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Soumis par Moubitang Emmanuel le 16 September 2012

INTRODUCTION

Le Sénégal et l'Union africaine (UA) ont signé, le 24 juillet 2012 à Dakar, un accord pour juger au Sénégal l'ex-Président tchadien Hissène Habré, réfugié dans ce pays depuis vingt deux (22) ans et poursuivi pour torture, crimes contre l’humanité et actes de barbarie.

Cet « accord entre l'UA et le Gouvernement de la République du Sénégal sur la création de chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises » en vue du procès de M. Habré a été signé par Mme Aminata Touré, Ministre sénégalaise de la Justice, et Robert DOSSOU, représentant de l'UA.

Mme Touré a déclaré à la presse : « A travers l'accord, nous réglons la procédure par laquelle le procès doit se tenir. Nous nous acheminons directement vers l'ouverture de l'instruction. Il n'y a plus d'obstacles ».

Elle a ajouté: « Ceci est un grand pas, nous marquons une étape décisive vers un procès équitable. Nous avons perdu beaucoup de temps, mais l'essentiel est en train d'être fait. Nous nous acheminons résolument vers la tenue d'un procès tant attendu. (...) Nous sommes en train d'écrire une nouvelle page du droit international et c'est à l'honneur de l'Union africaine ».

Pour sa part, Robert DOSSOU a affirmé que : « L'UA se réjouit de ce que le principe de lutte contre l'impunité prend désormais corps. Nous sommes sur le segment de parcours qui va déboucher sur la démonstration que l'Afrique peut juger l'Afrique, et cette preuve se fait au Sénégal ».

L’accord (II) « engage les parties à ce projet et à un calendrier selon lequel le tribunal serait opérationnel avant la fin de l'année 2012 ». S’il est effectivement mis en place, il pourrait être un tournant décisif dans la longue campagne pour traduire M. Habré en justice (I). Mais, le Sénégal doit encore obtenir l’accord du projet par son Parlement et a déclaré se lancer prochainement à la recherche de financement international pour le tribunal.
 

I)- CONTEXTE DE L'ACCORD

Le rappel des chefs d’accusation contre M. Hissène Habré (A) et des décisions prononcées par les juridictions internationales, quelques temps avant la conclusion de cet accord (B), permet de mieux comprendre l’esprit dans lequel il a été signé.   

 

A)- Historique

 

1)- Le régime d’Hissène Habré

 

Hissène Habré a dirigé l’ancienne colonie française du Tchad de 1982 à 1990 jusqu’à son renversement par l’actuel Président Idriss Déby Itno et sa fuite vers le Sénégal.Son régime de parti unique fut marqué par une terreur permanente, de graves et constantes violations des droits de l’Homme et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l’encontre de son propre peuple. Hissène Habré a périodiquement persécuté différents groupes ethniques comme les Sara et d’autres groupes sudistes en 1984, les Hadjeraïs en 1987, les Tchadiens arabes et les Zaghawas en 1989-1990. Il arrêtait et tuait massivement les membres de ces groupes chaque fois qu’il percevait leurs leaders comme des menaces à son régime.

Le nombre exact des victimes d’Hissène Habré reste à ce jour inconnu. Une commission d’enquête du Ministère tchadien de la justice a accusé, en 1992, le Gouvernement de Hissène Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique. La plupart des exactions furent perpétrées par sa police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), dont les directeurs, qui rendaient des comptes exclusivement à Hissène Habré , appartenaient tous à sa propre ethnie, les Goranes. La torture était une pratique courante dans les centres de détentions de la DDS. « L’arbatachar », forme de torture consistant à lier dans le dos les quatre membres d’un prisonnier, de manière à couper la circulation sanguine et à provoquer rapidement la paralysie fut une des pratiques les plus utilisées.

