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Soumis par Weckel Philippe le 25 March 2012

Ni le pessimisme, ni l'optimisme n'ont leur place dans la gestion de la crise syrienne. Avec la médiation que mène désormais l'ancien secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan pour le compte de l'ONU et de la Ligue arabe, la mission de démêler l'écheveau complexe des intérêts en présence a été confiée à la diplomatie professionnelle. Cette personnalité jouit d'une autorité personnelle incontestée de nature à rallier le soutien de tous. A cet égard la semaine qui vient de s'écouler marque une progression -on préfère le mot à celui de progrès- très significative.

 

La Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 21mars 2012

 

Le fait marquant a été l'adoption le mercredi 21 mars d'une déclaration du Président du Conseil de sécurité appuyant la médiation. Il est opportun de rappeler ici la distinction entre une telle déclaration et une déclaration à la presse. Le même jour d'ailleurs une déclaration à la presse a été faite, à l'initiative de la Russie, pour condamner les derniers attentats terroristes en Syrie (Déclaration à la presse du Conseil de sécurité sur les attentats terroristes perpétrés en Syrie (21 mars 2012) ). Cette disjonction souligne la différence qu'admettent les membres du Conseil entre les deux procédés. On sait qu'il convient de faire une distinction entre deux catégories de résolutions du Conseil de sécurité. Les résolutions ordinaires ont une portée obligatoire limitée que leur confère l'article 26 de la Charte. Elle ménage une marge d'appréciation substantielle aux Etats membres dans la mise en œuvre et ces résolutions s'opposent en cela à celles qui relèvent des actions entreprises en vertu du Chapitre VII. Une semblable dualité s'est imposée dans la pratique en ce qui concerne les instruments déclaratoires. En effet, généralement la position commune du CS prend la forme d'une déclaration du Président à la presse (déclaration présidentielle) qui est une explication publique du point de vue collectif des membres de cet organe. Rarement le Conseil prononce une déclaration du Président qui est un acte juridique émanant de cet organe. Les deux formes de déclarations explicitent un accord général entre les membres et sont donc particulièrement utiles pour comprendre le processus de négociation qui se développe dans la succession des décisions collectives. Toutefois une déclaration du Président a un caractère formel : elle établit formellement la base de consensus sur lequel s'érige progressivement l'action du Conseil. Au même titre que des résolutions antérieures, cet instrument est mentionné dans les visa des décisions ultérieures.

La médiation dans la crise syrienne est fondée sur une résolution de l'Assemblée générale et sur une résolution de la Ligue arabe. Avec la Déclaration du Président du 21 mars le Conseil de sécurité endosse le soutien à cette initiative. Il ne se contente pas de l'appuyer en l'approuvant, il fait de ce processus de règlement la base de toutes les décisions qu'il pourrait être amené à prendre par la suite. Le médiateur est donc désormais -comme il l'avait demandé- fort de la pleine autorité d'un Conseil unanime. Le déplacement de M. Kofi Annan en Russie et en Chine cette fin de semaine s'inscrit dans ce contexte très favorable.

Le blocage du Conseil de sécurité du fait du veto russe et chinois a suscité deux sortes de tentations du désespoir. D'une part, les Etats arabes du Golfe sont fortement tentés d'armer la rébellion en Syrie. Le manque d'armement individuel empêche de nombreux civils de rejoindre la rébellion et les déserteurs de l'armée ne disposent pas du matériel nécessaire pour affronter les chars qui sont l'élément essentiel du dispositif de répression. Néanmoins on ne peut traiter le mal par le mal qu'à doses homéopathiques. Or pour rétablir la balance avec une armée fortement équipée qui compte 300 000 hommes, il faudrait une aide matérielle massive. Déverser ces tonnes d'armement individuel et de missiles portatifs ou autres matériels antichar dans le conflit produirait deux effets catastrophiques. L'opposition armée n'ayant pas démontré sa capacité de s'unifier sous un commandement responsable et efficace, l'afflux des armes provoquerait une violence généralisée et alimenterait le trafic des armes dans la région. On imagine le danger que représenteraient des centaines de missiles Milan ou équivalents entre les mains de radicaux libanais ou palestiniens. La seconde tentation, à l'opposée, est celle du « sparadrap ». Britanniques et Américains semblaient accepter l'idée d'une implication internationale limitée à des mesures humanitaires. Verser de l'huile sur le feu ou un peu d'eau revenait en fait à abandonner les Syriens à eux-mêmes sans perspective de règlement de la crise.

