou accidentés, échappe largement aux sites européens. A ce jour, les navires les plus âgés appartenant à des ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne (U.E) n'arborent pas de pavillon européen et sont démantelés hors de l’U.E. En effet à ce jour, 80% des navires sont démantelés au Bangladesh, au Pakistan et en Inde, dans des conditions souvent peu satisfaisantes au regard de la protection de la santé humaine et de l’environnement. Cette situation pourrait s'aggraver dans les années à venir, en raison du vieillissement de la flotte mondiale et de la sortie de flotte des pétroliers à simple-coque.

Depuis le 1er janvier 2012, 417 navires sont partis pour être démantelés, soit près de 28 par semaine (Robins des bois, Bulletin « A la casse », n°27, mai 2012, p.7). Parmi eux, 410 (98%) sont partis en Asie, 149 (36%) étaient construits en Europe et 181 (43%) appartenaient à des armateurs européens.

 

                    La question du statut du navire en fin de vie

A ce jour, un navire en « fin de vie » peut être juridiquement qualifié de « déchet » au sens de la Convention de Bâle dès lors que son propriétaire a l’intention de s’en défaire. De cette qualification qui - il faut le souligner - ne fait pas l'unanimité, dépend le régime juridique applicable au navire à démanteler.

Actuellement, toute exportation de navire aux fins de son démantèlement doit s’effectuer dans le respect de la Convention de Bâle. Les navires battant pavillon d'un Etat membre de l'U.E sont tenus par cette même obligation en vertu du Règlement n°1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets qui intègre les dispositions de la Convention de Bâle et du « Ban Amendment ». Ce dernier est un dispositif additionnel adopté le 22 septembre 1995 à la Troisième Conférence des Etats parties à la Convention de Bâle qui restreint considérablement le périmètre géographique dans lequel sont autorisées les exportations de déchets dangereux. Cet amendement n’ayant pas été ratifié par un nombre suffisant d’Etats, n’a pu être intégré à la Convention de Bâle qu'il aurait modifié et ainsi s'imposer aux Etats parties. La situation est sensiblement différente pour les Etats membres de l'U.E. Il se trouve en effet que par le truchement du Règlement n°1013/2006/CE, l'U.E a intégré le contenu du « Ban Amendment » dans son droit interne. Dès lors, le principe d'interdiction d’exportation des déchets des Etats membres de l’U.E en dehors du champ géographique déterminé constitue une obligation fondamentale à laquelle les Etats membres ne peuvent déroger à peine d'être sanctionnés par la Cour de justice de l'Union européenne.

Ceci étant et bien que cet ensemble règlementaire ambitionne d’encadrer strictement le commerce transfrontière de déchets dangereux, son efficacité pratique doit être nuancée. 

Dans le cadre du démantèlement des navires cette règlementation se révèle peu adaptée aux navires de commerce en « fin de vie », cela pour au moins quatre raisons. Tout d'abord, les mécanismes existant par lesquels il serait possible de garantir le respect des règles adoptées aux navires qui ne se trouvent pas dans les eaux de l’U.E sont pour ainsi dire inexistants. Ensuite, cette règlementation est souvent neutralisée par la pratique du « dépavillonnement » qui permet aux Etats membres en principe tenus par des obligations de nature contraignante d’y échapper en soumettant le navire à une juridiction étrangère, non concernée. En outre, la preuve de l’intention du propriétaire d’un navire de se défaire de son bien est difficile à établir. Enfin, il est difficile d’appliquer à l’exportation d’un navire aux fins de son démantèlement les notions propres à la Convention de Bâle transposée par le Règlement n°1013/2006/CE, à savoir les Etats d’exportation, d’importation et de transit, dans la mesure où le navire, bien meuble qui traverse les frontières, se joue facilement de ces notions. Pour toutes ces raisons, appliquer la Convention de Bâle aux navires ne constitue pas une solution optimale de nature à garantir un démantèlement sûr et écologiquement rationnel de ces derniers. C’est pourquoi les Etats ont négocié, dans le cadre de l’O.M.I, une convention internationale spécifique. 