 

En 2001, Human Rights Watch, découvrait les archives de la DDS. Parmi les dizaines de milliers de documents découverts, on trouve des listes quotidiennes de prisonniers et de morts en détention, des rapports d’interrogation, des rapports de surveillance et des certificats de décès. Ces documents rendent compte de manière détaillée de la façon dont Hissène Habré a placé la DDS sous son autorité, dont il a organisé l’épuration ethnique et dont il a gardé un contrôle étroit sur les opérations de la DDS. Ils ont révélé le nom de 1.208 personnes mortes en détention et font état de 12.321 personnes victimes de divers abus. Parmi ces seuls documents, Hissène Habré a reçu 1265 communications directes de la DDS au sujet du statut de 898 détenus. La commission d’enquête a aussi accusé Hissène Habré d’avoir volé quelques 3.32 milliards de Francs CFA (6'622'430 dollars au cours actuel) du trésor public dans les jours précédant son exil au Sénégal. La somme totale qu’il aurait volée serait cependant bien plus importante.

Après avoir fui le Tchad, Hissène Habré s’est installé au Sénégal. La commission d’enquête tchadienne a recommandé l’engagement de poursuites judiciaires contre Hissène Habré et ses complices. Le Tchad n’a cependant pas cherché à extrader Hissène Habré. Le Gouvernement du Tchad a soutenu les poursuites à l’étranger contre Hissène Habré et a formellement levé son immunité.

 

2)- L’inculpation de Hissène Habré au Sénégal

 

En janvier 2000, sept victimes tchadiennes portèrent plainte contre Hissène Habré au Sénégal, là où il vit désormais. Les victimes ont toujours soutenu que la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (http://www.ohchr.org/french/law/cat.htm) ratifiée par le Sénégal, l’obligeait soit à poursuivre, soit à extrader l’auteur présumé d’actes de torture qui se trouve sur son territoire.

En février 2000, le juge d’instruction du tribunal régional de Dakar inculpa Hissène Habré pour complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie et le plaça en résidence surveillée. A plusieurs reprises, Abdoulaye Wade, nouvellement élu à la présidence du Sénégal, déclara publiquement que Hissène Habré ne serait jamais jugé au Sénégal.

En juillet 2000, le juge Kandji qui inculpa Hissène Habré fut muté et dessaisi du dossier Habré. Au même moment, la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar décida que les tribunaux sénégalais n’étaient pas compétents pour juger au Sénégal des crimes commis à l’étranger et annula, en conséquence, la procédure contre Hissène Habré.

Le 20 mars 2001, la Cour de cassation du Sénégal, la plus haute instance sénégalaise, confirmait l’arrêt de la Chambre d’accusation en allégeant que le Sénégal n’avait pas incorporé dans son code de procédure pénale les dispositions de la Convention contre la torture. ( http://www.hrw.org/french/themes/habre-cour_de_cass.html).

Suite à l’arrêt rendu par la Cour de cassation, les victimes tchadiennes ont déposé un recours devant le Comité des Nations Unies contre la torture, allégeant une violation de la Convention contre la torture. (http://hrw.org/french/docs/2005/11/27/chad12130.htm).

 

3)- Les poursuites en Belgique

Après l’arrêt de la Cour de Cassation du Sénégal, d’autres victimes portèrent plainte en Belgique contre Hissène Habré et créèrent ainsi les conditions d’une possible extradition vers ce pays. Ces plaintes émanent de 21 victimes, dont trois d’entre elles ont obtenu la nationalité belge après avoir résidé de nombreuses années dans ce pays. Elles sont instruites par Monsieur Daniel Fransen, juge d’instruction près le tribunal de première instance de Bruxelles.

Les plaintes ont été déposées en Belgique en application de la loi dite de compétence universelle qui, dans sa version initiale, permettait l’ouverture de poursuites pénales contre les responsables des pires violations des droit de l’homme, quel que soit le lieu où ces violations avaient été commises et quel que soit la nationalité des responsables ou des victimes.

Au mois d’août 2003, le Parlement belge a abrogé la loi de compétence universelle. Cependant, ces modifications n’affectent en rien le cas Hissène Habré, puisque l’instruction avait déjà commencé et que les victimes ayant porté plainte étaient de nationalité belge.

