Le 15 mai dernier s’est déroulé à New-York un atelier visant à trouver une solution au différend opposant de longue date le Guyana et le Venezuela concernant la souveraineté sur le territoire de l’Essequibo et sur la délimitation des frontières terrestres et maritimes qui en découle.
Cet atelier organisé avec l’aide de la division juridique de l’ONU réunissait les représentants du Guyana et du Venezuela auprès du processus de bons offices du secrétaire général de l’ONU et les représentants permanents de ces deux mêmes Etats auprès de l’ONU. La démarche pacifique des deux Etats a été félicitée et saluée par le représentant personnel du secrétaire général de l'ONU M. Ban Ki-moon sur le différend entre le Venezuela et le Guyana (voir le communiqué de presse).
Le litige opposant ces deux Etats touche une importante portion de territoire. Il a la double caractéristique de s’inscrire dans la durée ainsi que dans une démarche pacifique.
L’existence d’une contestation du territoire de l’Essequibo par le Venezuela et le Guyana est le fruit de la colonisation du continent américain. Malgré les solutions qui avaient été trouvés à la fin du 19ème siècle, le décolonisation a réactivé ce contentieux pour s’inscrire finalement dans les problématiques modernes liées par exemple au développement du droit de la mer.
- Un contentieux lié à la colonisation du continent américain
A l’origine l’ensemble de la côte du Venezuela et des Guyanes avait été découvert et occupé par les Espagnols. Pourtant, dès le XVIème siècle, les hollandais établirent des colonies à différents endroits, ce que les traités de Westphalie reconnurent en 1648. Toutefois, ces traités ne délimitèrent pas leurs possessions. Par la suite, les hollandais continuèrent à établir des postes sur la côte et dans les terres. En 1781 puis en 1796, les anglais récupérèrent leurs établissements coloniaux pour au final voir la Hollande céder à l’Angleterre toute la partie occidentale de ses possessions guyanaises. Cela correspond plus ou moins au Guyana que l’on connaît actuellement.
Parallèlement, les possessions espagnoles s’émancipèrent petit à petit et c’est ainsi que le Venezuela, ancienne colonie espagnole devint le voisin de l’Angleterre.
Pendant longtemps, et compte tenu de l’abondante végétation et de l’inhospitalité du territoire à l’ouest de l’Essequibo, la frontière entre le Venezuela et la Guyane anglaise ne fit pas l’objet d’une délimitation. Pourtant, le territoire en question allait attirer les convoitises en raison des ressources aurifères qu’il possède. En effet, à partir de 1840, on commença à découvrir de l’or, notamment dans la vallée de Yuruari. Sur les territoires contestés entre l’Essequibo et l’Orénoque on dénombrait plusieurs mines d’or.
Les deux voisins ont dès lors commencé à contester l’idée que se faisait l’autre de sa frontière. Les anglais prétendait posséder les territoires allant jusqu’à l’Orénoque et l’Amacura, les bassins des fleuves côtiers et tout le bassin de l’Essequibo, tandis que le Venezuela prétendait que son territoire s’étendait jusqu’à l’Essequibo.
Le problème se complexifia lorsqu’en 1840, le gouvernement britannique confia le soin à l’allemand Robert Hermann Schomburgk d’étudier une limite possible entre les deux Etats (connue sous le nom de ligne Schomburgk). Pour diverses raisons cette ligne fût représentée de différentes façons sur les cartes ne permettant pas d’avoir une base solide de négociation.
Afin de résoudre le différend, un traité fût signé le 2 février 1897 à Washington entre Sir Julian Pauncefote, ambassadeur d’Angleterre et M. José Andrade, ministre du Venezuela. Ce traité stipule que la question des limites sera réglée par un tribunal de cinq arbitres.
Ce tribunal s’est réuni à Paris, dans les galeries de l’aile gauche du ministère des affaires étrangères (Quai d’Orsay) de juin à octobre 1899. Conformément au traité de Washington, le tribunal arbitral était composé de cinq juges : deux américains (les Etats-Unis soutenant fermement le Venezuela sur le fondement de la doctrine Monroe rejetant l’ingérence européenne dans les affaires américaines), deux anglais et un russe qui en assure la présidence (M. Frederic de Martens). La sentence arbitrale qui sera rendue le 3 octobre 1899 (voir la sentence) attribuera à la colonie de la Guyane anglaise une partie du territoire de l’Essequibo située à l’ouest de la rivière du même nom sans pour autant aller jusqu’à l’Orénoque. Sur les 130 000 km2 réclamés par le Venezuela, ce dernier n’en obtient que 1700. Cette sentence bien que détaillée sur le tracé de la frontière entre les deux Etats ne justifiera en rien la décision qui est prise (titres historiques, occupation effective du territoire, etc.).