 

                    Le rapport des normes juridiques entre elles

Lorsqu'elle entrera en vigueur, la Convention de Hong Kong ne se substituera pas à la Convention de Bâle. Ces traités continueront de coexister soulevant la question de leur articulation. Si la Conférence des Etats parties à la Convention de Bâle a admis dans sa décision VII/26 de 2004 qu’un navire pouvait constituer un « déchet », chacune de ces conventions répond à un objet distinct.

La Convention de Bâle règlemente les mouvements transfrontières de déchets au travers de la procédure dite du « consentement préalable en connaissance de cause ». Le régime juridique mis en place doit permettre de parvenir à la gestion écologiquement rationnelle des déchets. Or, la Convention de Hong Kong exclut expressément de son champ d’application le traitement des déchets dangereux, des résidus de déchets et des déchets non valorisables issus du démantèlement. Cette opération n’étant pas considérée comme relevant de l’opération de recyclage du navire, elle relève en principe de la Convention de Bâle. Il est par conséquent généralement avancé que les deux sont complémentaires : la première encadre l’opération de recyclage, quant la seconde régit le traitement des déchets issus de cette opération.

Sur le plan européen, il sera nécessaire que des aménagements juridiques soient engagés afin d'éviter la situation dans laquelle l'envoi d'un navire pour démantèlement qui entrerait dans le champ de la Convention de Hong Kong vers un Etat partie mais non membre de l'O.C.D.E ou de l'A.E.L.E contrevienne au Règlement européen qui en principe, interdit de tels mouvements transfrontières. Sur ce point, il convient de souligner qu'un projet de règlement, spécifique aux navires et incorporant en droit européen les dispositions de la Convention de Hong Kong, est en cours de préparation par la Commission européenne. Il a été présenté aux Etats membres il y a peu. S’il est adopté, ce règlement se substituera au Règlement n° 1013/2006 établissant un régime juridique spécifique qui se veut adapté au démantèlement des navires.

 

Des conséquences afférentes au processus de ratification nettement favorables aux intérêts défendus par la France.

                    Les conséquences économiques et financières

La ratification de la Convention de Hong Kong aura peu d’incidences économiques et sociales pour la France qui n'est pas un Etat recycleur. Il est vrai qu'une réflexion est actuellement en cours quant à l'opportunité d'établir une filière de démantèlement en France. Toutefois, le caractère limité de cette activité – si elle devait voir le jour – se concentrerait sur des secteurs « niches » (navires de plaisance...) dont les enjeux, sans être négligeables, ne sont pas directement liés à la ratification de la Convention de Hong Kong.

Le fait de ratifier la Convention de Hong Kong ne devrait pas engendrer de conséquences financières particulières pour l’Etat. En revanche, elle devrait entraîner un certain nombre de coûts additionnels à la charge des armateurs dans la mesure où la réalisation des inventaires de matières potentiellement dangereuses (navires neufs et navires existants) est payante. Le montant des charges variera selon l’âge du navire, le niveau de précision de l’inventaire et la complexité du navire. A titre général, le coût lié à l’établissement du premier inventaire devrait avoisiner les 10 000 euros et 2 000 euros euros lors des visites de renouvellement, effectuées au moins tous les cinq ans.

 

                    Les conséquences sociales et environnementales

Bien que la quasi totalité des navires soient actuellement démantelés en Asie, les conséquences sociales et environnementales de la ratification ne sont pas sans intérêts pour la France qui est Partie à la très grande majorité des traités de protection des droits de l'Homme, des accords multilatéraux pour la protection de l'environnement et des traités encadrant les conditions de travail adoptés sous l’égide de l'O.I.T.

L'entrée en vigueur de la Convention de Hong Kong devrait permettre d’améliorer de manière substantielle la sécurité des travailleurs impliqués dans les chantiers de démantèlement ainsi que la protection de l’environnement, sous réserve que les principaux Etats recycleurs deviennent parties à cette convention et fassent évoluer leur pratique de démantèlement. A ce jour, il est difficile de dire quand ces Etats adhèreront à cette convention.