En février et mars 2002, le juge belge Daniel Fransen s’est rendu au Tchad dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, accompagné du substitut du Procureur du Roi au Parquet de Bruxelles et de quatre officiers de police judiciaire. Le juge et son équipe ont interrogé plaignants, victimes de Hissène Habré, témoins des atrocités et plusieurs agents de la DDS. Le juge a pu également visiter les anciens lieux des massacres près de N’Djaména et tous les centres de détention du régime Habré dans la capitale tchadienne. Il était accompagné à chaque fois d’anciens détenus qui décrivaient les traitements subis et indiquaient l’emplacement des charniers. Le juge a eu accès aux archives de la DDS qu’il a saisies et ramenées en Belgique pour une analyse légale approfondie.

En octobre 2002, le Gouvernement du Tchad annonça au juge Fransen qu’il levait toute immunité dont pourrait se prévaloir Hissène Habré.

Finalement, le 19 septembre 2005, après quatre années d’enquête, le juge Fransen délivra un mandat d’arrêt international contre Hissène Habré. Le même jour, la Belgique demanda l’extradition de Hissène Habré du Sénégal.

 

4)- Le Sénégal renvoie la question de l’extradition à l’Union africaine

 

La demande d’extradition reçut le soutien de personnalités internationales telles que le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, le Président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré et du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Manfred Nowak. Les victimes tchadiennes sont allées au Sénégal pour raconter leurs histoires ; les victimes sénégalaises du régime Habré ont confirmé ces témoignages.

Les autorités sénégalaises ont arrêté Hissène Habré le 15 novembre 2005. Le Procureur de la République du Sénégal a cependant recommandé à la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d’extradition.

Le 25 novembre 2005, suite aux recommandations du Procureur de la République du Sénégal, la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’extradition d’un ancien Chef d’Etat. Conformément à la loi sénégalaise, la décision revenait donc au Président Wade.

Le 26 novembre 2006, un jour après la décision rendue par la Cour, le Ministre de l’intérieur sénégalais pris un arrêté mettant Hissène Habré « à la disposition du Président de l’Union africaine ».

Le 27 novembre, le Ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, déclara dans un communiqué que « l’Etat du Sénégal, sensible aux plaintes des victimes qui demandent justice, s’abstiendra de tout acte qui pourrait permettre à M. Hissène

Habré de ne pas comparaître devant la justice. Il considère, en conséquence, qu’il appartient au sommet de l’Union africaine d’indiquer la juridiction compétente pour juger cette affaire ».

En janvier 2006, l’Union africaine mit en place un Comité d’Éminents Juristes Africains afin d’examiner toutes les options disponibles pour le jugement d’Hissène Habré, en prenant en compte, entre autres, « le respect des normes internationales en matière de procès équitable », « l’efficacité en termes de coûts et de temps du procès », « l’accès des victimes présumées et des témoins au procès », ainsi qu’en « privilégiant un mécanisme africain ». (http://hrw.org/french/docs/2005/11/27/chad12130.htm)

 

5)- Les Nations Unies jugent que le Sénégal a violé la Convention contre la torture

Dans une décision du 19 mai 2006 sur le fond de la plainte des victimes tchadiennes, le Comité des Nations Unies contre la torture concluait que le Sénégal avait violé la Convention contre la torture en manquant à son obligation de poursuivre ou d’extrader Hissène Habré, lequel se trouve sur son territoire depuis 1990. Le Comité a enjoint les autorités sénégalaises « de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ou, à défaut, dans la mesure où il existe une demande d’extradition émanant de la Belgique, de faire droit à cette demande, ou le cas échéant, à tout autre demande d’extradition émanant d’un autre Etat en conformité avec les dispositions de la Convention».

6)- L’Union africaine mandate le Sénégal pour juger Hissène Habré « au nom de l’Afrique »

Dans son rapport au Sommet de l’Union africaine de juillet 2006, le Comité d’Eminents Juristes Africains a noté que « Comme Habré se trouve sur son territoire, le Sénégal devrait exercer sa juridiction. En tant qu’Etat partie à la Convention contre la torture, le Sénégal a l’obligation d’en respecter les obligations ».

Citant les recommandations du Comité contre la torture, il a ajouté qu’« il appartient donc au Sénégal conformément à ses engagements internationaux, de prendre les dispositions nécessaires pour non seulement modifier sa législation, mais encore et surtout, traduire Hissène Habré en justice ». (http://www.hrw.org/justice/habre/CEJA_Repor0506.pdf.).

