Après l'échec du projet de résolution au Conseil de sécurité samedi dernier qui s'est heurté au veto chinois et russe les diplomaties tentent de rebondir. Le déplacement du Ministre russe des affaires étrangères à Damas mardi a débouché sur un renouvellement des promesses du Président Assad sans effets sur le terrain. Sur la défensive dans un climat de critiques générales, Chinois et Russes sont désormais dans l'incapacité de prendre l'initiative.
Le rassemblement.
Deux initiatives ont été suggérées pour faciliter le consensus sur la crise syrienne. La France a repris l'idée de la création d'un groupe d'amis de la Syrie. De fait ce groupe existe déjà à travers la convergence des Etats de la Ligue arabe, de l'Union européenne, de la Turquie, des Etats-Unis, etc. De son côté la Turquie a proposé l'organisation d'une conférence internationale. Il reste à savoir quels objectifs et quels contenus pourraient prendre de telles initiatives.
L'intervention.
L'intervention militaire est toujours écartée fermement. Reste la possibilité de tenter de réduire le déséquilibre des forces dans la guerre civile naissante. On serait très étonné que la montée en puissance de la répression à Homs notamment, n'entraîne pas l'armement de la rébellion, spécialement en moyens anti-chars. Deux facteurs devraient restreindre cette tentation d'ingérence. En l'absence d'embargo sur les armes le déséquilibre pourra toujours être maintenu par l'accroissement des livraisons d'armes par la Russie. La dispersion d'armes en Syrie constitue aussi une menace majeure pour l'ensemble de la région. La Turquie, Israël, l'Egypte pourraient subir le contrecoup de cet afflux d'armes au Proche Orient. L'expérience de la Libye et de la dégradation de la situation sécuritaire, notamment au Mali, devraient inciter à la prudence. On attend plutôt des mesures de caractère humanitaire dans un contexte dans lequel les ONG sont privées de la possibilité d'accéder aux victimes. Néanmoins comment concevoir des mesures concrètes dans ce sens sans l'accord des autorités de Damas ?
L'aggravation des sanctions.
Effectivement l'échec du Conseil de sécurité relance les sanctions « unilatérales » (formule discutable). Un renforcement est en préparation aux Etats-Unis et au sein de l'Union européenne.
L'isolement.
On remarque que les Etats arabes ont une attitude différente de celle des Etats européens. Les premiers font le choix de la rupture des relations diplomatiques avec Damas, alors que les seconds se sont contentés de rappeler leur ambassadeur en consultation. Ensemble ils estiment que les jours du régime syrien sont comptés et que la répression furieuse qu'il mène contre sa population affecte sa représentativité. Néanmoins, il convient de souligner la différence fondamentale de la situation actuelle avec le précédent de la Libye. Le régime libyen a implosé, puisque le ministre des affaires étrangères a rallié l'opposition et que le corps diplomatique l'a largement suivi. Il est beaucoup plus difficile de justifier la rupture de tout contact avec le régime syrien. Est-il au demeurant souhaitable que les diplomates étrangers quittent Damas ? Les Etats-Unis y ont une faible présence et leur décision de retrait a une incidence limitée.
La présence de la communauté diplomatique en Syrie évite le huis-clos de la guerre civile.
Le retour des observateurs internationaux en Syrie.
Faute de pouvoir éteindre l'incendie, les pompiers s'attachent à refroidir le feu. Il est donc essentiel de développer une présence internationale en Syrie, indépendante et libre de ses mouvements. Des contacts ont été pris cette semaine par la Ligue arabe en vue d'impliquer l'ONU dans la mission d'observation. La formule mixte mise en oeuvre au Darfour, UA et ONU, pourrait servir de modèle (Syrie : l'ONU et la Ligue arabe envisagent une mission conjointe d'observateurs).
Le soutien au plan de la Ligue arabe.
L'Arabie saoudite fait circuler depuis vendredi un projet de résolution qui devrait être discuté lors de la réunion de ce jour de la Ligue arabe afin d'être, le cas échéant, mis au vote à l'Assemblée générale. L'inspiration de ce texte est que, piqués au vif par le veto russe et chinois, les Etats arabes entendent réaffirmer et faire confirmer par l'ONU leur rôle prééminent dans la gestion de la crise syrienne. La Ligue arabe n'entendrait pas se défausser d'une manière ou d'une autre sur les Nations Unies. On remarque ainsi dans ce texte que l'ONU désignerait un représentant spécial pour la Syrie, mais qu'il ne serait pas question de l'envoi d'observateurs onusiens.
