Par une décision du 30 mars, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Rouen a donné un avis favorable à l’extradition vers le Rwanda de Claude Muhayimana. De double nationalité franco-rwandaise, il est sous le coup d’un mandat d’arrêt au Rwanda depuis le 13 décembre pour sa possible participation au génocide de 1994. Bien que la décision ne soit pas disponible intégralement en ligne, les résumés disponibles indiquent que la Cour a considéré que les conditions légales de l’extradition étaient remplies, que les faits qui lui sont reprochés sont de nature criminelles et non politiques et enfin que les juridictions rwandaises sont en mesure d’assurer les garanties fondamentales de procédure et la protection des droits de la défense. L’intéressé a formé un pourvoi en cassation et aucune extradition ne pourra intervenir avant que la Cour de cassation ne se soit prononcée sur le sujet.
L’ambassadeur du Rwanda en France et le ministre de la justice rwandaise se sont félicités de cette décision même s’il est clair que les autorités rwandaises continuent à critiquer la lenteur des progrès en la matière. Le président rwandais Paul Kagamé a une fois de plus critiqué l’inaction de la communauté internationale lors de la cérémonie de commémoration des 18 ans du génocide qui s’est déroulée cette semaine à Kigali.
Contrairement à ce qui a pu être lu dans la presse, il est faux d’indiquer qu’il s’agit de la première décision d’une juridiction française se prononçant en faveur d’une extradition vers le Rwanda. La Cour d’appel de Chambéry s’était déjà prononcée en ce sens mais la Cour de Cassation s’y était opposé dans un arrêt du 8 juillet 2008 au motif que la Cour d’appel n’avait pas concrètement recherché si les juridictions rwandaises remplissaient les garanties du procès équitable. L’avocate de l’intéressé indique que son client est prêt à être jugé par la France ou le Tribunal international pour le Rwanda (TPIR) mais qu’il ne pourra avoir un procès impartial au Rwanda. Au regard de la jurisprudence précitée, l’argument pourrait porter ses fruits. Néanmoins il ne faut pas négliger un possible revirement de jurisprudence de la Cour de cassation au regard des récentes décisions d’autres juridictions internationales et nationales. C’est tout d’abord le TPIR qui après plusieurs années de refus, a finalement autorisé l’an passé le premier transfert sur le fondement de l’article 11 bis du Statut d’un accusé pour être jugé au Rwanda. Le TPIR est déjà à sa troisième décision de transfert vers le Rwanda (Voir en particulier la décision de renvoi de première instance de Jean Uwinkindi et la décision en appel - voir aussi les archives de sentinelle). Le premier transfert physique d’un accusé devrait intervenir avant la fin du mois. Le Canada a également suivi la jurisprudence du TPIR et décidé en janvier de l’expulsion vers le Rwanda de Leon Mugesera dont le procès devrait effectivement débuter très prochainement. On se souvient également que la Cour européenne des droits de l’homme dans une décision du 27 octobre 2011 avait émis un avis favorable à l'extradition de la Suède vers le Rwanda de l’ancien directeur de l'aviation civile Sylvère Ahorugeze. Toutes ces jurisprudences sont consistantes et se prononcent sur la capacité du Rwanda de garantir un exercice effectif des droits de la défense et plus largement sur le droit à un procès équitable et il semble qu’il sera difficile pour la Cour de cassation de maintenir sa jurisprudence actuelle notamment parce que sa position était largement empreinte de l’ancienne jurisprudence du TPIR.
Il convient également de mentionner une autre décision qui a fait beaucoup moins de bruit que celle de la Cour d’appel de Rouen et qui pourtant décide exactement l’opposé en rendant un avis négatif à la demande d’extradition dans la ligne de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. Il s’agit d’une décision en date du 6 avril de la Cour d’appel de Rennes qui refuse de donner un avis favorable à l’extradition de Félicien Baligira là encore pour des faits présumés commis durant le génocide de 1994.
Alors que le Rwanda a fait des efforts considérables pour séduire la communauté internationale et la convaincre non seulement de sa volonté mais aussi de sa capacité à juger les auteurs du génocide et que le pays est sans aucun doute en passe de gagner sur ce front, les progrès réalisés par la France font pâle figure. La France est certainement le pays qui compte le plus de présumés auteur du génocide sur son sol. Premier paradoxe, le TPIR, qui refusait encore des transferts vers le Rwanda, avait autorisé en novembre 2007 deux transferts de dossiers sur le fondement de l’article 11 bis vers la France. Ces affaires n’ont toujours pas été jugées et rien ne permet de penser que leur procès est imminent. On relèvera aussi la suspension en fin d’année dernière de la procédure d’extradition visant Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva après la disparition de l’ensemble du dossier de procédure. Ce dernier est tout aussi mystérieusement réapparu il y a quelques semaines. Il reste néanmoins à fixer une nouvelle audience. On compterait 20 à 22 personnes mises en examen pour leur rôle dans le génocide rwandais en détention provisoire en France. La création officielle en fin d’année dernière d’un pôle judiciaire spécialisé sur les crimes internationaux au sein du Tribunal de grande instance de Paris est certainement un signe de volonté de faire avancer les procédures. Néanmoins, plusieurs membres de la société civile française ont déjà publiquement indiqué que les moyens alloués à ce pôle en termes de ressources et de personnel manquaient d’ambition. Si la France ne met pas plus de moyens à la disposition de la justice et ne fait pas preuve de plus de volonté politique pour faire avancer les dossiers en cours, la situation risque de devenir intenable au regard du nombre de dossiers à traiter. On pourrait même commencer à se poser des question au regard du droit au procès équitable, notamment le droit à être jugé dans un délai raisonnable.
Le TPIR autorise le renvoi de deux accusés vers la France Valérie GABARD
TPIR, le Tribunal international transfère des affaires au Rwanda (A.SAMPO)
TPIR, Michel Bagaragaza sera jugé aux Pays-Bas Roland ADJOVI
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