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Soumis par Ndiaye Sidy Alpha le 22 April 2012

Le 4ème Sommet des BRICS qui s’est tenu à New Delhi (Inde) le 29 mars 2012 a été l’occasion, pour les grandes puissances émergentes, d’acter quelques orientations économiques fortes. Les discussions ont porté sur le thème général : « Partenariat pour la stabilité mondiale, sécurité et prospérité ». Au titre des mesures fortes, la décision de créer une banque de développement figure en bonne place. Dans une perspective générale, ressort du Sommet de New Delhi une invitation pour les économies avancées, l’adoption de politiques macroéconomiques et financières afin d’éviter de créer trop de liquidité mondiale et le choix d'entreprendre des réformes structurelles pour stimuler la croissance. Les BRICS attirent l'attention sur les risques de volatilité transfrontalière des flux de capitaux auxquels sont confrontées les économies émergentes.

I.                   Les BRICS : quelles puissances pour quelle action?

Deux événements expliquent la naissance des BRICS. D’une part, la globalisation qui a permis à ce groupe de pays de profiter d’un système économique ouvert et de représenter plus de 30% du PNB mondial. D’autre part, l’éclatement de la guerre en Irak qui a été un puissant accélérateur dans la volonté de réduire à sa portion congrue les dangers de l’hégémonie américaine. De fait, c’est le Sommet de l’OMC tenu à Cancun en 2003 qui constitue l’acte fondateur des BRICS. Une des idées fondamentales qui présidèrent à la naissance des BRICS est la volonté plus que manifeste de mettre un terme au duopole euro-américain.

Concrètement, l’acronyme BRICS désigne le groupe de 5 grandes puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud. Son ancêtre, le BRIC (si on excepte l’Afrique du sud qui n’a rejoint le groupe qu’en 2011), était apparu en 2001 dans un rapport faisant mention du développement rapide de l’économie de ces pays et du fait que le PIB total des BRIC devrait égaler, en 2040, celui du G 6 (Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni, Allemagne, France et Italie). Ces pays sont dotés de fondamentaux économiques convergents et solides dans un environnement mondial déliquescent : ressources minières ou énergétiques, main d’œuvre qualifiée, demande intérieure en croissance, classe moyenne en développement etc.

Force est de constater que ce rapport de 2001 est plus que jamais d’actualité. Pour preuve, le Brésil est la neuvième puissance économique mondiale, la Russie sixième, l’Inde quatrième, la Chine deuxième et l’Afrique du sud vingt-cinquième. Quelques chiffres sont révélateurs de leur poids présent et de leur hégémonie à venir. Pour le FMI, les BRICS assureront 61 % de la croissance mondiale. Ils représentent 27 % du PIB mondial en 2011 ; en 2025 cette part sera de 40 %. Au surplus, au cours de la dernière décennie, les BRICS ont contribué à plus d’un tiers de la croissance du PIB. En outre, selon les estimations de la Banque mondiale, la Chine pourrait devenir la première puissance économique mondiale dès 2020 devant les Etats-Unis qui seraient également dépassés par l’Inde au milieu du siècle pour Goldman Sachs. Selon toute vraisemblance, le centre de gravité du monde en 2050 se polarisera dans le continent asiatique.

Il est étonnant de voir la réalisation progressive de toutes ces projections alors même que les BRICS forment une entité dispersée géographiquement et ce, sans aucune alliance politique ou même économique. L’identité économique de la Russie se réfère à ses ressources énergétiques,  celle du Brésil à l’agriculture et celle de la Chine est en pleine expansion avec une première place dans la production de l’or. Pour autant, ces disparités économiques n’occultent pas l’existence de convergences notables : taux de croissance élevés, dynamique d’industrialisation, marché intérieur non saturé.

En somme, qui sont les BRICS ? Outre la réponse économique apportée, la problématique peut recevoir une explication politique. En effet, il s’agit d’un groupe qui porte la question de la défense de la souveraineté des Etats au cœur de ses préoccupations. D’ailleurs, lors du Sommet de New Delhi, a été consolidé l’attachement à leur autonomie politique vis-à-vis de l’Occident. Même s’il est réducteur de ramener les BRICS à une coalition anti-atlantiste et (ou) antioccidentale, leur aspiration est clairement politiquement motivée par la volonté de mettre fin à l’hégémonie occidentale d’autant plus que, sur le plan économique, les pays occidentaux font pâle figure. Une des revendications qui matérialisent cette politique anti-hégémonique réside dans l’aspiration à une redistribution des cartes au sein du FMI où les européens sont surreprésentés. L’objectif est de renforcer la légitimité des institutions financières internationales par une meilleure représentativité des différents pays. Cette représentativité serait indexée sur leur poids économique. A ce titre, on ne peut que souligner l’échec des pays émergents de présenter une candidature unique à la succession de Dominique Strauss-Kahn. Plus généralement, les BRICS préconisent une réforme d’envergure du système économico-financier mondial qui ne prend pas suffisamment compte le rôle des pays émergents dans l’économie générale.

