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Soumis par Kady Charlotte le 29 September 2013

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme précise que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». L’article 10, quant à lui consacre la liberté d’expression et d’information.

Ces deux articles ont fait l’objet d’une abondante jurisprudence : le respect de la vie privée n’étant pas toujours compatible avec la liberté d’expression et d’information. A cet effet, la princesse Caroline de Hanovre a saisi à plusieurs reprises la CEDH s’estimant victimes de violation de sa vie privée. Elle essaie de faire interdire, souvent par voie judiciaire, la publication de photos prises par des paparazzi. Les magazines diffusant les photos de la princesse Caroline arguent que la liberté d’expression les autorise à publier ce qu’ils veulent. Ces deux articles, 10 et 8,  doivent être compris à la lumière l’un de l’autre.

Si dans un premier temps, la cour a reconnu ces violations (I) et le droit absolu à la vie privée, elle n’a pas tardé à affirmer que les personnes célèbres ne disposaient pas du même droit au respect de la vie privée que les anonymes (II) et que le public avait le droit d’être informé.

I : d’une appréciation stricte du principe du droit à la vie privée:

Deux séries de photos, publiées en 1993 et 1997, ont fait l’objet de trois séries de jugements devant les juridictions allemandes qui déboutèrent la princesse Caroline. Ces   procédures ont fait l’objet de l’arrêt Von Hannover c. Allemagne du 24 juin 2004, dans lequel la Cour a conclu que les décisions judiciaires avaient porté atteinte au droit de la requérante au respect de sa vie privée.

A : l’applicabilité de l’article 8 :

La Cour a eu l’occasion à plusieurs reprises de préciser dans quelles circonstances l’article 8 était applicable.  La notion de vie privée comprend des éléments se rapportant à l’identité d’une personne tels que son nom (Burghartz c. Suisse, arrêt du 22 février 1994) ou son droit à l’image (affaire Schüssel c. Autriche , 21 février 2002).

De plus, la sphère de la vie privée, telle que la Cour la conçoit, couvre l’intégrité physique et morale d’une personne. La garantie offerte par l’article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables (voir, Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16, et Botta c. Italie, arrêt du 24 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 422, § 32). Il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (voir, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni du 25 décembre 2001 et Peck c. Royaume-Uni du 28/04/2003)  

La Cour a également indiqué que, dans certaines circonstances, une personne disposait d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée. Ainsi, elle a estimé, dans une affaire ayant trait à l’interception de communications téléphoniques émanant de locaux professionnels, que la requérante « pouvait légitimement croire au caractère privé de ce type d’appels » (Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997).

Dans le cas de photos, la Commission européenne des Droits de l’Homme, en vue de délimiter la portée de la protection accordée par l’article 8 contre une ingérence arbitraire des autorités publiques, a examiné si elles se rapportaient à un domaine privé ou à des incidents publics, et si les éléments ainsi obtenus étaient destinés à un usage limité, ou susceptibles d’être rendus accessibles au public en général (voir, Friedl c. Autriche, arrêt du 31 janvier 1995, série A no 305-B, avis de la Commission, p. 21, §§ 49-52, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni précité, § 58, et Peck précité, § 61).

En l’espèce, il ne fait pas de doute que la publication par différents magazines allemands de photos représentant la princesse Caroline seule ou avec d’autres personnes dans la vie quotidienne relevait de sa vie privée.

B : l’arrêt du 24 juin 2004:

 La Cour a tout d’abord relevé que les photos parues dans les différents magazines allemands représentent la princesse Caroline dans des scènes de sa vie quotidienne, donc dans des activités de nature purement privée, alors qu’elle fait du sport, qu’elle se promène, qu’elle sort au restaurant ou qu’elle se trouve en vacances. La Cour a ensuite noté que la requérante, en tant que membre de la famille princière monégasque, joue un rôle de représentation lors de certaines manifestations culturelles ou de bienfaisance. Cependant, elle n’exerce aucune fonction au sein ou pour le compte de l’Etat monégasque ou de l’une de ses institutions.

Pour la Cour, il convient donc d’opérer une distinction fondamentale entre un reportage relatant des faits – même controversés – susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, se rapportant à des personnalités politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles par exemple, et un reportage sur les détails de la vie privée d’une personne qui, de surcroît, comme en l’espèce, ne remplit pas de telles fonctions. Si dans le premier cas la presse joue son rôle essentiel de « chien de garde » dans une démocratie en contribuant à « communiquer des idées et des informations sur des questions d’intérêt public », il en va autrement dans le second cas. L’arrêt est très clair :

   « De même, s’il existe un droit du public à être informé, droit essentiel dans une société démocratique qui, dans des circonstances particulières, peut même porter sur des aspects de la vie privée de personnes publiques, notamment lorsqu’il s’agit de personnalités politiques, cela n’est pas le cas en l’occurrence : en effet, celui-ci se situe en dehors de la sphère de tout débat politique ou public, car les photos publiées et les commentaires les accompagnant se rapportent exclusivement à des détails de la vie privée de la requérante. »

 « Comme dans d’autres affaires similaires dont elle a eu à connaître, la Cour estime dès qu’en l’espèce la publication des photos et des articles litigieux, ayant eu pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie privée de la requérante, ne saurait passer pour contribuer à un quelconque débat d’intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante. »

Dans ces conditions, la liberté d’expression appelait une interprétation moins large et la CEDH estima qu’il y avait violation de l’article 8 par les juridictions allemandes. 

