Lors d’une conférence de presse le 3 février 2011, le Président des Palaos a réitéré son intention d’obtenir de l’Assemblée générale des Nations unies qu’elle demande à la Cour internationale de Justice (CIJ) un avis consultatif sur l’applicabilité du droit international aux questions liées aux changements climatiques.
Avec cette nouvelle proposition, le Président des Palaos met en relief le rôle que le droit international et deux des institutions les plus importantes de l’Organisation des Nations unies peuvent jouer face à un des enjeux planétaires, tout en mentionnant la compétence de l’Assemblée générale pour demander un tel avis à la CIJ et des normes de droit international qui seraient applicables au changement climatique. Selon le Président des Palaos, la CIJ est habilitée à examiner l’applicabilité du droit international aux nouvelles menaces et l’Assemblée générale peut lui demander un avis « sur ce que tous les États doivent faire » face aux changements climatiques.
Cependant, plusieurs questions apparaissent : quel serait l’intérêt de l’Assemblée générale des Nations unies de demander cet avis à la Cour internationale de justice ? Quels aspects de droit pourraient-ils être évoqués dans une telle démarche ?
I. Intérêt juridique de l’Assemblée générale des Nations unies sur la question
L’Assemblée générale des Nations unies n’a pas été indifférente au sujet des changements climatiques. Bien au contraire, son intérêt juridique sur la question se constate dans le fait que plusieurs résolutions sont adoptées tous les ans par cet organe, dans lesquelles l’Assemblée générale réitère sa préoccupation relative aux conséquences que les changements climatiques ont eues sur différents domaines touchant plusieurs aspects du droit international.
Parmi ces résolutions adoptées chaque année –au moins dans les dix derniers ans –deux sujets attirent l’attention. D’un côté, l’Assemblée générale adopte des résolutions nommées « Sauvegarde du climat mondial pour les générations présentes et futures », dans lesquelles elle considère que les changements climatiques constituent un problème grave auquel il faut s’attaquer, rappelle que les chefs d’Etat et de gouvernement se sont engagés à n’épargner aucun effort pour que le Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s’applique et constate que les changements climatiques posent de graves risques et difficultés pour tous les pays, en particulier les pays en développement. A cet égard, les résolutions A/RES/65/159 de 2011, A/RES/64/73 de 2010 et A/RES/63/32 de 2009 font un appel aux Etats pour qu’ils coopèrent et mettent en œuvre immédiatement les dispositions de la CCNUCC.
D’un autre côté, l’Assemblée générale a manifesté sa préoccupation pour le changement climatique vis-à-vis du nombre croissant de catastrophes naturelles et de leurs néfastes conséquences. A ce sujet, les résolutions A/RES/65/264 de 2011, A/RES/64/251 de 2010 et A/RES/63/217 de 2009 soulignent que les changements climatiques mondiaux concourent, entre autres facteurs, à l’intensification et à la multiplication des catastrophes naturelles et encouragent les États Membres à soutenir l’adaptation aux effets négatifs des changements climatiques afin de réduire le plus possible les conséquences humanitaires des catastrophes naturelles.
D’ailleurs, le sujet des changements climatiques a été lié à la question de la sécurité internationale, but fondamental de l’Organisation des Nations unies, selon l’article premier de sa Charte constitutive. A cet égard, dans la résolution A/RES/63/281 du 11 juin 2009, nommée « Les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité », l’Assemblée générale s’est préoccupée des répercussions que les effets néfastes des changements climatiques pourraient avoir sur la sécurité et a invité les organes concernés de l’Organisation des Nations unies à redoubler les efforts pour s’intéresser et faire face aux changements climatiques.
Cet effort de lier le changement climatique aux questions de sécurité s’est finalement concrétisé avec l’adoption de la Déclaration S/PRST/2011/15 du 20 juillet 2011 du Président du Conseil de sécurité des Nations unies, dans laquelle cet organe constate les « effets préjudiciables éventuels des changements climatiques [qui] p[euv]ent, à long terme, aggraver les menaces existantes à la paix et la sécurité internationales ».
