L’accord de transfert de pirates signé l’an dernier entre l’île Maurice et l’UE est-il remis en cause ? Le site Bruxelles2 nous informe que le Parlement européen a en effet saisi la Cour de justice de l’Union européenne dans le but de faire annuler la décision du Conseil européen du 12 juillet 2011 (décision 2011/640/PESC) relatif à sa conclusion.
Fondements de la saisine
Rappelons tout d’abord que l’accord entre l’UE et l’île Maurice, adopté le 14 juillet 2011, relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de l’Union européenne à la République de Maurice, des personnes suspectées d’actes de piraterie et des biens associés saisis, et aux conditions des personnes suspectées d’actes de piraterie après leur transfert, a pour but d’assurer la traduction des suspects en justice dans la région, dans la droite lignée des accords similaires précédemment conclus par l’UE (Kenya (voir l'Echange de lettres), Seychelles (voir l'Echange de lettres)).
La procédure engagée par le Parlement européen ne vise pas à remettre en cause l’accord sur le fond. C’est en effet le respect de la procédure d’adoption de l’accord qui est contesté : le Parlement conteste la légalité de la décision d’adoption de l’accord, et non l’accord en lui-même, par le biais de la procédure de recours en annulation (contre le Conseil). Le Parlement européen fonde ses griefs sur le Traité sur l’Union européenne (TUE), et tout particulièrement son article 218; l'article 218§10 pour être plus précis, aux termes duquel « le Parlement européen est immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure ».
En l’espèce, le Parlement estime qu’il n’a pas été pris en compte dans la procédure d’adoption de l’accord, et qu’il a été mis à l’écart des négociations, ce qui justifierait donc sa saisine pour non-respect des conditions d'adoption de la décision (voir ici la procédure d'adoption des accords internationaux).
Définition du recours en annulation
« Par ce recours, le requérant demande l'annulation d'un acte d'une institution, d'un organe ou d'un organisme de l'Union (notamment règlement, directive, décision). À la Cour de justice sont réservés les recours formés par un État membre contre le Parlement européen et/ou contre le Conseil (sauf pour les actes de ce dernier en matière d'aides d'État, de dumping et de compétences d'exécution) ou introduits par une institution de l'Union contre une autre institution. Le Tribunal est compétent pour connaître, en première instance, de tous les autres recours de ce type et, notamment, des recours formés par les particuliers. »
Source : site de la CJUE
Un grief essentiellement politique ?
D’aucuns avancent (voir le site Bruxelles2) que la décision du Parlement ne serait justifiée que par des motivations politiques, dans le cadre d’une « bataille » rangée avec le Conseil des ministres concernant la négociation des accords internationaux.
S'il s'agissait réellement d'un grief purement politique, on pourrait regretter alors le choix du Parlement de se porter sur un accord de transfert adopté dans le cadre de la lutte contre la piraterie, laquelle est un sujet fort de l'UE et dans laquelle l'institution est très impliquée, au regard des enjeux en cause (garantie de la libre communication des mers, sensibilité de la région, atteinte aux intérêts européens...). Surtout dans un contexte où, on le répète suffisamment, les moyens de lutte doivent être assurés pour contrer un phénomène en pleine expansion et dont le terme ne semble pas approcher.
Conséquences d'une éventuelle annulation de la décision
Si la procédure aboutissait, que la Cour reconnaissait le bien-fondé du recours et que cette illégalité vicie l’accord adopté sur le fondement de cette décision, les conséquences pourraient être très lourdes, tant au niveau des accords adoptés dans les mêmes conditions qu'au niveau de la lutte contre la piraterie maritime. Seraient ainsi en effet remis en cause les transferts déjà opérés ainsi que les jugements déjà rendus. Cela impliquerait de libérer les suspects en attente de jugement, et risquerait de décrédibiliser toutes les opérations menées dans la zone, notamment celle menée par l'UE, Atalanta. Un risque que semble prêt à courir le Parlement européen. Il est cependant étonnant que le Parlement européen n'ait pas mis à profit cette option plus tôt, étant donné qu'il pouvait saisir, à titre consultatif, la Cour avant l'entrée en vigueur de l'accord : dans ce cas, si celle-ci avait rendu un avis négatif, l'accord aurait du être remanié pour pouvoir entrer en vigueur. Il n’y a plus désormais qu’à attendre que la CJUE rende sa décision (voir le règlement de procédure de la Cour).