C'est dans cet esprit que la France a vigoureusement réagi en introduisant un projet de déclaration du Président du Conseil. Voici le  finalement adopté :

« Le Conseil de sécurité rappelle sa déclaration présidentielle du 3 août 2011 et son communiqué de presse du 1er mars 2012.

Le Conseil se déclare extrêmement préoccupé par la détérioration de la situation en Syrie, qui a entraîné une grave crise des droits de l’Homme et une situation humanitaire désastreuse. Il est profondément attristé par le décès de milliers de personnes dans le pays.

Le Conseil réaffirme son profond attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’unité et à l’intégrité territoriale de la Syrie ainsi qu’aux buts et aux principes énoncés dans la Charte.

Le Conseil se félicite de la désignation de Kofi Annan, Envoyé spécial conjoint de l’Organisation des Nations unies et de la Ligue des États arabes en application de la résolution 66/253 de l’Assemblée générale en date du 16 février 2012 et des résolutions pertinentes de la Ligue des États arabes.

Le Conseil apporte son plein appui aux efforts que l’Envoyé spécial conjoint déploie pour faire cesser immédiatement toutes violences et violations des droits de l’Homme, offrir accès aux organisations humanitaires et faciliter la transition politique dirigée par les Syriens vers un régime politique démocratique et pluraliste, fondé sur l’égalité des citoyens quelles que soient leur appartenance politique ou ethnique ou leurs croyances, à la faveur notamment de l’ouverture d’un dialogue politique général entre le gouvernement syrien et l’ensemble des forces d’opposition syriennes.

À cette fin, le Conseil souscrit sans réserve à la proposition préliminaire en six points soumise aux autorités syriennes et que l’Envoyé spécial conjoint lui a décrite à grands traits, le 16 mars 2012, qui peut se résumer ainsi :

  1. S’engager à collaborer avec l’Envoyé dans le cadre d’un processus politique ouvert, dirigé par les Syriens, de façon à répondre aux aspirations et préoccupations légitimes du peuple syrien et, à cet effet, s’engager à désigner un interlocuteur disposant des pouvoirs nécessaires lorsque l’Envoyé en fera la demande ;

  2. S’engager à cesser les combats et à assurer de toute urgence, sous la supervision de l’Organisation des Nations Unies, un arrêt effectif de toutes les formes de violence armée par toutes les parties afin de protéger les civils et de stabiliser le pays. À cet effet, le gouvernement syrien devrait mettre immédiatement fin aux mouvements de troupes en direction des agglomérations, cesser d’utiliser des armes lourdes en ces lieux et commencer à retirer les troupes concentrées dans les agglomérations et aux alentours. Pendant que ces mesures seraient appliquées sur le terrain, le gouvernement syrien devrait collaborer avec l’Envoyé pour faire cesser de façon durable toutes les formes de violence armée par toutes les parties, dans le cadre d’un mécanisme de supervision efficace géré par l’Organisation des Nations unies, et l’Envoyé s’emploierait à ce que l’opposition et tous les éléments concernés s’engagent de même à arrêter les combats et à collaborer avec lui pour que cessent durablement toutes les formes de violence par toutes les parties dans le cadre d’un mécanisme de supervision efficace géré par l’ONU ;

  3. Assurer l’acheminement de l’aide humanitaire en temps voulu dans toutes les zones touchées par les combats et, à cet effet, approuver et mettre en œuvre, à titre immédiat, une pause humanitaire quotidienne de deux heures et coordonner l’heure et les modalités exactes de cette pause dans le cadre d’un mécanisme efficace, y compris au niveau local ;

