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Soumis par Dumouchel Anne… le 26 February 2012

Les députés MM. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet ont remis, le 14 février dernier, leur rapport sur les sociétés militaires privée (rapport déposé par la Commission de défense nationale et des forces armées sur les sociétés militaires privées).

Ce rapport intervient dans un contexte de réflexion sur la question de l’embarquement à bord des navires de gardes armés privés dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime. Si le rapport a une vision un peu plus globale, il reste cependant centré sur l’aspect maritime du recours à de tels personnels.

Le rapport tombe à point nommé, au regard de les évolutions que l’on a pu constater dans les positions françaises avancées il y a encore quelques années. Il suffit de se rappeler les refus catégoriques des armateurs et autorités français de recourir à des gardes armés privés pour s’en convaincre. La mise en place du recours aux EPE (équipes de protection embarquées, de nature militaire) confortait les acteurs dans leur position. Or, de nombreux facteurs conduisaient à la nécessité d’étudier sérieusement la possibilité d’accepter l’embarquement de gardes privés à bord des navires pour les protéger : augmentation du nombre des attaques pirates, difficultés à endiguer le phénomène qui s’est par ailleurs largement étendu géographiquement, insuffisance des capacités des marines, réduction des moyens militaires…

Le rapport rappelle d’ailleurs ces oppositions initiales, et leurs origines : si la France est traditionnellement opposée aux entreprises de sécurité privée, cela s’expliquerait par le fait que leurs missions relève de ce qui est considéré comme relevant du domaine régalien de l’État et que, par conséquent, le secteur privé ne saurait pouvoir intervenir en ces matières, que l’État ne devrait pas déléguer. Les affaires tristement célèbres ces dernières années ne sont pas non plus pour redorer l’image du secteur.

Cependant, et le rapport le rappelle à juste titre, ces sociétés n’exercent pas nécessairement des missions relevant du domaine régalien. Ainsi, nombreuses sont celles qui exercent des missions uniquement de conseils, d’expertise, etc.

Toute la question est alors de savoir si nous pouvons, si nous devons, accepter de doter ces gardes d’armes à feu, et de les embarquer à bord des navires pour assurer la sécurité et la sûreté des navires transitant dans les eaux « à risques », autrement dit, pour le moment, le golfe d’Aden. La question se pose certes au regard d’une volonté de prévention, mais aussi en termes de compétitivité et de pertes des savoirs. En effet, les pays anglo-saxons n’étant pas réticents, et le marché étant très porteur, de nombreuses sociétés usent de montages juridiques pour pouvoir exercer à l’étranger, des navires se « dépavillonnent », et des anciens militaires français se reconvertissent à l’étranger.

Que nous apprend le rapport ? Une précision sémantique s’impose tout d’abord : pour faire le tri dans la multitude de formes d’entreprises existantes, et dans un souci de simplification, le rapport s’attache à ce qu’il appelle des « ESSD », ou entreprises de services de sécurité et de défense, regroupant à la fois les sociétés de sécurité et les sociétés militaires privées, qui ne diffèrent quelquefois que par leur seule appellation.

Le rapport tend à être favorable au recours à de tels prestataires dans le cadre de la protection des navires pour les voyages à risques.

Les députés commencent ainsi par noter l’intérêt que présenterait une telle acceptation dans un contexte de lutte difficile contre la piraterie, rappelant la diminution des moyens militaires, et surtout l’impossibilité d’assurer une présence suffisante à terme. Le secteur privé permettrait ainsi d’offrir une « réponse complémentaire ». Cependant, le rapport remarque la faiblesse de l’offre française, liée à une réglementation nationale stricte et aux oppositions traditionnelles déjà évoquées précédemment.
Nous est ainsi offerte l’occasion de faire un retour sur la législation française applicable aux activités de sécurité privée, entre les principes généraux (liés aux pouvoirs régaliens de l’État) et aux dernières évolutions législatives (loi du 12 juillet 1983décret du 6 mai 1995 fixant le régime des matériels de guerre, loi du 14 avril 2003 sur le mercenariat,…).

Autre intérêt du rapport, celui de revenir sur le droit international applicable, et très rarement évoqué.

En premier lieu peut être évoqué le droit international humanitaire qui prévoit, dans le cadre d’un conflit, la responsabilité de l’État engageant, et encadrant le recours au mercenariat, bien que ces questions soient encore largement débattues aujourd’hui. Ensuite, le document de Montreux (17 septembre 2008), référence internationale en matière d’obligations juridiques et bonnes pratiques étatiques concernant le recours à ces sociétés dans le cadre de conflits armés, ainsi que le Code de conduite (ICoC) adopté le 9 novembre 2010 et signé par plus de soixante entreprises. Cependant, ces divers instruments concernent les conflits armés. Peut-on considérer la piraterie maritime comme relevant du conflit armé ? Certainement pas. A l’instar de la réglementation nationale, le droit international ne semble guère plus prolixe.

Les rapporteurs plaident donc pour une évolution « indispensable » du cadre législatif et réglementaire dans un sens favorable à l’ouverture du recours aux ESSD. Notamment, une procédure de labellisation pourrait être créée, permettant ainsi de certifier les entreprises et de garantir alors leurs qualités et moralité, caractère certainement le plus sensible et au cœur de la discussion.

Nous pouvons regretter que certains aspects pourtant fondamentaux ne soient pas ou peu abordés dans le rapport, ou encore peu développés : la question notamment de la responsabilité en cas d'incidents aurait mérité un approfondissement et permis un éclaircissement sur un point qui constitue très certainement une des raisons principales de la non-admission du recours aux gardes armés privés à bord des navires. La responsabilité d'un incident devra-t-elle être imputée à l'Etat? Si oui, lequel? Celui du pavillon, celui d'immatriculation de la société, celui dont relève le dirgeant? Ou alors, devra-t-elle imputée uniquement à la société en question?

De plus, l’embarquement à bord des navires de gardes armés privés ne dépendra pas seulement de l’évolution de la position française. Si, en effet, règne en haute mer le principe de liberté, et permet donc aux navires de voyager avec des gardes armés à bord ne dépendant pas des forces militaires nationales, les choses peuvent se compliquer dans les eaux sous souveraineté nationale, pour lesquelles seul l’État côtier est compétent en matière de police, et dont la réglementation peut parfois interdire le transit de navires transport des armes. Le problème appelle donc une réflexion plus large pour pouvoir évoluer favorablement. Ce rapport a le mérite de soulever une question considérée jusqu'ici comme taboue; pouvons-nous dès lors espérer une évolution de la position française?

Bulletin numéro 295