Le 2 juillet 2006, l'Union africaine, s'appuyant sur les recommandations du Comité d'Eminents Juristes Africains, a demandé au Sénégal de juger Hissène Habré « au nom de l'Afrique » (http://www.hrw.org/french/docs/2006/08/02/chad13898.htm.), ce que le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a accepté.

Après quatre mois de silence, le 2 novembre 2006, le porte-parole du Gouvernement sénégalais, El Hadji Amadou Sall, a annoncé que le Sénégal réviserait sa loi afin de permettre le jugement de Hissène Habré et établirait une Commission gouvernementale sous la présidence du Garde des Sceaux pour superviser les réformes législatives, créer des contacts avec les autorités tchadiennes, mettre en place un mécanisme de protection des témoins et récolter des fonds pour garantir le financement de l’instruction et du jugement (http://www.hrw.org/french/docs/2006/08/02/chad13898.htm).

 

B)- Impact des arrêts de la Cour de Justice de la CEDEAO et de la Cour Internationale de Justice

Après la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO du 18 novembre 2010 (1) et surtout, la sommation de la CIJ du 20 juillet 2012 (2), la Ministre de la Justice, Aminata Touré, a aussitôt réitéré la volonté du Gouvernement sénégalais de tenir « un procès juste et équitable », avant fin 2012, pour juger l’ancien Président tchadien Hissène Habré.

 

1)- La décision de la Cour de Justice de la CEDEAO du 18 novembre 2010

Habré a déposé une plainte auprès de la Cour de Justice de la CEDEAO en octobre 2008, affirmant que son procès au Sénégal, sur la base des changements législatifs dans ce pays en 2007-2008, constituerait une violation du principe de non-rétroactivité du droit pénal.

Le 18 novembre 2010, la Cour de la CEDEAO a rendu son arrêt dans lequel elle déclare que, afin d’éviter de violer le principe de non-rétroactivité, Habré devrait être jugé devant « une juridiction spéciale ad hoc à caractère international ». Les experts en droit international ont unanimement mis en doute cette décision car le principe de non-rétroactivité, de façon explicite, ne s’applique pas à des actes qui, au moment de leur commission, étaient déjà interdits par le droit international conventionnel et coutumier (comme dans le cas présent, la torture, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité).

Néanmoins, l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO, contraignant pour le Sénégal, exige la création d’« une juridiction spéciale ad hoc à caractère international ». Les chambres proposées répondent à cette exigence en créant une nouvelle structure au sein du système judiciaire sénégalais, à savoir le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar et la Cour d’Appel de Dakar qui comprendra des juges africains et appliquera le droit pénal international mais qui reposera sur le code de procédure sénégalais et l’infrastructure préexistante pour limiter les coûts et les retards supplémentaires.

 

2)- Le jugement de la Cour Internationale de Justice du 20 juillet 2012

Le 20 juillet 2012, la Cour Internationale de Justice, dans l’affaire « Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) » a statué que le Sénégal « en ne procédant pas immédiatement à une enquête préliminaire, en vue d’établir les faits relatifs aux crimes qui auraient été commis par M. Hissène Habré, a manqué à l’obligation que lui impose l’article 6, paragraphe 2, de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ». Elle a sommé le Sénégal de poursuivre Habré « sans autre délai » à défaut de l’extrader.

Quatre (04) jours après l’arrêt de la CIJ, le Gouvernement sénégalais a donné son accord en vue de la constitution des « Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises » destinées à juger Hissène Habré. Il convient d’examiner le contenu de cet accord.

 

II)- CONTENU DE L’ACCORD

Le nouvel accord Sénégal-UA fixe l’organisation (A) et le fonctionnement des « Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises » (B).

A)- L’organisation des « Chambres africaines extraordinaires »

La composition desdites « Chambres » (1) ainsi que le processus de désignation de son personnel mérite d’être présenté (2).

1)- Composition des « Chambres »

Le nouvel accord prévoit la création de « Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises », à savoir le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar et la Cour d’Appel de Dakar.

Les Chambres seront divisées en quatre niveaux : une section d’enquête composée de quatre juges d’instruction sénégalais, une chambre d’accusation composée de trois juges sénégalais, une chambre d’assises et une chambre d’appel. La chambre d’assises et la chambre d’appel seront toutes deux composées de deux juges sénégalais et d’un Président d’un autre pays africain.