 

                    Les conséquences juridiques et politiques

A ce jour, cinq Etats ont signé la Convention de Hong Kong. Il s’agit de la France, de l’Italie, des Pays-Bas, de Saint-Christophe-et-Niévès ainsi que de la Turquie. Aucun Etat n’a ratifié cette convention.

Dès lors, la France fait-elle figure d'exemple. Au-delà du fait qu'une telle position s'inscrit totalement dans l'implication des services de l'Etat (Secrétaire général de la mer, Représentation permanente de la France à l'O.M.I...) sur ce sujet dès l’ouverture des négociations en 2006, c'est aussi le moyen par lequel la France affirme sa position sur le plan européen et son soutien aux initiatives portées par la Commission européenne. Pour rappel, dès le mois d’octobre 2009, le Conseil « environnement » de l’Union européenne, développant une stratégie de l’Union européenne pour l’amélioration des pratiques de démantèlement des navires, « encourage[ait] fortement les Etats membres de l’UE à ratifier en priorité la convention de Hong Kong, afin d’en faciliter l’entrée en vigueur dans les meilleurs délais et de susciter des changements réels et concrets sur le terrain ».

Sur le plan juridique, plusieurs points doivent etre precisés. A l'instar de nombreuses conventions adoptées sous les auspices de l’O.M.I, la Convention de Hong Kong limite son champ d’application aux navires d'une certaine catégorie ou d’un certain tonnage. Sont exclus, les navires d’Etat et assimilés et les navires de moins de 500 tonneaux de jauge brute.

La transposition des dispositions contenues dans la Convention de Hong Kong en droit interne requiert certaines adaptations. Ainsi par exemple, la Convention impose aux Etats parties de prévoir dans leur droit interne des sanctions en cas d’infraction qui « (…) doivent être, par leur rigueur, de nature à décourager les infractions à la présente Convention où qu’elles puissent être commises ». Sur la base des dispositions que la Convention de Hong Kong contient, la France peut être amenée à intervenir alternativement en tant qu’Etat de pavillon, Etat du port ou Etat recycleur. Le Code des transports (cinquième partie, Livre II Navigation maritime, Titre IV Sécurité et prévention de la pollution) prévoit des dispositions d'ordre général qui permettront d'assurer la mise en œuvre de la Convention en ce qui concerne les documents qui doivent être à bord des navires (titres de sécurité, certificats de prévention de pollution...). Cependant, cela n'est pas suffisant et des amendements sont nécessaires. Le processus de révision législatif concerne le décret n° 84-810 du 30 août 1984 relatif à la sauvegarde de la vie humaine, à l'habitabilité à bord des navires et à la prévention de la pollution ainsi que l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires. Grâce à leur actualisation, il sera possible de préciser les conditions de délivrance et de contrôle des dispositions relatives aux certificats et procédures prévus par la Convention.

 

Déclarations ou réserves que la République envisage de faire

Le projet de loi envisage que deux déclarations accompagnent la ratification de la Convention de Hong Kong par la France.

La première est intéressante en ce qu'elle envisage qu'« En vertu de l’article 16.6 de la Convention, la France exige que le plan de recyclage d’un navire soit approuvé de manière explicite pour que ce navire puisse être recyclé dans les installations françaises de recyclage des navires ».

La deuxième déclaration envisagée a pour objectif de faire en sorte qu'« En vertu de l’article 16.4 de la Convention, la France déclare que les dispositions de la présente convention s’appliquent à l’ensemble du territoire de la République française ».

Le projet de loi a été déposé par le Gouvernement devant le Sénat et fait actuellement l'objet d'un examen par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Cet examen est préalable à l'examen du texte en séance plénière et doit permettre aux Sénateurs de proposer des modifications et d’élaborer le « texte de la commission » qui sera ensuite discuté en séance publique. Plusieurs mois pourraient être nécessaires pour que le texte soit adopté. Au surplus, il faudra ensuite que le texte soit transmis au Président de la République qui a la responsabilité de le promulguer. 

 

 

Bulletin numéro 304