II : A un droit à la vie privée limité :

La décision du 19 septembre 2013 a repris le raisonnement de l'arrêt de grande chambre du CEDH du 7 février 2012: les personnes publiques ont un droit à la vie privée limité.

A : l’arrêt de grande chambre du 7 février 2012 : Axel Springer AG et Von Hannover (n° 2):

Caroline de Hanovre et son mari engagèrent par la suite plusieurs procédures tendant à l’interdiction de nouvelles photos parues dans des magazines allemands entre 2002 et 2004. La Cour fédérale de justice les débouta partiellement de leurs demandes et la Cour constitutionnelle fédérale rejeta les recours de la requérante. Ces procédures ont fait l’objet de l’arrêt de Grande Chambre Von Hannover c. Allemagne (n° 2) du 7 février 2012   dans lequel la Cour  conclut que les décisions judiciaires n’avaient pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée de Caroline de Hanovre et de son mari.

Dans ses arrêts Axel Springer AG et  Von Hannover c. Allemagne (n° 2) du 7 février 2012 , la Cour a précisé les critères pertinents pour apprécier le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication et en ce qui concerne les photos, les circonstances de leur prise.

Le refus des juridictions internes d’interdire la publication d’une photographie d’un couple célèbre prise à leur insu ne constitue donc pas une violation de l’article 8 de la CEDH.

B :  Décision du 19 septembre 2013 : Affaire Von Hannover c. Allemagne (No.3) :

À l’origine de l’affaire se trouve, une fois de plus,  une requête (no 8772/10) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne. La princesse Caroline de Monaco épouse de Hannovre, saisit la Cour le 10 février 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dans cette requête, la photo litigieuse a été publiée dans le numéro du 20 mars 2002 du magazine 7 Tage. Elle montre la requérante et son mari en vacances à un endroit qu’on ne peut identifier. Sur la même page et la suivante sont reproduites plusieurs photos de la villa de vacances de la famille de Hanovre située sur une île au Kenya. Ces photos sont accompagnées d’un article qui rapporte que les personnalités ont pris pour habitude de louer leurs maisons de vacances. L’article décrit ensuite la villa de la famille de Hanovre et révèle le détail du mobilier, le prix de la location par jour et les différentes manières de passer une journée de vacances. Un petit encadré au milieu du texte comporte deux phrases en caractères plus gros : « Les gens riches et beaux sont également « économes (sparsam)». Beaucoup d’entre eux louent leurs villas à des hôtes payants.

La Cour constitutionnelle fédérale allemande  estima que si la photo litigieuse ne contribuait pas à un débat d’intérêt général, il n’en allait pas de même pour l’article qui accompagnait la photo et rendait compte de la mode des célébrités de mettre leurs résidences de vacances en location : selon elle, l’intention du reportage était de rendre compte de cette tendance et pouvait contribuer à un débat d’intérêt général. Le texte de l’article ne donnait aucun élément appartenant à la vie privée de la princesse ou de son mari, mais était consacré aux aspects pratiques concernant la villa et sa location. La cour allemande estima qu’on ne pouvait  donc soutenir que l’article n’était qu’un prétexte afin de pouvoir publier la photo litigieuse et que le lien entre l’article et la photo était purement artificiel. La qualification, par la Cour constitutionnelle fédérale, puis par la Cour fédérale de justice, de l’objet de l’article comme événement d’intérêt général ne peuvent donc  passer pour déraisonnable. La Cour peut donc accepter que la photo litigieuse ait apporté une contribution à un débat d’intérêt général.

Concernant la notoriété de la requérante, la Cour rappela qu’elle avait déjà estimé à plusieurs reprises que la princesse et son mari devaient être considérées comme des personnes publiques qui ne peuvent donc prétendre à une protection de leur droit à la vie privée de la même manière que des personnes inconnues du public. Cela signifie-t-il qu’il y a deux catégories de personnes qui ne bénéficieraient pas de droits identiques ? Les inconnus qui auraient droit à la protection de leur vie privée et « les personnes publiques » pour lesquelles la notion de vie privée serait restreinte? le droit à la vie privée est-il un droit à géométrie variable? La CEDJ n’a d’ailleurs jamais défini la notion de « personne publique », ni le degré de notoriété nécessaire pour devenir une « personne publique ». Certes la question de la notoriété de ne pose pas pour la princesse Caroline de Monaco qui apparaît dans les journaux du monde entier depuis sa naissance mais quid pour d’autres personnes à la notoriété plus incertaine ? 

La CEDH conclut que les juridictions nationales n’avaient pas manqué à leurs obligations positives et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de L'Homme.

Conclusion :

Cette décision du 19 septembre 2013 a confirmé l’arrêt de chambre de 2012 : la vie privée des personnes célèbres est moins protégée que celle des anonymes. Il est toujours  délicat de trouver un équilibre approprié entre la liberté d'expression et le droit à la vie privée Cette décision de la CEDH n'est cependant pas définitive : la princesse a trois mois pour demander un nouvel examen de sa requête, ce que la Cour n'est toutefois pas tenue d'accepter.

Bulletin numéro 359