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Soumis par Sardachti Mari… le 4 March 2012

Pour la première fois dans l’histoire de la justice pénale internationale, un tribunal à caractère international autorise que des accusés soient jugés par défaut (voir le communiqué de presse).

Par cette décision majeure, la Chambre de première instance du Tribunal spécial pour le Liban a décidé de juger en leur absence les quatre accusés de l’attentat commis à Beyrouth le 14 février 2005.

La possibilité de juger les accusés par défaut est prévue à l’article 22 du Statut et à la règle 106 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal spécial pour le Liban.

Pour autoriser une telle procédure, la décision du Tribunal analyse successivement les mesures prises par les autorités libanaises pour appréhender les accusés (I), les mesures prises par les autorités libanaises pour informer les accusés de la procédure (II) et si toutes les mesures raisonnables ont été prises (III).

  1. Mesures prises par les autorités libanaises pour appréhender les accusés

Lesdites mesures incluent de la surveillance, des visites répétées au domicile et au travail des accusés, au domicile de leurs proches, des enquêtes auprès du registre public et la publication dans les medias libanais d’une annonce contenant des informations biographiques accompagnées de photographies de chacun des accusés.

En outre, toutes les mesures envisagées par le code de procédure pénale libanais pour appréhender les accusés ont été prises.

  1. Mesures prises par les autorités libanaises pour informer les accusés de la procédure

La Règle 76 (B) indique que la signification de l’acte d’accusation « se fait par une remise à l’accusé en personne d’une copie de l’acte d’accusation, ainsi que d’une citation à comparaitre ou d’un mandat d’arrêt ».

Les accusés étant des citoyens libanais et leur dernière adresse connue se situant au Liban, le Greffier du Tribunal a envoyé les actes d’accusation et mandats d’arrêt au gouvernement du Liban pour signification et exécution. Le Procureur général du Liban a tenté d’effectuer plusieurs significations en main propre à l’encontre de chacun des accusés.

Comme moyen alternatif de signification, le Greffier du Tribunal a envoyé aux autorités libanaises des annonces s’intitulant « Mandats d’arrêt émis par le Tribunal spécial pour le Liban » pour qu’elles soient diffusées par la radio, la télévision, la presse et par internet.

La Chambre a considéré que la signification de l’acte d’accusation par ces moyens alternatifs satisfait les standards internationaux en matière de droits de l’homme s’agissant du droit de l’accusé à être informé des charges pesant sur lui. En conséquence, au vu de la publicité importante donnée à ces actes d’accusation, la Chambre a décidé que les quatre accusés avaient été informés des charges qui pèsent sur eux.

Le Président du Tribunal a de même publié une lettre ouverte dans laquelle il énonce les droits des accusés à participer au procès sans être nécessairement présent dans le prétoire, par vidéoconférence par exemple. Cette lettre ouverte a fait l’objet d’une diffusion telle que les quatre accusés ne pouvaient pas ignorer qu’un procès était mené à leur encontre.

En conclusion, la Chambre a considéré que l’acte d’accusation et son contenu était d’une telle notoriété qu’à compter d’août 2011, après que l’acte d’accusation a été rendu public, personne ne pouvait ignorer au Liban les charges qui pesaient contre les accusés.

  1. Appréciation du caractère raisonnable des mesures prises

La Chambre étant convaincue que les accusé sont introuvables ou ont pris la fuite au sens de l’article 22 du Statut et de la règle 106, elle se devait de déterminer si toutes les mesures raisonnables avaient été prises pour garantir la comparution des accusés et les informer des charges de l’acte d’accusation.

Les mesures raisonnables doivent être appréciées au regard des circonstances de l’espèce selon la Chambre. À cet égard, la coutume internationale ne donne pas de définition des mesures raisonnables.

Au vu des nombreuses tentatives de signification en divers lieux et de la publicité importante donnée aux actes d’accusation et à leur contenu, la Chambre a considéré que « toutes les mesures raisonnables » avaient été prises au sens de la Règle 106.

Chacun des accusés étant en fuite ou introuvable et ne souhaitant pas participer au procès en dépit d’avoir été informé des charges et des diverses manières de participer au procès, la Chambre a donc constaté que les conditions de la règle 106 étaient remplies et ordonné que soit tenue à leur encontre une procédure par défaut.

Perspectives

Les tribunaux pénaux internationaux (TPIY et TPIR) connaissent la règle 61 du Règlement de procédure et de preuve qui autorise la poursuite de la procédure en cas d’inexécution d’un mandat d’arrêt et qui permet qu’un mandat d’arrêt international soit transmis à tous les Etats. La règle 71 bis permet également de recueillir des éléments de preuve pour les besoins d’un procès à venir. Cependant, cette procédure ne peut se solder par un jugement d’acquittement ou de culpabilité car l’accusé a le droit d’être présent à son procès (Article 21 4 d) du Statut). De même, la Cour pénale internationale prévoit à la règle 125 du Règlement de procédure et de preuve la possibilité que l’audience de confirmation des charges se déroule en l’absence de l’accusé. Cependant, cette procédure résulte en l’affirmation du caractère suffisant ou non des preuves du procureur et non en une déclaration de culpabilité ou d’acquittement.

Cette décision, rendue en application des textes constitutifs, est donc une première dans la justice pénale internationale et permet de s’interroger sur l’opportunité de rendre des jugements « symboliques » dès lors que des accusés sont jugés sans être présent à leur procès et sans avoir eu la possibilité de se défendre. En outre, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité de telles procédures puisque dans l’optique où les accusés seraient arrêtés ultérieurement, ils auraient droit à ce que leur cause soit rejugée en leur présence (article 22 du Statut).

 

Bulletin numéro 296