  4. Accélérer et multiplier les mesures d’élargissement de personnes arbitrairement détenues, notamment des catégories qui sont particulièrement vulnérables et des personnes qui ont pris part à des activités politiques pacifiques, communiquer sans tarder par les voies appropriées une liste de tous les lieux où ces personnes sont détenues, prendre immédiatement des dispositions en vue d’assurer l’accès à ces lieux et, toujours par les voies appropriées, répondre rapidement à toutes les demandes écrites d’information, d’accès et d’élargissement concernant lesdites personnes ;

  5. Assurer aux journalistes la liberté de circulation dans tout le pays et mettre en place une politique de visas non discriminatoire à leur égard ;

  6. Respecter la liberté d’association et le droit de manifester pacifiquement, garantis par la loi.

    Le Conseil exhorte le gouvernement et l’opposition syriens à œuvrer de bonne foi avec l’Envoyé à la recherche d’un règlement pacifique de la crise syrienne et à appliquer intégralement et immédiatement sa proposition préliminaire en six points.

    Le Conseil prie l’Envoyé de le tenir informé, régulièrement et en temps opportun, de l’évolution de sa mission. À la lumière de ces rapports, le Conseil envisagera toute autre mesure qu’il jugera appropriée./. »

Il convient d'observer tout d'abord que la Russie et la Ligue arabe avait, d'après la Russie, convenu d'un projet de résolution du Conseil de sécurité en cinq points, à savoir la cessation des violences des deux côtés, l'accès de l'aide humanitaire, le soutien à l'action de Kofi Annan et la non ingérence dans les affaires syriennes. Manifestement la Ligue arabe serait allée trop loin dans le sens des concessions à la Russie au point d'altérer la mission de l'ancien Secrétaire général. Parallèlement à cette rencontre au Caire entre les représentants des Etats arabes et le Ministre russe, Serge Lavrof, Kofi Annan s'est rendu à Damas le 10 mars pour présenter un plan de paix au Président Assad que ce dernier a immédiatement rejeté. On relève que le Conseil de sécurité n'a repris dans la Déclaration que les grandes lignes de ce projet qui n'a pas été publié. Ainsi le Représentant aurait développé un plan en quatre points pour la transition politique :

  • Formation of an “all-Syria” government of national unity, as a first step

  • Early presidential and parliamentary elections under international supervision

  • Restructuring of the security and military services and negotiations on their future role prior to the proposed elections, as the said services cannot be trusted to usher the transitional phase

  • Formation of national reconciliation committees to ensure continuity of the judiciary and other state institutions during the transitional phase.

La Déclaration du Président n'a rallié l'accord de tous les membres du Conseil de sécurité qu'en limitant son objet à un appui au plan de paix de Kofi Annan, ce plan étant lui-même réduit à un résumé.

La France a été contrainte d'amender son projet initial qui prévoyait un réexamen de la question dans un délai d'une semaine en vue de prendre, le cas échéant, des sanctions. Néanmoins ce mardi la diplomatie russe a fait savoir qu'elle serait prête à soutenir la Déclaration à condition qu'aucun ultimatum n'y soit mentionné. Si tout passage au niveau supérieur, celui des résolutions, voire des sanctions, est ainsi provisoirement écarté, il n'est cependant pas expressément exclu.

 

La résolution du Conseil des droits de l'homme du 23 mars


 

La Déclaration du Président du Conseil de sécurité ne condamne pas le régime syrien, donnant ainsi satisfaction à la Russie et à la Chine. Ce défaut a été partiellement compensé par l'adoption, vendredi 23, d'une résolution du Conseil des droits de l'homme introduite par l'Autriche qui a été adoptée à une écrasante majorité : 41 voix pour, 3 voix contre (Chine, Cuba et Russie) et 2 abstentions (Equateur et Ouganda). La condamnation s'exprime dans ce texte très détaillé avec une virulence inhabituelle et le ton est comminatoire :


 

Nouvelles sanctions européennes visant la Syrie


 

Le Conseil de l'Union européennes a adopté un treizième train de sanctions le 23 mars. Parmi les mesures d'interdiction de voyager et de gel des avoirs figurent quatre femmes de l'entourage proche du Président Assad dont l'épouse et la mère.

 

 

 

Bulletin numéro 299