Même s’il s’agit de normes dépourvues de force obligatoire, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies citées, réitérées chaque année et sur différents sujets, font état de la préoccupation de cet organe sur les questions liées aux changements climatiques. Malgré les possibles oppositions politiques au sein de l’Assemblée générale à une demande d’avis consultatif et que les résolutions ne mentionnent pas une inquiétude pour éclairer les questions juridiques du sujet, une constante mise en relief démontre une certaine pratique de cet organe, ce qui pourrait la pousser à chercher à définir le cadre et le rôle du droit international dans ce processus.
Néanmoins, plusieurs questions et problèmes de droit pourraient émerger d’une telle demande.
II. Certains aspects et problèmes juridiques
Une éventuelle demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale à la CIJ mettrait en évidence certains enjeux du changement climatique vis-à-vis du droit international. Elle montrerait aussi les difficultés de ce dernier pour faire face à la source du problème, du moins dans l’état actuel du droit international.
1. Une demande d’avis consultatif sur ce sujet donnerait à la CIJ l’opportunité de se prononcer sur la portée et l’application de certains principes de droit international général et de l’environnement. Ces principes sont le guide pour le comportement des Etats et sont évoqués par l’article 3 de la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC), dont celui de responsabilités communes mais différenciées, l’équité, la précaution, le développement durable et la bonne foi. Une opinion de la CIJ sur le contenu, le statut et les devoirs qui découlent de l’application de ces principes de droit international et de l’environnement, donnerait plus de clarté sur leur rôle pour l’interprétation et la création des normes lors des prochaines conférences sur le changement climatique.
2. Un avis consultatif permettrait à la CIJ de se prononcer sur le devoir des Etats de ne pas causer de dommages au territoire d’autres Etats face au changement climatique. Ce principe, qui est aussi invoqué par le Président des Palaos, est mentionné dans le préambule de la CCNUCC. Or, ce principe trouve certaines difficultés concernant le changement climatique : la détermination du lien de causalité entre le fait générateur et le dommage s’avère difficile, puisqu’il s’agit d’un processus cumulatif auquel ont contribué de nombreux auteurs par différents moyens, ce qui rend difficile l’attribution de la responsabilité à des Etats individualisés ; l’attribution de la responsabilité aux Etats pour les activités dangereuses mais non illicites des particuliers (certaines d’elles contribuant au changement climatique) reste difficile car, hors les traités qui en disposent explicitement, aucune norme générale de droit international n’existe à cet égard ; et l’identification d’un Etat lésé présente des difficultés, car la détermination des conséquences du changement climatique est encore un sujet à cerner par le droit international.
En raison des difficultés que présente l’application des normes secondaires de la responsabilité, les efforts du droit international devraient par conséquent viser à développer les obligations primaires individuelles et collectives des Etats, tout en renforçant leur obligation de prévention. Cette obligation –de nature coutumière selon l’a affirmé la CIJ dans sa décision de l’affaire des Usines de pâte à papier –devrait être la contribution fondamentale du droit international à la régulation contre le changement climatique et le cadre normatif dans lequel toute les normes devraient être adoptées.
3. Un avis consultatif de la CIJ serait aussi l’opportunité de confronter les normes sur les changements climatiques avec les autres branches du droit international. Cela permettrait de mettre en relief l’interaction et les contradictions qui émergent entre celles-là et celles concernant la protection de la diversité biologique, la protection de l’environnement marin, les limites au commerce international et même la violation des droits de l’homme et les mécanismes pour les réparer. Toutes ces normes, qui font aussi partie du droit international, constituent un cadre d’analyse qui doit être pris en compte pour le développement des règles contre le changement climatique.
Il est nécessaire enfin de remarquer que, contrairement à l’opinion du Président des Palaos, l’Assemblée générale ne peut pas demander à la CIJ un avis « sur ce que tous les États doivent faire » face aux changements climatiques. Les avis consultatifs de cet organe, réglés par l’article 96 de la Charte de Nations unies et le chapitre IV du Statut de la CIJ, n’ont pas pour but de créer des obligations pour les Etats mais de donner une opinion sur toute question juridique. Néanmoins, ils font partie de la jurisprudence de la Cour et pourraient s’imposer en raison de l’autorité morale que leur confère le fait d’être adoptés par l’organe judiciaire principal des Nations unies.