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Soumis par Gabard Valérie le 4 March 2012

Par un arrêt du 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné à l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (voir aussi le communiqué de presse).  C’est ici l’effectivité des recours dans le cadre de la procédure d’asile dite prioritaire qui était au cœur de la question posée aux juges européens. 

 

En l’espèce, un ressortissant soudanais, sans titre de séjour, avait été placé en rétention en vue d’être refoulé vers son pays d’origine. Le 22 janvier, au cours de sa rétention administrative, il déposa une demande d’asile qui fut examinée selon la procédure dite prioritaire. Cette procédure vise à examiner la demande d’asile de manière accélérée. Le requérant fut donc entendu par l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) dès le 30 janvier. Le 31 janvier, une décision de rejet lui fut notifiée et il forma un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Dans le cadre de la procédure d’asile de droit commun, ce recours a un effet suspensif sur le renvoi de l’intéressé dans son pays d’origine. L’une des particularités de la procédure prioritaire est de faire perdre à ce recours son caractère suspensif et donc de procéder au renvoi sans attendre la décision en second degré de la CNDA. Le 16 février, devant l’imminence de son renvoi, le requérant forma une demande de mesures provisoires (article 39 de la CEDH) visant à suspendre la mesure de renvoi. La Cour fit droit à cette demande. Le 19 février la CNDA lui reconnaissait le statut de réfugié. Le requérant forma également une demande sur le fond dans laquelle il  alléguait que la mise à exécution de la décision de renvoi vers le Soudan l’exposait au risque d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la CEDH. Il soutenait également que la procédure prioritaire d’asile l’avait privé de son droit à un recours effectif par combinaison des articles 3 et 13 de la CEDH.   

 

Sur le fondement de l’article 3, la Cour décide qu’il n’existe plus de risque pour le requérant d’être renvoyé vers le Soudan, puisque le statut de réfugié lui est désormais reconnu. C’est donc pour absence de compétence ratione personae que la Cour déclare irrecevable la requête, l’intéressé ayant perdu la qualité de victime au sens des articles 34 et 35 de la CEDH. Sur le fondement de l’article 13 combiné avec l’article 3, elle admet au contraire la recevabilité de la requête. A l’opposé du raisonnement tenu sous l’article 3, elle constate que sous l’angle de l’article 13 « la violation alléguée sur ce terrain (relative au défaut d’effectivité des voies de recours disponibles en cas de placement en procédure prioritaire) était « consommée » au moment où le risque de renvoi vers le Soudan a été levé. »

 

Sur le fond, la Cour rappelle qu’en matière d’asile et d’immigration, son contrôle se limite à vérifier que les recours nationaux sont effectifs et respectent les droits de l’homme. La Cour note qu’en l’espèce, la demande d’asile du requérant avait été placée sous le régime de la procédure prioritaire au seul motif que la demande était intervenue après la décision de reconduite à la frontière et que dès lors celle-ci constituait une « fraude délibérée » et « un recours abusif à l’asile ». La Cour note que ce classement est automatique et lié à un motif procédural qui est sans relation avec les circonstances de l’espèce ou le bien-fondé de la demande. Plus généralement, elle note  que les procédures d’asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux Etats européens, peuvent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Si le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne prive pas l’étranger en rétention d’une revue circonstanciée, dans la mesure où il a bénéficié d’une première procédure d’asile normale, il en va autrement pour le traitement des premières demandes. Elle indique que le recours à une procédure accélérée pour une première demande a enfermé le requérant dans un délai bref et contraignant ne lui a pas permis de présenter tous les documents à l’appui de sa demande. Elle ajoute que recours devant le juge administratif pour contester son arrêté de reconduite à la frontière était en l’espèce enfermé dans une délai de 48 heures contre deux mois en droit commun, délai là encore qui ne lui avait pas permis de constituer un dossier solide. La Cour conclut donc que si les recours existent en théorie, « leur accessibilité en pratique a été limitée par le classement automatique de sa demande en procédure prioritaire, la brièveté des délais de recours et les difficultés matérielles et procédurales d’apporter des preuves alors qu’il était privé de liberté et qu’il s’agissait d’une première demande d’asile. Le recours du requérant a pâti des conditions dans lesquelles il a dû préparer sa demande, et de l’insuffisance de l’assistance juridique et linguistique à son égard ». L’absence de caractère suspensif du recours formé devant la CNDA est aussi un des éléments de procédure vivement critiqué ici par la Cour. Elle note que si l’effectivité des recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant, c’est uniquement l’octroi d’une mesure provisoire accordée par la Cour qui a empêché le refoulement du requérant vers le Soudan.

 

Cette décision est symptomatique du type de contentieux français qui arrive sur le bureau des juges de Strasbourg. La Cour elle-même note que les questions posées dans la requête sont graves et récurrentes. Ce seul motif justifiant la poursuite de l’examen de la requête au fond. Que cela  soit sous l’angle de l’asile ou du droit des étrangers, le droit et les procédures applicables en France sont de manières récurrentes questionnées sur leur compatibilité avec la CEDH. Ainsi les mesures provisoires en la matière sont nombreuses et les recours au fond fréquents. On notera ainsi qu’il s’agit de la seconde violation relevée en la matière depuis le début de l’année. La France a en effet été condamnée le 19 janvier 2012 dans l’affaire Popov contre France pour la rétention administrative d’enfants dont les parents étaient en situation irrégulière et ainsi que pour l’absence de recours effectif pour les enfants.  

 

Finalement, notons que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (l’UNHCR) est, fait rarissime,  intervenu dans la procédure. Son analyse de la procédure d’asile prioritaire appliquée aux demandeurs d’asile en rétention en France est particulièrement critique et en souligne les lacunes (voir les paragraphes 116 et suivants reproduits ci-dessous). 

