La région du Golfe arabo-persique est, depuis quelques mois, le théâtre de tensions. Généralement le fait de rivalités entre pays de la région et Etats occidentaux, la monté de tension de ces derniers temps est consécutive à un différend entre deux Etats, l'Iran et les Emirats Arabes Unis (EAU). Ces deux Etats s'opposent au sujet de la souveraineté sur certaines îles, plus précisément les îles d'Abu Moussa, de la Grande Thomb et de la petite Thomb. La tension entre les deux Etats a atteint son paroxysme lorsque, le 11 avril 2012, le Président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a effectué une visite sur l'île d'Abu Musa. Ce conflit, auquel se greffe aussi bien des considérations géopolitiques que des questions juridiques, plonge ses racines dans l'histoire coloniale des parties en lice.
La zone concernée a, jadis, fait partie de la sphère de domination de l'empire colonial britannique, et le conflit qui oppose Téhéran à Abu-Dhabi tient davantage de l'histoire fort tourmentée de la période de la trêve et de celle du protectorat. Il convient de relever que la composition sociologique de la région se prête, dès les origines, à des situations belligènes. Les populations qui y vivent sont, en fait un ensemble hétéroclite de peuplades arabes et persanes dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont peu d'atomes crochus. Lorsqu'au courant des années 1970, avec le départ imminent des Anglais, les différents émirats décident de prendre leur indépendance, le problème des frontières n'est pas encore entièrement réglé, aussi bien entre lesdits émirats qu'entre eux et les Etats voisins. C'est donc sans surprise qu'à la fin du protectorat anglais, l'Iran envahit certaines îles de la région. Depuis lors, les Emirats Arabes Unis n'ont eu de cesse de considérer cet envahissement comme une injuste et illégale occupation.
Au soutien de leurs prétentions respectives, les deux Etats excipent d'arguments aussi bien historiques que juridiques. D'un point de vue historique, l'Iran indique que la région concernée a toujours été sous la souveraineté de l'Empire perse, et que même après la chute de ce dernier, la région est restée occupée par des peuplades perses et ce même au cours de la période coloniale (Cf. Saboori (M.), "Les Emirats Arabes Unis et les iraniens", in Herodote, 2ème Trimestre, 2009, n°133, p. 169). Les Emirats arabes unis pour leur part, se fondent également sur des arguments historiques ainsi que sur les caractéristiques ethniques des populations des îles concernées.
Ce différend pourrait apparaitre, de prime abord, comme un contentieux de délimitation maritime. Or en réalité, même si derrière les prétentions contradictoires et les arguments d'ordre historique qui les étayent, se pose le problème du sort des frontières, force est de reconnaitre qu'il s'agit d'un conflit de souveraineté sur les trois formations insulaires d'Abu Musa, de la Grande Thomb et de la Petite Thomb. Il convient de relever que dès le départ des Anglais, l'Iran signe, en novembre 1971 avec l'Emirat de Sharjah (l'une des entités constituant aujourd'hui les EAU), un Accord aux termes duquel l'Emirat conservait la souveraineté sur l'île d'Abu Moussa, bien qu'une partie soit affectée à l'usage de l'armée iranienne. En outre, l'Iran devait verser à Sharjah une aide d'un montant d'1,5 million de Livre Sterling par an et ce pendant 9 ans ou jusqu'à ce que les revenus annuels de ce dernier atteignent trois millions de Livres Sterling (Cf. Frauke Heard-Bey, Les Emirats Arabes Unis, Karthala, 1999, p. 406.)
Aujourd'hui, cet Accord est diversement appréhendé par les Parties. L'Iran estime que cet instrument consacrait la reconnaissance, par l'Emirat de Sharjah, de la souveraineté de Téhéran sur l'île d'Abu Moussa, et qu'en contrepartie, l'Iran reconnaissait, aux populations émiraties de l'île, un droit de résidence ainsi que la liberté d'aller et de venir sans entrave (Cf. Yakemtchouk (R.), L'Iran face aux puissances, L'Harmattan, 2007, p. 111.). Téhéran relève en outre que les EAU n'ont jamais méconnu la souveraineté de l'Iran sur Abu Moussa, et qu'ils s'étaient tout simplement plaints de ce que des ressortissants émiratis étaient soumis à l'exigence de visa. Ce faisant, l'Iran invoque une situation d'estoppel créée par l'attitude des EAU.