"The General Assembly,
Recalling its resolution 66/176 of 19 December 2011, as well as Human Rights Council resolutions S/16-1, S/17-1 and S/18-1,
Expressing grave concern at the deterioration of the situation in Syria, in particular the ongoing human rights violations and use of violence by the Syrian authorities against its population,
Reaffirming the role of regional and subregional organizations in the maintenance of international peace and security as set out in Chapter VIII of the Charter,
Reaffirming its strong commitment to the sovereignty, independence, unity and territorial integrity of Syria, and to the principles of the Charter,
Reaffirming that all Member states of the United Nations should refrain in their international relations from the threat or use of force against the territorial integrity or political independence of any State or act in any other manner inconsistent with the purposes of the United Nations,
Welcoming the engagement of the Secretary-General and all diplomatic efforts aimed at ending the crisis,
1. Commends the League of Arab States for its efforts in promoting a peaceful solution to the Syrian crisis, and welcomes in this regards the League of Arab States' Action Plan of 2 November 2011 and its subsequent decisions, including its decision of 22 January 2012
2. Strongly condemns the continued widespread and systematic violations of human rights and fundamental freedoms by the Syrian authorities, such as the use of force against civilians, arbitrary executions, killing and persecution of protestors, human rights defenders, and journalists, arbitrary detention, enforced disappearances, interference with access to medical treatment, torture, sexual violence, and ill-treatment, including against children;
3. Calls upon the Syrian government to immediately put an end to all human rights violations and attacks against civilians, protect its population, fully comply with its obligations under applicable international law and fully implement Human Rights Council resolutions S-16/1, S-17/1, S-18/1 and its resolution 66/176, including by cooperating fully with the independent international commission of inquiry;
4. Condemns all violence, irrespective of where it comes from, and calls upon all parties in Syria, including armed groups, to immediately stop all violence or reprisals in accordance with the League of Arab States' initiative;
5. Stressing again the importance to ensure accountability and the need to end impunity and hold to account those responsible for human rights violations, including those that may amount to crimes against humanity,
6. Demands that the Syrian government, in accordance with the Plan of Action of the League of Arab States of 2 November 2011 and its decision of 22 January 2012, without delay:
(a) cease all violence and protect its population;
(b) release all persons detained arbitrarily due to the recent incidents;
(c) withdraw all Syrian military and armed forces from cities and towns, and return them to their original home barracks;
(d) guarantee the freedom of peaceful demonstrations;
(e) allow full and unhindered access and movement for all relevant League of Arab States' institutions and Arab and international media in all parts of Syria to determine the truth about the situation on the ground and monitor the incidents taking place; and
(f) allow full and unhindered access to the League of Arab States' observer mission;
7. Fully supports the League of Arab States' 22 January 2012 decision to facilitate a Syrian-led political transition to a democratic, plural political system, in which citizens are equal regardless of their affiliations or ethnicities or beliefs, including through commencing a serious political dialogue between the Syrian government and the whole spectrum of the Syrian opposition under the League of Arab States' auspices, in accordance with the timetable set out by the League of Arab States
8. Calls upon the Syrian authorities to cooperate fully with the League of Arab States' observer mission, in accordance with the League of Arabs States' Protocol of 19 December 2011;
9. Calls upon all Member States to provide support to the Arab League initiative, as requested
10. Calls upon the Syrian authorities to allow safe and unhindered access for humanitarian assistance in order to ensure the delivery of humanitarian aid to persons in need of assistance;
11. Requests/Invites the Secretary-General to provide support to the efforts of the League of Arab States, including its observer mission, both through good offices aimed at promoting a peaceful solution to the Syrian crisis, including through the appointment of a Special Envoy, as well as through technical and material assistance;
12. Requests the Secretary-General to report on the implementation of this resolution, in consultation with the League of Arab States, within 15 days of its adoption."
Le Chapitre VIII de la Charte.
L'assemblée générale est invitée à débattre Lundi 13 de la présention de la résolution que le Conseil des droits de l'homme a adopté lors de sa session spéciale consacrée à la Syrie (voir le Journal du 11 février). La Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, fera un exposé aux Etats membres à la demande du Président de l’Assemblée générale, le Qatari Nassir Abdulaziz Al-Nasser. Le projet arabe devrait être mis aux voix dans le courant de la semaine.