« L’UNHCR admet que les procédures d’asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux Etats européens, puissent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Toutefois, l’UNHCR observe que plusieurs Etats européens privilégient dans le cadre de ces procédures une interprétation excessivement large des notions de demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Il souligne d’ailleurs que le simple fait de déposer une demande d’asile en rétention, y compris après notification d’une mesure d’éloignement, s’il peut constituer une indication, ne saurait suffire à lui seul à établir son caractère infondé ou abusif et impliquer un examen en procédure prioritaire.

Evoquant la pratique récente en France, l’UNHCR relève l’augmentation du nombre de demandes d’asile en rétention, se rapportant pour une grande majorité à des premières demandes (73 % en 2009 alors que ce chiffre n’était que de 64 % en 2008). Par ailleurs, le taux de reconnaissance de la protection internationale par l’OFPRA en rétention continue d’être inférieur au taux de reconnaissance global (en 2009, ces taux étaient respectivement de 4,78 %, premières demandes et demandes de réexamen confondues, et de 14,3 %).

L’UNHCR indique aussi que la refonte de la Directive sur les procédures d’asile entreprise par les institutions communautaires, actuellement en cours (voir paragraphe 85 ci-dessus), témoigne des lacunes relatives aux procédures d’asile accélérées telles qu’elles ont été mises en œuvre par les Etats membres, notamment en matière de garanties procédurales.

Dans la présente affaire, les deux procédures en cause sont représentatives des lacunes procédurales dénoncées par l’UNHCR.

En premier lieu, en ce qui concerne la procédure d’asile prioritaire en rétention, l’UNHCR considère que les conditions de saisine de l’OFPRA sont particulièrement contraignantes : le demandeur d’asile dispose d’un délai de cinq jours pour déposer une demande en langue française. Or, aucun traducteur n’est pris en charge par les autorités. Selon l’UNHCR, ces conditions sont susceptibles d’affecter la capacité du demandeur d’asile en rétention à faire valoir le bien-fondé de sa demande, a fortiori compte tenu de la vulnérabilité des personnes placées dans cette situation.

L’UNHCR note également la brièveté du délai imparti à l’OFPRA pour statuer, quatre-vingt-seize heures, notamment en ce qui concerne les demandes complexes.

Selon l’UNHCR, le recours devant la CNDA n’est pas à même de suppléer les insuffisances de la procédure devant l’OFPRA, car il n’a pas d’effet suspensif, et le demandeur risque d’être renvoyé avant que la CNDA ne statue. Or, toutes procédures d’asile confondues, cette juridiction a annulé plus d’une décision négative de l’OFPRA sur cinq en 2010. L’éloignement prématuré du demandeur d’asile est donc susceptible, dans certains cas, de porter atteinte au principe du non-refoulement.

En second lieu, quant à la possibilité pour le demandeur d’asile en rétention de contester la mesure d’éloignement devant le juge administratif, l’UNHCR soutient que si un tel recours peut paraître effectif en théorie, il ne garantit pas en pratique un examen attentif et rigoureux. Cela se vérifie en l’espèce puisque la CNDA a reconnu le statut de réfugié du requérant alors que le juge administratif avait rejeté sa demande.

A l’appui de cette thèse, l’UNHCR souligne que le délai imparti au demandeur, quarante-huit heures, est encore plus bref que dans le cadre de la procédure prioritaire en rétention. Par ailleurs, bien qu’en théorie le demandeur ait droit à un interprète, il lui est difficile d’en bénéficier en pratique. En effet, le demandeur doit en faire la demande expresse au président du tribunal administratif, alors qu’il n’est pas toujours informé de cette possibilité. Par conséquent, souvent le requérant ne bénéficie pas d’un interprète, ou bien celui-ci n’intervient que lors de l’audience devant le tribunal administratif et non au moment de la préparation de la demande, stade pourtant crucial pour l’effectivité du recours. A cela s’ajoutent les difficultés matérielles et procédurales pour le demandeur d’apporter des preuves. Selon l’UNHCR, l’ensemble de ces facteurs affecte négativement la capacité du demandeur à faire valoir son besoin de protection devant le juge.

De plus, l’UNHCR estime que le délai de soixante-douze heures dont dispose le tribunal administratif pour statuer n’est pas suffisant pour permettre un examen aussi rigoureux que possible de la demande, surtout s’il s’agit d’une première demande.

Par ailleurs, l’UNHCR indique que le recours devant le tribunal administratif n’est pas de plein droit suspensif sur l’ensemble du territoire français, puisqu’un régime dérogatoire est applicable en Guyane et à Saint-Martin.

Du point de vue de l’étendue du contrôle, l’UNHCR estime que la CNDA paraît plus à même que le tribunal administratif de conduire l’examen le plus rigoureux possible. La CNDA est en effet une juridiction spécialisée statuant en plein contentieux et en formation collégiale sur l’ensemble des circonstances de fait et de droit pertinent.

En conclusion, l’UNHCR réaffirme que la procédure d’asile en rétention combinée au recours devant le tribunal administratif dans le cadre de la procédure d’éloignement ne sont pas de nature à assurer un examen attentif et rigoureux du besoin de protection internationale des personnes concernées. Il considère qu’en l’espèce la Cour a pallié une insuffisance majeure du système par l’indication de mesures provisoires, et émet le souhait que des mesures soient prises au niveau national pour y remédier, conformément au principe de subsidiarité rappelé récemment par la déclaration de la conférence d’Izmir. »

 

Pour aller plus loin voir : Actualités Droits-Libertés du 03 février 2012

 

 

 

 

Bulletin numéro 296