La position des Emirats arabes unis par rapport à l'Accord de 1971 consiste à ne lui accorder aucune valeur. En effet, en mai 1992, le Conseil suprême des EAU a décidé que les engagements souscrits par chacun des sept émirats avant 1971 seront considérés comme des engagements souscrit par la fédération émiratie (Cf. Saboori (M.), op cit., p. 175). Cette décision a pour conséquence de considérer comme nul et non avenu l'Accord de 1971. D'un autre côté, ils font valoir que l'Accord avait été conclu sous la contrainte exercée par l'Iran sur l'Emir de Sharjah (Cheikh Khalid Bin Muhammad) et que faute pour lui de ce plier à cette contrainte, Téhéran aurait envahi l'île et aurait expulsé ses habitants (Cf. Saboori (M.),op. cit., p. 175). L'on note que l'Iran semble avoir usé de la menace et de la contrainte lors des négociations de cet Accord que la Grande-Bretagne considérait comme un modus vivendi permettant d'éviter la guerre (Cf. Ghaoui (S.), Les Emirats Arabes Unis: vers une nouvelle expérience fédérative, L'Harmattan, 1984, p. 124.). Elle avait d'ailleurs conseillé l'Emirat de Ras Al Khaimah de conclure un Accord similaire avec l'Iran afin d'éviter que les deux Thomb soient prises par la force.
L'argument de la nullité du fait de l'usage de la force est également utilisé dans le contentieux de la souveraineté concernant les îles de la Grande Thomb et de la Petite thomb. Abu-Dhabi estime que ces deux îles relèvent de sa souveraineté, et lui ont été prises par l'Iran la veille du départ des Anglais. En réponse, L'Iran fait valoir l'antériorité à l'occupation anglaise de la possession iranienne des deux îles.
Au-delà des aspects juridiques de la question, le règlement de ce différend est rendu difficile par les implications géopolitiques de la souveraineté sur les formations insulaires susmentionnées. En effet, les îles d'Abu Moussa, de la Grande Thomb et de la Petite thomb sont considérées comme des positions stratégiques pour le contrôle du détroit d'Ormuz. L'Etat qui contrôle ces îles a la maîtrise d'une grande partie du détroit, point de passage d'où transite une part importante du pétrole consommé dans nombre d'Etats industrialisés d'Europe et d'Amérique. L'on se souvient qu'en début d'année 2012, alors que la question du nucléaire iranien faisait encore l'objet de discussions au sein de l'AIEA, Téhéran avait menacé de fermer le détroit d'Ormuz, preuve s'il en était besoin que les îles qu'il contrôle dans la région lui confèrent une position et une influence stratégique indéniables (Cf.Bulletin Sentinelle 288 du 08 Janvier 2012). L'importance stratégique de la région explique également la présence de forces étrangères dans le Golfe arabo-persique, notamment la marine américaine. En effet, le Qatar voisin abrite le Commandement central de l'armée américaine dans la région, et Bahreïn sert de base à la cinquième flotte de la US Navy.
Après la visite du Président iranien sur l'île d'Abu Moussa, les réactions ne se sont pas fait attendre. Les Etats arabes de la région (l'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar), réunis au sein du Conseil de coopération du Golfe, ont condamné cet acte qu'ils ont considéré comme une provocation. Le parlement arabe, réuni au Caire, a condamné cet acte et exhorté l'Iran à s'abstenir de tout acte susceptible de déstabiliser la région. S.E.M. Cheikh Abdullah bin Zayed Al Nahyan, Ministre émirati des Affaires étrangères, a condamné avec véhémence la visite effectuée par le Président Mahmoud Ahmadinejad sur l’île d’Abu Musa qu’il a considérée comme une « violation flagrante » de la souveraineté des Emirats Arabes Unis, ainsi qu’une menace aux efforts pour trouver une solution pacifique au problème de l’occupation iranienne des trois îles (Cf. Communiqués de presse de l’Agence émiratie d’information).
Hors de la région, les grandes puissances occidentales n’ont pas été en reste. La France par exemple, par la voix du porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères, a, le 18 avril 2012, déclaré : « Le déplacement du président iranien du 11 avril dernier va à l’encontre des efforts engagés, en particulier par les Émirats Arabes Unis, pour permettre un règlement de ce litige. Nous appelons l’Iran à jouer un rôle constructif pour favoriser un règlement pacifique et juste de cette question, dans le respect du droit international et de la charte des Nations unies. La France appuie, par ailleurs, l’engagement exprimé par le CCEAG en faveur de la stabilité de la région. » (Cf. Déclaration du Porte parole du Quai d’Orsay du 2 mai 2012).
A ce concert de condamnations s’est ajouté un appel à trouver une issue négociée au différend. Il convient de rappeler qu’en 2011 déjà, les deux Parties avaient convenu d’entamer des discussions à l’effet de résoudre une fois pour toutes le problème de la souveraineté sur les trois îles. Les Emirats Arabes Unis se sont dits disposés, une fois de plus, à engager des négociations bilatérales directes à cet effet, et qu’à défaut de négociation, l’affaire serait soumise à la Cour internationale de justice (CIJ). Les négociations sont actuellement en cours entre les Parties. Gageons qu'il en sortira, au moins à moyen terme, des avancées qui permettront d'éviter à cette région hautement sensible de la planète, de glisser dans l'instabilité qui serait, dans une certaine mesure, préjudiciable à l'ensemble du monde.
États-Unis / Iran : incident dans le détroit d’Ormuz Tidiani COUMA
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Tidiani COUMA