On peut regretter que le projet actuel fasse une place finalement assez réduite à l'ONU. L'Irak prendra la direction de la Ligue arabe au mois d'avril et sera donc peut-être moins efficace à partir de ce moment-là. L'idée d'une participation de l'ONU au groupe d'observateurs serait une assurance d'efficacité.
Il est dommage aussi que l'on ne profite pas de cette résolution de l'Assemblée générale pour acter les concessions de la Russie en ce qui concerne le renforcement de la Mission des observateurs faites lors de la rédaction de la Résolution "vétoisée" devant le Conseil de sécurité.
Enfin, on devrait tenir compte des préoccupations légitimes exprimées déjà ce vendredi par Madame Pillay. D'une part, il serait temps d'annoncer clairement une détermination collective à juger les responsables de violations graves du droit international humanitaire, même si l'évocation du rôle que pourrait jouer la CPI semble encore prématurée dans le contexte de la paralysie du Conseil de sécurité. D'autre part, si le projet saoudien souligne la responsabilité de la Syrie de protéger sa population, on espèrerait une confirmation formelle par l'Assemblée générale de sa déclaration de 2005 :
« A leur sommet de 2005, les leaders mondiaux ont convenu unanimement que chaque Etat a la responsabilité de protéger son peuple des crimes contre l’humanité et de tous les autres crimes internationaux » a dit Navi Pillay. « Ils ont aussi convenu que lorsqu’un Etat échoue manifestement à protéger sa population contre de graves crimes internationaux, la communauté internationale toute entière a la responsabilité d’intervenir en prenant conjointement, au moment opportun et de façon décisive, des mesures de protection » a-t-elle ajouté. « La ‘carte blanche’ virtuelle qui est actuellement accordée au gouvernement syrien trahit l’esprit et la lettre de cette décision conjointe. La population est privée d’une protection dont elle a urgemment besoin. »
On regrette donc que le projet saoudien soit exclusivement centré sur le Chapitre VIII de la Charte. Le préambule devrait rappeler la responsabilité de l'Assemblée générale en matière de maintien de la paix en cas de carence du Conseil de sécurité.
Le veto russe et chinois a porté atteinte au rôle de la Ligue arabe en tant qu'Organisation régionale. On ne soulignerait que mieux cette anomalie en rappelant le devoir de l'ONU de soutenir par son action propre l'initiative régionale. Le projet saoudien traduit un mouvement d'humeur visant l'ONU qui n'est certainement pas à propos, alors que les énergies devraient se réunir.
La Résolution de la Ligue arabe du 12 février 2012
Finalement l'Arabie Saoudite a renoncé à présenter son projet de résolution destiné à l'Assemblée générale. La Ligue s'est engagée dans une voie beaucoup plus ambitieuse lors de sa réunion du 12 février. En effet, elle ne renonce pas à obtenir une résolution du Conseil de sécurité. Elle est donc déterminée à pousser la Russie dans ses retranchements. La Résolution adoptée ce dimanche exige un cessez-le feu et envisage la création d'une force de maintien de la paix conjointe avec l'ONU et décidée par le Conseil de sécurité. Les Etats arabes décident aussi d'accroître les sanctions, de rompre toute relation avec le régime en place et d'établir des relations avec l'opposition syrienne à laquelle ils s'engagent à apporter une aide, même matérielle (armes ?). La Tunisie devrait accuellir le 24 février une conférence des "Amis du peuple syrien". Dans la foulée la mission des observateurs dont le chef a démissionné est dissoute. La Ligue arabe relance donc les dés, mais il est difficile de mesurer le sort qui sera réservée à cette initiative audacieuse. On n'envoie pas une force de maintien de la paix ayant pour mission de faire respecter un cessez-le-feu tant que ce dernier n'est pas effectif. Mais cette audace peut être payante, parce qu'elle devrait faire "bouger les lignes".
Cette colère des pays arabes, les autorités et la rue, devraient inciter la Russie et, d'abord, la Chine à comprendre la réelle portée de leur décision de blocage. La Chine serait l'amie du pleuple syrien tout entier et ne défendrait que la justice ? Mais alors que fait-elle dans cette galère ? Manifestement les autorités chinoises regrettent cette émotion suscitée par leur vote négatif au Conseil de sécurité. La Russie est désormais potentiellement isolée.
Affaiblir le Conseil de sécurité et l'ONU n'est pas dans l'intérêt de la Chine et de la Russie qui commencent à le réaliser...
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