Acceptée par les deux parties, la démarcation de la frontière est confiée à une commission mixte.
- Un contentieux réactivé par la décolonisation
Malgré ce règlement arbitral du contentieux, le Venezuela relance le litige dans les années 1960 à l’approche de la décolonisation de la colonie britannique de Guyane. Afin de récupérer le territoire contesté, le Venezuela argue du fait que les américains ne représentaient pas leurs intérêts et qu’il y aurait eu entente entre les juges.
A la veille de l’indépendance du Guyana, le Royaume-Uni signe un accord avec le Guyana et le Venezuela le 17 février 1966 à Genève (voir l'accord). Ce traité part du constat qu’il y a une « controverse » entre le Venezuela et le Royaume-Uni au sujet de la frontière établie entre le Venezuela et la colonie anglaise du Guyana. Afin de parvenir à une solution pacifique et raisonnable, l’article 1 de ce traité prévoit l’établissement d’une commission mixte. Un délai de 4 ans est fixé à cette commission pour qu’une solution soit trouvée. Passé ce délai, les deux gouvernements devront choisir l’un des moyens de résolution pacifique des conflits offert par l’article 33 de la Charte des Nations-Unis.
Au bout de 4 ans, le 18 juin 1970, la commission mixte établie par le traité de Genève rend un rapport final n’annonçant pas de solution satisfaisante pour les deux parties. C’est ainsi que le 18 juin 1970, un protocole d’accord est signé à Port of Spain pour prolonger les effets du traité de Genève pour une période initiale de 12 ans renouvelable (voir le protocole de Port of Spain).
En 1982, à l’issue de la période prévue par le protocole de Port of Spain, le litige est présenté à l’ONU conformément au traité de Genève (article IV 2)). En 2006, le litige est confié aux bons offices du secrétaire général de l’ONU qui confie le dossier à un représentant personnel : Monsieur Oliver Jackman. Décédé en 2007, le règlement du contentieux avait été mis entre parenthèse avant la nomination par Ban Ki-moon de Monsieur Norman Girvan.
- Un différend qui s’étend aux espaces maritimes
Parallèlement à ces tentatives pacifiques de résolution du différend entre le Venezuela et le Guyana, le volet maritime de la contestation de la souveraineté du Guyana sur le territoire de l’Essequibo fait régulièrement parlé de lui. En effet, 140 km de côtes sont contestées, impactant nécessairement la délimitation des espaces maritimes entre ces deux Etats, voir plus globalement les délimitations en mer des Caraïbes.
Lorsque le Guyana déposa sa demande d’extension du plateau continental au-delà des 200 milles nautiques auprès de la commission des limites du plateau continental, le Venezuela avait contesté l’affirmation Guyanienne qu’il n’existait aucun litige (cf. bulletin 305).
Malgré cela, et depuis les années 1890, les deux Etats voisins réaffirment régulièrement leur volonté de développer une « confiance mutuelle » et des « rapports positifs et amicaux » (protocole de Port of Spain). Leur démarche l’a démontré à maintes reprises. Dès le 19ème siècle, ils ont tenté de résoudre le conflit pacifiquement en faisant usage de l’arbitrage, de commissions mixtes, des bons offices du secrétaire général de l’ONU, etc. L’organisation d’un atelier le 15 mai dernier réunissant les deux parties va dans le sens de cette démarche pacifique et confiante. A l’issue de cette réunion, un nouveau calendrier pourrait être établi pour parvenir à la résolution d’un litige qui dure depuis bientôt un siècle et demi.
29ème session de la commission des limites du plateau continental, Jérémy Drisch, Bulletin n°305
Myanmar/Bangladesh : le TIDM rend son premier jugement en matière de délimitation maritime, Hélène Chalain, Bulletin n°298
Les Comores, le Mozambique et la Tanzanie délimitent leurs frontières maritimes communes, Djimgou Djomeni Michel, Bulletin n°294