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Soumis par Breton Caroline le 4 March 2012

Le 24 janvier 2012, le Venezuela a notifié par écrit à la Banque mondiale sa décision de dénoncer la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats (ci-après la Convention de Washington).

L’article 71 de la Convention de Washington prévoit, en effet, que « tout Etat contractant peut dénoncer la présente Convention par notification adressée au dépositaire de la présente Convention. La dénonciation prend effet six mois après réception de ladite notification ». La dénonciation vénézuélienne devrait donc prendre effet à compter du 25 juillet 2012.

 

1. Motifs de la dénonciation

Le Venezuela justifie sa décision de quitter le système CIRDI aussi bien sur le plan politique que juridique. Ainsi, après avoir rappelé que l’Etat avait adhéré à la Convention en 1993, sur décision « d’un gouvernement provisoire faible et dépourvu de légitimité populaire, influencé par les secteurs économiques transnationaux qui contribuent au démantèlement de la souveraineté nationale », le gouvernement vénézuélien fait ensuite valoir que les dispositions de la Convention de Washington ne sont pas conformes à l’esprit et la lettre de leur constitution dans la mesure où son article 151 prévoit que « dans les contrats d’intérêt public, […] il sera considéré comme incorporé, même si elle n’est pas explicite, une clause selon laquelle les doutes et les controverses qui peuvent surgir desdits contrats et qui ne peuvent être résolus à l’amiable d’un commun accord par les parties contractantes, seront réglés par les tribunaux compétents de la République, en conformité avec ses lois, sans qu’aucun motif, ni cause puissent donner lieu à des réclamations étrangères ». Il s’agit donc, pour le gouvernement, d’agir afin de « protéger le droit du peuple vénézuélien de décider des orientations stratégiques de la vie économique et sociale de la nation, en le soustrayant à une juridiction internationale qui a tranché 232 fois en faveur des intérêts transnationaux sur les 234 cas qu’elle a connus ». Il précise néanmoins qu’il « continuera à mettre en œuvre des politiques de défense de la souveraineté nationale, en particulier celles relatives à la propriété d’actifs stratégiques, en fournissant […] une juste compensation aux personnes physiques et morales pouvant en être affectées, conformément à la loi vénézuélienne », et à « collaborer avec les [autres Etats] pour que les institutions internationales ne soient plus les gardiennes d’intérêts hégémoniques et contribuent au contraire à consolider un monde multipolaire […] conformément aux principes fondateurs du droit international ».

Il convient surtout de noter qu’à la suite des politiques de nationalisation menées à partir de 2007 par le gouvernement vénézuélien dans des secteurs stratégiques (tels que ceux des hydrocarbures, de l’exploitation minière, des télécommunications, de l’agriculture…), de nombreux investisseurs avaient introduit une réclamation devant le CIRDI pour expropriation et demandaient alors une indemnisation conséquente. Il semble d’ailleurs que ce soit l’affaire Exxon, pour laquelle la compagnie pétrolière Petróleos de Venezuela (détenue par l’Etat) a été condamnée, le 23 décembre 2011, par un tribunal arbitral institué sous l’égide de la Chambre de commerce internationale, à payer 907 millions de dollars de dommages-intérêts, qui l’ait définitivement convaincu de dénoncer la Convention de Washington (le même cas ayant été également porté devant le CIRDI). Le Venezuela, qui avait refusé dans un premier temps d’exécuter la sentence et qui a finalement décidé, le 16 février dernier, de ne verser que 250 millions de dollars, est encore actuellement partie à une vingtaine de différends (v. la liste ci-dessous).

Affaires pendantes devant un tribunal arbitral constitué sous l’égide du CIRDI dont l’Etat défendeur est le Venezuela :

- Vannessa Ventures Ltd. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB(AF)/04/6).

- Vestey Group Ltd v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/06/4).

- Mobil Corporation and others v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/07/27).

- ConocoPhillips Company and others v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/07/30).

- Holcim Limited, Holderfin B.V. and Caricement B.V. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/09/3).

- Gold Reserve Inc. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB(AF)/09/1).

- Tidewater Inc. and others v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/10/5).

- Universal Compression International Holdings, S.L.U. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/10/9).

- Opic Karimun Corporation v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/10/14).