2)- Désignation du personnel des « Chambres »

Aux vingt (20) juges officiant dans les « Chambres extraordinaires » viendront s’ajouter un Procureur général et trois adjoints, de nationalité sénégalaise, nommés par le Président de la Commission de l’Union africaine, ainsi que « un ou plusieurs greffiers » nommés eux par le Ministre de la Justice du Sénégal. Le Président de l’Union africaine devra enfin désigner un administrateur, qui sera assisté « par le personnel nécessaire au fonctionnement des Chambres africaines extraordinaires ».

Le Procureur et les trois Procureurs adjoints, tous sénégalais devraient avoir au moins dix(10) ans d’expérience, notamment au niveau des enquêtes et poursuites pénales.

Tous les juges doivent avoir au moins dix (10) ans d’expérience en qualité de juge.

Au minimum, vingt six (26) magistrats et responsables d’administration doivent dès lors, être recrutés prochainement pour constituer ce nouveau tribunal spécial, dont le modèle s’approche de ceux constitués au Cambodge ou à Sarajevo, pour appliquer le droit international au sein des juridictions locales.

Aucune durée n’a été fixée pour le mandat des « Chambres extraordinaires », qui « seront dissoutes de plein droit une fois que les décisions auront été définitivement rendues », comme l’indique le Statut annexé à l’accord.

B)- Fonctionnement des « Chambres  »

Il s’agit ici de : l’administration des « Chambres » (1), la participation des victimes en particulier et du peuple tchadien en général au procès (2), la durée et le financement du procès (3).

1)- L’administration des « Chambres »

Un administrateur garantira le bon fonctionnement des activités des « Chambres » et supervisera tous les aspects non-judiciaires de leurs activités. Les responsabilités de l’administrateur comprendront la gestion financière du personnel, le travail de sensibilisation et l’information des médias, l’octroi de protection et d’aide aux témoins et la coopération judiciaire entre le Sénégal et les autres pays, comme le Tchad.

2)- La participation des victimes en particulier et du peuple tchadien en général au procès 

a)- La participation des victimes au procès

Les victimes seront autorisées à participer à la procédure en qualité de parties civiles, représentées par un avocat. Les victimes et leurs ayant-droits peuvent écrire au greffe des chambres et demander à comparaitre en tant que parties civiles. Cependant, le fait qu’une personne se constitue partie civile ne signifie pas que le Procureur poursuivra la plainte individuelle de cette personne.

Les « Chambres » peuvent ordonner aux victimes de choisir un représentant commun pour garantir l’efficacité de la procédure. Les victimes indigentes peuvent demander une assistance financière auprès des « Chambres » pour payer leurs représentants.

Les modalités de participation des victimes au procès sont gouvernées par le code de procédure sénégalais.

Les « Chambres » peuvent ordonner le versement de réparations au profit d’un fonds pour les victimes qui recevra « des contributions volontaires de gouvernements étrangers, d’institutions internationales, d’organisations non-gouvernementales et d’autres sources désireuses d’apporter un soutien aux victimes ».

Les réparations issues du fonds pour les victimes seront disponibles même aux victimes qui ne participent pas au procès de Habré.

b)- La participation du peuple tchadien au procès

Le Statut des « Chambres » prévoit l’enregistrement des audiences afin de les diffuser au Tchad et l’accès au procès pour les journalistes et les organisations non-gouvernementales.

On espère que les donateurs internationaux financeront un vaste programme de sensibilisation pour garantir l’accessibilité du procès à la population du Tchad, qui est la première intéressée et la plus affectée.

La proposition de l’Union européenne de 2010, qui constituait la base du budget approuvé, recommandait que « le travail de sensibilisation, d’information des médias et de suivi du procès » soient effectués par des parties tierces. Parmi les activités anticipées, sont prévues : la diffusion des audiences au Tchad, la traduction des audiences dans les langues tchadiennes locales, la production de résumés audio et vidéo, la rédaction de documentation mise à jour régulièrement sur les avancées de l’affaire et le transport de journalistes tchadiens et de dirigeants de la société civile tchadienne au Sénégal pour assister aux audiences.

