La succession des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest en cette période semble donner le ton d’une remise en cause de l’enracinement d’une certaine culture démocratique en Afrique. En effet, après l’épisode surprenant du Mali qui est désormais engagé sur la voie d’un dénouement démocratique, c’est la Guinée Bissau qui se joint à la danse par un autre coup d’Etat perpétré en date du 12 avril 2012. Alors que le second tour de l’élection présidentielle était prévu pour le 29 avril, un commandement militaire déstabilise le pouvoir et les institutions républicaines en assiégeant les locaux de la radio et de la télévision nationales et en procédant à l’arrestation du Président intérimaire (Raimundo Perreira), du Premier ministre, candidat favori au premier tour de l’élection du 18 mars (Carlos Gomez Junior) et du chef d’Etat-major de l’armée (le Général Antonio Indjai). Cette mesure qui perturbe considérablement le processus électoral en cours en Guinée Bissau a suscité de vives réactions de condamnation de la part de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la part de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP) et surtout de l’Union Africaine.
Relativement à cette dernière, il convient de noter que c’est d’abord la Commission de l’Union qui a travers deux communiqués rendus publics respectivement les 13 et 14 avril a condamné de manière ferme le changement anticonstitutionnel de gouvernement opéré en Guinée Bissau tout en réaffirmant sa détermination à œuvrer dans le sens du retour immédiat à l’ordre constitutionnel et au parachèvement du processus électoral en cours. Par la suite, c’est le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’organisation panafricaine qui en sa 318e réunion a décidé « conformément aux instruments pertinents de l’Union Africaine, de suspendre avec effet immédiat, la participation de la Guinée Bissau à toutes les activités de l’Union Africaine jusqu’à la restauration effective de l’ordre constitutionnel ». Partant, il convient d’examiner la portée de cette sanction dissuasive d’une part (I) et d’explorer les perspectives de son efficacité dans l’optique d’un retour à l’ordre constitutionnel en Guinée Bissau (II).
- Portée d’une sanction dissuasive à l’égard des auteurs du Putsch en Guinée Bissau
D’emblée, il convient de donner quelques précisions sur le régime de la suspension tel que défini par les dispositions de l’article 25 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance du 30 janvier 2007 (CADEG). En effet, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine a sanctionné la Guinée Bissau à un double niveau : d’abord, il s’agit d’une sanction institutionnelle qui frappe la personne de l’Etat par l’exclusion temporaire de la Guinée Bissau des activités de l’organisation panafricaine. Ensuite, il s’agit d’une sanction individuelle qui frappe les membres du « commandement militaire » auteurs du coup d’Etat comprenant des sanctions économiques et éventuellement des poursuites judiciaires.
Sur le premier point, il faut noter que la sanction institutionnelle a deux implications majeures : premièrement, la Guinée Bissau est désormais exclue des activités de l’Union Africaine, ce qui signifie qu’elle perd temporairement l’ensemble des droits et prérogatives liés à son statut d’Etat membre. Seulement, cette suspension temporaire ne la libère pas de ses obligations à l’égard de l’Union et tout particulièrement son devoir de garantir le respect des droits de l’homme. Il s’agit là d’une mesure qui vise principalement à sauvegarder la dignité humaine et à prévenir les cas de violations massives de droits de l’homme en en contexte de crise politique. En l’espèce les putschistes ont la responsabilité de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique et morale des membres du gouvernement arrêtés et de garantir leur sécurité. Deuxièmement, la mesure de suspension n’a pas pour effet de désengager l’Union Africaine à l’égard de la Guinée Bissau qui non seulement maintient ses relations diplomatiques avec cet Etat, mais surtout, doit prendre toutes les mesures qui s’imposent pour assurer le retour à l’ordre constitutionnel et le parachèvement du processus électoral en cours en Guinée Bissau.
Sur le second point, les dispositions de l’article 25 alinéa 7 de la CADEG habilitent le Conseil de Paix et de sécurité à prendre des sanctions à l’encontre des auteurs du coup d’Etat. A ce titre le CPS a demandé à la Commission de l’Union de travailler de concert avec la CEDEAO et les partenaires de l’Union Africaine afin de lui soumettre dans un délai de deux semaines des propositions de sanctions additionnelles contre les auteurs du coup d’Etat. Ce qui signifie que sous réserve d’un retour à l’ordre constitutionnel en Guinée Bissau, il est fort probable que les auteurs du Putsch en Guinée Bissau reçoivent la batterie de sanctions que la CEDEAO a administré à la junte militaire au Mali tout récemment. (Voir à ce titre Miranda Metou Brusile, Mali : la CEDEAO entre la résolution de la crise politique et institutionnelle au Sud et la crise sécuritaire dans le nord, Bulletin Sentinelle N° 300 du 15 avril 2012).
Bien plus, il convient de noter que le cas particulier de la Guinée Bissau qui s’illustre en Afrique de l’Ouest par une instabilité politique notable justifiée par une série de coup d’Etats peut très bien déboucher sur la prise de sanctions rigides à l’endroit des putschistes.
C’est ainsi qu’au-delà des sanctions politiques et économiques (suspension de la guinée Bissau de la CEDEAO, fermeture des frontières des Etats membres de la CEDEAO, interdiction de voyage, gel des avoirs et autres comptes, suspension d’aides financières…) il est aussi fort probable que des poursuites judiciaires soient envisagées contre les putschistes.