- Flughafen Zürich A.G. and Gestión e Ingenería IDC S.A. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/10/19).

- Highbury International AVV and Ramstein Trading Inc. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/1).

- Nova Scotia Power Incorporated v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB(AF)/11/1).

- Longreef Investments A.V.V. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/5).

- Crystallex International Corporation v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB(AF)/11/2).

- The Williams Companies, International Holdings B.V., WilPro Energy Services (El Furrial) Limited and WilPro Energy Services (Pigap II) Limited v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/10).   

- Koch Minerals Sàrl and Koch Nitrogen International Sàrl v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/19).

- OI European Group B.V. v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/25).

- Tenaris S.A. and Talta - Trading e Marketing Sociedade Unipessoal LDA v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/26).

- Hortensia Margarita Shortt v. Bolivarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/30).

- Gambrinus, Corp. v. Bolviarian Republic of Venezuela (ICSID Case No. ARB/11/31).

 

2. Conséquences de la dénonciation

Un différend ne peut être porté devant un tribunal arbitral constitué sous l’égide du CIRDI que si les deux parties en présence – l’investisseur étranger et l’Etat d’accueil de son investissement – y ont mutuellement consenti (v. l’article 25 de la Convention de Washington) : soit par l’inclusion d’une clause de juridiction, qui désigne le CIRDI comme forum compétent pour connaître de leurs litiges, dans le contrat qui les lie éventuellement, soit par la conclusion d’un compromis, soit, enfin, par l’acceptation par l’investisseur de l’offre générale d’arbitrage pouvant être émise par l’Etat d’accueil dans sa législation ou dans un traité bilatéral de promotion et de protection des investissements (TBI) conclu avec l’Etat de nationalité de l’investisseur.

Lorsqu’un Etat vient dénoncer la Convention de Washington, se pose dès lors la question de savoir dans quelle mesure cette dénonciation emporte des conséquences sur le consentement à l’arbitrage donné par l’Etat antérieurement à celle-ci.

Il est précisé à l’article 72 de cette même convention qu’« aucune notification par un Etat contractant en vertu des articles 70 et 71 ne peut porter atteinte aux droits et obligations dudit Etat, d’une collectivité publique ou d’un organisme dépendant de lui ou d’un de ses ressortissants, aux termes de la présente Convention qui découlent d’un consentement à la compétence du Centre donné par l’un d’eux antérieurement à la réception de ladite notification par le dépositaire »,

Or, l’interprétation de cet article fait régulièrement débat dans la doctrine. Selon le Professeur Schreuer : « [If] consent is based on a general offer in legislation or in a treaty, [… and] if the investor attempts to take up the prior offer of consent after the date of receipt of the denunciation, the Centre will be without jurisdiction ». Il indique également que : « [t]he existence of an offer of consent in a BIT alone does not give rise to any rights or obligations under the Convention. The BITs give potential claimants the right to accept the offer contained therein. But these are rights under the BIT and not under the ICSID Convention. Therefore, unless the offer of consent contained in a BIT has been accepted by the investor prior to the ICSID Convention’s denunciation, no rights or obligations under the Convention exist that could be preserved by Article 72 ». Le Centre ne serait donc pas compétent sur le fondement d’un TBI si l’investisseur accepte l’offre d’arbitrage après la réception de la notification. D’autres auteurs soulèvent pourtant que le délai de 6 mois posé par l’article 71 (au terme duquel la dénonciation prend effet) permet, au contraire, de maintenir les droits et obligations des parties en présence au cours de cette période, l’investisseur disposant alors encore de la possibilité d’accepter l’offre d’arbitrage émise par l’Etat.

Les conséquences de la dénonciation de la Convention de Washington opérée par le Venezuela, qui fait suite au mouvement de défiance à l’encontre du CIRDI entamé en Amérique Latine par la Bolivie et l’Equateur, paraissent donc pour le moins incertaines. Une vingtaine de TBI conclus par l’Etat vénézuélien sont encore actuellement en vigueur et devraient être renégociés prochainement.

 

Guillaume Aréou, CIRDI : La Bolivie dénonce la Convention de Washington, Bulletin hebdomadaire Sentinelle, n°111, 27 mai 2007.

Bulletin numéro 296