Le 27 février, la Cour suprême espagnole a finalement acquitté le juge Garzón des poursuites ouvertes à son encontre pour avoir ouvert une enquête sur des disparitions au cours de la guerre civile espagnole et de la période franquiste. Dans le cadre de cette procédure de prevaricación, qui vise à sanctionner pénalement les abus d’autorité commis dans l’exercice de leurs fonctions par les dépositaires de l’autorité publique, il était reproché au juge Garzon d’avoir violé la loi d’amnistie de 1977 par l’ouverture de cette enquête. Lors du procès fin janvier, le juge s’était défendu en maintenant sa position juridique initiale sur ce dossier à savoir que ces disparitions constituent des crimes contre l’humanité pour lesquels une loi d’amnistie ne saurait être opposée. Six des sept juges de la Cour suprême se sont prononcés pour un acquittement dans ce dossier. La cour a noté que l’ouverture d’une enquête constituait une erreur en l’absence de potentiels accusés encore en vie mais qu’elle ne constituait pas un abus d’autorité. Il encourrait 20 ans de suspension.
Ouverture de poursuites pénales contre un juge pour des actes commis dans l’exercice de ses fonctions, juge médiatique et polémique, sensibilité toujours très marquée en Espagne vis-à-vis des crimes commis pendant cette période troublée de l’histoire espagnole : tous les éléments étaient présents provoquer des réactions internationales en cascade. Ainsi, l’organisation Human Rights Watch a salué la décision et noté "Enquêter sur la torture et les 'disparitions' ne peut pas être considéré comme un crime". Le haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a également exprimé son inquiétude à propos de l’ouverture de ce procès. Le message ferme et clair convoyé est le suivant : un juge ne saurait être poursuivi pénalement pour des enquêtes qu’il mène ou a mené.
Si l’on écarte de cette affaire tous les aspects liés aux accusations de poursuites politiques ou à la personnalité polémique du juge Garzon en Espagne, l’aspect le plus particulièrement marquant, voir choquant, est que l’abus d’autorité qui lui était reproché, portait sur l’interprétation de points de droits et non sur des actions qui seraient incompatibles avec des fonctions judiciaires. Les immunités juridictionnelles associées aux fonctions de magistrat visent justement à éviter que les juges ne soient poursuivis pour des faits de ce type afin de garantir leur indépendance. Il en serait évidemment différemment si les faits portaient sur des faits de corruption ou une attitude incompatible avec la fonction de juge, mais on peine ici à voir comment l’ouverture d’une enquête, peut être en violation de la loi nationale d’amnistie, mais sous la justification juridique que les faits commis pourraient relever de la catégorie des crimes contre l’humanité, pourrait constituer un abus d’autorité. Tout juriste internationaliste sait que la question des crimes internationaux et des lois d’amnistie est un sujet juridique qui a et donne toujours lieu à de nombreuses discussions juridiques. Aucun d’entre eux, ne pourrait imaginer être poursuivi pour avoir adopté une position juridique sur le sujet. On touche ici au cœur même de la fonction judiciaire ce qui explique les réactions internationales nombreuses et virulentes en l’espèce.
Ajoutons enfin que le juge Garzon a été condamné à 11 ans de suspension de ses fonctions le 9 février dernier. Dans le cadre de cette procédure, elle aussi pour abus d’autorité dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, il a été condamné pour des écoutes illégales qu’il avait ordonné entre des suspects emprisonnés et leurs avocats dans le cadre d’un dossier de corruption pour des contrats publics qui impliquait le parti populaire espagnol. Il était également mis en cause dans un troisième dossier, pour corruption passive mais l'affaire a finalement été classée en février.
La volonté du juge Garzón d’enquêter sur les disparitions de la dictature espagnole accélère la mise en œuvre de la Loi de la mémoire historique (K. RINALDI, Prof. P. WECKEL, 26 octobre 2008)