Ainsi, la mesure de suspension de la Guinée Bissau des instances de l’Union Africaine répond au modus opérandi de l’organisation en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement. En tant que sanction dissuasive, elle s’inscrit dans la dynamique d’une condamnation ferme de toute pratique visant à saper les bases de l’ordre constitutionnel, à déstabiliser les institutions républicaines et à porter atteinte à la paix et à la sécurité des peuples. A ce titre, trois éléments sont à relever en termes de portée.
D’abord, il s’agit de garantir avant tout l’autorité suprême de la constitution en tant que norme fondamentale dans tout Etat démocratique qui rejette la force comme moyen d’appropriation du pouvoir politique. La Constitution de la Guinée Bissau a été violée par le coup de force des putschistes qui a remis en cause le mode démocratique par excellence de la dévolution du pouvoir à savoir l’élection présidentielle.
Ensuite, il est question d’œuvrer à la consolidation de la démocratie par le respect de l’ordre constitutionnel établi à l’interne et le respect des dispositions de la CADEG en tant qu’instrument juridique régional de garantie de la démocratie, de la bonne gouvernance et des processus électoraux. En effet, la mesure de suspension de la Guinée Bissau qui tire ses fondements des articles 4 (p) de l’Acte constitutif de l’Union Africaine et 4 (c) du Protocole portant création du CPS concourt à construire l’autorité juridique de la CADEG dont l’entrée en vigueur toute récente fait de cet instrument un outil capital de l’ordre juridique régional africain et constitue dès lors un atout pour la lutte contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique.
Enfin, il s’agit d’instaurer une véritable culture démocratique en Afrique basée sur le principe fondamental du respect de l’Etat de droit afin d’arriver à terme à l’édification des sociétés républicaines, libres et respectueuses des valeurs et principes de la démocratie. S’il est vrai que la suspension de la Guinée Bissau de l’Union Africaine semble être une mesure salutaire pour le retour à l’ordre constitutionnel dans cet Etat, il importe de s’interroger sur son efficacité au regard des développements récents en l’espèce qui tendent à illustrer une certaine rigidité de la part de la junte militaire.
- Examen des perspectives de l’efficacité de la mesure de suspension en vue du retour à l’ordre constitutionnel en Guinée Bissau
Depuis l’annonce de la suspension de la Guinée Bissau des instances de l’Union Africaine, la junte militaire semble rester indifférente et tend à afficher une certaine détermination à opérer une transition politique en marge de la procédure constitutionnelle. Plusieurs faits marquants illustrent cet état de choses : Premièrement suite à la requête des pays lusophones faite au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies relativement à l’envoi d’un force de maintien de la paix en Guinée Bissau, la junte annonce qu’elle « se défendra », ce qui traduit une certaine opposition manifeste de leur part. Deuxièmement, à la suite d’un accord de transition politique entre l’armée et plusieurs partis d’opposition, M. Manuel Sherimo Nhamadjo, candidat éliminé au premier tour de la présidentielle a été désigné président de la transition et M. Braima Sori Djalo a été nommé président du Conseil National de Transition.
Cette situation suggère deux commentaires : d’abord, il est utile de rappeler que le wording du Communiqué du CPS est assez ferme sur la question. Tout en condamnant le coup d’Etat du 12 avril 2012, le CPS « exige le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel et la poursuite du processus électoral par la tenue du second tour de l’élection présidentielle et la libération inconditionnelle du président de la République par intérim, ainsi que des autres personnalités arrêtées ». Bien plus, le CPS invite la CEDEAO et les autres acteurs de la communauté internationale dans son ensemble à faire preuve de fermeté face aux putschistes bissau-guinéens. A l’analyse, l’on peut observer qu’il s’agit d’une fermeté qui privilégie la force du droit au détriment du droit de la force. Car, il est impératif de préserver par tous les moyens l’intégrité de la Constitution de la Guinée Bissau en invitant les putschistes à restaurer le processus électoral qui était en cours. L’exemple du Mali est assez illustratif de la fermeté de la CEDEAO, de l’Union Africaine et de la communauté internationale en matière de changement anticonstitutionnel de gouvernement. A ce titre, comme dans le cas malien, la CEDEAO va se réunir ce lundi 23 avril en sommet extraordinaire pour statuer sur la situation en Guinée Bissau. A la suite de l’invitation du CPS à formuler des propositions de sanctions additionnelles à l’encontre des putschistes, ce sommet extraordinaire augure de la prise de sanctions fermes s’inscrivant dans la dynamique de rejet et de condamnation totale partagée par la CEDEAO et l’organisation panafricaine.
Deuxièmement, cette fermeté institutionnelle de l’Union Africaine n’exclut nullement la voie de la médiation qui a été offerte aux putschistes par l’entremise du président de la République de Guinée Conakry Alpha Condé. Il serait souhaitable que la junte militaire saisisse cette perche qui lui est tendue pour le bien-être de la Guinée Bissau.
Tout compte fait, il faut vivement espérer que la junte militaire va faire le choix de la démocratie en restaurant l’ordre constitutionnel par remise en place du président par intérim et la tenue du second tour de l’élection présidentielle dans le respect des exigences de transparence, d’équité et d’égalité de chances.
Observations (Philippe WECKEL)
Les médiateurs africains conduits par M.Alpha Condé ont finalement renoncé à se rendre auprès des putchistes Lundi prochain, en raison de l'intransigeance manifestée par la junte militaire. Ils s'en remettent donc à la décision que devrait prendre la CEDEAO au cours de la semaine.
Voir la Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 21 avril. Les Etats lusophones sont favorables à une intervention militaire pour rétablir l'ordre constitutionnel. Le Conseil de sécurité de l'ONU n'envisage pour l'heure que l'adoption de sanctions ciblées. Le Secrétaire général fera rapport sur la situation après la réunion de la CEDEAO.