L’actualité de la piraterie maritime et des moyens de lutte nous démontre, s’il en était besoin, la faiblesse d’une position qui, en apparence solidement ancrée il y a encore quelques mois, vient de connaître un tempérament important.
Rappelons en effet que, de principe, la France était catégoriquement opposée, dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime au large de la Somalie, à l’embarquement de gardes armés privés sur les navires battant son pavillon
A défaut de possibilité d’escorter tous les navires dans le cadre de l’opération Atalante, au regard de l’immensité de la zone, des priorités de l’opération (les navires du Programme alimentaire mondial) et l’augmentation des activités pirates, la France avait opté pour l’embarquement d’Équipes de Protection Embarquées (les fameuses EPE). Ces équipes, composées de personnel de la Marine nationale, ayant fait preuve de leur efficacité, ne pouvaient cependant à elles seules permettre la protection de tous les navires sur zone, d’autant plus dans un contexte d’élargissement considérable de la zone d’action des pirates. De surcroît, elles étaient destinées prioritairement à un embarquement sur les thoniers, ce qui excluait par conséquent la protection de la majorité des navires français transitant par la région.
Dans une situation de généralisation du recours aux EPE (Espagne, Inde….), de l’embarquement de gardes armés privés, que ce soit au stade de l’ouverture de négociations ou de leur mise en pratique (Royaume-Uni, par exemple), et alors que les moyens des marines nationales se trouvent de plus en plus limités (crise économique, réduction des moyens humains, matériels et financiers, redéploiements des forces sur d’autres terrains (Lybie notamment)), la France ne pouvait plus longtemps tenir sa position.
Les armateurs français ont ainsi fait le choix de s’ouvrir la possibilité de recourir à l’embarquement de gardes armés privés à bord de leurs navires, et ce malgré leur position initiale selon laquelle le rôle de protection des navires appartiendrait à l’État. Ce revirement de position n’intervient pas toutefois sans conditions ; il a ainsi été décidé que le recours par un armateur à cette solution ne pourrait être annoncé qu’après une demande, suivi d’un refus, de dotation d’une EPE sur le navire. Cependant, les conditions du recours à des gardes privés ne sont pas encore déterminées. Ainsi, il semblerait que soit privilégié le recours à des gardes anciennement marins de profession, de manière à s’assurer qu’il ait une connaissance nécessaire et suffisante du milieu dans lequel ils évoluent, ainsi que des règles de sécurité applicables à bord d’un navire. Ce qui relève en effet du bon sens. Embarquer des professionnels, certes, mais non marins serait plutôt contre-productif.
Mais pourquoi un tel revirement ? Les armateurs semblent se fonder sur le fait qu’il leur appartient d’assurer la sécurité des personnes à bord de leur navires, et qu’en raison de l’escalade de la violence des pirates ces derniers mois, la solution s’imposerait alors d’elle-même. Il semble donc que veuillent être évités de longs et coûteux procès de familles d’éventuelles victimes d’actes de piraterie à l’encontre des armateurs.
Cependant, une telle pratique n’est pas sans soulever de nombreuses questions, notamment celles relatives à la responsabilité en cas d’incident. Qui, de l’État – qui n’aurait pu fournir une protection aux navires battant son pavillon, de l’armateur – qui n’aurait pu empêcher le drame, ou de la société privée – qui aurait fait (ou non !) un usage de la force – devrait assumer les responsabilités en cas d’attaque ? En cas de décès d’un passager ? De celui d’un pirate ? La légitime défense pourrait-elle être invoquée ? Les réponses à ces questions ne sont pas encore clarifiées, que ce soit au niveau national ou international. Il est cependant possible de se référer aux lignes directrices adoptées par l’OMI en 2011 (voir note Sentinelle OMI / Piraterie maritime : adoption de nouvelles lignes directrices : emploi de gardes armés et investigations judiciaires , Anne Claire Dumouchel), aux termes desquelles est prôné non pas l’interdiction du recours aux gardes armés de sécurité privée, mais leur nécessaire encadrement – sans toutefois en favoriser la généralisation. Il appartient donc aux États de légiférer sur la question. Cela est urgent.
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