L’aspiration à un partage de la gouvernance mondiale s’accompagne aussi de la défense acharnée de la souveraineté des Etats. C’est d’ailleurs l’explication de leur position à l’égard des vagues de révolutions qui ont secoué le monde arabe. Ils ont dénoncé implicitement le principe de la responsabilité de protéger alors même qu’ils l’ont entériné aux Nations unies. Dans ce cadre, le soutien apporté à la résolution 1373 sur la Libye ne constitue pas un gage d’adhésion fiable. Le Brésil avait d’ailleurs proposé un amendement à cette résolution pour éviter que celle-ci n’ouvre la boîte de pandore à une activité militaire excessive. De surcroît, les BRICS s’opposent, vigoureusement et pour des raisons variées, à des sanctions contre le régime syrien. L’objectif « consiste à favoriser le processus politique intérieur mené par les syriens ». Il ressort de la déclaration commune, un appel au « gouvernement syrien et toutes les strates de la société à faire preuve de volonté politique afin d’entamer un processus indispensable pour l’instauration de la paix ». A titre d’exemples, la Russie veut à tout prix éviter la construction d’un flanc islamiste au sud de son territoire et l’Inde se méfie des islamistes pour des raisons de politique intérieure. Il ne serait dès lors pas étonnant que les BRICS s’opposent à toute attaque contre l’Iran toujours au nom de l’attachement à la souveraineté des Etats.

En somme, le BRICS représentent « une plate-forme pour le dialogue et la coopération entre les pays qui représentent 43% de la population mondiale ». Ils œuvrent pour « la promotion de la paix, la sécurité et le développement dans un environnement multipolaire ».

II.                Les conclusions du Sommet de New Delhi

La mesure phare qui découle du Sommet de New Delhi est, assurément, la création d’une banque de développement appelée « South-South Bank » ou « Brics Bank ». Pour l’heure, cette future banque n’est qu’à l’état de projet. Dans le milieu des Etats moins développés, cette banque constitue une véritable aubaine économique en ce qu’elle représente une source supplémentaire de financement pour des projets d’infrastructures et de développement durables majeurs. Pour le Président sud-africain, « une telle banque a un fort potentiel pour nous aider à créer de bons emplois ». Pour l’heure, la question de la viabilité du projet de future banque se pose : s’agit-il simplement de mettre la pression sur les occidentaux pour qu’ils maintiennent un niveau de financement  vers les pays à revenu intermédiaire ou d’une véritable alternative à la Banque mondiale ? En tout état de cause, l’idée est clairement de contourner les institutions traditionnelles telles que la Banque mondiale et le FMI. Il s’agit, à tout le moins, de faire émerger la monnaie chinoise, le yuan, pour édulcorer l’influence du dollar et de l’euro. L’objectif affiché par les BRICS est de renforcer le flux de financement du développement vers les pays émergents et en développement. C’est d’ailleurs pour cela que les BRICS appellent la Banque mondiale à accorder une plus grande priorité à la mobilisation des ressources et à répondre aux besoins de financement du développement tout en réduisant les coûts d'emprunts et de prêts en adoptant des outils innovants.

Lors de la rencontre de New Delhi, le Brésil, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud ont félicité la Russie de son adhésion à l'OMC. Cette adhésion renforce le multilatéralisme commercial que promeut l’OMC. Au demeurant, un appel à la résistance contre toutes les formes de protectionnisme commercial et de restrictions déguisées au commerce a été lancé. Une fois le processus de ratification achevé, la Russie s’engage à participer de manière active et constructive à un résultat équilibré du Cycle de Doha qui aidera à renforcer et développer le système commercial multilatéral.

Sur le terrain de la résolution des crises internationales, les BRICS confirment leur engagement à atteindre le règlement global, juste et durable du conflit arabo-israélien sur le fondement du cadre juridique international universellement reconnu, y compris les résolutions pertinentes des Nations Unies, les principes de Madrid et l'Initiative de paix arabe. L’accent est également mis sur l'importance des négociations directes entre les parties à parvenir à un règlement définitif. 

Autre principe affirmé lors du Sommet de New Delhi, le concept d'une «économie verte», qui reste à définir à Rio +20. Ce concept doit être compris dans le cadre plus large de développement et d'éradication durable de la pauvreté. Il constitue, assurément, un moyen d'atteindre ces priorités fondamentales et dominantes.

Observations (Philippe Weckel)

Il serait inapproprié de qualifier les BRICS de coalition anti-occidentale. Tout au plus peut-on dire que la coordination au sein de ce groupe d'Etats vise une forme de rééquilibrage, souhaitée et souhaitable, des relations multilatérales, essentiellement sur le plan économique d'ailleurs. Ils ne sont contre personne. Au demeurant ils sont aussi soucieux de la préservation de leur souveraineté dans leurs relations mutuelles qu'à l'égard du reste du monde.

Bulletin numéro 301