Le budget de novembre 2010 prévoyait l’allocation de 1,33 millions d’euros pour le travail de sensibilisation.

3)- La durée et le financement du procès

a)- La durée du procès

Afin de garantir que le procès soit efficace et ne s’étende pas sur des années, le Statut prévoit que le ministère public peut poursuivre « les crimes les plus graves » de Habré plutôt que de l’accuser de tous les actes qui lui sont reprochés, comme prévu explicitement par le Statut des « Chambres ». Human Rights Watch suggère que le ministère public sélectionne un échantillon représentatif des crimes les plus graves pour lesquels les preuves sont les plus importantes. Cette sélection devrait refléter la sévérité et l’ampleur des crimes commis par le gouvernement de Habré, comprenant en particulier les crimes commis contre plusieurs des principaux groupes ethniques du Tchad.

Les procureurs peuvent également introduire les résultats des enquêtes belge et tchadienne sur les crimes présumés de Habré afin d’éviter les redondances. Un juge belge et son équipe ont enquêté pendant près de quatre ans sur les crimes de Habré avant de l’inculper pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. Une Commission Nationale d’Enquête de 1992 au Tchad a accusé le gouvernement de Habré d’usage systématique de la torture et de jusqu’à 40 000 assassinats politiques et a documenté méticuleusement les méthodes de torture utilisées.

b)- Le financement du procès

Les « Chambres » seront financées en grande partie par la communauté internationale mais un budget ajusté sur lequel le Sénégal et les donateurs se sont accordés n’a pas encore été finalisé.

En novembre 2010, après des années de querelles, le Sénégal et un certain nombre de pays donateurs ont consenti à un budget de 8,6 millions d’euros (11,4 millions de dollars) pour financer le procès de Habré. Les promesses avaient été faites en 2010 par : le Tchad (2 milliards de francs CFA ou 3 743 000 dollars), l’Union européenne (2 millions d’euros), la Belgique (1 million d’euros), les Pays-Bas (1 million d’euros), l’Union africaine (1 million de dollars), l’Allemagne (500 000 euros), la France (300 000 euros) et le Luxembourg (100 000 euros).

Étant donné que près de deux ans se sont écoulés depuis, le Sénégal doit chercher de nouvelles promesses de fonds. Le Ministre de la justice sénégalais a déjà contacté les donateurs et a indiqué que, contrairement au gouvernement précédent, le Sénégal ne retardera pas le début de la procédure à l’obtention du budget entier.

 Au cours de sa visite au Sénégal le 1er août 2012, la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a promis « d’aider par tous les moyens possibles » les poursuites contre Habré.

A titre de comparaison, le coût envisagé à la création en 2004 d’une « Chambre spéciale» pour les crimes de guerre à Sarajevo était d’environ 77 millions de dollars sur cinq (5) ans. En six (6) ans, plus de cent dix (110) personnes y ont été jugées. Le coût estimé des « Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens » était de cinquante six (56) millions de dollars sur trois ans. Six (6) ans après sa création, elles ont coûté quatre fois plus et n’ont jugé qu’une seule personne.

La Ministre de la Justice sénégalaise a de son côté fait une promesse : « Nous démarrerons le procès avec les moyens dont nous disposons ». Toutefois, elle l’a assortie d’une modalité : « Nous attendons que la communauté internationale respecte ses engagements ».

Le Gouvernement Sénégalais s’est également engagé à demander au Parlement l’approbation de la création des nouvelles « Chambres » et à soumettre la ratification formelle de son accord à l’UA.

Avant la création des « Chambres », il est prévu que le Sénégal et le Tchad se rencontrent pour discuter de l’assistance judiciaire nécessaire aux enquêtes et au procès. Le Ministre de la Justice sénégalais devrait également nommer les candidats aux postes de procureur et de juge.

CONCLUSION

            Le Sénégal a marqué l’histoire en 1999 en étant le premier pays à devenir membre de la Cour pénale internationale ; il pourrait davantage creuser l’écart en devenant le premier pays africain à poursuivre des crimes relatifs aux droits humains commis par un dirigeant étranger.

Bulletin numéro 315